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Bulletin

La vie monastique aujourd’hui

125

Bulletin

« Toute la vie comme liturgie »

124

Bulletin

Les Chapitres généraux cisterciens
(OCSO et OCist, sep. et oct. 2022)

123

Bulletin

Vie monastique et synodalité

122

Bulletin

La gestion de la Maison commune

Les Chapitres généraux cisterciens
(OCSO et OCist, sep. et oct. 2022)

Bulletin n° 124, année 2023

Sommaire

Editorial

Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM


Lectio divina

Luc 17, 11-16

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, ocist


Perspectives

• Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO

Dom Bernardus Peeters, Abbé général

• Discours du pape François aux participants du Chapitre général OCSO

• Ce qui est le plus vivifiant dans l’Ordre aujourd’hui

Sœur Ainzane Juanicotena, ocso

• Discours d’ouverture du Chapitre général OCist

Dom M.-G. Lepori, Abbé général


Méditation

Le caractère exemplaire de la vie monastique

Pape Benoît XVI


Questions actuelles

Prévenir les abus dans les communautés féminines

Isabelle Jonveaux, sociologue


Témoignage

La grâce de faire une fondation et l’expérience du retour

Dom Robert Igo, osb


Grandes figures de la vie monastique

• Sœur Josephine Mary Miller

Sœur Marie-Paule Bart, ocbe

• Bienheureux dom Columba Marmion

Père R.-F. Poswick, osb


Histoire et patrimoine

Le monastère de Tautra

Sœur Hanne-Maria Berentzen, ocso


Méditation

Homélie pour la Mémoire de saint Aelred

Père Henry Wansbrough, osb


Nouvelles

• Compte rendu sur la session Ananie 

À partir des chroniques de la session

• Le DIMMID

Père William Skudlarek, osb

• L’association AMTM

Secrétariat de l’AIM

• Quelques projets soutenus par l’AIM

Secrétariat de l’AIM

Sommaire

Éditorial

La famille bénédictine est riche de trois entités qui se déploient en de multiples facettes : la Confédération bénédictine avec ses quelques 80 congrégations masculines et féminines, l’Ordre cistercien (OCist), lui-même comprenant plusieurs congrégations, et l’Ordre trappiste (OCSO). Comme dans toute famille religieuse, ces trois entités ont leur réunion générale : Congrès des abbés et Symposium de la CIB pour la première, Chapitres généraux pour les deux autres. Ce sont des moments importants où tous les supérieurs, toutes les supérieures, et éventuellement les délégué(e)s des régions ou des communautés, se retrouvent pour des temps de partage intense.

Après les reports dus au confinement, les Chapitres généraux des deux Ordres cisterciens ont eu lieu au cours de l’automne dernier. Ce numéro du Bulletin donne un écho de leurs réflexions, de leurs projets, de leurs perspectives.

Nous avons voulu également donner la parole à une sociologue sur le phénomène si grave des abus subis par la vie religieuse féminine. Dénoncés depuis longtemps, ces méfaits ne sont pas suffisamment pris en compte. Cet exposé suscitera peut-être des commentaires et permettra, il faut l’espérer, à des voix de s’exprimer plus librement. L’AIM se veut attentive à cette expression et accompagne autant que possible les actions mises en œuvre pour contrer de tels comportements.

Le père Robert Igo, quant à lui, nous fait part de son expérience, après de nombreuses années au Zimbabwe, de devenir abbé du monastère d’Ampleforth, Maison fondatrice, dans un contexte bien différent de celui de l’Afrique. Le Père Abbé Robert tire de cette reconversion de nombreux enseignements utiles pour chacun de nous.

La rubrique « Grands témoins de la vie monastique » met en valeur la grande figure du Bienheureux Columba Marmion qui, depuis sa béatification, trouve un renfort d’audience dans l’Église et dans le monachisme. De même, Mère Josephine Mary Miller, ancienne prieure générale des Bernardines d’Esquermes, qui a longtemps participé au Conseil et au Comité exécutif de l’AIM, peut être reconnue comme une grande figure qui a donné toute sa vie au service de la cause évangélique et monastique.

Nous avons tenu à faire découvrir la belle histoire et la remarquable architecture du monastère de Tautra, en Norvège. Enfin, nous donnons des nouvelles du DIM, de la session de formation Ananie et de quelques projets soutenus par l’AIM.

Que toutes ces propositions nous aident à aller de l’avant.

Dom Jean-Pierre Longeat, osb

Président de l’AIM

Articles

Le cénobitisme, ou les équilibres communautaires

1

Dom Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM


Le cénobitisme, ou les équilibres communautaires



Une des principales caractéristiques de notre vie est d’être cénobitique. Nous vivons en communauté et nous témoignons ensemble ainsi de la réalité du Corps du Christ. Il y a là quelque chose de profondément mystérieux, car même si l’homme est un animal social, il faut bien reconnaître que la vie commune ne lui est pas spontanément facile. Saint Benoît s’attache beaucoup à ce problème auquel il accorde la plus grande importance.

« Les cénobites sont ceux qui vivent en commun, dans un monastère, et combattent sous une Règle et un abbé ; ils sont formés par une longue épreuve dans le monastère, ils apprennent, grâce au soutien de nombreux frères, à lutter contre le démon. Ils sont là comme dans une armée fraternelle. Ils sont libres par rapport aux coutumes mondaines dans leur conduite. Ils ne sont pas renfermés dans leur propre bergerie, mais dans celle du Seigneur. Ce n’est pas la satisfaction de leur désir qui leur sert de loi » (RB 1).

Ils passent leur vie dans un lien stable avec leur communauté et, sauf raison spéciale, dans le monastère lui-même. C’est ainsi que l’on peut dresser un premier portrait du propos cénobitique selon saint Benoît d’après le chapitre 1 de la Règle.

Au début de la Règle, la préoccupation de Benoît reste marqué par la conversion personnelle. La communauté serait comme l’un des moyens de cette conversion pour éprouver le chemin de la charité. Mais tout au long de la Règle et surtout à la fin, on perçoit une ouverture à la dimension proprement communautaire comme un bien en soi. Si donc ce propos communautaire est si important, il nous faut essayer de donner quelques moyens pour y avancer et notamment pour parvenir à vivre les équilibres difficiles qui font que chacun puisse se retrouver dans cette communauté, à sa place, selon sa véritable personnalité.


Les fonctions et les personnes

Dans une communauté, l’abbé a un rôle quasi impossible à tenir. Il est là comme le vicaire du Christ. Cela veut dire qu’il doit sans cesse pointer le doigt vers celui qui est l’abbé véritable, le Christ, qui est livré comme Parole de Dieu par son enseignement et par son exemple. Il en va un peu de même pour ceux qui exercent d’autres responsabilités dans la communauté. Une des difficultés de notre vie communautaire, c’est de confondre souvent la fonction qu’exercent les uns et les autres et ce qu’ils sont en eux-mêmes. À tel point que si certains n’exercent pas de fonction majeure, ils peuvent en faire un complexe ou en éprouver une réelle jalousie consciente ou inconsciente ; un peu comme s’ils ne pouvaient exister aux yeux des autres, tant la tentation de croire que l’on est perçu uniquement par ce que l’on fait est grande. Mais il peut y avoir aussi la tentation inverse : vouloir exister pour soi-même sans coïncider véritablement avec la fonction que l’on a le devoir d’exercer. C’est-à-dire vouloir se réaliser soi-même d’abord et n’exercer la responsabilité que de surcroît. C’est le meilleur moyen de s’attribuer un pouvoir trop subjectif, y compris sous le mode de la séduction. C’est une grosse illusion que de situer le face à face de l’abbé et de sa communauté sur ce registre. Il me semble important que l’une des principales qualités des responsables soit l’honnêteté à assumer sa responsabilité, sans renier ce que l’on est, bien sûr, mais en le mettant au service de ce que l’on a à accomplir. En l’occurrence, l’attitude de l’abbé doit renvoyer constamment au Christ. En raison même de cette honnêteté, il peut exister selon la nature propre que le Seigneur lui a donnée sans trop se préoccuper des commentaires de toutes sortes qui sont inévitablement portés sur son comportement ou son action. Ainsi, Il pourrait ne pas y avoir de déséquilibre entre les aspirations personnelles de celui qui est en charge et les aspirations légitimes des autres membres de la communauté puisque tous sont appelés à se mettre vraiment au service les uns des autres, sans se cacher derrière un personnage de fonction, ou sans se mettre en avant en imposant le poids de sa subjectivité.

Reste à définir en quoi consiste l’honnêteté ; saint Benoît en décrit quelques aspects : nourrir un double enseignement par des actes plus encore que par des paroles. Ailleurs, saint Benoît dit que l’abbé devra être le premier à appliquer la Règle dans sa totalité. Qu’il soit chaste, sobre, miséricordieux ; il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu’il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté. Qu’il ne soit ni turbulent, ni inquiet ; qu’il ne soit ni excessif, ni opiniâtre ; qu’il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux. Ainsi, peut-être pourra-t-il ne pas faire acception des personnes, ne pas aimer l’un plus que l’autre, ne pas préférer l’homme libre à celui venu de l’esclavage, ou d’autres catégories sociales et culturelles : car libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ et nous portons tous les mêmes armes, au service d’un même Seigneur… Il témoignera à tous la même charité. Il considérera combien est difficile et laborieuse la charge de conduire des âmes et de s’accommoder aux caractères d’un grand nombre et surtout, pour l’abbé, dans les taches qu’il distribuera, il se conduira avec discernement et modération, et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : « Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront en un jour » (cf. RB 64).

Cette vie honnête est un projet difficile, mais elle est la clef d’une existence libre selon la volonté de Dieu. Si jamais comme abbé, je peux parfois éprouver quelques difficultés à ressentir cette liberté d’exister c’est que par ailleurs, l’enracinement n’est pas assez « honnête ». Ce mot d’honnêteté paraît peut-être insuffisant, mais il vient de saint Benoît lui-même qui écrit au chapitre 73 :

« Cette Règle que nous venons d’écrire, il suffira de l’observer dans les monastères pour faire preuve d’une certaine honnêteté de mœurs et d’un commencement de vie monastique… Qui que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l’aide du Christ, cette toute petite Règle, écrite pour les débutants. Cela fait, tu parviendras avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus, que nous venons de parler. Amen. »


Le dialogue

Saint Benoît veut que chacun trouve bien sa place dans la communauté en donnant son avis. C’est le sens du chapitre 3, l’appel des frères en conseil : « Ce qui nous fait dire qu’il faut consulter tous les frères, c’est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur. » Mais cette prise de conseil se fait avec beaucoup de sagesse : « Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission. »

En fait, cette dimension n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. D’une part, les questions relatives à la vie du monastère sont nombreuses et ne peuvent être toutes l’objet d’un débat ; c’est pourquoi, d’ailleurs, il existe le conseil. D’autre part, malheureusement, il est assez rare de trouver des communautés où tous sachent s’écouter mutuellement. On sait trop à l’avance ce que l’on doit penser des propos de tel ou tel. À tel point que certaines paroles ne sont pas suffisamment prises en compte.

Et pourtant dans le monastère, chacun tient une place unique. Chacun possède une intelligence unique nourrie par une expérience de vie particulière. Untel est parfaitement naturel et sans complexe qui parle comme cela lui vient à l’esprit sans s’interroger davantage, tel autre est capable d’apporter une réflexion sur les principes d’une action, tel autre au contraire sur l’intelligence pratique de sa mise en œuvre. Cette écoute mutuelle est capitale pour pouvoir exister en communauté, elle n’a pas lieu uniquement en réunion de Chapitre, elle doit présider à tous les instants de notre vie. On remarque souvent que certains s’éloignent de la vie communautaire parce qu’on ne prend pas suffisamment en compte leur parole. Toute personne a envie d’exprimer quelque chose, c’est même l’originalité de la nature humaine ; si elle ne peut le faire dans le groupe où elle vit, elle dépérit et parfois cherche ailleurs un espace plus propice. Ceux qui pensent avoir quelque chose de plus intéressant à dire que les autres doivent faire effort de patience, pour entendre ce qu’ils estiment moins approprié mais qui reste pourtant utile. Ainsi chacun pourra exister dans ce dialogue qui est une composante essentielle de l’amour. Tout, bien sûr doit se faire avec discrétion, discernement. Il ne s’agit pas de dire n’importe quoi, n’importe comment à n’importe qui, sous prétexte que l’on aurait besoin de parler.


Obéissance

Comme une conséquence de l’écoute mutuelle, il y a l’obéissance, cette qualité d’attention les uns à l’égard des autres.

« Ce n’est pas seulement à l’abbé que tous les frères doivent rendre le bien de l’obéissance : il faut encore qu’ils s’obéissent les uns aux autres. Ils sauront que c’est par cette voie de l’obéissance qu’ils iront à Dieu » (RB 71).

Qu’y a-t-il de plus beau dans une communauté que des frères, des sœurs qui, indépendamment de leur âge, de leur fonction, de leur milieu et formation d’origine, s’obéissent à l’envi. Plutôt que de se toiser les uns les autres en exerçant cette tentation de pouvoir extérieur qui ne mène qu’à des incompréhensions, des conflits, voire de profondes injustices, il est merveilleux d’essayer de s’entendre, en tous les sens du terme, de se servir, de se retrouver dans un véritable service mutuel.

Il est malheureux que souvent, notre regard sur l’autre porte des marques d’envie. Nous avons tous des dons différents, pourquoi vouloir posséder les dons d’autrui plutôt que de faire fructifier les nôtres qui sont toujours infiniment précieux pour tous ? Untel sait magnifiquement accueillir, tel autre compter ou organiser, tel autre chanter ou enseigner, untel encore accompagner les autres sur un chemin difficile, tel autre pratiquer un silence fructueux, ou encore supporter la maladie saintement, dire une bonne parole, conduire un tracteur, réparer une voiture ou la conduire à la perfection, certains savent écrire des livres, d’autres préparer admirablement les choses de la cuisine, ou tenir un lieu parfaitement en ordre et très propre ou que sais-je encore ? Aucun de nous n’est dépourvu de dons ou de qualités, mais elles ne sont vraiment au service de l’ensemble de la communauté que quand on accepte de les y mettre et de les y développer et surtout quand la communauté accepte de les accueillir et d’y obéir.

Cela signifie qu’aucun parti pris négatif n’est valable dans une vie commune. On entend trop souvent des jugements sur les autres, des rejets parfois ; plus on refuse, et plus l’autre s’enfonce dans son impossibilité. L’amour, c’est l’espérance immense de la confiance malgré toutes les tentations de refus que l’on peut éprouver à l’intérieur de soi.

Ainsi, on peut s’obéir positivement, s’accueillir, s’aimer, se reconnaître, se pardonner, se construire, s’édifier mutuellement et trouver ce bon équilibre dans une communauté ouverte, ou l’impossible est rendu possible pour un témoignage inouïe et pour une diffusion de la Bonne Nouvelle : le Christ a brisé le mur de la haine.

Voilà la vraie joie dans la conversion du cœur.

« L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,… » (Lc 17, 11-16)

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Lectio divina

Dom Mauro-Giuseppe Lepori

Abbé général de l'Ordre cistercien (OCist)

 

« L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,

revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. »

(Luc 17, 11-16)[1]


 

C’est peut-être cette phrase qui peut suggérer dans quel esprit nous sommes appelés à commencer notre Chapitre général, sept ans après le dernier, alors qu’entre-temps le monde a souffert et souffre encore d’une grave pandémie, d’une guerre fratricide qui met en danger le monde entier, et d’une grande instabilité politique et économique. Chacun aura des raisons différentes, chacun a sa « maladie incurable », sa « lèpre », son « épine dans la chair », peu importe. Ce qui doit nous unir, c’est que chacun de nous a des raisons de revenir sans cesse à Jésus, de l’adorer et de le remercier. Et c’est cela qui nous rassemble.

Revenir, adorer, remercier. Nous apprenons du lépreux guéri ces trois grandes dimensions de la vie et de la foi dans le Salut. Jésus lui dit à la fin : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé » (Lc 17, 19). C’est comme s’il disait que le retour à Lui, l’adoration et la gratitude sont les dimensions d’une foi qui nous sauve, qui reçoit du Christ non seulement la santé, ce qui tôt ou tard se perd à nouveau, non seulement donc la solution à nos problèmes immédiats, mais le salut de la vie, le salut pour toujours. Le lépreux guéri n'avait pas seulement besoin de santé. Il a compris que le miracle était le signe de quelque chose de bien plus grand et de bien plus précieux : c’était le signe du Christ Sauveur, c’était le signe que le Sauveur était présent et l’aimait.

C’est pourquoi il est revenu vers Lui. La santé ne lui suffisait pas : il désirait le Christ, il désirait rencontrer encore et encore le Seigneur et le Sauveur de la vie. Les neuf autres lépreux guéris sont retournés à leur vie normale, certainement avec joie. Mais est-ce vraiment cela le seul sens de la vie ? Cela vaut-il la peine d’être en bonne santé juste pour survivre à la maladie et à la mort pendant un certain temps ? Le Christ nous offre tellement plus. Le Christ nous offre non seulement la santé, non seulement la solution à nos problèmes, nos difficultés et nos souffrances. Le Christ nous offre lui-même !

C’est pourquoi la foi nous sauve, parce que la foi nous conduit à adhérer au Christ, à revenir toujours à lui, à sa présence, à son amour ; à le reconnaître comme notre Dieu par l’adoration ; à le reconnaître comme la source inépuisable de notre joie, ce qui nous fait louer et remercier Dieu toujours et pour tout. Revenir au Christ, repartir du Christ, signifie aussi reconnaître que sa présence qui nous guérit et nous sauve est liée à un lieu, et que si nous voulons vraiment le rencontrer, nous devons aller là où il se trouve.

Même Naaman, le commandant païen que Dieu a guéri de la lèpre grâce à l’intervention du prophète Élisée, comprend qu’il doit emporter avec lui la terre d’Israël, sur laquelle il pourra prier le vrai Dieu. Cette terre est pour nous un symbole de l’Église, de la communauté de personnes et de communautés, dans laquelle il nous est donné de revenir toujours pour rencontrer, adorer et louer le Seigneur. Cette terre sainte, c’est le lieu de notre vocation, c’est notre communauté, c’est notre Ordre. Nos pères cisterciens ont compris dès le début que le charisme cistercien, nourri du charisme de saint Benoît, serait toujours lié à la terre sainte de la communion entre les monastères nés du nouveau monastère de Cîteaux. Et que le principal moyen de revenir au Christ sur cette terre était la réunion du Chapitre général.

C’est pourquoi nous ne devons pas revenir à la réunion du Chapitre général comme si nous nous assemblions à la manière d’un parlement ou organisions un congrès, mais avec la conscience de nous retrouver ensemble sur la terre sacrée de la rencontre avec le Seigneur Jésus qui nous sauve, qui nous donne son Esprit Saint et nous renouvelle dans la fraternité universelle des enfants de Dieu le Père.

Le Chapitre général se déroulera bien et renouvellera la vie de l’Ordre si, au cours de ces jours, l’Esprit Saint ouvre nos cœurs à l'écoute de Jésus qui nous répète : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé » (Lc 17, 19).


[1] Homélie lors de la messe votive au Saint-Esprit pour l’ouverture du Chapitre général de l’Ordre cistercien (9 octobre 2022).

Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO

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Perspectives

Dom Bernardus Peeters

Abbé général de l’Ordre cistercien

de la stricte observance (OCSO)

 

Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO

Assise, 2 septembre 2022


 

À la suite de la première partie du Chapitre général OCSO, le nouvel Abbé général avait sollicité les abbés et abbesses de l’Ordre pour exprimer leurs rêves de vie monastique tel que le Pape y appelle. En réponse, 138 rêves de supérieurs et de communautés sont revenus à la Maison généralice sur 157 monastères de l’Ordre. Cela représente donc une participation de 87 %, ce qui est très remarquable. En ouverture de la deuxième partie du Chapitre général, dom Bernadus faisait une présentation de ces réponses. Nous en donnons ici un large extrait. Cela concerne en premier lieu l’Ordre trappiste mais plus largement peut s’appliquer à la famille bénédictine en général.

 

[…]

Après avoir lu tous vos rêves, je me suis senti comme saint Benoît dans la tour du Mont-Cassin, cherchant et attendant ce que la voix de Dieu dans sa bonté a à nous dire : le chemin de la vie ! (RB Prol 19-20). En regardant tous les coins du monde, le Seigneur, je pense, a ouvert quatre fenêtres pour nous. Ces quatre fenêtres nous aideront à réaliser nos rêves.

J’ai essayé de relire vos rêves à partir des trois mots du prochain Synode des évêques : communion, participation et mission. J’en ai ajouté un quatrième : formation. Ce dernier, je l’expliquerai plus tard mais pour l’instant il montre simplement que la synodalité appartient à l’essence de la vie religieuse et que cette obéissance à la Parole de Dieu et les uns aux autres non seulement fonde la communion, appelle la participation et conduit à la mission mais qu’elle exige aussi une conversion continue qui nécessite une solide formation permanente. Ces rêves ont été un petit commencement de processus synodal dans notre Ordre. La synodalité, cependant, n'est pas un événement ponctuel mais un style de vie.

L’un d’entre vous a rêvé, « sans trop d’illusions », que lors de la prochaine partie du Chapitre général le mot “synodalité” ne reviendra pas à chaque détour de phrase dans les rapports et les interventions. « Une question me semble importante : dans la vie concrète de nos communautés, la soi-disante “synodalité” ne va-t-elle pas étouffer ce qui peut rester d’obéissance bénédictine ? » En effet, faisons attention à ce que la synodalité ne devienne pas un mot à la mode, dépourvu de toute substance.

« Parler d’un style synodal, c’est donc prendre conscience que le renouveau ecclésial dont on parle tant... touche les profondeurs de l’expérience de l’Église et ne se limite pas à des interventions se résumant à un simple maquillage ecclésiastique. [...] C’est, après tout, l’expression du besoin de l’Église d’une réforme profonde de notre manière d’être et de vivre en tant qu’Église face à un véritable changement d’époque pour le christianisme et pour le monde entier. »[1]

Cette réforme profonde ne peut se faire sans une conversion permanente fondée sur notre obéissance à Dieu et les uns aux autres.

Avant de regarder par les fenêtres de ces quatre rêves, je tiens à souligner qu’aucune tour ne peut être construite sans une bonne fondation. Sur cette fondation, heureusement, nous sommes tous d’accord. Aucun d’entre nous ne rêve d’une autre fondation ! Cela mérite en soi des félicitations ! Un supérieur a exprimé avec justesse ce fondement de la manière suivante :

« Je rêve d’un Ordre christocentrique, passionné par l’absolu du Christ. Un Ordre qui bouge et se désinstalle en suivant le Christ » (Amérique Latine).

La tour de notre Ordre est construite sur ce fondement et quatre fenêtres s’ouvrent par lesquelles rayonne la lumière, dans laquelle nous pouvons voir irradier la lumière de Dieu. Sur ce fondement reposent quatre rêves que je résume brièvement ici et que je développerai ensuite :

1. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel moines et moniales, de cultures diverses, partagent une vision commune de l’identité contemplative, « coopèrent entre eux et s’apportent une aide réciproque de bien des manières, en respectant leurs saines différences et la complémentarité de leurs dons » (Cst. 72). L’unité dans la diversité y est chérie.

2. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel tous sont capables et désireux de participer ; un Ordre qui est flexible dans sa structure, avec une communication ouverte et transparente à tous les niveaux et avec un grand respect de la vocation baptismale des frères et sœurs, des communautés locales et des Régions, sans perdre de vue l’ensemble.

3. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel tous ses membres et toutes ses communautés sont des personnes et des lieux à l’engagement généreux envers Dieu, l’Église et le monde, qui rend justice à sa « secrète fécondité apostolique » (Cst 3.4). Il s’exprime dans un humble respect de tous les dons de la création de Dieu. Ainsi, en tout, Dieu sera glorifié (1 P 4, 11).

4. Nous rêvons d’un Ordre qui sache former avec enthousiasme ses membres à la « philosophie du Christ » (Ratio Institutionis) et au langage du Christ, et les doter des moyens adéquats pour atteindre le but ultime de leur vocation.


Rêve de communion

« La forme de vie cistercienne est cénobitique » (Cst. 3, 1). Appelés ensemble par la voix de Dieu, nous vivons cette communion dans une forme concrète de vie commune, dans laquelle la recherche de l’unité avec Dieu et avec tout ce qui vit et respire est centrale. Chaque membre de l’Ordre est important ! Chaque frère ou sœur est porteur du même sceau baptismal reçu et confirmé dans la profession monastique. En vertu de ce don, nous sommes tous, sans exception, coresponsables de la communion avec Dieu et entre nous. En regardant par cette fenêtre, nous entendons des rêves sur les relations mutuelles dans les communautés, dans les Régions, entre les hommes et les femmes de notre Ordre mais aussi entre les anciens et les jeunes et entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest.

* Je rêve d’une communauté où personne ne condamne l’autre mais où tous sont écoutés. Je rêve d’une communauté où nous nous estimons les uns les autres pour ce que nous sommes – enfants de Dieu – plutôt que de nous utiliser les uns les autres pour nous-mêmes ou pour la survie des structures. (Europe)

* Nous rêvons qu’il y ait davantage de relations entre nos monastères afin que l’Ordre ressemble davantage à une grande famille. Depuis quelques années, nous faisons l’expérience d’envoyer l’un d’entre nous à tour de rôle dans la maison fondatrice et nous aimerions poursuivre cette expérience, avec d’autres communautés peut-être ? et sous forme d’échanges : l’un d’entre nous part pendant un an et un aîné vient chez nous pendant plusieurs mois et nous aide à la formation. (Afrique)

* La question est de savoir comment transmettre ce désir personnel à la communauté, à l’Ordre. Je reconnais que c’est un défi car nous sommes des personnes de cultures diverses et de formations très différentes. Mais nous avons une force commune, notre identité cistercienne ou charisme, qui n’est pas une pierre de musée, mais une réalité vivante. Une réalité qui nous interpelle de plusieurs côtés pour n’en citer que quelques-uns : vieillissement, diminution des vocations, fermeture de communautés.

Le rêve nous dépasse, nous surprend et, sans tomber dans de fausses illusions, nous sommes appelés à créer des communautés où la simplicité, la joyeuse fraternité, la joie de la prière vivante, la rencontre avec le Seigneur dans sa Parole et les sacrements nous font sentir et vivre en plénitude la miséricorde de Dieu, à la manière de Marie, reine et mère de la miséricorde. (Amérique Latine).

* Un Ordre : J’ai été impressionné dès le début par la façon dont les moines et les moniales collaboraient, et maintenant, avec un seul Chapitre, le mode de fonctionnement de notre Ordre est unique. C’est quelque chose dont il faut être reconnaissant, qu’il faut maintenir et développer pour nous-mêmes et peut-être pour l’Église. (Amérique du Nord)

* Mon rêve : « Relations évangéliques ». Au niveau du ministère de l’Abbé général pour l’Ordre, il y aurait un comité d'anciens (sempectae, RB 27) qui serait nommé par l’Abbé général pour le conseiller sur les questions pastorales plus compliquées qui atterrissent sur son bureau. Ce comité ne résiderait pas à Rome mais se réunirait régulièrement par le biais d’une salle de communication informatique sophistiquée à la Maison généralice. Ils seraient choisis pour leur long ministère et leur réponse créative à de nombreuses questions pastorales ; ils pourraient être supérieurs actifs ou retraités. Le but principal du Généralat serait de faciliter et d’offrir des ressources aux commissions pastorales des Régions. Dans les cas plus difficiles, ces commissions pourraient faire appel au Comité des Anciens. Le mouvement de consultation, d’autorité et de responsabilité deviendrait moins linéaire et plus circulaire (obéissance mutuelle, RB 71) en faisant appel à davantage de membres de l’Ordre pour la pastorale des communautés ayant des besoins particuliers. (Amérique du Nord)

* Je rêve d’une plus grande attention pastorale mutuelle. Nous réagissons trop comme des maisons autonomes. Nous ne pouvons pas nous aider ou nous ne sommes pas disposés à nous aider mutuellement. Nous ne demandons pas d’aide. S’il y a un vrai problème, il nous est difficile d’aider. (Asie)


Rêve de participation

Nous avons tous le droit et le devoir de participer à la vie de nos communautés, des Régions et à la vie de l’Ordre avec ses diverses structures (Cf. Cst. 16, 1). Une participation enracinée dans notre tradition bénédictine dans le vœu d’obéissance. Les structures nous ont été données au fil de la tradition non pas comme des pièces de musée mais pour permettre à chaque fois d’être au service de la vie du peuple de Dieu (cf. Evangelii gaudium, 95). Nous devons donc avoir le courage de nous écouter réellement les uns les autres afin de discerner ce que l’Esprit a à nous dire. Ce n’est que de cette manière que peut naître le courage d’agir à partir de l’Esprit.

En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves sur le fonctionnement des communautés, des Régions et du Chapitre général. Parfois des rêves créatifs sur de nouvelles façons de faire qui essaient néanmoins de rester fidèles à l’ancien et en même temps sont entièrement nouvelles.

* Je pense qu’au niveau du Chapitre, une discussion plus réfléchie des sujets s’ensuivrait, car chaque participant aurait écouté les opinions de beaucoup d’autres au préalable, pour avoir « écouté ce que l’Esprit dit aux Églises », pour ainsi dire (Ap 2, 7). (Asie)

* Je rêve que le Chapitre général devienne un forum à dominante pastorale et théologique. (Europe)

* Peut-on confier l’approbation des lois aux Régions plutôt que de passer autant de temps à le faire au Chapitre général ? Est-ce qu’un synode de représentants des Régions pourrait approuver des choses après que les Régions les ont mises au point ? Les décisions importantes qui affectent les maisons de la Région peuvent-elles être traitées au niveau local ? (Afrique)

* J’aimerais que nos réunions Régionales et nos Chapitres généraux soient un peu moins axés sur les questions législatives et pratiques, et davantage sur le partage de nos expériences, de nos luttes, de nos espoirs, de notre vision et de nos rêves – tout cela en essayant de lire les signes des temps. (Amérique latine)

* Je rêve qu’il soit possible de revoir le fonctionnement du Chapitre général afin qu’il devienne vraiment un saint aqueduc pour l’Esprit Saint et un véhicule vivifiant pour revitaliser notre Ordre cistercien et lui permettre de remplir sa vocation et sa fonction données par Dieu au sein de l’Église et, simultanément, offrir de l’espoir à notre monde en lutte et en souffrance. (Amérique latine)

* Je rêve d’un Ordre qui s’inscrive dans une telle image de l’Église et qui opte radicalement pour l’égalité entre les moines et les moniales et qui, de manière cohérente, aille dans ce sens et cherche de nouvelles formes (Matres immediatae), dénonce l’inégalité (qu’arrivera-t-il à la législation des moines si aucune exemption de Cor Orans n’est obtenue, seront-ils solidaires ?) et que cela devienne un point d’attention permanent au Chapitre général...

Je rêve de rencontres Régionales comme sanctuaires pour partager ensemble, pour penser, pour rêver à la vie monastique, en toute honnêteté et vulnérabilité... Avec beaucoup d'attention et de temps pour ce processus... (Europe).


Rêve de mission

La mission de notre vie cistercienne est décrite dans les Constitutions comme « une fécondité apostolique cachée ». « Leur façon de participer à la mission du Christ et de son Église, ainsi que de s’insérer dans une Église locale, est leur vie contemplative elle-même. » (Cst. 31)

En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves d’un sens renouvelé de nos vies pour l’Église et le monde. Des rêves qui sont centrés sur le souci de la maison commune (Laudato Si’) et de tous les frères et sœurs, « voyageurs partageant la même chair » (Fratelli tutti, 8).

* Je rêve que les abbayes deviennent des pionnières dans le domaine de la durabilité et de la vie écologique et que des choix audacieux soient faits dans ce domaine. (Europe)

* Au niveau écologique, l’environnement rural dans lequel nous vivons nous offre un cadre propice à ce processus de conversion écologique, qui devient urgent, et pour lequel nous devons trouver des moyens très concrets de le réaliser dans nos comportements. Des encouragements et des suggestions pratiques seraient les bienvenus, maintenant que la pandémie semble (?) derrière nous, ce qui nous permettra de revoir les détails dans les pratiques communautaires et dans l’hôtellerie, où les hôtes sont aussi très motivés pour cette démarche. Reste à s’impliquer personnellement, et aussi sans doute avec le service diocésain d’écologie intégrale, dans cette ouverture au risque, au changement, au dérangement, à la nouveauté, c’est-à-dire tout simplement à plus de confiance dans l’œuvre de l’Esprit Saint dans le « oui » de chaque jour. (Europe)

* L’« Église en sortie » dont nous parle le pape François, en évitant « l’auto-référentialité ». Je pense que, pour nous cisterciens, nous pouvons traduire cela de cette manière : avoir d’abord notre regard, notre attention, notre pensée, tournés vers Dieu, vers le mystère pascal du Christ et tout ce qu’il implique (lectio, prière, contemplation) et ensuite vers les gens, vers l’humanité (désir, intercession). Ne pas être non plus auto-référentiels en tant que communauté. Nous avons tendance à trop nous concentrer sur notre propre communauté, à consacrer trop de temps et d’énergie à « nous regarder dans le miroir », et cela est parfois encouragé par certaines structures, par exemple, les visites régulières tous les deux ans. (Amérique latine)

 

L’écologie, cependant, est plus que le soin de la création. C’est aussi le soin que nous apportons à un écosystème entièrement distinct qui est notre vie cistercienne. Le silence et la solitude sont une caractéristique importante de cet écosystème, et beaucoup ressentent la pression que les moyens de communication modernes exercent sur cet écosystème. Ils rêvent de devenir plus conscients et de mieux manier ces moyens afin de protéger et de préserver l’écosystème de la maison commune qu’est notre vie cistercienne.

* Je rêve d’un monastère éco-digital ; un monastère où il y a un équilibre entre l’ouverture et la solitude ; un écosystème de silence, d’images et de mots équilibrés ; un monastère d’ambiance monastique exempt des mauvaises influences de l’excès de sons, de mots et d’images. Je rêve d’une réflexion sincère dans l’Ordre sur l’influence d’internet sur nos vies. Que nous soyons d’accord pour faire face à la dépendance. Je rêve d’une vie contemplative dans ce monde mais pas de ce monde. (Europe)


Rêve de formation

Bien que la formation ne soit pas un mot clé du prochain Synode des évêques, j’ajoute ce mot ici. De nombreux rêves ont abordé ce sujet et aussi dans les rapports de synthèse de la phase diocésaine du processus synodal, que les conférences épiscopales du monde entier ont envoyés au secrétariat du Synode, il est frappant de constater que le désir de formation au sein du peuple de Dieu est grand. La transmission de la foi entre générations dans une famille ou dans une communauté religieuse n’est plus évidente. Nous manquons de discernement, de langage, de formation et même de foi pour transmettre la vie. Cela affecte également la transmission du charisme cistercien.

Le rôle de la communauté, de la Région et de l’Ordre dans le processus de formation est d’aider chaque frère et sœur « à intégrer les éléments essentiels de la voie cistercienne » (Cst. 45.3). Nous devons être désireux d’offrir une aide mutuelle généreuse pour faire de cette formation une réalité pour tous (cf. St. 45.3.B).

En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves d’une bonne formation pour tous dans l’Ordre, pas seulement des personnes en formation initiale mais pour tous, supérieurs compris. Une formation qui soit plus que de la philosophie et de la théologie mais qui aide aussi les communautés à vivre sur le plan matériel et économique.

* Une bonne formation monastique se déroule dans la où les communautés qui valorisent la tradition et le dialogue avec notre société actuelle. Cela peut certainement se produire dans le cadre d’une coopération entre les communautés, dans l’Ordre ou avec d’autres institutions, religieuses ou non. (Europe)

* Je me souviens d’un programme de formation commun entre une communauté de moniales et une de moines. Je rêve que cela puisse se reproduire. Partage de nos expériences – comme le programme Experientia. Deux ou plusieurs communautés peuvent s’envoyer leurs partages par courrier ou par mail. Je désire un programme commun de formation pour toutes les communautés de l’Ordre. Je désire approfondir ma connaissance du charisme cistercien. (Asie)

* Nous avons accès à l’histoire et au patrimoine de l’Ordre comme aucune génération précédente. Une grande partie du travail de base qui rend cela possible est le résultat d'une collaboration au sein de la famille cistercienne et avec des experts laïcs. La richesse du matériel disponible aujourd’hui pour l’éducation/la formation est stupéfiante. Une certaine attitude anti-intellectuelle que j’ai rencontrée lorsque j’ai rejoint l’Ordre pour la première fois a diminué. Néanmoins, il existe toujours une tendance à considérer l’intérêt pour ce domaine comme secondaire par rapport aux nécessités de la vie quotidienne. (Amérique du Nord)

* Nous parlons souvent d’une crise de leadership dans l’Ordre. Mon rêve est que nous continuions à explorer les moyens de développer les qualités du leadership par le biais de nos programmes de formation, les qualités de conscience de soi, de coresponsabilité, de suivi, de bon zèle, de sacrifice de soi et de compétence en communication qui donnent la vie. Les pères du désert semblaient doués pour cela.

Mon rêve est que chaque membre de l’Ordre soit enthousiaste et désireux d’une formation initiale et continue dynamique pour renforcer notre vision commune afin de donner vie à nos communautés et à l’Église. (Amérique du Nord)

* Dans notre Ordre cistercien, nous connaissons aujourd’hui deux formes majeures de précarité : l’une est le manque de vocation et de vieillissement en Occident et l’autre est le manque de personnel bien formé à notre racine cistercienne en Afrique où la vocation à la vie monastique est actuellement en plein essor. Ces deux réalités menacent l’existence et la fidélité de notre Ordre ; en d’autres termes, elles favorisent respectivement l’extinction et l’affadissement de notre Ordre. La solution à cette précarité est la formation d’une synergie entre l’Occident et l’Afrique. (...) Je reconnais donc l’importance de la synergie pour la survie et la croissance de notre Ordre dans le processus synodal au sein de chaque communauté, dans les communautés inter-monastiques et entre l’Occident et l’Afrique. L’Occident devrait pouvoir aider à la formation personnelle en Afrique et les Africains devraient pouvoir alimenter les vocations en Occident malgré les déceptions de certains Africains qui ont été envoyés pour des études ou pour combler les lacunes des vocations dans le passé. Nous ne devons pas pour autant nous décourager. La formation de la synergie ... présuppose ce que Luke Timothy Johnson appelle la « communication » par opposition à la « fermeture » lorsqu’un monde symbolique interagit avec un autre dans une société pluraliste, où l’identité propre de chaque groupe est respectée. La communauté monastique qui se referme mourra. (Afrique)

* Aider les communautés d’Afrique. Formation continue et initiale : obtenir des enseignants locaux d’autres congrégations qui stimuleront notre vie chrétienne, donc intégrer notre vie monastique.

Pouvons-nous obtenir une école (Pères cisterciens, Pères bénédictins, et autres études) ? Cela permettra le processus synodal. (Afrique)

* Que les cours et les conférences et autres ressources de formation dans l’Ordre soient traduits en différentes langues et offerts aux différentes Régions. (Amérique latine)

* Je rêve de la création d’une même mentalité favorisant les cours et l’échange de professeurs et de personnes en formation dans les différentes communautés. Je rêve de la création d’une école monastique – en ligne – accessible à tous les moines et moniales, pour renforcer notre formation permanente. (Amérique latine)


Conclusions

Encore une fois, ceci n’est qu’un petit échantillon de tous vos rêves ! Il ne rend pas justice à la richesse du contenu, mais il me montre personnellement où la voix de Dieu se fait entendre. Au terme de cette conférence, permettez-moi de tracer quelques lignes vers l’avenir. Après tout, le rêve était nécessaire pour entendre la voix de Dieu, pour expérimenter où Dieu veut nous conduire. Après tout, après avoir vu, discerné, vient le temps de l’action.

Vos rêves me mettent au défi dans le temps à venir de :

– Donner la priorité à la revitalisation de la dimension contemplative de notre charisme. Tout, dans nos vies, devrait être une expression de cette dimension, y compris même, une structure comme le Chapitre général. Cette dimension contemplative devrait entraîner des conséquences dans la communion, la participation, la mission et la formation. (J’examinerai les propositions concernant le fonctionnement du Chapitre général, entre autres. Une discussion renouvelée sur la séparation du monde, l’usage privé des moyens de communication, le maniement de l’argent et des biens, etc.)

– Donner la priorité à la promotion de la communion entre nous par une communication ouverte et transparente à tous les niveaux et en utilisant les moyens de communication modernes. (Propositions relatives au partage [en ligne] d’informations, à la vie spirituelle, au travail, à l’entraide, à l’écologie, etc.)

– Donner la priorité à la promotion de la participation de tous les membres de l’Ordre. Trouver, avec une fidélité créative à la Tradition, de nouvelles voies qui rendront les structures de gouvernance de l’Ordre plus ouvertes et flexibles, en recherchant une représentation meilleure et égale de toutes les parties du monde et entre moines et moniales. (Propositions relatives à l’Abbé général et à son conseil, aux Mères Immédiates, au statut pour l’accompagnement des communautés fragiles, au fonctionnement des réunions régionales, à la commission centrale, au conseil des anciens, etc.)

- Donner la priorité à une meilleure compréhension de notre mission dans l’Église et dans le monde. (Propositions de partage d’informations sur les meilleures pratiques ; promouvoir l’étude de notre tradition cistercienne et sa signification pour aujourd’hui ; rechercher le lien avec l’Église locale et universelle.)

– Donner la priorité à l’approfondissement de la formation intégrale de l’ensemble de l’Ordre, de raviver la flamme de notre premier amour, et d’accorder plus d’attention aux besoins des différentes Régions. Une coopération plus étroite entre l’Abbé général, son Conseil et le Secrétaire général pour la formation est d’une grande importance à cet égard (propositions pour une école [en ligne] de la vie cistercienne offrant des cours en ligne, une formation spécifique pour les supérieurs, les cellériers, les maîtres des novices, les aumôniers ; plus d’attention à la formation concernant les abus, les dépendances, etc.)

 

Là, dans cette tour, avec saint Benoît, profitant de cet unique rayon de lumière dans lequel convergeaient tous les rêves du monde, j'ai soupiré : « la moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux ». Pourtant, je ne me laisserai pas décourager par cela et je vous demande à tous de travailler avec moi pour réaliser ces priorités. Comme je l’ai dit, il est temps d’agir et de voir comment nous pouvons transformer les priorités en actions concrètes. Je compte sur votre aide pour cela, dans la prière et dans les actes.

Le rêve entre vous en tant que supérieurs a été un petit commencement de chemin synodal dans l’Ordre. Le processus se poursuit et il doit devenir un style de vie à tous les niveaux. Certains d’entre vous ont également répondu à ma demande de rêver dans leurs propres communautés. J’espère que beaucoup suivront. Laissez vos frères et sœurs rêver ! Rêvez de leur propre vie, de la vie de leur communauté et de la vie de l’Ordre. Osez rêver pour entendre la voix de Dieu afin de pouvoir discerner ce qui compte et ce qu’on vous demande de faire.

Mais ce qui est encore plus important – et c’est finalement le but du processus synodal – ce sont ces paroles de saint Bernard :

« Nous avons formé, chers frères, un rassemblement ou synode des corps (synodum corporum), mais il nous reste à former un plus grand synode : l’union des âmes (coniunctio animarum). En effet, il n’est pas louable d’être unis de corps, si nous sommes divisés d’esprit ; il est inutile de se réunir en un lieu si nous sommes en désaccord dans nos âmes. (…) “Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” (Mt 18, 20), s’ils sont bien réunis au nom de Jésus, c’est-à-dire avec l’amour de Dieu et du prochain : avec eux il est bon d’habiter ensemble (Ps 132, 1) »[2].

 

Puissions-nous le faire sous la protection de Marie, reine de Cîteaux !




[1] Mario Cardinal Grech, La synodalité comme style. In : Sequela Christi, XLVII 2021/02, p. 72-73.

[2] Bernard de Clairvaux, Sententiae III, 108 (pour cette citation je suis reconnaissant à dom Yvon-Joseph du Val Notre Dame qui l’a portée à mon attention !)

Discours aux participants du Chapitre général OCSO

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Perspectives

Pape François

Discours aux participants

du Chapitre général OCSO

16 septembre 2022


 

Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue !

Je remercie l’Abbé général pour les paroles de salutation et d’introduction. Je sais que vous êtes en train de réaliser la deuxième partie de votre Chapitre général, à la Portioncule de Santa Maria degli Angeli : un lieu si riche en grâce qu’il a sûrement contribué à inspirer vos journées.

Je me réjouis avec vous du succès de la première partie du Chapitre, qui s’est tenue au même endroit et au cours de laquelle le nouvel Abbé général a également été élu. Vous, Père, avez immédiatement entrepris de visiter les douze régions où se trouvent vos monastères. J’aime à penser que cette « visite » s’est déroulée avec le soin très saint que nous a montré la Vierge Marie dans l’Évangile. « Elle se leva et partit rapidement » dit Luc (1, 39), et cette expression mérite toujours d’être contemplée, afin de pouvoir l’imiter, avec la grâce de l’Esprit Saint. J’aime prier la Vierge qui est « empressée » : « Notre Dame, vous êtes empressée, n’est-ce pas ? » Et elle comprend ce langage.

Le Père Abbé dit qu’au cours de ce voyage, il a « recueilli les rêves des supérieurs ». J’ai été frappé par cette façon de s’exprimer, et je la partage de tout cœur. À la fois parce que, comme vous le savez, moi aussi j’entends « rêver » dans un sens positif, non pas utopique mais planificateur ; et parce qu’ici il ne s’agit pas des rêves d’un individu, même si ce sont ceux du supérieur général, mais d’un partage, d’une « collection » de rêves qui émergent des communautés, et qui, j’imagine, font l’objet d’un discernement dans cette deuxième partie du Chapitre.

Ils se résument ainsi : un rêve de communion, un rêve de participation, un rêve de mission et un rêve de formation. Je voudrais vous proposer quelques réflexions sur ces quatre « chemins ».

Tout d’abord, je voudrais noter, pour ainsi dire, la méthode. Une indication qui me vient de l’approche ignatienne mais que, au fond, je crois avoir en commun avec vous, hommes appelés à la contemplation à l’école de saint Benoît et de saint Bernard. En d’autres termes, il s’agit d’interpréter tous ces « rêves » à travers le Christ, de nous identifier à lui à travers l’Évangile et d’imaginer – dans un sens objectif et contemplatif – comment Jésus a rêvé de ces réalités : communion, participation, mission et formation. En effet, ces rêves nous construisent en tant que personnes et en tant que communautés dans la mesure où ils ne sont pas les nôtres mais les siens, et nous les assimilons par l’intermédiaire de l’Esprit Saint.

Et c’est ici que s’ouvre l’espace d’une recherche spirituelle belle et gratifiante : la recherche des « rêves de Jésus », c’est-à-dire de ses plus grands désirs, que le Père a suscités dans son cœur humano-divin. Ici, dans cette clé de la contemplation évangélique, je voudrais me mettre en « résonance » avec vos quatre grands rêves.

L’Évangile de Jean nous donne cette prière de Jésus au Père : « La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité et que le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (17, 22-23). Cette Parole sainte nous permet de rêver avec Jésus la communion de ses disciples, notre communion comme « la sienne » (cf. l’Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, 146). Cette communion – il est important de le préciser – ne consiste pas en notre uniformité, homogénéité, compatibilité, plus ou moins spontanées ou forcées ; elle consiste en notre relation commune au Christ, et en Lui au Père dans l’Esprit. Jésus n’a pas eu peur de la diversité qui existait parmi les Douze, et donc nous n’avons pas non plus à craindre la diversité, car l’Esprit Saint aime susciter les différences et en faire une harmonie. En revanche, notre particularisme, notre exclusivisme, oui, nous devons les craindre, car ils provoquent des divisions (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 131). Par conséquent, le rêve de communion de Jésus lui-même nous libère de l’uniformité et des divisions, qui sont toutes deux très laides.

Prenons une autre parole de l’Évangile de Matthieu. Dans une controverse avec les scribes et les pharisiens, Jésus dit à ses disciples : « Quant à vous, ne vous faites pas appeler “Rabbi”. Vous n’avez qu’un seul maître, et vous êtes tous frères. N’appelez personne sur la terre votre père ; vous n’avez qu’un seul Père dans les cieux. Ne vous faites pas appeler “Maître”, vous n’avez qu’un seul maître, le Messie » (23, 8-10). Nous pouvons ici contempler le rêve de Jésus d’une communauté fraternelle, dans laquelle tous participent sur la base d’un rapport filial commun avec le Père et en tant que disciples de Jésus. En particulier, une communauté de vie consacrée peut être un signe du Royaume de Dieu en témoignant d’un style de fraternité participative entre des personnes réelles et concrètes qui, avec leurs limites, choisissent chaque jour, dans la confiance en la grâce du Christ, de vivre ensemble. Même les moyens de communication actuels peuvent et doivent être au service d’une participation réelle – et non seulement virtuelle – à la vie concrète de la communauté (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 87).

L’Évangile nous donne aussi le rêve de Jésus d’une Église entièrement missionnaire : « Allez donc, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20). Ce mandat concerne tous les membres de l’Église. Il n’y a pas de charismes qui soient missionnaires et d’autres qui ne le soient pas. Tous les charismes, dans la mesure où ils sont donnés à l’Église, sont pour l’évangélisation du peuple, c’est-à-dire missionnaires ; naturellement de manière différente, très différente, selon la « fantaisie » de Dieu. Un moine qui prie dans son monastère fait sa part pour apporter l’Évangile à cette terre, pour enseigner aux gens qui y vivent, que nous avons un Père qui nous aime et que, dans ce monde, nous sommes en route pour le Ciel. La question est donc la suivante : comment peut-on être un cistercien de stricte observance et faire partie d’une « Église en marche » (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 20) ? Vous êtes sur le chemin, mais c’est un chemin de sortie. Comment vivez-vous la « joie douce et réconfortante d’évangéliser » (saint Paul VI, l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, 75) ? Il serait agréable de l’entendre de votre bouche, vous, contemplatifs. Pour l’instant, il nous suffit de nous rappeler que « dans toute forme d’évangélisation, la primauté est toujours à Dieu » et que « dans toute la vie de l’Église, il faut toujours montrer que l’initiative est de Dieu, que “c’est lui qui nous a aimés” (1 Jn 4, 10) » (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 12).

Enfin, les Évangiles nous montrent Jésus qui prend soin de ses disciples, les éduque patiemment, en leur expliquant, à la marge, le sens de certaines paraboles et en éclairant avec des mots le témoignage de son mode de vie, de ses gestes. Par exemple, lorsque Jésus, après avoir lavé les pieds de ses disciples, leur dit : « Je vous ai donné l’exemple pour que vous fassiez vous aussi comme je vous ai fait » (Jn 13, 15), le Maître rêve de la formation de ses amis selon le chemin de Dieu, qui est humilité et service. Et lorsque, peu après, il affirme : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour le moment vous ne pouvez pas en porter le poids » (Jn 16, 12), Jésus précise que les disciples ont un chemin à suivre, une formation à recevoir ; et il promet que le formateur sera l’Esprit Saint : « Quand il sera venu, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière » (16, 13). Et l’on pourrait multiplier les références évangéliques qui attestent le rêve de la formation dans le cœur du Seigneur.

J’aime les résumer comme un rêve de sainteté, en renouvelant cette invitation : « Laissez la grâce de votre baptême porter du fruit sur un chemin de sainteté. Que tout soit ouvert à Dieu et, pour cela, choisissez-le, choisissez Dieu toujours à nouveau. Ne vous découragez pas, car vous avez la force de l’Esprit Saint pour le rendre possible, et la sainteté, après tout, est le fruit de l’Esprit Saint dans votre vie (cf. Ga 5, 22-23) » (Cf. Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, 15).

Chers frères et sœurs, je vous remercie d’être venus et je vous souhaite de conclure votre Chapitre de la meilleure façon possible. Que la Vierge Marie vous accompagne. Je vous bénis cordialement ainsi que tous vos confrères du monde entier. Et je vous demande de bien vouloir prier pour moi.

Ce qui est le plus vivifiant dans l’Ordre aujourd’hui

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Perspectives

Sœur Ainzane Juanicotena, ocso

Monastère de Quilvo (Chili)

 

Ce qui est le plus vivifiant

dans l’Ordre aujourd’hui

 

« Nous avons reçu un esprit de fils

et nous crions: Abba, Père ! »

(cf. Rm 8, 15)

 


Tout ce qui est vivifiant est un cadeau immérité et le plus grand cadeau que j’ai reçu de l’Ordre, le plus vivifiant, c ’est le don de la filiation.

Comme tout don qui vient de la main de Dieu, nous le goûtons dans la conscience d’être pécheurs, pauvres, pardonnés et rachetés. Accueillis quand nous revenons vers le Père, comme le fils prodigue (cf. Lc 15, 11-32), ou comme la fillette à qui il a dit : Talitha kumi (Mc 5, 41) ou comme Lazare sorti du tombeau (Jn 11, 44). Le Père nous accueille par l’entremise du Fils qui, en ses jours mortels, s’est exclamé: « Personne ne m’ôte la vie, je la donne librement » et qui, en souffrant, a appris à obéir (cf. Jn 10,18 ; He 5, 8).

Or, nous vivons au cœur d’une crise globale dans laquelle la vie s’est engagée de manière quasi imperceptible vers une désolation effarante : un monde de guerre, de pandémie, de faim, de mort, de haine, un monde d’égoïsme extrême, désintégré et désintégrant.

Le monde des communications technologiques a aussi déployé ses ailes et les attractions sont instantanées, l’information est rapide, légère, abondante, variée. Nous ne parvenons pas à traiter tout ce qui est offert et d’autres propositions arrivent ; nous nous conformons peu à peu à une manière préétablie de comportement dans la société. Nous cessons de penser, de nous interroger sur ce qui est au-delà, et sur le pourquoi des choses, nous nous assoupissons, nous nous étourdissons dans la société en proie à la lassitude, nous devenons indifférents, nous perdons le goût de la vie, nous préférons n’avoir pas de problèmes, ne pas prendre de risques et nous nous fermons à l’idée que la vie se reçoit. Pourtant, en même temps, il y a au cœur humain un désir qui aspire ardemment et crie, cherchant la rencontre avec Dieu. Un désir qui reconnaît que nous avons reçu la vie et qu’à cause de cela, nous pouvons la transmettre, car personne ne donne ce qu’il n’a pas… et c’est seulement si nous la transmettons que la vie se maintient en nous et se répand vers les autres. Parce que nous sommes image et ressemblance de Dieu (Cf. Gn 1, 26) nous portons en nous-mêmes un sceau qui crie, aspirant à cette rencontre avec son Créateur, un mouvement continu nous habite qui va vers le point de rencontre entre Dieu et moi, à travers une relation entre un Tu et un Je. Par conséquent, notre vie est faite pour les autres et c’est seulement à travers les autres que nous pouvons nous rencontrer.

Concrètement, nous sommes appelés à regarder, à lutter pour la vie de Dieu et à la servir dans les autres, en chaque frère de communauté, avec cet optimisme anthropologique cistercien qui affirme énergiquement que le dernier mot sur l’homme ne sera jamais le péché mais le don de Dieu, le fait qu’il est à son image et sa ressemblance.

Que nous en soyons ou non conscients, chaque être humain porte en lui ce sceau parce que Dieu nous a créés et que nous sommes ses fils. C’est là le désir le plus profond du cœur humain, être pleinement en face de Dieu, adhérer à Lui en toute liberté.

La vie, commencée par un désir lancinant, située dans un espace et un temps concrets, l’aujourd’hui, commence à prendre forme à travers l’éveil de notre étroite relation avec Dieu, du don de la filiation que nous avons avec Lui. Filiation reçue à travers le Fils Jésus Christ qui a laissé son sceau imprimé en chacun de nous, en chaque atome de notre être, et en toute la création. Un sceau qui réclame son Créateur et nous fait fils pour toujours.

Communauté de Quilvo. © AIM.

Nous sommes fils de Dieu, c’est le sceau ineffaçable, mais la relation que nous avons avec Dieu, le don d’être fils de Dieu, se forme à travers la relation avec des personnes concrètes, en un lieu concret. La contemplation du Christ, la relation directe avec Lui, dans l’écoute, comme rencontre avec la Parole vivante, est la base pour pouvoir vivre avec foi et obéissance la relation avec la communauté, l’abbé et l’Ordre. Appuyés sur la tradition de l’Ordre, les coutumes de la maison dans la continuité de la vie, sur les témoins concrets qui ont donné leur vie pour nous et qui la donnent aujourd’hui, nous vivons le don de livrer notre vie à Dieu dans la relation avec les autres. Ma vie livrée à Dieu se donne en aimant mes sœurs et le don que je reçois de Dieu se reçoit de leurs mains, ma relation aux autres reflète ma relation à Dieu et vice-versa.

La gratuité du don reçu, le fait de me savoir aimée de Dieu est ma garantie, rien ne se perd quand tout est offert ; c’est seulement à travers cette action de grâce que ma vie acquiert du goût et de la couleur. Me reconnaître comme fille aimée, libre, pauvre, pécheresse, qui a besoin de pardon et d’amour.

La vie commune, avec les regards tournés vers un but unique, le Christ, est une école de sagesse, une puissante énergie, et la réponse nouvelle à l’individualisme qui nous affecte tellement aujourd’hui. C’est l’expression la plus authentique du fait que nous sommes créés pour la relation ; c’est seulement à travers les autres que je peux vraiment voir qui je suis et marcher ainsi vers le Christ ; le miroir des autres me permet de me reconnaître, de me situer dans une réalité, d’éclairer mon chemin pour savoir où je suis, et me donne la lumière dont j’ai besoin pour vivre la conversion que Dieu me demande et que je ne peux déployer qu’à travers les autres.

La force pour cet élan de conversion, c’est de me reconnaître misérable et de me savoir objet de miséricorde, soutenue par le Christ à travers mes sœurs de communauté, le reconnaître dans le concret de la vie, qui sert de tremplin pour me pousser à vivre le don de l’obéissance comme réponse à un amour reçu.

Ce chemin d’obéissance me « christifie » car c’est la manière d’être du Fils Jésus Christ. C’est notre manière d’aimer, la condition de notre pleine réalisation. L’obéissance est notre prière, et pour que ce soit possible, il faut s’agenouiller devant le mystère du Christ fait chair, soit en le vivant dans l’Office, soit en l’écoutant dans la lectio, soit en le regardant en silence, soit dans le service qui m’est demandé chaque jour. Il est le chemin, le soutien, la source de notre foi dans le Fils de Dieu fait chair.

Et pour que ceci soit possible, il faut que l’obéissance s’accompagne d’une joie, une joie ni artificielle, ni d’apparence, dans laquelle je me montre heureuse mais où je me morfonds au-dedans, pas exempte non plus de souffrance, Mais une joie qui est toujours pascale, faite de la croix et de la gloire de chaque jour. Si l’obéissance ne se vit pas de manière joyeuse, ce n’est pas une vraie obéissance ; celle-ci doit partir de la racine d’être fils, héritiers et aimés ; et, comme fils, nous sommes libres, heureuses et désireuses de répondre à cet amour de la manière la plus pleine, comme le Christ l’a fait et nous l’a enseigné, à travers l’obéissance.

La confiance, la certitude d’être fille de Dieu, vivant dans un temps et un espace concrets, où chaque seconde est une nouvelle renaissance à la vie pleine avec le Christ, c’est la respiration de notre organisme, le battement de notre cœur. Vivre en sa présence, jouir du déroulement de la journée et de la communauté que Dieu m’a donnée, cultiver la joie en nous-mêmes et en ceux qui viennent, en les aidant à reconnaître leur désir personnel et communautaire de bonheur et de vérité, qui ne réside pas dans de bonnes règles ni dans une plus grande quantité de sœurs. Mais qui va plus loin, en cherchant la qualité et la profondeur de la relation avec le Christ, le fruit d’une manière de sentir et d’une volonté communes, pour marcher sur le sentier de la plénitude présente et pour aller ainsi toutes ensemble à la vie éternelle (RB 72, 12).

Il ne s’agit pas de réussite ou de dépendance à l’égard des « fruits spirituels » du chemin de la communauté, ni non plus de la mort ou de la vie de celle-ci, mais d’une parfaite conformité à la volonté de Dieu. Sans cette conscience de la joie de vivre vers Dieu, nous devenons arides, sans goût, sans enthousiasme. Nous perdons l’étincelle qui nous fait désirer la vie et vivre comme de vrais chrétiens ; nous devenons pleins d’amertume, cette ennemie de la vie. Parce que celui qui vit vraiment est prêt à mourir. Combien de fois nous cramponnons-nous à nos sécurités et à nos schémas pour ne pas mourir, et oublions-nous de chercher à vivre ? Nous devons vivre avec le désir d’accompagner le Christ dans sa passion jusqu’à la résurrection.

Il doit y avoir dans nos cœurs une allégresse prête à jaillir pour vivre une vie ouverte à la nouveauté, pour nous reconnaître libres et ainsi ouverts afin de recevoir et donner le pardon. M’ouvrir à des formes nouvelles, de nouveaux objectifs, m’examiner moi-même et voir que ces choses qui, jadis, donnaient la vie, ne la donnent peut-être déjà plus. Éliminer les préjugés, courir des risques, oser, innover, ne jamais se limiter, s’identifier aux autres, être jeune avec les jeunes, enfant avec les enfants, vénérer les anciens. Chercher toujours la vie… Il faut se laisser faire par les autres !

Combien de fois nous cramponnons-nous à nos critères et ne pouvons-nous laisser entrer la grâce nouvelle que Dieu nous offre en chaque événement ? Combien de fois nous cramponnons-nous à nous-mêmes et ne savons-nous pas reconnaître le bien derrière les actions des autres ? Combien de fois nous cramponnons-nous aux structures et oublions-nous que les structures doivent servir à la vie nouvelle infusée par l’Esprit Saint dans notre cheminement ? Combien y a-t-il de souffrance dans le monde… et moi, combien de fois ne suis-je pas compatissante envers la sœur qui est à côté de moi ?

Nous devons apprendre (comme le Fils a appris, cf. He 5, 8-9) de chaque événement et des autres, avec toute la nouveauté et la particularité qui le distingue, à reconnaître que l’autre est un apport dans ma vie. Je dois être une source disponible pour tous, être réceptive et recevoir, en vivant ouverte aux autres, en les aimant à chaque instant, sans ces fantaisies romantiques à propos du bien, qui canonisent notre mal et dissimulent notre besoin de conversion, mais avec réalisme. Sans critiques, sans plaintes ni résistances, mais avec une miséricorde lucide, en les valorisant et ne nous laissant pas entraîner par le mal qu’on a pu commettre, mais en croyant à la bonne volonté et au désir de bien qui se trouve en chaque frère que Dieu a mis près de moi, heureuse de les aimer et de les accepter pleinement comme ils sont.

Et ainsi, me laisser faire et former par les autres. C’est seulement à travers des personnes concrètes, avec des noms et des visages concrets, que je peux me laisser former par Dieu, seulement à travers la médiation humaine des autres que je peux laisser Dieu agir en moi et prendre chair en moi. L’autre est le sacrement de la volonté de Dieu dans ma vie.

Vivre dans l’obéissance filiale, de façon concrète et selon le charisme de notre Ordre, dans une communauté, sous une règle et un abbé (RB 2), le regard fixé sur la vie éternelle et avec le condiment savoureux de la foi est une règle de vie dans nos monastères. La filiation divine se fait chair grâce à ces trois piliers fondamentaux :

– Communauté : C’est le lieu où je peux me laisser faire par le Seigneur à travers les autres. C’est le Corps-Église où se produit la rencontre avec Dieu, où tous, nous sommes membres, et le Christ est la tête. Notre propre communauté est Corps du Christ, c’est une Église monastique qui vit en communion avec l’Église universelle.

C’est le lieu où je reçois le pardon et la vie quotidienne, c’est le lieu où ma misère vient au jour, où je fais l’expérience de mes faiblesses, de mes limites, de mes péchés et où je me sais soutenue, je me reconnais aimée malgré ma pauvreté. C’est le lieu où je peux déployer mes ailes vers le Christ à travers le service des autres, par le travail et le don de moi-même.

– Abbé/abbesse : C’est la personne qui tient la place du Christ dans le monastère (RB, 1), c’est l’abbé, l’abbesse de la communauté, qui vit pour la servir ; et la communauté forme son abbé, son abbesse. La pureté de cœur est fondamentale dans ma relation avec mon abbé/abbesse, la vérité avec moi-même pour vivre cette relation, reconnaître mes amertumes, mes obscurités, mes inconséquences, mes lumières et mes réussites, pouvoir être transparente à son égard, me savoir fils/fille de cette personne concrète comme représentante du Christ.

– La Règle : C’est la structure vitale de notre vie ; sa forme est christocentrique et nous donne la manière concrète de vivre l’Évangile – vivre, non accomplir ! Parce que toutes nos actions ont un rayonnement pour le monde entier. Rayonnement qui ne dépend pas de notre mérite ou démérite, mais de la rencontre avec le Christ, comme dit le psaume 33, 5 : « Contemplez-le et vous serez rayonnants ».

La radicalité de notre vie pour vivre la rencontre avec le Christ à partir d’une humanité, en un temps et un monde concrets nous établit dans la rencontre avec nos frères actuels. Dans l’ici et l’aujourd’hui qui regardent vers l’éternité. Tous les éléments de notre vie se rencontrent dans cette réalité d’aujourd’hui. Faire ce que j’ai à faire et être là où je dois être, c’est là notre offrande, c’est là notre prière.

Dans notre Ordre, nous pouvons reconnaître ces aspects. La paternité et la maternité spirituelles sont vécues en nous aidant et nous engendrant mutuellement, mais elles sont toujours aussi un défi.

La filiation que nous devons offrir au Christ à chaque moment est un témoignage vivant à l’intérieur de l’Ordre, la relation avec l’Abbé général, la Maison mère, le Père immédiat, les maisons filles et sœurs, l’interdépendance mutuelle, où la respiration de chaque cœur et du cœur commun sont le Christ. Nous sommes fils d’une communauté concrète, qui appartient à un Ordre concret, régi par une structure solide, où ce qui domine toujours est cette union filiale d’amour que nous avons entre nous. Ceci exprime le fait réel d’être engendré, de recevoir son identité, son visage, des mains d’un autre qui tient la place du Christ. Cette filiation n’est pas sentimentale mais évangélique ; par conséquent, c’est un chemin de foi, beaucoup plus profond que les apparences.

L’amour du Christ pour chacun de nous, se reconnaître aimé de Dieu et reconnaître l’amour de Dieu dans les autres, et le vivre dans l’éternel présent de la réalité quotidienne, c’est le don le plus précieux dont nous pouvons jouir, la vie même. Vivre enracinés dans la réalité présente, avec la conscience claire d’être immergés dans une vie transitoire dont la destination finale est Dieu.

Nous sommes venus vivre avec le Christ, et la mort au moi est la condition pour vivre ; la vie est bouillonnante, renouvelée, toujours un cadeau dont il faut rendre grâce, parce que le plus grand don que Dieu nous a fait est la vie, et la capacité d’en jouir nous donne la paix pour assumer consciemment et avec joie le sentiment de notre destinée librement choisie, comme réponse à un amour qui nous aime et nous a choisis le premier (1 Jn 4, 19).

C’est seulement en grandissant nous-mêmes que nous pouvons aider les autres à grandir dans le Christ et déployer une paternité ou maternité spirituelles, comme réponse au fait d’être filles et fils de Dieu.

Nous devons vivre vraiment dans un monde au-delà, où les rêves deviennent réalité, voir déjà dans le présent le scintillement de l’amour de Dieu qui sera le tout de la vie à venir, c’est cela vivre unie au Christ, le regard fixé sur Lui, affrontant le quotidien dans cette lumière, avec le regard tendu vers une christification totale en Lui, avec tout et tous.

Être reconnaissant pour ce que nous ne méritons pas, pardonner ce qui nous a déjà été pardonné., et par-dessus tout, aimer toujours et à chaque instant avec l’amour que seul un enfant de Dieu peut comprendre, celui du Christ.

 

Que la Vierge Marie nous guide par son amour de Mère à l’union intime, audacieuse, vive, reconnaissante, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Amen.



Discours d’ouverture du Chapitre général de l’Ordre cistercien

6

Perspectives

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, OCist

Abbé général de l'Ordre cistercien

 

Discours d’ouverture du Chapitre général

de l’Ordre cistercien

 


Sept ans se sont écoulés depuis le dernier Chapitre général. Ces années n’ont pas été faciles, elles ont été marquées par la pandémie du Covid-19, la fragilité croissante de nos communautés et un certain nombre de démissions de supérieurs suite à de graves irrégularités et abus de pouvoir.

Nous rencontrons beaucoup de nouveaux visages dans la composition de notre Chapitre général : sept Abbés Présidents ont changé, et nous avons une Congrégation de plus, la congrégation de Sainte Gertrude la Grande. L'Abbé Président Eugenio Romagnuolo de Casamari nous a malheureusement quittés en avril 2020, victime du Covid. Il y a quelque 43 nouveaux Supérieurs hommes et femmes (autant que la moitié des membres du Chapitre Général), dont 7 administrateurs. 13 communautés ont perdu leur statut de sui juris pour diverses raisons. Il n'existe à ce jour qu'un seul Supérieur d'un nouveau monastère sui juris, celui de Phuoc Hiep, au Vietnam. De grands Supérieurs de l'Ordre ont mis fin à leur fidèle service. Mère Gemma Punk, de Regina Mundi, a démissionné après 75 ans comme Supérieure. Nous savons maintenant qu'elle a « régné » plus longtemps que la reine Elizabeth ! Mère Rosaria Saccol, de San-Giacomo-di-Veglia, a déposé sa charge abbatiale après 51 ans, et est retournée saintement au Père le 23 novembre 2021. Mère Irmengard Senoner de Mariengarten a récemment mis fin à son service après 39 ans d'abbatiat.

Je voudrais nommer les supérieurs qui, en plus de ceux déjà mentionnés, sont retournés à la Maison du Père au cours de ces années : l’Abbé Président émérite de la congrégation supprimée de Marie Médiatrice de toutes les Grâces, dom Gerardus Hopstaken ; l’Abbé Président émérite de la congrégation de la Sainte Famille, dom Jean Lam ; l’Abbé Président émérite de la congrégation de San Bernardo, en Italie, dom Ambrogio Luigi Rottini ; Mère Consolata, de Frauenthal ; Mère Assunta, de Santa Susanna ; le P. Abbé Bao, de My Ca ; le P. Abbé Christian, de Rein ; le P. Abbé Denis, de Dallas ; Mère Presentación Muro, de Santo Domingo de la Calzada ; Mère Agnès, de Kismaros. Une autre perte douloureuse pour l’Ordre a été le décès prématuré du père Sebastiano Paciolla le 22 juin 2021. En sept ans, le nombre de membres du Chapitre général ayant le droit de vote est passé de 100 à 87. Les membres de l’Ordre sont passés d’environ 2500 à 2217, et ce nonobstant quelques pays comme le Vietnam et quelques communautés d’Europe et des États-Unis qui ont suffisamment de vocations.

Comme je l’ai dit au Saint-Père lorsque je l’ai rencontré le 13 juin dernier : « Nous marchons plus péniblement mais nous marchons davantage ensemble ». François m’a répondu en citant un dicton africain : « Si tu veux marcher vite, marche seul, mais si tu veux marcher en sécurité, marche avec les autres. »

Oui, je pense que nous marchons davantage ensemble mais pas toujours et pas avec tout le monde. En fin de compte, nous verrons au cours de ce Chapitre général si j’ai dit au Pape la vérité ou un mensonge. J’espère que vous ne me forcerez pas à aller me confesser !

À quoi doit servir un Chapitre général ? La Carta Caritatis nous le répète depuis 903 ans : « IIs y traiteront du salut de leurs âmes : qu’ils prennent des dispositions pour l’observation de la sainte Règle ou des prescriptions de l’Ordre, s’il y a quelque chose à corriger ou à ajouter ; ils rétabliront entre eux la paix et la charité » (CC VII,2).

En cela, elle reprend de nombreuses exhortations apostoliques, comme celle que saint Paul adresse aux Éphésiens :

« Moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. (…) En vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ. Et par lui, dans l’harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce aux articulations qui le maintiennent, selon l’énergie qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans l’amour » (Ep 4, 1-6.15-16).

Dans toutes ses exhortations à raviver la nature synodale de l’Église, le pape François nous aide à redécouvrir notre charisme cistercien précisément comme un « chemin commun » de communautés unies par une même vocation, une même espérance, une même foi, une même charité. Dans mes lettres et certaines conférences de ces quatre dernières années, j’ai essayé de stimuler parmi nous cette conscience synodale de notre vocation et de notre mission, indépendamment des différences d’observance et de style que nous vivons dans nos communautés ou congrégations particulières.

En cela, j’ai été grandement aidé par la participation à diverses rencontres de l’Église : le synode des évêques de 2018 consacré aux jeunes, la rencontre au Vatican en février 2019 sur le thème des abus dans l’Église, puis le début du parcours synodal de toute l’Église les 9 et 10 octobre 2021, parcours qui culminera avec le synode des évêques l’année prochaine. J’ai également été stimulé par la surprise d’être élu au Conseil exécutif de l’Union des Supérieurs généraux et la surprise encore plus grande d’être élu vice-président de cette Union. Ce n’est pas une tâche qui me demande beaucoup, heureusement, mais elle m’aide à être plus attentif à ce qui palpite dans l’Église universelle et dans le monde. J’ai essayé de faire participer l’Ordre à cette conscience. J’ai réalisé combien les autres Ordres religieux sont attentifs à notre expérience monastique et à notre sensibilité pour affronter les problèmes et surtout pour vivre la mission de l’Église. Il est important que nous en soyons conscients, car ce n’est pas tant le rôle d’Abbé général qui me qualifie pour cette tâche mais la vocation que je partage avec chacun d’entre vous.

Dans son discours du début du processus synodal, le pape François a dit, il y a exactement une année :

« Communion et mission risquent de rester des termes un peu abstraits si l’on ne cultive pas une pratique ecclésiale qui exprime la réalité concrète de la synodalité, à chaque étape du chemin et du travail, favorisant l’implication effective de tous et de chacun. Je souhaite affirmer que célébrer un synode est toujours une chose belle et importante, mais celui-ci ne porte réellement de fruits que s’il devient l’expression vivante de l’être de l’Église, dans un agir caractérisé par une vraie participation. Ce n’est pas là une exigence de style, mais de foi : la participation est une exigence de la foi baptismale. Comme l’affirme l’apôtre Paul : “C’est dans un unique Esprit, en effet, que (…) nous avons été baptisés pour former un seul corps” (1 Co 12, 13). Voilà bien la seule origine dans le corps ecclésial : le Baptême. C’est de lui, notre source de vie, que découle l’égale dignité des enfants de Dieu, dans la diversité des ministères et des charismes. C’est pourquoi, tous sont appelés à participer à la vie de l’Église et à sa mission. S’il manque une réelle participation de tout le Peuple de Dieu, les discours sur la communion risquent de n’être que de pieuses intentions » (discours du Saint-Père François du 9 octobre 2021).


Participer à la mission de l’Église

« Tous sont appelés à participer à la vie de l’Église et à sa mission », dit le pape François. Je voudrais insister sur cette phrase, parce qu’elle nous fait prendre conscience que nous rencontrer et travailler en commun n’est pas une tâche pour nous seulement mais doit être animée d’un souffle universel. Certes, comme nous le demande la Carta Caritatis, nous devons nous occuper du salut de nos âmes, donner des dispositions concernant l’observance de la sainte Règle ou de l’Ordre, corriger ou favoriser la vie de nos communautés et rétablir entre nous le bien de la paix et de la charité (cf. CC VII, 2). Mais si dans tout cela nous ne pensons pas à la mission de toute l’Église, c’est-à-dire si nous ne pensons pas au salut du monde entier, tout le travail sur nous-mêmes sera narcissique, stérile et ne portera aucun fruit, pas même pour nous-mêmes. Parce que depuis le début, notre Ordre est resté uni et travaille à sa propre conversion, « désirant être utile à tous les membres de l’Ordre ainsi qu’à tous les fils de la sainte Église – prodesse illis omnibusque sanctae Ecclesiae filiis cupientes » (CC I, 3). Les enfants de l’Église signifient toute l’humanité. Nous sommes appelés à être des pères et des mères, des frères et des sœurs de toute l’humanité. Pas d’une humanité abstraite, mais de l’humanité qui naît, vit, travaille, souffre, meurt dans le monde d’aujourd’hui. Nous ne devons pas nous sentir stériles et inutiles si nous n’avons pas de vocations ou si nous devons fermer un monastère.

Nous devons nous sentir stériles et inutiles si nous vivons notre vocation sans cette passion pour l’ensemble de l’humanité. Le Pape parle toujours de « l’Église sortante », c’est-à-dire de la passion missionnaire qui fait que toute l’Église tend à rejoindre chaque brebis désorientée et éloignée du troupeau du Christ. Nous aussi, en respectant les caractéristiques plus contemplatives ou plus apostoliques de chacune de nos congrégations et communautés, nous devons retrouver et raviver ce rayonnement missionnaire, afin de rester vivants et surtout de nous réjouir de la joie de l’Évangile. Comme l’écrit encore le Pape dans Evangelii Gaudium :

« Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile » (EG 20).

Parfois nous devenons sombres et mécontents, susceptibles et capricieux, simplement parce que nous oublions la souffrance dans le monde, nous oublions la pandémie, la pauvreté, la guerre, la faim, la vie dépourvue de sens de tant d’hommes et de femmes, de tant de jeunes. Nous oublions la douleur innocente de trop d’enfants, l’insécurité dans laquelle vivent tant de familles, les difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontés les laïcs. Nous oublions les chrétiens persécutés, nous oublions les martyrs. Nous oublions les migrants. Nous oublions la tristesse des pécheurs qui ne rencontrent pas leur Rédempteur. En somme, nous oublions toutes les brebis perdues sans berger, c’est-à-dire que nous oublions la compassion du Christ pour l’humanité (cf. Mc 6, 34).

Combien de fois, confrontés, avec certains d’entre vous, à des problèmes jamais résolus où les conflits, les revendications, les désobéissances, les infidélités sont sans cesse ravivés, nous nous sommes dit : mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec le salut du monde et donc avec le Christ qui est venu vivre, souffrir, mourir et ressusciter pour nous sauver ?

Mais il est réconfortant de voir que la majorité des communautés et des personnes vivent avec cette conscience missionnaire, et cela rend leur vie grande et radieuse, même et surtout lorsque les circonstances, les conditions, la santé les obligent à réduire l’activité. Ceux qui aiment beaucoup, même s’ils ne peuvent rien faire, agissent comme Dieu !

Beaucoup de frères et de sœurs ont, pour ainsi dire, un « cœur sortant », c’est-à-dire un cœur ecclésial, missionnaire, même et surtout s’ils ne peuvent que prier et surtout, tout offrir pour le salut du monde. Je suis ravi de voir que tant de jeunes de nos communautés ont ce sens universel de notre vocation, et cela me remplit d’espoir.

C’est avec cette espérance que j’ouvre notre Chapitre général sur lequel nous avons déjà invoqué l’Esprit Saint et nous continuerons à l’invoquer, en faisant épiclèse sur tout ce que nous vivrons, dirons, penserons et ressentirons durant ces jours, afin que tout soit offert à l’Esprit pour qu’il incarne le Christ Rédempteur, Miséricorde du Père, comme dans le sein de Marie, Mère de l’Église, Mère de Cîteaux.

Extrait du discours du Pape Benoît XVI (2008)

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Méditation

En hommage au pape Benoît XVI (1927-2022)

 

Le caractère exemplaire de la vie monastique

dans l’histoire


Extrait du discours du pape Benoît XVI

adressé à la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée

et les Sociétés de Vie Apostolique (20/11/2008)

 

 

[…] Récemment encore (cf. discours au monde de la culture, Paris, 12 septembre 2008), j’ai voulu rappeler le caractère exemplaire de la vie monastique dans l’histoire, en soulignant combien son but est à la fois simple et essentiel : quaerere Deum, chercher Dieu et le chercher à travers Jésus Christ qui l’a révélé (cf. Jn 1, 18), le chercher en fixant le regard sur les réalités invisibles qui sont éternelles (cf. 2 Co 4, 18), dans l’attente de la manifestation glorieuse du Sauveur (cf. Tt 2, 13).

Christo omnino nihil praeponere (cf. RB 72, 11 ; Augustin, Enarr. in Ps. 29, 9 ; Cyprien, Ad Fort 4). Cette expression, que la règle de saint Benoît reprend de la tradition précédente, exprime bien le trésor précieux de la vie monastique pratiquée jusqu’à nos jours, aussi bien dans l’Occident que dans l’Orient chrétien. C’est une invitation pressante à façonner la vie monastique jusqu’à la faire devenir mémoire évangélique de l’Église et, quand elle est authentiquement vécue, « exemplarité de vie baptismale » (cf. Jean-Paul II, Orientale lumen, no 9). En vertu du primat absolu réservé au Christ, les monastères sont appelés à être des lieux où l’on fait place à la célébration de la gloire de Dieu, où l’on adore et l’on chante la présence divine dans le monde, mystérieuse mais réelle, où l’on cherche à vivre le commandement nouveau de l’amour et du service réciproque, en préparant ainsi la « révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19) finale. Lorsque les moines vivent l’Évangile de manière radicale, lorsque ceux qui sont entièrement consacrés à la vie contemplative cultivent en profondeur l’union sponsale avec le Christ, sur laquelle s’est largement arrêtée l’Instruction de cette Congrégation Verbi Sponsa (1999), le monachisme peut constituer pour toutes les formes de vie religieuse et de consécration, une mémoire de ce qui est essentiel et qui possède la primauté dans chaque vie baptismale : chercher le Christ et ne rien placer au dessus de son amour.

La voie indiquée par Dieu pour cette recherche et pour cet amour est sa Parole elle-même, qui, dans les livres des Saintes Écritures, est offerte avec abondance à la réflexion des hommes. Le désir de Dieu et l’amour pour sa Parole se nourrissent donc réciproquement et engendrent dans la vie monastique l’exigence irrépressible de l’opus Dei, du studium orationis et de la lectio divina, qui est écoute de la Parole de Dieu, accompagnée par les grandes voix de la tradition des pères et des saints, et ensuite prière orientée et soutenue par cette Parole. La récente Assemblée générale du synode des évêques, qui s'est tenue à Rome le mois dernier sur le thème : « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église », en renouvelant l’appel à tous les chrétiens à enraciner leur existence dans l’écoute de la Parole de Dieu contenue dans les Saintes Écritures, a en particulier invité les communautés religieuses et chaque homme et femme consacrés à faire de la Parole de Dieu leur nourriture quotidienne, en particulier à travers la pratique de la lectio divina (cf. Elenchus praepositionum, no 4).

Chers frères et sœurs, celui qui entre dans un monastère y cherche une oasis spirituelle où apprendre à vivre en véritable disciple de Jésus dans une communion fraternelle sereine et persévérante, en accueillant également des hôtes éventuels comme le Christ lui-même (cf. RB 53, 1). Tel est le témoignage que l’Église demande au monachisme également à notre époque.

Nous invoquons Marie, la Mère du Seigneur, la « femme de l’écoute », qui ne place rien avant l’amour du Fils de Dieu qui est né d’elle, pour qu’il aide les communautés de vie consacrée, et en particulier les communautés monastiques, à être fidèles à leur vocation et mission. Puissent les monastères être toujours davantage des oasis de vie ascétique, où l’on ressent la fascination de l’union sponsale avec le Christ, et où le choix de l’Absolu de Dieu est entouré par un climat constant de silence et de contemplation. Alors que je vous assure pour cela de ma prière, je donne de tout cœur la Bénédiction apostolique à vous tous qui participez à l’Assemblée plénière, à ceux qui travaillent dans votre dicastère et aux membres des divers instituts de vie consacrée, en particulier à ceux de vie entièrement contemplative. Que le Seigneur déverse sur chacun l’abondance de ses consolations.


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Prévenir les abus dans les communautés féminines

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Questions actuelles

Isabelle Jonveaux

Sociologue

 

Prévenir les abus dans les communautés féminines

Interroger les structures des communautés

 


Le sujet des abus, notamment de prêtres sur des enfants, est actuellement omniprésent dans l’actualité ecclésiale. La question des abus sur les moniales et religieuses a mis plus de temps à accéder à la visibilité médiatique. En Europe, c’est essentiellement avec le documentaire d’Arte[1] en 2019 que ce sujet a fait son entrée dans la conscience du grand public. La lutte des religieuses contre ces abus et pour les porter au regard de l’Église a cependant commencé bien avant, rencontrant cependant de nombreuses difficultés. En tant que sociologue de la vie monastique, j’ai été confrontée au cours de mes enquêtes menées depuis 2004 en Europe, et depuis 2013 en Afrique, à plusieurs situations d’abus. Mais les abus ne commencent en général pas avec les agressions sexuelles, les abus d’autorité et abus spirituels préparent en quelque sorte le terrain.

N'étant pas psychologue, je ne travaille pas sur les victimes ou sur les cas directs d’abus, mais m’interroge sur les structures qui les rendent possibles. Je cherche à mettre en lumière les éléments structurels qui ouvrent la porte à ces dérives, parfois invisibles. Il ne s’agit naturellement pas ici de considérer que toutes les communautés féminines présentent indistinctement les mêmes risques, mais plutôt d’identifier des modes de fonctionnement qui peuvent favoriser des abus d’autorité, spirituels ou sexuels.

 

1. Interroger les structures des communautés féminines

J’identifie ici cinq niveaux de structures, dont la combinaison peut rendre possibles des formes d’abus et éventuellement favoriser le silence des victimes.

            • Structure interne de l'autorité dans les communautés féminines

Il m’est apparu clairement au cours de mes enquêtes que les structures de l’autorité sont en moyenne plus strictes dans les communautés féminines en comparaison des communautés masculines. L’autorité s’y trouve beaucoup plus centrée sur la figure de la supérieure. Il m’est souvent arrivé dans les communautés de moniales, lorsque je demandais quelque chose à une sœur, par exemple de faire un entretien, de recevoir la réponse : « Il faut demander à Mère Abbesse », alors que les hommes étaient plus souvent en mesure de me donner leur propre réponse. Cette structure d'autorité conduit à ce que la cistercienne Michaela Pfeifer nomme « la mentalité d'hôpital »[2] où les sœurs ne se prennent plus en charge, mais abandonnent toute leur volonté d’adulte à la supérieure. Pourquoi l’obéissance est-elle vécue différemment dans des communautés qui vivent pourtant, si l’on prend celles de la règle bénédictine par exemple, la même règle ? La sœur bénédictine américaine Shawn Carruth met en lumière que l’obéissance a été développée dans l’Église comme une vertu proprement féminine, associée à l’humilité, dans une structure patriarcale « Obedience is given to the patriarchal structure by giving is to those who understand power as control. Silence keeps women from expressing our own reality and our own understanding of the world’s reality. […] Humility enjoined upon women teaches us to accept a subordinate position and the label of incapacity placed upon us by patriarchal presuppositions. »[3] Les structures d’autorité plus sévères dans les communautés féminines seraient en ce sens un résidu de l’autorité masculine sur les monastères féminins.

            • Structures hiérarchiques institutionnelles et systèmes d’accompagnement

En raison des structures hiérarchiques institutionnelles en place, la majorité des communautés féminines se trouvent sous l’autorité de figures masculines. Beaucoup d’entre elles sont placées directement sous la juridiction de l’évêque. Dans certains ordres mixtes, les communautés féminines sont systématiquement accompagnées de communautés masculines, tandis que les communautés masculines le sont toujours par des communautés également masculines. Les structures d’autorité concernent également la prise de décision et la gestion des biens. En outre, dans certains diocèses, l’emploi de religieuses est régulé par des contrats spécifiques où la sœur sera moins payée qu’un laïc ou un frère à emploi égal.

            • Relations entre les communautés masculines et féminines

Les relations de genre entre les communautés masculines et féminines s'observent dans les événements de la vie quotidienne, notamment dans les différences de statut données aux supérieurs masculins. Par exemple, lors d’une célébration dans un monastère bénédictin en Autriche où des représentants des monastères voisins avaient été invités, les abbés étaient assis dans le chœur avec les moines, tandis que la prieure du monastère de bénédictines voisin se trouvait avec quelques sœurs dans l’assemblée. Il demeure encore rare, comme le regrettait un bénédictin autrichien en entretien, que des sœurs prêchent des retraites aux moines, alors que les retraites pour les moniales sont en grande majorité prêchées par des hommes. Par ailleurs, il est fréquent, y compris en Europe, que des sœurs apostoliques soient au service de prêtres ou de communautés masculines, par exemple pour le ménage et la cuisine, ce qui implique directement un rapport non égalitaire. Certaines communautés féminines ont même été fondées dans ce but.

            • Relations entre communautés de sœurs et prêtres

Dans certaines communautés féminines, notamment les communautés nouvelles, la figure du prêtre reste une autorité incontestable. Cela signifie qu'un prêtre qui se serait comporté de manière inappropriée envers une sœur ne se verra pas remis en question. Ainsi, une sœur autrichienne d’une communauté nouvelle – sortie depuis – me racontait que lorsqu’un prêtre venait rendre visite à la communauté, les sœurs devaient arrêter tout ce qu’elles étaient en train de faire pour se mettre à son service.

            • Structures spatiales et organisation de l’espace

Les structures spatiales peuvent parfois favoriser les abus ou le silence qui les suit, notamment concernant les lieux où les sœurs rencontrent les prêtres, mais aussi la manière dont l’autorité du prêtre est mise en scène dans l’église. J’ai pu observer par exemple dans une communauté nouvelle une élévation d’environ deux mètres du presbyterium au-dessus du chœur des stalles des sœurs, tandis que d’autres communautés féminines réaménagent au contraire leur chapelle pour induire une plus grande égalité entre le prêtre et les sœurs, ainsi qu’entre la liturgie de la Parole et celle de l’eucharistie à l’autel lors de la messe.

 

2. La sœur dans la structure religieuse

Le deuxième niveau d’interrogation concerne la place de la sœur individuelle dans ces structures. Les structures d’autorité et d’obéissance opèrent ainsi à trois niveaux : intellectuel, spirituel et corporel.

            a. Niveau intellectuel

L’abus d’autorité s’avère plus facile lorsque la distribution du savoir est inégale. J’ai identifié lors de mes enquêtes une inégalité importante dans l’accès des moines et moniales aux études. L’accès plus important des frères aux études est tout d’abord lié à la fonction de prêtre qui implique au moins cinq années de philosophie et de théologie. Ainsi en Autriche, 95 % des moines bénédictins ont au moins un master. Les moniales ont plus de difficultés à accéder aux études et aux formations soit parce que certains ordres ont cultivé dans l’histoire un refus de l’étude par humilité (comme les clarisses), soit parce que la clôture plus stricte des communautés féminines rend plus difficile l’accès aux études hors du monastère. Or le manque de formation intellectuelle et de connaissances peut conduire à différentes formes d’abus. Une trappistine en Afrique qui avait assisté à l’enseignement d’un psychologue me disait en entretien :

« Parfois chez nous, comme on ne connaît pas son droit, il y a certaines choses qui ne sont pas normales. […] Ça, j’ai vu dans la vie au monastère, parfois, certaines choses que l’abbé impose, qui ne sont pas normales. Parfois, c’est le jeune qui a le droit. […] Mais parce que l’abbé ne connaît pas bien son droit ou parce que le jeune ne connaît pas son droit, le jeune va subir les affaires. Mais avec le docteur, là, vraiment on voit clair que parfois il y a certaines choses qu’on subit, qu’on ne doit pas subir. »

Le manque de connaissance sur les droits définis pour le profès, le novice ou le supérieur peut conduire à des situations d’abus qui ne sont pas identifiées comme telles par la victime. Les études ou autres formations peuvent au contraire permettre de réduire ces dérives.

            b. Niveau spirituel

Dans la vie religieuse féminine, l’autorité spirituelle est portée autant par la supérieure que par le prêtre en charge de l’accompagnement spirituel des sœurs. L’abus spirituel entre principalement en jeu lorsque des dérives sectaires ou abus d’autorité sont justifiés de manière religieuse. Dans le cadre des communautés de sœurs, cette forme d’abus apparaît notamment lorsque le prêtre accompagnateur de la communauté ou de sœurs particulières est une autorité incontestable et que l’accompagnateur spirituel ou confesseur est imposé par la supérieure. Centraliser le pouvoir spirituel auprès d’un monastère de moniales sur un seul prêtre présente un risque accru d’abus spirituel.

            c. Niveau corporel et intimité

Le niveau corporel de l’intimité dans les structures d’autorité de la vie religieuse féminine est celui qui apparaît le plus critique dans la possibilité de réalisation de différentes formes d’abus. Le renoncement à la possession entraîne habituellement dans une grande part des monastères l’absence d’un compte bancaire personnel. Selon les configurations, les moines et moniales reçoivent de l’argent de poche pour acheter ce dont ils ont besoin, peuvent se servir dans un local matériel ou font la demande de ce qui leur est nécessaire. Les enquêtes ont montré que la configuration où absolument tout est reçu et/ou demandé est plus fréquente dans les monastères de sœurs. Il est aussi plus fréquent que les moniales doivent demander par écrit à l’économe voire parfois à la supérieure ce dont elles ont besoin. Ce système devient problématique lorsqu’il touche à l’intimité des sœurs individuelles. Ainsi la sœur autrichienne citée auparavant, disait s’être lavée sans savon pendant dix ans, car un seul type était disponible et elle ne pouvait en avoir un autre. La question devient encore plus intime lorsqu’elle touche à l’hygiène menstruelle. Cette sœur racontait aussi que seul un type de protection hygiénique était proposé et qu’il n’était pas possible d’en demander d’autres. De même, un bénédictin au Kenya, qui accompagne spirituellement une communauté de sœurs que j’ai étudiée, me disait que les sœurs doivent demander par écrit l’intégralité de ce dont elles ont besoin. Celles qui n’osent pas demander les produits d’hygiène menstruelle doivent se débrouiller avec ce qu’elles trouvent malgré les risques encourus pour leur santé. Le contrôle des corps dans leur intimité entre actuellement dans une forme d’ascèse qui n’est non seulement plus plausible, mais s’apparente aussi à un abus d’autorité. Le corps et l’intimité sont donc des lieux particulièrement centraux pour observer les risques d’abus d’autorité dans les monastères de femmes, qui conduisent pour les moniales à une dépossession de leur corps qui peut ouvrir sur d’autres types d’abus.

 

Conclusion

Il s’agit ici d’un rapide panorama des différents niveaux de structure des communautés féminines qui peuvent – encore une fois il ne s’agit pas de les considérer comme systématique, car l’abus est ensuite perpétré par des personnes particulières – entraîner des abus d’autorité, spirituels ou sexuels. La prévention des abus de différents types, commis de manière interne dans les communautés, ou par des prêtres ou religieux sur des sœurs, doit donc passer par l’interrogation de ces structures. Ces dernières sont pour la plupart héritées de siècles de domination masculine dans l’Église ainsi que de spiritualité de l’obéissance et de l’humilité exacerbée dans les monastères de femmes qui ont eu tendance à amoindrir le libre-arbitre. Interroger ces structures signifie donc d’une part mettre en lumière ce qui peut favoriser les dérives, et qui, pour une part, ont sans doute des effets sur le recrutement, mais aussi mettre en évidence le travail de certaines communautés pour réajuster ces structures et réduire ainsi les risques.


[1] Arte : chaîne télé culturelle franco-allemande. [Note de l’Éditeur]

[2] Michaela PFEIFER, « Le renoncement conduit-il à la liberté ? Réflexion systématique sur l’ascèse dans la RB », Revue de spiritualité monastique, vol. 68 (1), 2006, p. 11.

[3] Shawn CARRUTH, “The monastic virtues of obedience, silence and humility : a feminist perspective”, The American Benedictine Review, 51(2), 2000, p. 126. « L’obéissance est livrée à la structure patriarcale en étant donnée à ceux qui la comprenne comme un pouvoir de contrôle. Les femmes gardent le silence quant à leur propre réalité et leur propre compréhension de la réalité du monde. (…) L’humilité qui est demandée aux femmes leur enseigne à accepter une position de subordination et la réputation d’incapacité qui pèsent sur elles du fait des présupposés patriarcaux. »

La grâce de faire une fondation et l’expérience du retour

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Témoignage

Dom Robert Igo, osb

Abbé d’Ampleforth (Royaume-Uni)

 

La grâce de faire une fondation

et l’expérience du retour

 


Quand on m’a demandé en 1995 d’aller au Zimbabwe et de faire une fondation monastique, j’avais cinq bonnes raisons pour lesquelles je n’étais pas la bonne personne. Heureusement, j’ai écouté la voix du Saint-Esprit et j’ai dit : « oui ». Si j’avais écouté la voix du doute et de la peur, j’aurais raté la plus grande grâce de ma vie. Quatre ans d’investigation minutieuse par la communauté d’Ampleforth ont conduit les frères à faire un pas dans la foi, mais peu ont probablement pleinement compris ce que cette décision signifierait, notamment ceux à qui on a demandé d’aller faire la fondation. Il n’y a pas de livres qui décrivent clairement les règles de base pour faire une fondation monastique. C’est vraiment un voyage dans la foi.

Les fondations sont loin d’être faciles et, comme l’accouchement, elles sont désordonnées, douloureuses, pleines de peur et d’anticipation, mais en même temps, elles changent la vie. Qu’est-ce que vingt-cinq ans m’ont appris ? La réponse simple et véridique est que j’ai appris plus que ce que je peux dire dans une brève réflexion. Le séjour au Zimbabwe m’a ouvert l’esprit et le cœur et a approfondi ma foi chrétienne et ma compréhension de la vie monastique.

Dès le départ nous sommes allés au Zimbabwe respectueux de la nouvelle culture que nous étions en train d’adopter. Nous avons appris très tôt à être flexibles et créatifs, nous gardant ouverts à ce que l’expérience quotidienne nous présentait. Nous étions convaincus cependant qu’il nous fallait être très clairs sur l’essentiel de la vocation monastique que nous souhaitions partager avec les autres : une vie de foi, fondée sur la Parole de Dieu et guidée par la Règle. Une vie nourrie par l’office divin et vécue dans une communauté forte qui vivait du travail de ses propres mains. Nous sentions que nous avions une graine à semer, appelée « sagesse monastique » et que notre priorité était d’écouter et d’apprendre sur le sol dans lequel cette graine devait être lancée. L’écoute et la volonté d’apprendre étaient des valeurs clés.

Avant même de mettre le pied sur le sol zimbabwéen, nous avions commencé à revenir à l’essentiel et à revoir les différents éléments de la règle de saint Benoît. Cette réflexion collective nous a amenés à la conviction que nous devions être une communauté « en formation » pour devenir une communauté capable de former les autres. Pour cette raison, nous avons accordé une grande importance à nous édifier en une véritable communauté de frères, une famille qui non seulement priait ensemble mais qui travaillait ensemble en prenant la responsabilité de la cuisine, du nettoyage, de l’entretien, etc. Nous pensions que c’était notre vie ensemble qui était le plus grand outil d’évangélisation. Nous avons décidé de ne pas accepter de postulants dans notre communauté pendant dix ans, nous laissant le temps d’apprendre la langue, la culture et de construire ensemble une famille dans laquelle d’autres pourraient s’intégrer.


Chapelle du monastère Christ the Word, Macheke, Zimbabwe. © AIM.

En essayant de devenir une telle communauté, tout en s’adaptant à une culture différente, le climat n’était pas toujours agréable ou confortable. Cela a impliqué du temps, de la tolérance, des erreurs, des malentendus et de la persévérance. Les gens ne deviennent pas nécessairement une communauté simplement parce qu’ils vivent côte à côte dans le même bâtiment. Nous nous rappelions constamment que la dimension communautaire était prioritaire et que de cette base solide découlerait notre apostolat.

Penser et réfléchir sur la formation a été un don supplémentaire. À travers notre réflexion nous avons réalisé que nous voulions avant tout transmettre la vie et pas seulement des coutumes. J’ai appris de manière concrète le risque d’inviter les gens à devenir membres d’un groupe plutôt que de conduire les gens dans un cheminement de disciple. Cette réflexion commune était elle-même une formation vitale de la communauté. Finalement, notre document de formation, « Une vie de transformation », est né et, dans un sens réel, toute la communauté s’était approprié cette formation ; nous avons certainement été enrichis par toute cette expérience.

La troisième expérience séminale était la relation avec l’Église au sens large et la localité dans laquelle nous vivions. À travers les retraites au monastère et ailleurs, à travers le partage avec nos visiteurs et la confiance que les évêques nous ont témoignée, nous nous sommes sentis partie intégrante de l’Église locale et avons donc beaucoup mieux apprécié les défis et les problèmes auxquels les autres étaient confrontés. C’était également vrai pour les gens des environs. Notre action caritative (aider à financer la scolarisation des enfants, nourrir les familles dans le besoin, un peu d’assistance médicale) que nous pouvions apporter ont permis de renforcer une vraie relation avec la population locale. Les gens de la région connaissaient le monastère et ils connaissaient les frères. Nous faisions partie de leur vie.

Un voyage de foi vivant dans un cadre où la foi était vibrante, vivante et croissante était passionnant et plein de défis, mais ce n’était pas sans problèmes. Chaque jour, nous devions faire confiance à Dieu. Ce que j’ai trouvé à mon retour en Europe, c’est une Église qui semble souvent fatiguée et vieillissante. Une Église qui semble ficelée par son infrastructure, qui se donne trop souvent à elle-même sa mission. Une Église où la conversation porte sur la chute des nombres plutôt que sur les possibilités futures. Revenir à un monastère de longue tradition sédentaire, de plus grande taille et confronté à une période de transition n’a pas toujours été simple. Le contraste entre une petite communauté évolutive qui permettait la spontanéité et le sens de la famille et une communauté imprégnée de modes de vie institutionnels m’a demandé d'être patient, humble et sensible. La comparaison n’est jamais utile si elle conduit à privilégier une chose plutôt qu’une autre. J’ai appris à respecter la différence et à la voir comme une opportunité et non comme une menace. J’ai toujours aimé ma communauté, que ce soit au Zimbabwe ou à Ampleforth. En fait, l’une des plus grandes leçons que j’ai apprises est que l’essentiel est la qualité de notre vie ensemble, peu importe où nous nous trouvons. Le témoignage que nous donnons à la foi et le soin que nous nous donnons les uns aux autres sont notre témoignage de l’Évangile de la vie. Mon séjour au Zimbabwe dans un monastère jeune et en plein développement m’a cependant permis de rêver.

Je rêve donc d’une famille monastique, pas seulement d’une collection de moines qui vivent dans le même bâtiment. Une famille passionnée par l’Évangile et qui apprécie une rencontre vivante avec Jésus. Disciples de Jésus dont la vie de prière est une porte qui les attire, eux et les autres, dans la grande soif de Dieu et du service du monde. Une communauté de frères qui reconnaît les dons individuels, les besoins et les limites de chacun des membres de sa famille en prenant soin les uns des autres de manière créative et pratique, en travaillant à la construction d’une compréhension et d’une confiance mutuelles. Une communauté où l’amour n’est pas seulement un mot pieux mais une expérience vécue et ressentie. Une communauté où nous travaillons pour créer un sentiment d’appartenance.

Conseil de l’AIM à Ampleforth, en novembre 2022. © AIM.

Je rêve d’une fraternité monastique accueillante et ouverte aux autres, en particulier à ceux qui sont en quête de foi, de sens et de finalité. Des fils de saint Benoît qui voient dans la pratique fidèle des vœux le premier outil d’évangélisation et qui ont une véritable mission à introduire les autres dans une relation avec le Christ. Une communauté qui est une ressource spirituelle dynamique pour le diocèse et au-delà, et qui cherche des occasions de célébrer la foi avec une diversité de personnes. Une communauté qui veut être sainte et encourager les autres à faire de même. Une communauté qui veut vivre pleinement sa vie.

C’est ce que mon expérience dans une fondation m’a apporté : la capacité de rêver à quelque chose de différent ; mon expérience de retour là où ma vocation a commencé, maintenant comme abbé, est de partager humblement ce rêve avec les autres.



Sœur Josephine Mary Miller

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Grandes figures de la vie monastique

 Sœur Marie-Paule Bart, ocbe

Cistercienne Bernardine d’Esquermes

 

Sœur Josephine Mary Miller

(1948-2022)


Josephine Miller naît le 16 avril 1948 à Exeter, dans le Devon. Alors qu’elle est encore très jeune, ses parents rejoignent la côte Est et s’installent à Southend-on-Sea, en Essex. C’est cette ville, sur l’embouchure de la Tamise, qu’elle considèrera comme sa terre natale. Toute sa vie, elle lui gardera un profond attachement.

Trois filles composeront la famille : Josephine est la seconde ; elle a été précédée d’Elizabeth et sera suivie par Anne. Toutes les trois fréquentent St Bernard’s Convent High School à Westcliff-on-Sea. Cette école est tenue par les Cisterciennes Bernardines d’Esquermes.

Le premier contact de Josephine avec les Bernardines a eu lieu dès ses quatre ans, lorsqu’elle devient élève à Lindisfarne Preparatory School, petite école primaire également dirigée par les Bernardines. Selon ses dires, c’est très jeune qu’elle a commencé à désirer être religieuse. À 18 ans, en septembre 1966, elle entre au noviciat chez les Bernardines, au monastère Notre-Dame de La Plaine, en France. Expérience fondatrice qu’elle relit ainsi :

« Je suis entrée au noviciat en France juste après le Concile alors que l’on commençait à peine à parler d’aggiornamento, encore moins d’inculturation. Étant anglaise et très jeune, j’étais incapable de discerner ce qui était monastique et cistercien, ce qui était style de vie français, ce qui pouvait et devait changer, j’étais perdue ; avec une maîtresse des novices très sage et très sainte, mais qui avait plus de trois fois mon âge. Nos conversations étaient plutôt brèves ! Et pourtant, le Seigneur a pris les affaires en main ; il m’a fait découvrir les antiennes de l’Avent puis les antiennes “O”, puis les répons des Vigiles de Noël, en latin, et j’étais en route. Mon amour de la liturgie, puis de la Bible, puis de la vie monastique date de cette expérience-là.

« À mon avis, ce que je vous ai décrit était une expérience très cistercienne, même si je ne m’en rendais absolument pas compte à ce moment-là. Le Seigneur a pris l’initiative, il a ravivé une foi qui commençait à chanceler, il a donné une première expérience de joie spirituelle, il m’a appris à goûter, à savourer la Parole de Dieu sans négliger l’intelligence, même si celle-ci n’était que le point de départ. C’était une expérience cistercienne : humaine, spirituelle et très simple. »[1]

Expérience sur laquelle elle va bâtir toute sa vie, creusant ce sillon patiemment, avec persévérance, en toute simplicité.

Effectivement, sœur Josephine Mary aimait la vie monastique qu’elle vivait avec cœur, simplement et authentiquement. Elle aimait la liturgie dont elle se nourrissait quotidiennement : les lectures, les antiennes et les oraisons étaient fermement ancrées dans sa mémoire et façonnaient sa vie quotidienne. Elle participait à cette liturgie communautaire comme chantre (elle était dotée d’une belle voix) et comme responsable. C’est pourquoi elle a joué un rôle déterminant dans le renouvellement de la liturgie des Bernardines anglaises dans les années qui ont suivi le concile Vatican II. Sa foi était profonde et sa vie spirituelle nourrie par sa passion pour les écrits de saint Bernard.

Si elle gardait une certaine réserve en communauté, sœur Josephine Mary possédait une autorité morale naturelle, à la fois appréciée et respectée par ses sœurs. Elle portait une grande attention aux personnes, et savait écouter. Aussi, sœurs, oblats, amis, autres supérieurs monastiques, clercs d'autres confessions recherchaient ses conseils, appréciaient son accompagnement et valorisaient son soutien. Elle voulait le meilleur pour chacun, les encourageant dans leur cheminement spirituel et humain.

Très douée pour les langues, elle a d’abord enseigné à Saint Bernard’s Convent, Westcliff-on-Sea, puis à Slough, jusqu’à son élection comme Prieure générale en 1990. Grande pédagogue, bon professeur, bon guide, elle savait tirer le meilleur des autres, leur faisant confiance tout en étant exigeante à leur égard. Dès 1978 elle a servi l’Ordre comme maîtresse des novices à Slough de 1978 à 1990, prieure générale de 1990 à 2008 et prieure à Hyning de 2008 à 2020.

Comme prieure générale, elle a porté le délicat fardeau de la restructuration en France, suite à la diminution des vocations : fermeture d’un lycée professionnel, retrait de la communauté de Cambrai et passage de l’école sous tutelle diocésaine. En Angleterre aussi, il a fallu accompagner le discernement qui aboutira au retrait de la communauté de St Bernard’s Convent Grammar School à Slough, transférée au diocèse, et à l’implantation d’une communauté à Brownshill dans le Gloucestershire. De même au Japon, la communauté vieillissant, le temps était venu de transmettre les écoles à une autre congrégation, et établir la communauté dans un autre lieu.

Plus difficile encore : le souci des communautés de Goma et Buhimba lors des événements de 1994 au Rwanda, puis dans la foulée de ces événements, en 1996, la fuite des sœurs de Buhimba, dont quelques-unes impossibles à localiser pendant de longues semaines, si loin de la Maison générale… Elle a aussi accompagné, soutenu la recherche d’un nouveau lieu en Afrique et la fondation du monastère Notre-Dame de Bafor, au Burkina Faso.

En fin de mandat, elle a accueilli le désir des sœurs du Japon : que l’Ordre fonde un autre monastère en Asie pour que le charisme des Cisterciennes Bernardines demeure sur ce continent et que le monastère du Japon, en disparaissant, donne encore vie à un nouveau germe. C’est la Prieure générale suivante qui le mettra totalement en œuvre.

Sœur Josephine Mary écrivait, en relisant ces années :

« Elles ont été une période très mouvementée… Notre foi et notre espérance ont été mises à l’épreuve, parfois très rude, et nous avons la quasi-certitude que cela va continuer ainsi… Nous avons à chercher, à découvrir progressivement et ensemble les chemins que nous aurons à prendre. Nous pourrions facilement baisser les bras et nous décourager ; il me semble que le Seigneur nous invite plutôt à tenir bon, à prier davantage, à purifier notre foi, à faire confiance, à construire ensemble quelque chose de très modeste mais qui soit authentique »[2].

Les différents services qui lui ont été demandés, d’abord en communauté et dans l’Ordre, ensuite à l’extérieur, au-delà des frontières, lui ont permis de partager largement et fraternellement les fruits de son expérience au monde monastique : intervenante lors de conférences et de sessions, animatrice de discernement communautaire, accompagnatrice au cours de nombreuses visites régulières tant chez les Cisterciens que chez les Bénédictins, membre de plusieurs « commissions d’aide », conférencière à la session des formateurs OSB et cisterciens à Rome, dix ans au Conseil de l’AIM, dont cinq ans au Comité exécutif…

Pour elle, les communautés devaient vivre ouvertes sur le diocèse, l’Église universelle, attentives aux transformations du monde : femme de foi, bien enracinée dans le Christ, elle regardait lucidement les changements de notre époque, sans défaitisme. Voici ce qu’elle disait en 2003 aux supérieurs monastiques de la Région des Iles :

« Cette situation en pleine évolution qui nous semble menaçante est, en fait, une grande grâce[3], si seulement nous avons suffisamment de foi pour la regarder de cette façon. Nous sommes obligés de redéfinir nos priorités et de nous demander comment, concrètement, nous allons mettre notre recherche de Dieu à la première place dans nos vies quotidiennes.

« En d'autres termes, ce serait reconnaître que, à travers ce que nous expérimentons comme “amoindrissements”, Dieu nous invite à rendre compte de façon plus explicite des valeurs du Royaume, valeurs que notre monde a besoin de voir. »[4]

Après dix-huit ans de priorat général, elle a été nommée prieure de Hyning, en Angleterre. Là, elle a continué le même genre de services : responsable de la Commission chargée de la révision des Constitutions de l’Ordre, présidente de l’Union des supérieurs monastiques du Royaume-Uni et d’Irlande (UMS), accompagnatrice de plusieurs communautés en chemin de discernement d’un nouvel avenir, visiteur apostolique d’une communauté belge, etc.

En 2018, alors qu’elle était encore prieure, comme toujours bien active au service de sa communauté, de l’Ordre et de l’Église, un cancer lui a été diagnostiqué. D’emblée, on lui a précisé qu’il n’était pas guérissable. Elle l’a affronté avec lucidité ses quatre dernières années de vie. Courageuse et solidement appuyée sur le Seigneur lorsqu’elle portait de lourdes responsabilités, elle a été la même durant la maladie. Sa forte foi en la Résurrection et une acceptation paisible de la volonté de Dieu au long de sa vie l’ont aidée dans les dernières semaines. Sa riche et forte personnalité s’est adoucie, simplifiée durant son dernier priorat, point culminant d'une vie donnée si généreusement à l’école du service du Seigneur. Elle est morte paisiblement le 16 février 2022 à l’hospice St John, à Lancaster, prête à rencontrer le Seigneur qu'elle avait aimé, désiré et servi si fidèlement.


[1] Conférence donnée en mai 2000 à Lérins sur le thème de « La formation ».

[2] Introduction du Rapport fait au Chapitre en 2002.

[3] C’est nous qui soulignons.

[4] « Chaos et paix » Conférence donnée à la réunion des supérieurs monastiques de la Région des Iles Hawkstone Hall – Angleterre, Octobre 2003.

Le Bienheureux dom Columba Marmion

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Grandes figures de la vie monastique

 Père Réginald-Ferdinand Poswick, osb

Abbaye de Maredsous. Vice-postulateur de la Cause du Bienheureux

 

Le Bienheureux dom Columba Marmion

(1858-1923)

 

La communauté bénédictine de Maredsous a eu le privilège d’avoir, parmi ses membres, son 3e abbé (1909-1923) reconnu comme « bienheureux » par l’Église universelle lors du grand Jubilé de l’an 2000.

Joseph Marmion, Irlandais né à Dublin en 1858, fut d’abord prêtre du diocèse de Dublin après de brillantes études théologiques à Rome. Attiré vers le monastère de Maredsous par un de ses compagnons d’études belge, il est séduit par ce monastère qui concrétise le renouveau catholique de cette fin du 19e siècle. Il entre à Maredsous en 1886.

Dès 1899, il est envoyé pour renforcer l’équipe des fondateurs de l’abbaye du Mont-César à Louvain (Leuven). Il y développe ses dons de prédicateur et de directeur spirituel, devenant, notamment, le confesseur, confident et ami de celui qui allait devenir le cardinal Mercier, Primat de Belgique.

Comme abbé de Maredsous (élu en septembre 1909), il devra gérer avec prudence tous les problèmes d’un grand monastère en pleine expansion.

Dès 1917, on publie une version écrite de ses conférences spirituelles sous le titre Le Christ, vie de l’âme. Ce recueil sera suivi de deux autres : Le Christ dans ses mystères et Le Christ, idéal du moine. Ces écrits auront une influence considérable sur la formation spirituelle des séminaristes, du clergé, des religieux, des religieuses et des laïcs engagés, grâce à une présentation de la foi chrétienne centrée sur la personne de Jésus Christ et bien ancrée dans les Saintes Écritures.

Le cœur de son message : faire mieux prendre conscience que le baptisé peut devenir, tout de suite et réellement, enfant (fils ou fille) de Dieu en Jésus Christ.

Après la guerre de 1914-18, il créera, avec l’abbaye du Mont-César (Louvain) et l’abbaye de Saint-André (Bruges), la congrégation bénédictine belge de l’Annonciation, par distinction de la congrégation allemande de Beuron qui avait fondé Maredsous (1920-1922).

Dom Marmion présidera les célébrations du cinquantenaire de la fondation de Maredsous le 15 octobre 1922. Mais il mourra, lors d’une épidémie grippale, le 30 janvier 1923.

Son procès de béatification s’ouvre au diocèse de Namur en 1957. Son corps est transféré du cimetière monastique dans une des chapelles latérales de la basilique abbatiale en 1963. C’est lors d’une visite à cette tombe en 1965 qu’une dame américaine aura la faveur miraculeuse de la guérison d’un cancer.

La béatification de dom Columba Marmion par le pape Jean-Paul II a lieu à Rome le 3 septembre 2000. La célébration liturgique de sa fête est fixée par Rome au 3 octobre.

Des pèlerins de plus en plus nombreux viennent l’invoquer sur sa tombe, ou le prient un peu partout sur la planète.

Une publication annuelle (Le Courrier du Bienheureux dom Columba Marmion) tient les personnes qui le souhaitent au courant des informations, des publications et des événements autour de cette personnalité désormais proposée au culte public de l’Église catholique.

 

EXTRAITS

            Le Christ, Vie de l’âme

« Je vous enverrai l’Esprit Saint », nous a promis Jésus ; « Lui-même vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26). L’Esprit de Vérité nous « rappelle les paroles » de Jésus. Qu'est-ce que cela signifie ? Quand nous contemplons les actions du Christ Jésus, ses mystères, il arrive qu’un jour telle parole, que nous avons maintes fois lue et relue sans qu’elle nous ait particulièrement frappés, prend tout à coup un relief surnaturel que nous ne lui connaissons pas auparavant. Cette parole divine, l’Esprit Saint, que la liturgie appelle « le doigt de Dieu », la grave, la burine dans l’âme ; elle y demeure toujours pour être une lumière et un principe d’action ; si l’âme est humble et attentive, cette parole divine y fait son œuvre, silencieuse mais féconde.

 

            La source de la paix intérieure

Je désire beaucoup que vous puissiez acquérir le calme et la paix. Le meilleur moyen d'acquérir ce calme est une résignation absolue à la sainte Volonté de Dieu : c’est là la région de la paix... Tâchez de ne rien désirer, de n’attacher votre cœur à rien sans l’avoir auparavant présenté à Dieu et placé dans le Sacré Cœur de Jésus, afin de le vouloir en Lui et avec Lui.

Une des principales raisons pour lesquelles nous perdons la paix de l’âme est que nous désirons quelque chose, que nous attachons notre cœur à quelque objet, sans savoir si Dieu le veut ou non ; et alors, quand un obstacle s’oppose à nos désirs, nous nous troublons, nous sortons de la conformité à la sainte Volonté, et nous perdons la paix.

Quand nous sommes fidèles à consacrer chaque jour un temps plus ou moins long, suivant nos aptitudes et nos devoirs d’état, à nous entretenir avec notre Père céleste, à recueillir ces inspirations et à écouter ces « rappels » de l’Esprit, alors les paroles du Christ, les Verba Verbi (les paroles de Celui qui est Parole), comme les nomme saint Augustin, vont se multipliant, inondant l’âme de Lumière divine, et ouvrant en elle, pour qu’elle puisse toujours s’y abreuver, des sources de Vie. Ainsi se réalise la promesse du Christ Jésus : « Si quelqu'un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ; celui qui croit en moi, de son sein couleront des sources d’Eau Vive ». Et, ajoute saint Jean, « Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en Lui » (Jn 7, 37-38).

Histoire et patrimoine

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Histoire et patrimoine

Sœur Hanne-Maria Berentzen, ocso

Monastère de Tautra (Norvège)

 

Le monastère de Tautra, Mariakloster :

des anciennes ruines au monastère moderne

 

« Bon retour », ont déclaré les habitants de la ville lorsque nous sommes arrivées sur l’ancienne île monastique de Tautra en février 1999 pour fonder le premier monastère cistercien de Norvège depuis la Réforme en 1537.

« Nous ne savons pas ce qu’est un monastère, mais s’il doit exister, il doit être ici », a déclaré le maire de notre ville lorsqu’en 1992 il a entendu parler d’un groupe de soutien pour un futur monastère cistercien en Norvège, priant chaque jour à 18 heures pour sa réalisation.

Sœur Ina Andresen, ocso, de Notre-Dame de la Coudre, à Laval (France), avait passé un an en Norvège, se sentant appelée à ramener la vie cistercienne dans son pays d’origine. Lors d’une courte retraite pour la solennité de saint Olav, le saint national de la Norvège, le 29 juillet 1991, elle a partagé sa vision quand plusieurs personnes se sont demandées comment elle avait été autorisée à quitter sa vie cloîtrée pour cette occasion. Tout le monde a répondu avec le désir de prier chaque soir à 18 heures pour une fondation cistercienne dans le futur, si Dieu le veut.

L’année suivante, pour la solennité de saint Olav, le nouveau roi et la reine sont venus dans notre ville Frosta pour commencer leur deuxième moitié de voyage sur la côte, saluant les gens (Frosta était le centre de l’une de nos plus anciennes assemblées législatives, depuis au moins le 8e siècle). Le maire devait prononcer le discours et, en ouvrant le journal ce matin-là, il vit les gros titres : « Un nouveau monastère à Tautra ». Pas de grande nouvelle, juste le choix du site par une étudiante architecte pour son travail de diplôme. Mais dans notre région, c’était un succès. Un nouveau monastère sur Tautra ? Vraiment ? Le journal a cité la dirigeante du groupe de soutien priant pour un monastère : « Nous ne savons pas ce qu’est un monastère, nous prions simplement pour qu’il soit un jour », a-t-elle déclaré. Cela suffisait au maire.

Quelques mois plus tard, sœur Ina est venue vivre dans une ancienne ferme, à côté des ruines du monastère cistercien de Tautra fondé en 1207 à Lyse, près de Bergen (Lyse était une fondation de Fountains en Angleterre, à partir de 1146). L’été suivant, sœur Marjoe Backhus, de l’abbaye Notre-Dame du Mississippi, Dubuque, Iowa (USA), est venue la rejoindre. Leur petite expérience monastique s’est terminée un an plus tard lorsque sœur Ina est tombée malade. Mais une graine avait été semée. Le groupe de soutien comptait maintenant quelques centaines de membres qui continuaient à prier. L’abbesse de Marjoe, Mère Gail Fitzpatrick, avait visité Tautra et croyait que Dieu voulait quelque chose en Norvège. Avant que sa communauté ne vote à l’unanimité en 1998 pour une fondation en Norvège, le Conseil municipal de Frosta décida à l’unanimité également de soutenir les religieuses si elles revenaient dans leur ville.

Avec leur aide, nous avons acheté la propriété avec de petites fermes sur cette île, au milieu du large fjord de Trondheim, à vingt minutes à pied des ruines médiévales, soutenues à la fois par l’évêque catholique et l’évêque luthérien de Trondheim.

Vue d’ensemble du monastère de Tautra.

Nous étions sept fondatrices, cinq de la Maison mère de Dubuque. Sœur Ina, de Laval, et moi, également norvégienne de naissance, de Mount St. Mary’s Abbey, Wrentham (USA). Mère Gail nous a demandé d’attendre un an avant de choisir un architecte et de commencer le processus de construction. C’était important. Vivre dans des maisons norvégiennes traditionnelles en bois nous a fait comprendre à toutes que nous ne voulions pas construire en brique ou en béton, mais en bois – et en pierre, si possible. Les belles pierres roses que nous avons vues dans les murs des ruines étaient trop chères.

Après avoir travaillé avec trois architectes pendant plusieurs années, Jan Olav Jensen, qui a conçu le monastère, a choisi de recouvrir la façade d’ardoise, ce que nous pouvions nous permettre : un monastère en bois avec une façade en ardoise.

Sept années entassées dans les vieilles maisons ont été difficiles à vivre, mais ont fait de nous une seule communauté. Traverser la cour entre les maisons pour chaque bureau tout au long de la journée nous a fait découvrir le climat et les vents forts de l’île. Lorsque notre architecte a proposé onze jardins intérieurs dans le monastère, nous avons pensé que c’était une excellente idée. L’économie a réduit le projet à sept, donnant plus de lumière dans la maison et nous gardant connectées. Travaillant seule dans la cuisine ou la roberie, vous pouvez regarder à travers le jardin et voir d’autres sœurs sur leur lieu de travail.

Nous avons longuement travaillé pour nous mettre d'accord sur une proposition de conception de l’église. Encore et encore, nous avons dit : « Non, pas ce projet ». Jusqu’à ce que l’architecte propose une église dont la forme était proche de celle des granges de nos voisins, mais avec une verrière sur poutres croisées, donnant des ombres en damier. Et nous avons dit : « Oui ». Notre chef de projet nous a prévenues qu’il ferait froid l’hiver et chaud l’été. Mais nous avons quand même dit oui. Nous voulions que l’église se démarque clairement, qu’elle soit un phare sur cette île plate. Avec le toit en verre, il reflète les nombreuses serres de notre ville, comme une serre spirituelle. Surtout pendant les mois d’hiver les plus sombres, le jeu de la lumière à travers les poutres nous rappelle l’architecture cistercienne médiévale.

Intérieur de l’église des sœurs, en bois et verre.

La reine Sonja de Norvège s’était intéressée à notre fondation et est venue poser la première pierre en mai 2003. « Savez-vous pourquoi je suis ici aujourd’hui ? » a demandé l’une de nos amies du groupe de soutien. « Nous étions six femmes réunies en août 1991, se demandant quoi faire en tant que groupe de soutien. Quelqu’un a dit : “Ils auront certainement besoin d’argent”. Nous avons donc déposé chacune dix couronnes norvégiennes sur la table et ouvert un compte bancaire ». La reine est revenue pour la consécration de notre église en 2007. Son soutien et la bonne volonté des voisins et des gens, de près et de loin, ainsi que de nos fidèles amis du groupe de soutien, ont été importants pour s’enraciner dans cette ville et ce pays.

Lorsque nous sommes devenues autonomes et que six d’entre nous ont changé leur stabilité pour Tautra, sœur Ina découvrit que sa vocation était de retourner à Laval. Une des fondatrices était revenue à la Maison mère auparavant, et au fil des ans, elles avaient envoyé deux autres sœurs nous rejoindre. Trois de celles qui sont entrées à Tautra ont fait leur profession solennelle, et notre actuelle prieure, sœur Brigitte Pinot, de France, a changé sa stabilité pour Tautra en 2017 ; nous sommes donc maintenant onze sœurs professes solennelles de six pays différents. Sept autres femmes de sept pays différents sont entrées, mais n’ont pas persévéré. Grâce au temps qu’elles ont passé avec nous, elles ont grandement contribué à ce que nous sommes aujourd’hui et, espérons-le, nous ont ouvert davantage à une société multiculturelle. En comptant notre postulante, nous venons de sept pays différents.

À un moment où nous étions douze dans la communauté et que quatre femmes demandaient à étudier leur vocation, sœur Gilchrist Lavigne, qui était la prieure à l’époque, a réalisé que notre monastère conçu pour 16-18 sœurs n’était pas assez grand. Lorsque nous avons construit le monastère, nous avons reçu une aide enthousiaste à la fois de notre Ordre, de la collecte de fonds de nos sœurs de la Maison mère, et surtout de plusieurs donateurs catholiques allemands, Bonifatiuswerk étant le plus important d’entre eux, et nous avons pu terminer la construction sans contracter aucun emprunt. Lorsque l’idée d’un ajout pour une infirmerie et quelques cellules supplémentaires a surgi, nos conseillers financiers ont dit qu’il était très difficile de trouver des fonds pour cela. Nous avons prié comme avant et avons fait confiance à Dieu qui nous aiderait si c’était ce que nous devions faire. En janvier 2021, nous avons commencé le nouveau bâtiment creusé dans le sol de la colline vers le fjord, avec un toit en herbe gardant notre pelouse et la belle vue sur le fjord et les collines à travers. Et il fut entièrement financé. L’architecte Runa Bjerke a soigneusement réalisé cette nouvelle aile adaptée à la partie la plus ancienne du monastère, mais clairement nouvelle et différente, avec une façade en bois de kebony. Alors que Jan Olav Jensen avait choisi des couloirs longs et étroits reliant les différentes pièces, Runa Bjerke a créé des couloirs larges et courts avec un plafond très haut et des puits de lumière. Cela donnait une idée de l’espace dans ce petit ajout de quatre chambres d’infirmerie (selon les normes des maisons de retraite), dispensaire, chapelle, quatre cellules ordinaires, un salon tel que nous n’en avions jamais eu auparavant, avec une petite kitchenette, une buanderie, une salle d’exercice et – ce dont on n’a jamais assez – de l’espace de rangement !

Il est intéressant de voir comment cette nouvelle aile a changé la vie de la communauté. Dans une petite communauté, nous n’avons pas beaucoup de travail en commun ; pourtant ce genre d’activité est normalement un bon moyen de mieux se connaître. Dès le début, nous avons compris que nous devions tendre la main à nos visiteurs, les inviter au café après la messe dominicale, et que nous-mêmes, en tant que communauté, aurions un café commun avec eux à l’église, les solennités et le jour de la fête des sœurs. Notre réfectoire est long et étroit, car nous voulons toutes nous asseoir face au fjord, aimant cette vue extraordinaire et changeante. Lorsque nous avions nos pauses café debout, il était difficile de se rassembler en une seule conversation. Pour le nouveau salon, nous avons hérité d’un canapé de six places et d’une table. C’est maintenant là que nous nous réunissons pour le café après la messe, tout le monde inclus dans le cercle et tout le monde prenant part à la conversation.

Dès la première année de notre fondation, notre production de savon, élargie par la suite à d’autres produits pour la peau, a couvert une grande partie de nos dépenses. Les ventes par internet nous ont aidés à traverser la période Covid sans pertes dangereuses, bien que la maison d’hôtes ait été fermée par périodes. Au cours des dix-huit dernières années, nous avons eu des volontaires du monde entier vivant dans notre maison d’hôtes pendant quelques mois, nous apportant une aide précieuse dans notre travail. Une de nos sœurs les accompagne tout au long de leur séjour, et elles sont profondément reconnaissantes de ce temps passé en milieu monastique. Le volontariat nous a aussi donné des vocations.

Notre aumônier, le père Anthony, de Roscrea (Irlande), a fait un beau potager, nous fournissant des légumes frais toute l’année. Nous chérissons également le verger et les nombreux arbustes à baies de la propriété.

La beauté de notre monastère et l’interaction avec la beauté qui nous entoure est une source quotidienne de joie et d’encouragement, et nous sommes heureux de partager cela avec nos bénévoles, invités et visiteurs. Peu d’églises, dans la Norvège dominée par les luthériens, sont ouvertes, sauf pour les offices, et beaucoup sont reconnaissants de trouver une église ouverte de 4 heures du matin à 8 heures du soir. À tel point que notre Conseil municipal, en 2011, a élu le monastère comme la chose la plus importante qui soit arrivée dans notre municipalité depuis la Seconde Guerre mondiale. Et leur raison invoquée était principalement que l’église est toujours ouverte aux visiteurs pour venir prier. Nous sommes reconnaissantes de voir combien de personnes viennent partager notre liturgie et utilisent l’église pour la prière silencieuse tout au long de la journée.





Homélie pour la Mémoire de saint Aelred

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Méditation

Homélie pour la Mémoire de saint Aelred

à l’abbaye d’Ampleforth


Père Henry Wansbrough, moine d’Ampleforth (Royaume-Uni)

 

 

Aujourd’hui, nous célébrons la Mémoire de saint Aelred. Nous avons tous, je suppose, une affection particulière pour Aelred à cause de Rievaulx que nous connaissons si bien. Sa plus grande réalisation architecturale est la salle capitulaire de Rievaulx où l’on peut l’imaginer prononçant ses homélies tant appréciées. Je veux donc dire quelques mots sur le travail qui est souvent considéré comme sa réalisation écrite spéciale, « De l’amitié spirituelle ». Au tout début de son œuvre, Aelred admet qu’il est fortement dépendant du traité de Cicéron sur l’amitié adressé à Hortensius, mais l’œuvre d’Aelred est spécifiquement chrétienne. Il commence : « Nous y sommes, vous et moi, et j'espère qu'un troisième, le Christ, est parmi nous », et on sent la présence du Christ tout au long du livre. Il y a des différences fascinantes avec Cicéron – ou en fait avec n’importe quel dialogue ancien que j’ai lu – en ce que l’interlocuteur, le partenaire de dialogue n’est pas fait pour passer pour un imbécile que le chef corrige, ce qui est la norme dans les dialogues de Platon sur Socrate : Ivo, dans le premier dialogue, Walter (plus tard son biographe) et Gratien dans les deuxième et troisième respectivement, ont leurs propres bons points à faire valoir. On sent que le Christ est vraiment présent partout, regardant par-dessus l’épaule d’Aelred. Il y a bien des touches d’humour chaleureux et amical (2. 17 ou 3. 1), mais surtout une merveilleuse douceur dans tout le livre, et une appréciation non seulement de la Bible, de Cicéron et d’Augustin, qu’il lit depuis sa jeunesse, mais de d’autres avis aussi.

Il insiste constamment sur le fait que le véritable amour humain est une image de l’amour éternel de Dieu. Il va même jusqu’à adapter le « Dieu est amour » de saint Jean en « Dieu est amitié ». Il pense par lui-même ; il ajuste donc la déclaration de Cicéron selon laquelle les amis doivent être d’accord sur toutes les questions, en supprimant le « tout » : il est important que les amis soient d’accord, mais pas nécessairement sur toutes les questions.

Il n’y a pas de peur de l’amitié comme il y a dans tant d’écritures monastiques une peur de « l’amitié particulière », et en effet on sent que pour Aelred, l’amitié est une partie vitale de la vie monastique. Il dit : « Un homme doit être comparé à une bête s’il n’a personne avec qui se réjouir dans l’adversité, personne à qui décharger son esprit si une gêne croise son chemin ou avec qui partager une inspiration exceptionnellement sublime ou éclairante. » Il appelle l’amitié « la médecine de la vie » (comme Ben Sira 6, 16 – et une série de citations en 3. 14), et considère qu’elle améliorerait de nombreux aspects du comportement fraternel : « Qu’y a-t-il donc de plus agréable que d’unir à soi l’esprit de l’autre, et de deux pour n’en former qu’un, qu’aucune vantardise n’est ensuite à craindre, aucun soupçon à redouter, aucune correction de l’un par l’autre pour causer de la douleur, aucune louange de la part de l’un pour porter une accusation d’adulation de la part de l’autre ? » (2. 12). Aelred résume ainsi les avantages spirituels de l’amitié, « un homme, étant l’ami de son prochain devient l’ami de Dieu ». Il y a trois sortes de baisers, le baiser corporel par l’impression des lèvres, le baiser spirituel par l’union des esprits, et le baiser du Christ quand « l’âme prend plaisir au baiser du Christ seul et se repose dans son étreinte » (2. 27).

J’espère qu’on me pardonnera d’avoir tant cité Aelred, même le jour de sa fête, mais la chaleur et la sagesse de sa conversation sur l’amitié augmentent l’admiration pour lui et rapprochent le lecteur de Dieu.


Abbaye de saint Aelred, Rievaulx. © AIM.

Compte rendu sur la session Ananie 2022

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Nouvelles

Compte rendu sur la session Ananie 2022

à partir des chroniques d’Ananie

(cf. site web des bénédictines de Vanves)

 


Du 7 septembre 2022 (arrivée) au 1er décembre (départ), s’est déroulée Ananie IV. La session avait été prévue pour 2021, mais la situation sanitaire en avait nécessité le report.

Nous sommes touchés de constater que ces sessions sont désormais connues et rendent service aux communautés : les retours que nous avons sont très positifs.

L’épisode Ananie IV, très attendu, fut une grande réussite : les bilans, tant des participants que des membres du Bureau, le montrent avec évidence.

Les participants sont appelés à créer entre eux une vraie fraternité durant leurs trois mois de vie commune : c’est la base nécessaire pour tout ce qui sera vécu. Les sessions sont de vie, et pas seulement d’information. Cette année, dès les premiers jours, traditionnellement consacrés aux présentations, le groupe s’est soudé rapidement : le fait que beaucoup arrivaient, chargés des difficultés, parfois lourdes, liées à leurs communautés, leurs pays… n’est sans aucun doute pas étranger à la qualité de l’esprit fraternel, très fort durant les trois mois.

L’accueil dans les monastères est choisi dans un double but : garder un cadre monastique durant ces trois mois et permettre de découvrir différents visages de la vie monastique en Europe. Les Ananistes sont allés d’abord à la Pierre-qui-Vire (c’est devenu une habitude de commencer avec nos frères du Morvan, qu’il n’est pas inutile de remercier ici encore), puis à Pradines, Tamié et Aiguebelle. Lors du bilan, les frères et sœurs ont unanimement regretté que l’alternance habituelle (monastères de moines/moniales, bénédictins/cisterciens) n’ait pu être respectée. Une série de contingences l’a empêchée. L’accueil de chaque communauté a grandement compensé ce regret.

Un mot du programme : au fil des sessions, il s’affine. Les piliers restent les mêmes :

- Vie monastique et Évangile (le disciple du Christ vit avec la Parole).

- La liturgie, expérience monastique.

- Saint Benoît.

- Histoire du monachisme.

- Accompagnement spirituel.

- Développement humain. Psychologie et vie spirituelle, etc.

- Vie communautaire.

- Pour conclure : reprise des fondamentaux monastiques.

De plus, le souci d’une réflexion sur l’écologie intégrale a coloré ces mois.

Les intervenants sont surtout des moines et moniales ; depuis le début (2013), quelques professeurs laïques, pas toujours les mêmes, participent à la formation. Quant à l’accompagnement du groupe, frère Cyprien, de la Pierre-qui-Vire, l’a assuré cette année encore ; pour la prochaine édition Ananie, nous réfléchissons à un binôme moine/moniale, demandé avec sagesse par nos Ananistes eux-mêmes.

La participation du pasteur Pierre-Yves Brandt, qui intervient trois fois au cours de la session, a de nouveau été appréciée. « Il nous apprend à transmettre et à être libre en appuyant nos choix sur la Parole. »

 

Extraits des chroniques

La session Ananie 2022, quatrième édition (après 2013, 2015, 2018) a eu lieu du 8 septembre au 29 novembre 2022. Elle s’est déroulée en quatre abbayes : La Pierre-Qui-Vire ; Pradines, Tamié et Aiguebelle, sous la responsabilité ordinaire de frère Cyprien (PQV), sœur Marie (Martigné) et Mère Scholastique (Pradines). Elle a accueilli 24 participants (Ananistes) (16 moniales, 8 moines) : de divers pays (Afrique du sud 1, Bénin 3, Burundi 2, Burkina Faso 2, Côte d’Ivoire 1, Madagascar 4, Rwanda 1, Vietnam 4, France 6). Le frère Albéric (Maromby, Madagascar) qui aurait dû participer à cette session est décédé le 21 août dernier. Sœur Elisabeth-Marie, clarisse, s’est jointe au groupe.

 

            La Pierre-qui-Vire (8–29 septembre 2022)

Chacun a apporté des productions de son monastère : cartes, porte-clés, dizainiers, foulards ou petites trousses, miel, liqueur (de la montagne d’Ambre, framboise de Madagascar), gari, mangues ou bananes séchées, galettes aux graines de sésame, cacahuètes, batik de sœur Beata Winkler…. Couleurs locales assurées !

Abbaye de la Pierre-qui-Vire, commencement de la session.

Les attentes étaient variées, elles suscitaient l’enthousiasme au-delà des charges et fardeaux portés par chacun. Au début de la session, la projection du documentaire sur les « 40 martyrs de la fraternité » de Buta (Burundi), en raison de la présence de deux frères du Burundi, fut saisissante et fut suivie d’un partage fort.

Dans chaque monastère, des temps de détente (musique, danse, visites de Vézelay, Cluny, Taizé, Autun, Paray-le-Monial, Hautecombe…, projection de films) et de partages ont été préparés, et ont réjoui et enrichi tous les participants. Comme aussi la vie commune du groupe, qui est un des éléments de la formation.

Mais bien sûr, ce sont les exposés et les groupes de travail qui ont eu la plus grande importance. Sœur Marie (Martigné) a présenté les Pères de Cappadoce, sur les traces de Basile le Grand, pour aider à comprendre ce que veut dire « plaire à Dieu » : terme important s’il en fut dans la vie monastique pour tous mais spécialement pour ceux qui en sont au commencement et pour ceux qui sont en charge de la formation dans leur communauté.

Puis le frère Patrick (PqV) balaya la panoplie d’outils bibliographiques pour se former en liturgie et débuta par : Qu’est-ce que la liturgie pour moi ? Les réponses riches des participants recueillaient bien des trésors. En lisant des passages d’articles de la PGMR (Présentation Générale du Missel Romain), cela a permis de percevoir que la liturgie est une « épiphanie de l’Église en prière » (pape Jean-Paul II), ou en se référant au tympan de Vézelay où la tête du Christ se trouve dans une échancrure : « Notre tête, le Christ, est déjà dans les cieux, en attendant que le corps y passe tout entier » (saint Léon le Grand, SC 62).

C’est ensuite au tour de Pierre-Yves Brandt, pasteur protestant réformé, de donner quelques enseignements. À partir des Institutions cénobitiques de Cassien, comparées au chapitre 58 de la règle de saint Benoît, ou à partir de situations concrètes, il a été question de : l’accueil réservé au nouveau-venu pour affermir son désir et préserver sa liberté, être obéissant : avoir pour repère le regard de Dieu sur chacun et chercher à construire tant la personne que la communauté, ou encore : susciter une véritable autonomie de décision. Il pointa invariablement comment, dans la RB, l’adaptation à la diversité des personnes n'est pas une option mais offre un cadre d’apprentissage et de processus de transmission à la fois sécurisant et responsable.

« Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient » (proverbe africain). Frère Jean-Louis (PqV) commença par évoquer la légitimité de l’étude de l’histoire du monachisme et en parcourut des aspects majeurs.

Le Père Abbé Luc (PqV) guida le groupe sur la route de la lectio, chemin de vie, de joie… et chemin ardu comportant ses écueils, et ses balises. La Parole saisit la vie tout entière du disciple. Par la rumination savoureuse s’établit une relation de cœur à cœur. « Là où est notre trésor, là est notre cœur » (Mt 6, 21). « Les fruits de demain sont dans les plants d’aujourd’hui » (proverbe africain).

La sortie prévue pour cette étape a fait découvrir Taizé aux Ananistes : frère Alois prit son temps pour les recevoir dans la chambre même de frère Roger. Tout au long des deux jours, le groupe participa aux célébrations de la vénération de la Croix le vendredi soir, de la lumière de la Résurrection le samedi soir, et de la messe de Pâques. L’esprit prophétique de frère Roger, le souci de simplification de la liturgie pour « élargir », accueillir tous les jeunes et moins jeunes, là où ils en sont, se perpétue depuis 1957-58.


            Pradines (29 septembre – 20 octobre 2022)

Mère Pierre-Marie, abbesse de Pradines, parla de la désappropriation dans l’Écriture Sainte et la Tradition : la pauvreté monastique dans la mise en commun et le travail. Elle a approfondit la question de la « sobriété heureuse » selon Cassien, le pape François et la RB.

Frère Bruno, d’Acey, montra comment s’approprier les outils nécessaires pour aborder un texte et naviguer dans le monde numérique. Il assura que cela n’éloigne pas de la vie spirituelle, en s’appuyant sur des auteurs variés.

Mère Hannah, du prieuré de Loppem (Belgique), lança la question de la relation que chacun entretient avec la RB. Elle proposa une étude claire, ordonnée, vécue, vivante et interactive. Et en la confrontant à la règle du Maître et aux Écritures, comment entendre à nouveau : « Choisis la vie » (Dt 30, 19). L’exégèse de RB 72 oriente le regard vers le respect mutuel, la patience, la « conversatio », vue comme « un processus dynamique qui implique la disponibilité à se convertir continuellement ». Cela comprend toutes les phases et tous les aspects concrets de la vie monastique où seule l’humilité permet d’accueillir la grâce donnée à tout instant.

Une visite à l’Institut des Sources Chrétiennes, qui fête son 80e anniversaire, a permis aux participants de découvrir cette réalité : Laurence Mellerin leur a fait découvrir l’histoire et l’actualité de l’Institut. Marie-Laure Chaieb a poursuivit avec une présentation de saint Irénée de Lyon, déclaré Docteur de l’unité le 21 janvier 2022 par le pape François.

Sœur David et sœur Bertille-Pacôme sont intervenues sur : « Comment transmettre au novice sans chavirer et boire la tasse avec lui ? ». Le maître des novices se tient sur la berge, il tient ferme, encourage avec sollicitude, conscient de sa propre faiblesse et confiant dans l’agir divin et la grâce de l’Esprit. En communauté, « le chemin de Dieu passe par la mer » mais nul n’en connaît la trace (Ps 76) et chaque être est unique.

Sœur Maria-Jose Arandia et frère Jean-Chrysostome ont abordé le thème de l’inculturation de la foi. « Toute culture est appelée à un passage de mort et de résurrection dans le Christ » qui, par son incarnation, s’incultura le premier. Aucune culture n’épuise à elle seule le mystère de la Rédemption (Evangelii Gaudium 118). Toute culture évolue et est appelée à être transfigurée jusqu’à devenir « apéritif du ciel » ! selon l’expression de frère Jean-Chrysostome.

Mère Marie-Madeleine consacra son intervention à l’accompagnement spirituel : toujours repartir du Christ, dans la liberté et la confiance. Premier accompagnateur, Dieu s’est incarné, englobant toute notre vie dans une marche dynamique de retournement. Tout accompagnement s’inscrit dans le mystère pascal. Dieu nous rejoint par des médiations : sa Parole, la RB, la communauté et l’abbé… les anges Gabriel, Raphaël, icônes de l’accompagnement.


            Tamié (20 octobre - 9 novembre 2022)

Julie Saint-Bris, sœur Siong et frère Michael Davide, de Novalesa, ont introduit les participants dans les profondeurs de la persona, du moi, de l’ombre (inconscient) et du soi. Accueillir les émotions, en prendre conscience, discerner le besoin sous-jacent et reconnaître les différents mécanismes de défense. La conversion consiste à renoncer à la perfection pour être en vérité. « Soyez parfaits » (en grec : « Soyez complets ») signifie que nous avons à incarner notre vie spirituelle.

Que dire du bonheur de la vie monastique ? Il est dans la solitude partagée en communauté, dans des relations chastes, dans l’espérance d’une plénitude de vie. Ceci passe par le renoncement pour recevoir le centuple, que nous ne pouvons ni contrôler ni imaginer. Plusieurs termes ont été clarifiés : fonction maternelle et paternelle ; initiation et formation ; emprise, abus ; pouvoir et service de l’autorité (du latin augere : faire grandir) ; immortalité et éternité… Dans la confiance que Dieu est notre Accompagnateur permanent par son Esprit, qui seul vient combler notre incomplétude.

Visite de l’église de l’abbaye de Tamié avec le Père Abbé Ginepro.

À partir de sa vaste expérience, le père Victor, abbé émérite de Tamié, a évoqué ce qui construit ou divise une communauté. Frère Didier a partagé ensuite la vie et l’œuvre de frère Christophe, Bienheureux martyr de Tibhirine, dont il était particulièrement proche.

Père Abbé Luc (PqV) a proposé de suivre Évagre le Pontique (346-399) : frère aîné dans la foi qui participa en 381, avec Grégoire de Nazianze, au concile de Nicée-Constantinople et transmit, par son labeur de copiste, de nombreuses œuvres.

Avec sœur Claire (Martigné-Briand), c’est Maxime le Confesseur (580-662), digne descendant d’Évagre (346-399) qui a reçu les honneurs.

Pierre-Yves Brandt aida à relire une situation de transmission, en analyser le problème, les difficultés, voir ce que l’on peut attendre d’un formateur dont l’intention est de vivre selon l’esprit évangélique et la règle de saint Benoît.

La sortie a conduit le groupe à l’abbaye royale de Hautecombe, contemporaine de celle de Tamié (12e siècle) : depuis 1992, elle est prise en charge par la Communauté du Chemin Neuf, communauté catholique à vocation œcuménique. Le repas a été pris avec les membres de la communauté et les jeunes de tous pays en formation biblique et spirituelle partageant leur vie quelques semaines ou mois. Les Ananistes ont été impressionnés par leur disponibilité dans l’accueil, la simplicité de leur vie mêlant modernité et respect du patrimoine architectural et spirituel.

Les Ananistes et la communauté du Chemin Neuf.

            Aiguebelle (10 novembre - 1er décembre 2022)

L’étape a fait une large place à la vie fraternelle, sous différents aspects. Frère Cyprien a fait part des joies, difficultés ou attraits liés à la vie fraternelle, telle la valeur du silence. Voltaire († 1788) n’avait pas forcément raison quand il disait : « Les moines se rassemblent sans se connaître, vivent sans s’aimer et meurent sans se regretter ».

Frère Columba (En-Calcat), en passant par Denis Vasse, a précisé comment passer de la peur à la foi et à la confiance (son antidote), et de la jalousie (possession du don) à la louange (lieu de rencontre et d’unité). Bannir la comparaison, reconnaître nos failles, pardonner, garder le lien, sortir de soi, persévérer : tels sont les moyens pour approcher de la Trinité de Dieu. Pour Christian de Chergé, « La joie secrète de l’Esprit sera toujours d’établir l’unité et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences ».

Dom Mauro-Giuseppe Lepori (Abbé général des cisterciens) est intervenu autour du thème des vœux ; il nous réunit par-delà nos différences : par un regard vers le Christ, par la présence sacrée de Dieu exprimée dans le rite de profession.

Église abbatiale d’Aiguebelle.

Avec dynamisme et clarté, père Pierre-André (abbé de Cîteaux) a exposé le délicat équilibre entre autorité et obéissance. L’autorité (du latin : autoritas > augere : faire grandir) est un service de la croissance de l’obéissant. Une authentique autorité se vit dans un climat de charité et motive une vraie liberté et autonomie du disciple : elle autorise autrui à être acteur de sa vie, libérant son potentiel. L’obéissance (latin : ob-audire : écouter, tendre l’oreille) est tout un art de l’écoute.

L’écologie intégrale a été comme un fil rouge de ces trois mois. En fin de parcours, il a été bon de chercher à approfondir le lien avec une théologie de la vie monastique : Elena Lasida, Mère Marie-Madeleine, père Luc et frère Cyprien s’y sont employés. Elena Lasida a présenté la nouveauté de l’encyclique Laudato Si’ (juin 2015), prélude à la COP 21 (Paris, décembre 2015) : son impact au-delà des chrétiens ; sa notion centrale : l’écologie intégrale ; son enjeu environnemental, humain, sociétal et spirituel. Deux expériences de « conversion écologique » ont été proposées : les dominicaines de Taulignan et les sœurs orthodoxes de Solan.

 

Tels furent les principaux ingrédients de l’enseignement de cette session. L’essentiel reste caché aux yeux des témoins, il se vit dans le cœur de chacun.

Mère Marie-Madeleine Caseau, Père Abbé Luc Cornuau, Elena Lasida.

Le DIMMID

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Nouvelles

Le DIMMID

Dialogue Interreligieux Monastique


Père William Skudlareck, osb

Secrétaire général

 

 

En juin, le père William Skudlareck a fait une présentation, par vidéo, à l’Assemblée plénière du Dicastère pour le dialogue interreligieux. Le thème de la session plénière de cette année était : « Dialogue interreligieux et convivialité ». La présentation se trouve dans la section Vidéos du site DIMMID.

Le dialogue permanent du DIMMID avec les musulmans chiites a repris en septembre à l’abbaye trappiste Notre-Dame d’Acey (France).

Un nouveau livre sur Shigeto Vincent Oshida, op, sortira aux éditions Liturgical Press en mai. Il aura pour titre : « Jésus entre les mains de Bouddha ». Son auteur est Lucien Miller, professeur retraité à l’université du Massachusetts, à Amherst.

Des projets sont en cours pour établir des commissions régionales pour le DIMMID en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Il y aura une rencontre monastique-musulmane à Nairobi, en juin 2023. Elle sera principalement destinée aux femmes qui mènent la vie monastique et à des musulmanes, et sera suivie de sessions de planification en Tanzanie (dirigée par le père Maximilian Musindai) et au Sénégal (dirigée par le père William).

La Commission DIMMID pour la Grande-Bretagne et l’Irlande a été réactivée avec le frère Justin Robinson de Glenstal en tant que coordinateur.

Les Commissions européennes prévoient de reprendre leurs réunions cet été, probablement à l’abbaye de Ligugé (France) avec une excursion d’une journée au centre de la Communauté mondiale pour la méditation chrétienne à Bonnevaux, à proximité, pour discuter d’une éventuelle collaboration future.

Le Dr Mohammad Ali Shomali rencontrera en décembre le professeur Bernhard A. Eckerstorfer, osb, recteur de l’Athénée Pontifical Saint-Anselme, pour discuter de la possibilité de faire étudier des étudiants musulmans à Saint-Anselme.

Deux moines bouddhistes de Thaïlande vivent et étudient à Saint-Anselme au cours de ce semestre. Ils sont parrainés par le Dicastère pour le dialogue interreligieux.

La Commission italienne reste la plus active des commissions régionales du DIMMID.

Des réflexions sont en cours pour la nomination d’un nouveau Secrétaire général

L’association AMTM

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Nouvelles

L’association AMTM

Les Amis des Monastères à Travers le Monde


Secrétariat de l’AIM

 

 

L'AMTM est une association (loi française de 1901), ayant pour objectif, en collaboration avec l’AIM, d’aider par la prière et matériellement les jeunes monastères vivant sous la règle de saint Benoît qui se sont fondés et se fondent à travers le monde dans les pays les moins favorisés.

L’implantation de la vie monastique a pour effet, dans chaque région où un monastère s’implante, de favoriser le développement agricole et économique. Cela représente souvent une chance pour les habitants de la région. Les monastères rayonnent d’abord spirituellement et permettent de faire connaître le christianisme aux populations qui l’ignorent. Ils rayonnent aussi économiquement par la capacité des moines et moniales à transformer par leur travail les lieux où ils s’installent, et d’être ainsi pour le voisinage un exemple et un soutien sur lequel il est possible de s’appuyer.

Ainsi depuis 50 ans l’AMTM accompagne et encourage ce développement.

 

L’association a tenu sa dernière Assemblée générale au prieuré Sainte-Bathilde de Vanves, le 29 janvier dernier. L’AMTM a pu soutenir au cours de l’année passée plusieurs projets intéressants en Tanzanie, en Pologne (pour l’accueil des réfugiés ukrainiens) et en Côte d’Ivoire.

Mais depuis la création de la Fondation Benedictus qui récolte les fonds rassemblés par l’AMTM (pour permettre en toute légalité l’émission de reçus fiscaux), le rôle de l’AMTM consiste surtout à stimuler, informer et communiquer les différentes actions menées à bien en lien avec la Fondation.

C’est l’occasion d’un élargissement des donateurs et d’une meilleure présence dans le paysage social. Les projets soutenus seront liés à des actions de développement : santé, éducation, environnement.

Ce beau service de l’AMTM appelle de nouveaux associés, n’hésitez pas à nous rejoindre.

Quelques projets soutenus par l’AIM

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Nouvelles

Quelques projets soutenus par l’AIM

Secrétariat de l’AIM

 

 

La congrégation des Moniales bénédictines du Roi Eucharistique (Philippines)

En parlant de cette Congrégation, nous sommes heureux de donner quelques nouvelles de sœur Mary-Placid qui fut longtemps présente à Vanves au Secrétariat de l’AIM. Sœur Mary-Placid est devenue en effet présidente de cette structure récemment organisée en congrégation de moniales.

En 1929, avec le soutien de l’évêque Santiago Sancho, Mère Edeltraud Danner, provenant de la congrégation des Sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing (Allemagne), a ouvert une maison aux Philippines ayant pour particularité de regrouper deux formes de vie: les sœurs moniales contemplatives observant la clôture et les sœurs exerçant des activités caritatives. En 1986, par décret de Rome, les sœurs actives ont accédé à leur autonomie. Les moniales sont devenues les Moniales bénédictines du Roi eucharistique (BNEK, Benedictine Nuns of Eucharistic King) qui, finalement, se sont regroupées en congrégation approuvée en 2021. Elle comprend une centaine de sœurs.

La Congrégation regroupe trois abbayes : Vigan, Cogon, San Rafael. En 2020, à la demande de l’évêque du diocèse de Tagum, la communauté de Cogon a envoyé sept sœurs pour y fonder un monastère.

La jeune Congrégation a tenu son Chapitre général au monastère de San Rafael (Calapan) du 25 au 30 septembre 2022 ; il a regroupé seize participantes. La Présidente, qui est passé à Vanves dans la fin de l’année 2022, se porte bien et assume sa responsabilité avec toutes les qualités qu’on lui connaît.

 

L’institut de théologie monastique de l’association BECAN (Nigeria)

L’association BECAN (Association bénédictine et cistercienne du Nigéria) est un forum pour le dialogue continue sur la façon d’être des moines et moniales bénédictins et cisterciens au Nigéria.

L’association a créé un parcours de formation pour les moines et les moniales ouvert à tous les monastères d’Afrique anglophone se déroulant durant deux mois continus sur deux ans.

D’abord affilié à l’université privée Madonna tenue par les Missionnaires du Saint-Esprit, les étudiants étant hébergés au centre de pèlerinage Elele de ces mêmes missionnaires, il a paru opportun de trouver un autre lieu de formation pour aider à conserver la vie monastique durant le parcours. La recherche d’affiliation à un Institut catholique d’Afrique pour délivrer les diplômes est en cours.

L’association a décidé d’établir le lieu de formation à la maison d’accueil du monastère de Ewu-Ishan.

En août et septembre 2022 a eu lieu la première session de formation qui a regroupé vingt étudiants et étudiantes.

Tous les professeurs sont membres de l’association.

 

Le studium théologique Inter-Congrégations (STIC) Monastère de Mvanda (République Démocratique du Congo)

Le monastère de Mvanda organise le Studium Théologique Inter-Congrégations (STIC) pour les membres des communautés cisterciennes et bénédictines de RDC ayant achevé leur noviciat. Le studium est aussi ouvert à d’autres consacrés ainsi qu’aux laïcs engagés désirant approfondir leur foi et leur connaissance.

Le parcours de formation s’étale sur trois ans et fonctionne par sessions de dix jours, à raison de trois sessions par an. Il s’achève par une session d’examens pour les étudiants réguliers. Thème des cours : anthropologie, théologie fondamentale, théologie morale fondamentale, droit canonique, patrologie, la révélation chrétienne et les traditions africaines.

Pour l’année 2022-2023, les trois sessions sont programmées pour novembre (philosophie), janvier 2023 (introduction à saint Augustin), puis avril 2023 (Ancien Testament).


L’Union bénédictine-cistercienne du Mexique (UBCM)

L’Union Bénédictine-Cistercienne (UBCM) est composée de toutes les communautés bénédictines et cisterciennes, masculines et féminines, canoniquement établies sur le territoire national du Mexique (treize communautés), et fondée sur un principe de communion, de solidarité et de service mutuel entre les communautés intégrées. C’est donc un organisme de collaboration pour promouvoir la vie bénédictine, coopérer à la construction de l’Église, mais aussi collaborer au développement intégral du peuple mexicain.

En raison de la pandémie de la COVID, les sessions de formations proposées annuellement par l’association ont été suspendues durant près de trois ans. Les restrictions ayant été levées, une session de cinq jours a eu lieu en juillet 2022.

 


Les sœurs bénédictines de Twasana (Afrique du Sud)

À la demande de Mgr Thomas Spreiter (osb), Vicaire apostolique d’Eshowe, les Sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing ont commencé à recruter des candidates locales en vue d’établir une communauté de sœurs sous la règle de saint Benoît. Les premières candidates furent acceptées le 29 décembre 1929. Sœur Victorine Mandl, bénédictine missionnaire de Tutzing, a été chargée de la formation de ces candidates.

La Congrégation romaine Propaganda Fide a donné sa reconnaissance officielle à la communauté bénédictine des sœurs africaines nouvellement fondée dans son texte du 5 décembre 1933 qui incluait l’autorisation d’ouvrir un noviciat. Le 3 janvier 1985, les sœurs élurent la première supérieure, sœur Johanna Ntuli, parmi leurs propres membres.

La Maison mère, Twasana, se trouve à 80 km de Vryheid (Kwa-Zulu Natal). À côté se trouve une école secondaire et un pensionnat pour jeunes filles tenus par les sœurs. Les sœurs ont six autres maisons de mission.

Beaucoup de sœurs ont des apostolats dans les paroisses, les écoles. Elles possèdent une ferme qui leur permet de subvenir à leurs besoins, mais aussi d’aider la population locale en lui offrant du travail ou de la nourriture à bas prix.

La maison de formation construite en 1999 menace de s’effondrer : les murs sont fissurés et les fondations se décalent de la maison. Les sœurs ont quitté la maison de peur qu’elle ne s’effondre durant une tempête, assez fréquente en été. Les jeunes en formation sont logées dans un autre bâtiment déjà occupé par d’autres sœurs ; il n’y a pas assez de place pour les deux groupes qu’elles forment. Les ingénieurs et architectes pensent que la maison peut être solidifiée par un étayage et par quelques autres travaux.

 

Les moines bénédictins de Makkiyad (Kerala, Inde)

Le monastère bénédictin de Saint-Joseph, à Makkiyad, au nord du Kérala, a été fondé en 1962 par cinq moines indiens qui ont choisi de quitter le Sri Lanka pour établir un monastère en Inde. Il fait partie de la congrégation sylvestrine.

Le prieuré de Makkiyad a fondé six monastères : Vanashram (Karnataka), Iritty (Kerala), Shivpuri (Madhya Pradesh), Teok (Assam), Navajeevan (Andhra Pradesh), et Kizhakkumbhagan (Kerala) en 2022. La communauté comprend cinquante-sept frères dont dix-huit profès temporaires.

La communauté a en charge un certain nombre d’activités dans l’éducation à travers l’école de la Sainte-Face, et l’Institut de philosophie Saint-Joseph. La communauté gère aussi un centre de retraites fréquenté par des milliers de personnes chaque année.

L’Institut de philosophie Saint-Joseph est affilié à l’Athénée de Saint-Anselme (Rome) depuis juillet 2018. Actuellement, l’Institut comprend cinquante étudiants, jeunes moines bénédictins mais aussi étudiants de différents diocèses et congrégations de rite latin, syro-malabar et syro-malankar, destinés au sacerdoce. Les étudiants partagent la vie de la communauté bénédictine. Celle-ci leur offre des occasions d’apprentissage dans différents domaines grâce à des expositions, du ministère pastoral et diverses autres activités parascolaires et extra-scolaires.

Le nombre croissant d’étudiants oblige à agrandir la bibliothèque. L’espace actuel ne pouvant être augmenté, il faut déménager la bibliothèque dans un autre lieu. L’ancienne bibliothèque sera convertie en petites salles pour des retraites individuelles. La toiture et les murs ont déjà été refaits. Il faut maintenant aménager l’intérieur : peinture, électricité, sanitaire, air conditionné, etc.



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