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Bulletin

La vie monastique aujourd’hui

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Bulletin

« Toute la vie comme liturgie »

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Bulletin

Les Chapitres généraux cisterciens
(OCSO et OCist, sep. et oct. 2022)

123

Bulletin

Vie monastique et synodalité

122

Bulletin

La gestion de la Maison commune

La gestion de la Maison commune

Bulletin n° 122, année 2022

Sommaire

Editorial

Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM


Lectio divina

Psaume 18A

Mère Nirmala Narikunnel, osb


Perspectives

• Intervention au Conseil de l’AIM

Dom Gregory Polan, Abbé Primat


• Une nouvelle étape pour la vie monastique

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, ocist


Ouverture au monde

Comprendre l’anthropocène

M. Bernard Lucet


Témoignages

• France : les monastères écologistes

Sœur Nathanaëlle Lefoulon, osb


• Célébrer la création de Dieu en plantant des arbres

Les sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing


Économie et vie monastique

• Les monastères pour une économie alternative et durable

M. Benoît-Joseph Pons


• Le cellérier selon la règle de saint Benoît

Compte rendu de la conférence du P. Simon Madeko, osb, par le P. Médard Kimengwa Kitobo, osb


Liturgie

Le monachisme cistercien de rite guèze

Dom Négusse Woldai, ocist


Grandes figures de la vie monastique

Viktor Josef Dammertz, osb

P. Cyrill Schäffer, osb


Nouvelles

• La Fondation Benedictus

Dom Jean-Pierre Longeat, osb


• L’évolution des congrégations bénédictines, d’un point de vue féminin

Mère Franziska Lukas, osb


• Conclusion du rapport sur l’évolution de la Confédération bénédictine depuis 140 ans

Thomas Piazza, et P. Geraldo González y Lima, osb


• Le DIM

P. William Skudlarek, osb

Sommaire

Éditorial

Ce nouveau numéro du Bulletin de l’AIM prolonge d’une certaine manière le précédent. Il propose un regard concret sur la gestion de la Maison commune telle que Laudato si’ et Fratelli tutti la préconisent.

Nous sommes heureux d’ouvrir ce volume par une lectio divina de Mère Nirmala Narikunnel, abbesse de Shanti Nilayam, en Inde, sur le psaume 8 : « Les cieux proclament la gloire de Dieu ».

On trouvera une réflexion sur l’état des lieux pour la nouvelle ère qui a déjà commencé depuis le milieu du vingtième siècle et que l’on nomme de plus en plus l’ère de l’anthropocène ; un regard sur la proposition d’économie alternative telle que peuvent la vivre les monastères ; une relecture du rôle du cellérier en synergie avec l’abbé pour exercer, dans le monastère et alentour, la responsabilité d’une saine avancée, en tenant compte des questions du monde présent au regard de ce que dit la Règle.

D’autres interventions ou rubriques complètent ce numéro. Nous rapportons les propos du Père Abbé Primat, Gregory Polan, en ouverture de notre Conseil en octobre 2021, ceux de l’Abbé général des cisterciens (OCist) de même, et ceux de Mère Franziska Lukas, abbesse de Dinklage, sur l’expérience de la création d’une congrégation bénédictine européenne à la suite du document romain Cor orans.

Le Père Prieur d’Asmara, en Érythrée, nous présente ici quelques aspects de la liturgie éthiopienne ; et nous donnons un certain nombre de nouvelles monastiques.

Avançons ensemble, résolument, pour contribuer à l’émergence d’un monde neuf.


Dom Jean-Pierre Longeat, OSB

Président de l'AIM

Articles

Écologie et vie monastique

1

Dom Jean-Pierre Longeat osb

Président de l’AIM


Écologie et vie monastique


 

Littéralement, l’écologie, selon l’origine grecque de ce mot (oikos-logos), est le discours sur la vie à l’intérieur d’une maison, en l’occurrence, l’espace et le temps dans lesquels vivent les humains.

Ce discours doit déboucher sur des actes : littéralement, ceux-ci sont regroupés sous le terme d’économie ; en effet, d’après l’origine grecque du mot (oikos-nomos), l’économie est l’ensemble des « lois » que l’on se donne pour vivre ensemble dans cet espace et dans ce temps. Il est bien dommage que ce vocable ait été réduit aujourd’hui à son seul usage financier. Il concerne pourtant tous les éléments de la vie personnelle, sociale et même spirituelle. Il y a une manière économique de vivre ensemble et, à titre personnel, une saine écologie. Les moines sont tout à fait dans cet état d’esprit.

Selon, la règle de saint Benoît, leur priorité économique, c’est l’écoute de Dieu et de leurs semblables pour le libre échange d’une parole utile touchant aux fondements. C’est pourquoi, les moines privilégient le silence autant qu’il est possible afin que les paroles échangées pèsent leur véritable poids. On pourrait dire que l’écoute essentielle, tant de soi-même que des autres et de cette Voix mystérieuse qui nous précède et que l’on nomme Dieu, est la base de toute économie écologique. Le fatras de la parole est certainement à l’origine de la toute première crise économique de la vie humaine. La parole est un bien reçu et rendu à la portée de tous. Il demande un grand désencombrement pour pouvoir être perçu dans toute sa richesse.

De ce fait, tout dans le monastère est organisé en fonction de cette écologie humaine, tant pour la vie personnelle que pour la vie communautaire.

Tout au long de la journée, les moines se rendent attentifs au bien suprême de la Parole qui vient d’En-Haut. Ils se réunissent sept fois par jour pour la prière. Ils se remettent en présence de la source active à laquelle ils veulent se connecter en premier lieu, et ils lui répondent en chantant abondamment, tant pour exprimer la louange du don de la création et de la vie que pour lancer le cri de détresse d’une humanité souvent éprouvée sur le chemin de ce monde.

Ils aménagent leurs espaces de manière à ce que chaque détail ait toute sa valeur. La règle de saint Benoît demande à l’économe du monastère de veiller à ce que l’on traite toutes choses dans le monastère avec le même soin que les vases sacrés de l’autel.

Espaces de verdure, potagers, vergers, forêts ou terrains agricoles : tout devient dans le monastère, espaces de contemplation. Beaucoup de monastères aujourd’hui sont soucieux de préserver l’espace avec les règles élémentaires sur lesquelles la mouvance écologique attire notre attention.

Le rapport au temps partagé est également vécu dans une saine économie, même si aujourd’hui, l’institution monastique, au moins en Occident, est pressurée par les mêmes impératifs de productivité que la société ambiante. Cependant, l’équilibre qui voudrait être vécu entre prière, travail et vie fraternelle gratuite reste une règle majeure qui doit être à tout prix préservée pour une bonne économie sociale. Pour se faire, les monastères s’appuient sur le potentiel de l’extraordinaire réseau de solidarité que constituent les nombreuses communautés réparties sur les cinq continents. On pourrait dire de la vie monastique qu’elle développe l’idéal écologique d’une mondialisation  fraternelle.

La nourriture est également pour les moines un lieu économique et écologique important. Manger, pour eux, implique toujours la reconnaissance d’un don reçu et partagé. Manger sobrement sans excès ni gaspillage est une règle sur laquelle saint Benoît insiste. Les plats seront suffisants, sains et équilibrés pour permettre une croissance  heureuse et un bon déploiement du reste des activités. S’il est un symbole d’un bon équilibre de vie, c’est bien celui de la consommation, et notamment alimentaire. Les communautés monastiques tentent vraiment d’avoir une bonne réflexion à ce sujet, même lorsqu’elles sont obligés de recourir à des services extérieurs.

Le confort de la vie ordinaire se limite à ce qui est nécessaire. On donne à chacun ce dont il a effectivement besoin. Tout est mis en commun pour une économie solidaire. Le fait de mettre en commun les ressources d’une communauté permet d’en réduire les dépenses et d’investir plus largement dans des projets développés qu’un individu ou qu’une famille isolés ne pourraient envisager.

En accueillant des hôtes pour des séjours de silence ou de retraite, les centres monastiques se présentent au cœur de nos sociétés comme des oasis où l’on peut tenter de mieux respirer, de mieux partager, de moins posséder illusoirement, afin d’être davantage soi-même en relation avec autrui.

Il est étonnant, dans la règle de saint Benoît, de constater que le chapitre le plus écologique est celui concernant l’économe du monastère :

« Pour le cellérier du monastère, on choisira parmi les frères quelqu’un qui soit judicieux, sérieux, sobre, frugal, ni arrogant, ni agité, ni blessant, ni trop hésitant, ni trop prompt à la dépense, mais qui ait le sens de la présence de Dieu toujours et partout, et qui soit comme un père pour toute la communauté. Qu’il prenne soin de tout, qu’il ne mécontente pas les frères. Si quelque frère lui fait une demande déraisonnable, il ne l’indisposera pas en le rebutant ; mais qu’il refuse avec raison et humilité à celui qui demande mal à propos. Qu’il veille à la garde de lui-même. […]

Qu’il prenne un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres. […]

Qu’il considère tous les objets et tous les biens du monastère comme s’il s’agissait des objets sacrés de l’autel. Qu’il ne tienne rien pour négligeable. Qu’il ne soit ni enclin à l’avarice, ni à l’excès des dépenses ; qu’il ne dilapide pas les biens du monastère, mais qu’il fasse toute chose avec mesure avec un grand sens du bien commun. » (RB 31)

Bien sûr, la vie du monastère ne repose pas sur le cellérier, mais son exemple, comme celui de tous dans le monastère, peut encourager la communauté à prendre des décisions justes pour un témoignage écologique sans cesse actualisé.

Les cieux et la terre proclament la gloire de Dieu

2

Lectio divina

 Mère Nirmala Narikunnel, osb

Abbesse de Shanti Nilayam (Inde)

 

Les cieux et la terre proclament

la gloire de Dieu (Ps 18A)

 


Les cieux proclament la gloire de Dieu,

le firmament raconte l’ouvrage de ses mains.

Le jour au jour en livre le récit

et la nuit à la nuit en donne connaissance.

 

Pas de paroles dans ce récit,

pas de voix qui s’entende ;

mais sur toute la terre en paraît le message

et la nouvelle, aux limites du monde.

 

Là, se trouve la demeure du soleil : +

tel un époux, il paraît hors de sa tente,

il s’élance en conquérant joyeux.

 

Il paraît où commence le ciel, +

il s’en va jusqu’où le ciel s’achève :

rien n’échappe à son ardeur.

 

Le psalmiste était peut-être un berger gardant son troupeau et admirant la création de Dieu. Même s’il n’avait aucune connaissance scientifique et ignorait la technologie à venir, il pouvait s’émerveiller de la création et chanter ce beau psaume.

Par sa Parole puissante, Dieu a créé et organisé l’univers entier, et ses plans sont irréversibles. La gloire, la magnificence, la splendeur de Dieu se manifeste dans le psaume. Dieu est le créateur des cieux et du soleil qui illumine le monde. Les corps célestes et la succession régulière du jour et de la nuit manifestent la gloire de Dieu et ils transmettent silencieusement leur message, nous appelant à louer Dieu. Dieu a merveilleusement arrangé l’univers et tout ce qu’il contient est pour notre bien. Le ciel et la terre manifestent sa gloire. Les perfections de Dieu sont proclamées dans un silence éloquent par le monde créé. Le psalmiste médite sur le parfait silence de la nature. Nous ne pouvons profiter des merveilles de la nature qu’en silence. Comme le prophète Elie, nous trouverons le Créateur dans une brise légère. Sans parole ni voix, la création raconte la gloire de Dieu. Elle suit parfaitement la loi de la nature. Le soleil n’arrêtera pas de se lever ou de se coucher parce que Dieu le Créateur a mis de l’ordre dans la création, et elle suit parfaitement l’ordre qui, à moins qu’il ne le veuille, ne changera pas.

Saint Benoît consacre un chapitre entier de la sainte Règle au silence. Ce n’est que dans le silence que nous pouvons trouver Dieu comme aussi nos semblables. Plus l’esprit de l’Homme pénètre dans le monde qui l’entoure, plus ce témoignage nous étonne par sa grandeur et sa gloire. Dieu merveilleux d’un monde merveilleux qui mérite un grand honneur et une grande gloire. La gloire de Dieu signifie sa manifestation de soi et sa communication, appelant de la part de l’Homme la réponse de louange. Dans de nombreux autres psaumes, le psalmiste invitera toute la création à célébrer la grandeur du Créateur, par exemple le psaume 148.

La nuit est l’absence de lumière solaire. La nuit et le jour chantent la gloire de Dieu. Le jour proclame la splendeur de Dieu, et la nuit son caractère caché et son mystère. Ni le jour ni la nuit ne peuvent parler comme l’Homme mais, malgré cela, ils transmettent leur message en tant que « sacrements » de la puissance et de la majesté de Dieu. Leur éloquence est silencieuse. La louange rendue à Dieu de jour comme de nuit couvre toute la terre ; elle est entendue universellement.

Le soleil est le témoin principal et le plus évident de la splendeur de Dieu. Il est poétiquement conçu comme se cachant dans une tente dans le ciel oriental avant d’apparaître à l’aube, et est comparé à un époux vêtu de robes splendides en raison de la force de sa chaleur, et à un héros militaire du fait de sa lumière.

Le psalmiste a été très impressionné par le ciel, la séquence ininterrompue des jours et des nuits, et le lever et le coucher du soleil. Il composa un poème et le chanta en présence des fidèles. Le monde de la création est un miroir reflétant Dieu, et tous ceux qui ont la foi comme le psalmiste pourront voir les reflets de Dieu dans le monde naturel. L’extrême grandeur et la puissance de Dieu brillent dans le sanctuaire céleste, dans la vaste étendue du ciel et sur toute la terre.

« Le soleil lorsqu’il apparaît, faisant une proclamation au fur et à mesure qu’il sort, est un instrument merveilleux, l’œuvre du Très-Haut. À midi il dessèche la terre, et qui peut supporter sa chaleur brûlante ? Un homme qui s’occupe d’une fournaise travaille dans une chaleur ardente, mais le soleil brûle trois fois plus les montagnes, il exhale des vapeurs ardentes et avec des rayons lumineux il aveugle les yeux. Grand est le Seigneur qui l’a fait et sur son ordre il s’empresse de suivre son cours. » (Ben Sira 42)

« Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures. Surtout Monsieur frère soleil, qui est le jour et par qui tu nous donnes la lumière, et il est beau et rayonnant d’une grande splendeur, et il te ressemble, Très-Haut. » (Saint François d’Assise)

Dieu a créé le ciel et la terre, et la couronne de la création est l’Homme. L’Homme est un peu moins que Dieu (Ps 8). Le psalmiste, un homme ordinaire doté d’une imagination débordante et d’un profond sentiment de crainte, proclame la majesté et le pouvoir du Créateur. Mais l’Homme a défiguré la beauté de la création par le péché. Le Christ, telle la lumière du soleil, est venue dissiper les ténèbres de ce monde. Le Créateur de l’univers immense et merveilleux est si grand et si puissant, et pourtant il se soucie des êtres humains.

Lorsque l’Homme abuse ou traite mal la création, la nature réagit. Récemment, notre monastère et ses environs ont été inondés ; la raison en est que certaines personnes ont jeté des déchets dans le drainage. Il a été bloqué par des pluies incessantes qui ont endommagé notre ferme et la plupart de nos cultures, et ont contaminé l’eau potable. Nous avons subi de grandes pertes. Nous n’avons rien pu faire jusqu’à ce que l’eau se retire lentement et cela a pris plus d’une semaine. Lorsque la nature réagit, nous ne pouvons rien faire d’autre que faire confiance au Dieu transcendant présent dans la création.

En priant ce psaume, nous pouvons nous émerveiller de la création : avec quelle sagesse et quel amour Dieu a-t-il tout planifié et organisé ? Nous remercions Dieu le Souverain de l’univers, tout-sage et tout-puissant, pour avoir tout créé si bon et si beau. Toute louange et toute gloire à Dieu pour sa sagesse infinie, sa puissance, sa beauté, sa créativité et son amour. Nous louons Dieu au nom de toute la création. Louer et glorifier le Créateur et le Soutien de l’univers entier est le but ultime de toutes les créatures et êtres humains.

Seigneur Dieu, nous te louons au nom de toute la création. La beauté et la bonté de tout ce que tu as fait, ainsi que le système et l’ordre parfaits dans la nature manifestent ta sagesse et ton amour. Tout ce que tu as fait est une merveille. Accepte les louanges et l’adoration que nous t’offrons, et fais que tous les êtres humains puissent reconnaître la bonté et la sagesse qui sont actives dans la création, et te louer de tout cœur.


Actualités de la Confédération bénédictine

3

Perspectives

Dom Gregory Polan, osb

Abbé Primat

 

Actualités de la Confédération bénédictine

 

 

À l’occasion du Conseil de l’AIM à Dinklage (Allemagne), en octobre 2021, le Père Abbé Primat nous a partagé quelques nouvelles.

 


Je voudrais partager avec vous six points différents qui découlent de mon travail actuel pour la Confédération ainsi que quelques nouvelles.

Tout d’abord, je voudrais offrir quelques réflexions concernant la pandémie. Ce fut une période difficile pour toutes nos communautés monastiques. Pour certains, ce fut la maladie et la mort éventuelle, et pour d’autres, l’établissement d’un nouveau rythme de vie durant ce temps difficile et incertain. À Saint-Anselme, il y avait 123 membres l’année dernière et 93 résidents cette année. Garder tout le monde en sécurité et en bonne santé fut un réel défi. D’après ce que j’ai entendu dans la Confédération, cela a été l’occasion pour les communautés, durant cette période, d’approfondir l’expérience de la lectio divina, à la fois en privé et en commun. En plus de cela, plusieurs communautés ont parlé de leur expérience de partage de foi accompagné d’un approfondissement des liens fraternels. Ce fut aussi très inspirant d’entendre la manière dont différentes communautés ont tendu la main et essayé d’être au service des autres. La diffusion en direct de leurs liturgies a été un moyen utile de rester en contact avec leurs oblats et amis. Plusieurs communautés ont évoqué l’impact que le silence a eu pendant cette période de pandémie. Il y a eu un approfondissement du sens de la prière au sein des communautés, et ce fut aussi l’occasion d’un temps de réflexion approfondie pour les moines, pour les moniales et les sœurs qui en attestent dans les lettres que j’ai reçues.

Deuxièmement, c’est au cours de cette année que nous avons vu se développer plusieurs programmes de formation monastique dans différentes langues, venant souvent de notre Institut monastique, ici, à Saint-Anselme. Nous savons tous que la formation de nouveaux membres dans nos communautés est l’un des efforts les plus importants, dans lequel nous sommes très impliqués. Il est merveilleux de savoir que pendant cette période où nous avons été limités en matière de déplacements, nous avons consacré beaucoup de temps à développer  ces programmes de formation. C’est quelque chose que nous pourrons poursuivre à l’avenir, je l’espère.

Troisièmement, comme les restrictions liées à la pandémie ont été légèrement allégées, les voyages sont redevenus possibles, me permettant de participer à des initiatives variées : prédication de retraites, assistance à des réunions de nos fondations, participation aux jubilés et célébrations monastiques, et également rencontre des communautés qui souhaitent être guidées et encouragées.

Quatrièmement, l’un des projets à Saint-Anselme, qui a occupé notre temps et notre énergie, a été la rénovation d’un étage de nos installations pour les hôtes, ainsi que de notre porterie. Après quelques consultations, nous avons décidé de rénover un seul des étages de l’hôtellerie et de donner une couche de peinture à l’autre étage. La raison en est que nous avons une variété de groupes d’étudiants qui pourront utiliser ces installations à bon escient. Par exemple, nous avons un « programme d’études à l’étranger » en collaboration avec le Collège de l’abbaye Saint-Vincent de Latrobe, aux États-Unis, le programme des formateurs monastiques (MFP), et différents groupes de pèlerinage de nos monastères. Ils seront très satisfaits d’un logement simple, et heureux de pouvoir se loger à moindre coût. Les chambres rénovées de l’hôtellerie sont certainement les bienvenues pour la qualité de notre accueil, charisme important de notre vie bénédictine.

Cinquièmement, une discussion importante a eu lieu avec sept supérieurs généraux qui ont été reçus par le pape François. La question concernait un « privilège papal » qui permettrait à un membre non clérical d’être nommé ou élu supérieur d’une communauté. Le Saint-Père a été très attentif et réactif à notre demande. Il a dit qu’il la soutiendrait, mais qu’en fin de compte, cette décision devrait être laissée à la Congrégation pour la Vie Consacrée !

Sixièmement, je profite de cette occasion pour exprimer mes sentiments personnels et ma conviction que, bien que notre nombre soit en baisse pour les candidats à la vie monastique, je pense qu’il y a de fortes raisons d’espérer. L’espérance est une vertu importante, car elle nous appelle à croire en quelque chose avec la conviction d’un avenir meilleur, même s’il est difficile de voir au-delà de l’horizon immédiat. Si nous regardons l’histoire de la vie monastique, nous voyons qu’il y a des moments où différents mouvements ou des guerres ont eu un impact sur le nombre de personnes entrant dans les communautés monastiques. Il y a des temps d’accroissement et des temps de diminution. Nos 1 500 ans d’histoire nous montrent que, même dans les pires moments, il y a eu une résurgence qui s’ensuivait, nous donnant des raisons d’espérer en l’avenir. Je pense qu’il est également important de pouvoir voir qu’en cette période de pandémie les communautés monastiques du monde entier se sont vraiment unies dans leurs efforts pour travailler dans la paix et l’harmonie, et pour être au service des autres. Ce sont des éléments importants qui distinguent notre vie monastique et nous donnent des raisons de croire que la tradition bénédictine se poursuivra dans le futur pendant de nombreuses années.

Une nouvelle étape pour la vie monastique

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Perspectives

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, ocist

Abbé général de l’Ordre cistercien

 

Une nouvelle étape pour la vie monastique

 


Les statistiques concernant l’Ordre cistercien continuent de baisser, même si au Vietnam et en Afrique et en certains monastères particuliers en Europe, les chiffres semblent toujours réjouissants.

À titre d’exemple pour les temps qui viennent de s’écouler : j'ai visité, avec l’Abbesse Présidente de la congrégation de Castille, huit communautés de moniales en Espagne. En deux semaines, nous avons eu l’élection d’une nouvelle abbesse indienne, nous avons décidé de fermer deux monastères avec un transfert des sœurs au monastère d’accueil réalisé à Madrid ; nous avons décidé d’affilier deux autres monastères, et nous avons nommé une prieure administratrice dans un autre monastère.

Ainsi décliné, cela pourrait apparaître comme une liste un peu tragique, mis à part pour l’abbesse indienne, et pourtant, la façon dont tout cela est arrivé nous a remplis de gratitude et, en fin de compte, d’espérance. Pas d’espoirs au pluriel, mais d’espérance au singulier. Voir des communautés qui acceptent leur mort avec sérénité, sachant qu’elles sont accompagnées et aimées, nous remplit d’espérance, ne serait-ce que par le fruit abondant que les graines tombées en bonne terre pourront porter. Où ? Quand ? Dieu seul le sait.

Il y a un mois, nous avons tenu une réunion informelle du synode de l’Ordre pour relancer la préparation du Chapitre général reporté à octobre 2022. Mis à part deux abbés du Vietnam et un du Canada, une vingtaine de membres ont pu participer à cette rencontre : ce fut une très bonne réunion dont nous avions grand besoin. Nous avons retravaillé les thèmes majeurs que nous voulons traiter au prochain Chapitre général : abus de pouvoir et visites régulières ; formation ; structures de gouvernement de l’Ordre ; fondations et réduction du nombre de monastères.

Voici quelques passages de ma réflexion introductive à ce synode, à laquelle j’avais donné comme titre : « Retrouver un équilibre monastique pour repartir sur un chemin de communion synodale ».

J’ai dit qu’il ne suffisait pas de réfléchir à la manière de tenir un Chapitre général en dépit de la crise du coronavirus. Je crois que cette crise nous rappelle surtout qu’il faut penser au Chapitre général et à l’Ordre avec un plus grand sens des responsabilités, ou plutôt d’une manière plus « dramatique » et plus mûre : que notre union dans l’Ordre et nos rencontres soient vécues dans chaque congrégation, dans chaque communauté comme dans toute l’humanité, avec responsabilité par rapport à notre temps.

La crise du COVID nous a stoppés. Nombreuses sont les personnes et les communautés qui ont commencé un travail sur elles-mêmes, favorisé par le fait que pratiquement toutes les autres activités étaient arrêtées. Nous avons pu nous concentrer sur l’essentiel de notre vocation : la prière, l’écoute de la Parole de Dieu, la vie fraternelle en communauté. Paradoxalement, cette concentration sur l’essentiel était plus facile pour les communautés avec de nombreuses activités externes, parce que le confinement signifiait pour eux, au moins pour quelques mois, un changement radical en contraste clair avec la vie d’avant. Il a donc été vécu comme un « signe de contradiction » marquant profondément les personnes et la vie communautaire. Dans les communautés de style plus « contemplatif », le contraste n’a pas été aussi patent et pour cette raison peut-être, moins interpellant. Mais il est difficile de juger, chaque communauté ayant fait de façon originale l’expérience de ce temps particulier.

Quand la vie et les activités ont repris, même avec des restrictions toujours nécessaires, il s’agissait et s’agit encore pour tous de comprendre comment repartir, comment reprendre le chemin. Et cela n’est pas facile car nous sentons une certaine fatigue, nous peinons à reprendre les activités, à ouvrir nos maisons, nos hôtelleries. Je me suis demandé : d’où vient cette peine ? Pourquoi nous sentons-nous devenus plus fatigués et même plus vieux ? Peut-être simplement parce que l’épreuve de la pandémie nous a obligés à regarder en face nos réelles fragilités. Avant, beaucoup de communautés même âgées et peu nombreuses ont assuré de grandes activités et d’importants engagements, non seulement dans le domaine du travail mais aussi dans celui de la célébration liturgique. Nous pensions en avoir la force, simplement parce que ces activités ont toujours été assumées depuis le temps où nous étions jeunes et nombreux.

Nous avancions comme des locomotives traînant tout, sans nous rendre compte que nous ne nous arrêtions jamais pour recalculer ce que nos forces nous permettaient réellement, pour reconsidérer si l’horaire et la façon de célébrer l’Office et de gérer nos activités sont encore supportables pour ce que nous sommes en réalité. Et surtout, nous ne nous sommes jamais arrêtés pour réfléchir si, dans toutes nos activités, il y a encore un équilibre harmonieux qui nous permet de vivre avec joie dans ce que chaque monastère devrait être : une « école où l’on sert le Seigneur » (RB Prol. 45).

Dans beaucoup de monastères nous avons réduit ou laissé tomber certaines choses, mais nous n’avons pas veillé à garder l’équilibre entre ce que nous maintenions et ce que nous lâchions. C’est pourquoi certaines parties de notre vie ont pris le dessus tandis que d’autres ont disparu de la scène. Dans quelques communautés, la prière a souffert au profit du travail. Ou bien la vie fraternelle, par exemple en renonçant aux temps de récréation ou de dialogue. Dans d’autres qui pouvaient se le permettre, le travail a été de plus en plus délégué à des personnes extérieures, salariées. La plupart des communautés ont pour ainsi dire fait disparaître le peu de lectio divina qu’on cultivait encore, du moins en théorie. Sans parler de la formation permanente. Je pourrais donner mille exemples, différents pour chaque communauté. Mais ce qui vaut peut-être pour tous est que depuis déjà trop longtemps nous nous sommes habitués à vivre une vocation monastique peu harmonieuse, peu équilibrée, peu apte à procurer un tel équilibre humain à nos vies. Nous avons oublié de cultiver l’extraordinaire équilibre humain, physique, psychique et spirituel que la règle de saint Benoît nous offrirait si nous la suivions, non formellement, mais comme nos pères et mères l’ont suivie : comme une école où « celui qui recherche la vie et désire voir des jours heureux » (cf. Prol. 15 ; Ps 33, 13) puisse les trouver, sur un chemin de fraternité filiale et de prière qui lui fait préférer le Christ par-dessus tout et en tout. Dans cette école, où progresse seulement celui qui ne finit jamais d’être disciple en écoutant attentivement avec « l’oreille du cœur » (Prol. 1), chaque élément de la vie doit contribuer à l’équilibre de la personne et de la communauté : la prière, la fraternité, le travail, le repos, l’obéissance, l’écoute, le silence, la parole, la pauvreté, etc. Nous ne devons rien laisser tomber si nous voulons que notre vie reste une symphonie. Quand la fragilité, la petitesse, la maladie, etc., exigent de nous des adaptations, nous le faisons souvent de façon déséquilibrée en coupant des parties entières de notre vie et de notre vocation au lieu de chercher un nouvel équilibre entre toutes les parties. Le problème de beaucoup de communautés est là ! Il est étonnant que, souvent, nous trouvons ce déséquilibre aussi dans les communautés nombreuses et jeunes.

Je réalise, en fait, que nous négligeons depuis des années, tant dans les communautés fortes que dans les fragiles, cette attention à maintenir l’équilibre bénédictin, la fameuse « discretio » bénédictine. Et, bien que nous la rappelions souvent, particulièrement pendant les visites régulières, on n’est pas toujours disposé à corriger ce problème, comme si l’on ne comprenait pas ce que veut dire un équilibre de vie et de vocation. Chaque communauté, et souvent le supérieur ou un membre particulier – surtout quand il est responsable de l’économie ou d’un autre domaine, pense devoir résister et garder les rythmes et les accents établis « depuis toujours », ou maintenir certains domaines absolus tout en abandonnant d’autres domaines considérés comme moins essentiels.

Au fond, l’erreur est de croire que ce qui sauve notre vie monastique est un domaine particulier, une œuvre particulière, un geste particulier, et non l’équilibre entre tous. Nous n’avons souvent pas été conscients que ce qui rend une communauté attrayante et significative pour les gens n’est pas seulement la liturgie, ou seulement notre œuvre, ou notre façon de travailler, ou seulement notre vie fraternelle, ou seulement notre silence, ou seulement notre accueil, etc., mais justement l’équilibre harmonieux avec lequel la préférence du Christ nous permet de vivre tout avec ordre et mesure, avec beauté et paix, dans la simplicité, mettant chaque chose à sa place.

La période du confinement et toutes les restrictions de ces années nous ont mis un peu le dos au mur. La crise globale de la COVID-19 nous pose à nous, moines et moniales, quelques questions pressantes : Qu’avons-nous fait de notre vocation ? Qu’avons-nous fait de la règle de saint Benoît, de la Carta caritatis des premiers cisterciens, de la spiritualité intégrale de nos pères et mères dans la vie monastique ? Pourquoi avons-nous eu besoin d’une crise globale pour nous souvenir de ce que saint Benoît met en lumière depuis quinze siècles, pour nous rendre à nouveau compte qu’il nous rappelle à un équilibre de vie chrétienne qui peut être réellement un « Évangile d’humanité nouvelle » pour tous nos frères et sœurs en ce monde ?

Il est important de ne pas laisser passer cette provocation – elle est d’ailleurs très présente dans le magistère du pape François, par exemple dans Evangelii gaudium, Laudato Si’ et Fratelli tutti, pour commencer dès maintenant une bonne conversion de la vie de nos monastères, en nous aidant les uns les autres dans cet effort, sans avoir peur d’accepter, en faveur d’un nouvel équilibre de notre vie, une plus grande pauvreté, plus de simplicité et donc une plus grande humilité.

Lors de ce même synode, j’ai encore approfondi, à la lumière de ce que je viens de dire, le thème d’une solidarité plus vraie entre les monastères de différentes cultures, non seulement économiquement mais surtout dans la formation. Nous avons évoqué aussi le thème de la synodalité, d’une véritable écoute mutuelle dans les communautés, entre supérieurs, communautés et congrégations. Participer au cheminement synodal de toute l’Église, tel que le Pape nous y appelle, nous aidera à approfondir notre charisme, en offrant notre expérience à toute l’Église.

Comprendre l’anthropocène

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Ouverture au monde

Extrait d’une conférence de M. Bernard Lucet

donnée à l’abbaye de Ligugé (France) en février 2020

 

Comprendre l’anthropocène[1]

 

 

Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre,

pollué la dernière goutte d’eau,

tué le dernier animal et pêché le dernier poisson,

alors il se rendra compte

que l’argent n’est pas comestible.

(Proverbe amérindien)

 

L’habitabilité de notre unique lieu de vie est menacée, c’est une chose si vitale qu’elle aurait vocation à saisir tous les humains au plus profond. Décrypter et approfondir la situation réelle, grâce à l’éclairage des scientifiques, est le chemin pour incorporer en soi cet enjeu vital. Écarter les opinions au profit du savoir, sortir du déni, du fantasme, de la distraction.


L’effet de serre

L’effet de serre est nécessaire, grâce à lui la température moyenne sur terre est de + 15° C, sans lui ce serait - 18° C, donc pas de vie possible. Le rayonnement solaire arrive, une partie est réfléchie par les nuages, les glaciers, la neige ; l’énergie solaire est convertie en chaleur qui a son tour rayonne vers l’espace sous forme d’infrarouges ; certains gaz présents dans l’atmosphère bloquent les infrarouges qui restent donc en basse atmosphère. Plus il y a de ces gaz à effet de serre (GES) plus l’énergie s’accumule et plus la température augmente. L’énergie supplémentaire due à nos émissions s’accumule presque entièrement dans les océans, un peu dans les sols, et seulement 1 % dans l’atmosphère.

La biosphère se réchauffe (+ 2,7 % par an actuellement) ; une telle accélération est dix fois plus importante que les augmentations les plus rapides du passé de la planète depuis plus d’un million d’années, et elle percute les écosystèmes bio et géophysiques. En effet, depuis huit cent mille ans le taux de CO2 avait peu varié. Malheureusement, la pression exercée sur les écosystèmes marins et terrestres altère la capacité des puits de carbone, ce qui entraîne la destruction de ce qui pourrait nous aider à ralentir le réchauffement.

La baisse des émissions, c’est principalement la baisse des énergies fossiles, ce qui n’est pas du tout à l’ordre du jour dans les faits ! Alors que faire ?

Nombreux sont ceux qui pensent qu’il serait possible de se passer des ressources énergétiques fossiles et du nucléaire à condition de réaliser des gains très conséquents via la réduction de consommation et via l’efficacité énergétique de nos appareils et machines. Peut-être pourrait-on y parvenir en Occident en réduisant de façon radicale nos consommations et nos usages, c’est-à-dire en tournant le dos à la croissance. Mais de nombreux pays ont besoin de croissance pour aider leurs populations à sortir de la pauvreté, s’éduquer, se soigner, se nourrir ; pourquoi ces populations ne pourraient-elles pas accéder à une vie plus confortable, même bien loin de nos standards occidentaux ? C’est pourquoi au niveau mondial l’énergie ne baissera pas énormément, et d’autant moins qu’il en faudra beaucoup pour aider le monde à s’adapter aux dérèglements de toutes sortes que les épisodes climatiques extrêmes feront subir ici et là. Pensez aux immenses travaux à mener pour protéger les villes exposées aux montées des eaux, par exemple. Ces besoins mondiaux d’équité et d’adaptation aux conséquences du réchauffement demanderont beaucoup d’énergie, ce n’est donc pas une diminution radicale des besoins énergétiques qui viendra au secours des limites des énergies renouvelables (intermittence du solaire et de l’éolien, entre autres limites).

Il faut bien reconnaître que les énergies fossiles – cause majeure des émissions de GES– sont encore irremplaçables. Se passer du pétrole sera d’autant plus difficile que c’est une énergie pratique et hyperconcentrée. Nous devons notre style de vie aux énergies fossiles puissantes et pas chères qui alimentent nos machines. Regardez la force de travail déployée par un tracteur dans les champs avec un seul réservoir de gasoil, et la quantité énorme de travailleurs remplacés. Sans toutes ces machines – et le numérique est aussi là grâce aux machines – c’est une autre civilisation dans un monde fort différent. Laisser dans le sous-sol 80 % des énergies fossiles serait aussi impératif que difficile : il aurait fallu s’y prendre beaucoup plus tôt…


Le réchauffement climatique et ses conséquences

Le réchauffement pourrait être encore plus rapide que prévu ! Une modélisation précise indique que + 2° serait atteint dès 2040 du fait des émissions déjà présentes dans l’atmosphère. Tout ce qui est émis maintenant ajoute une difficulté à se maintenir à + 2° après 2040. + 2°et même + 3° sont déjà inévitables et 3° en moyenne c’est 5° sur les continents, soit une température au sol pouvant atteindre 50° dans le sud de l’Europe lors des vagues de chaleur. Quand bien même nous parviendrions à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les années à venir (et cela reste hypothétique), notre civilisation thermo-industrielle aura des conséquences qui dureront des millénaires ! L’action des humains influence désormais l’évolution de la planète.

Jusqu’à présent les grands bouleversements de notre planète étaient produits par des événements cosmiques (et telluriques). Ce fut le cas pour les périodes glaciaires et interglaciaires depuis un million d’années. Nous sommes dans une période interglaciaire, nommée holocène, depuis 12 000 ans, et la température n’a variée que de ± 0,5° durant ce temps ! La température actuelle (+ 1,1°) est le maximum depuis 1,2 millions d’années. Or cette augmentation implique une modification totalement inconnue de la biodiversité et du climat qui se sont adaptés durant des millions d’années.

La nouveauté pour la planète est que la température augmente beaucoup plus vite : le taux de CO2 s’est accru dix fois plus vite que lors des événements brusques qui se sont produits ces huit cent mille dernières années. Les changements induits par l’anthropocène bouleversent l’équilibre de la biosphère et conduisent vers une « planète étuve ». Le réchauffement climatique est la conséquence de choix politiques faits en connaissance de cause, mais les accélérations bio-géophysiques auxquelles le système terre est soumis font sortir la planète des états d’équilibre connus.


Les points de bascule des écosystèmes : vers une planète étuve ?

On parle déjà, au sujet de la biodiversité animale, de sixième extinction de masse. Traitons déjà des risques humains. Une très bonne présentation du problème est faite par Gaël Giraud[2] :

« Dans la seconde moitié du siècle, les conditions létales de chaleur et d’humidité rendront d’importantes parties du monde invivables de cent à deux-cents jours par an ; les gens devront partir de bien des endroits d’Inde, d’Asie du sud-est, d’Afrique. La banque mondiale estime à deux milliards le nombre de réfugiés climatiques dans la seconde moitié du siècle. Je pense que cela demeure très sous-estimé : au moins trois milliards de personnes devront migrer. [...] Le vivant est en train de migrer vers les pôles, et les pandémies tropicales se déplacent aussi, comme la malaria, par exemple, qui a fait son apparition en Italie. La Banque Mondiale chiffre à 5,2 milliards le nombre de personnes qui devraient souffrir du paludisme en 2050 ».

De tels bouleversements sont directement imputables à des événements climatiques à la fois extrêmes et plus fréquents tels que sécheresses, pluies, cyclones, vagues de chaleurs, avec de nombreux impacts sur l’alimentation et la santé. Ces événements climatiques eux-mêmes sont la conséquence des réactions de nos écosystèmes sous la pression du réchauffement, en entraînant une accélération de ce dernier par la libération de CO2, et en diminuant les fonctions des puits de carbone avec, comme conséquences immédiates, la fonte des glaces et la destruction massive de la forêt. L’accumulation de chaleur dans les océans est le signe de l’accélération du réchauffement de la planète. Les océans absorbent 93 % du réchauffement d’origine  anthropique, et 25 % de nos émissions de gaz à effet de serre ; cet immense puits de carbone s’affaiblit à cause du réchauffement climatique.

Ecole dévastée à Tacloban par le typhon Haiyan/Yolanda en 2013, tenue par les sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing (900 élèves). © AIM.

Les rivières atmosphériques

Il s’agit d’un couloir de vapeur d’eau et de chaleur, une sorte de fleuve atmosphérique qui se déverse en pluie diluvienne sur l’antarctique et en accélère la fonte[3].

Les moussons sont et seront modifiées par le dérèglement du climat. Les événements comme ceux d’août 2018 au Kérala, en Inde (450 morts, un million de réfugiés), vont se renforcer. Le fait est que le réchauffement mondial va exacerber la différence entre la température à la surface des océans et celle sur les terres au printemps. Cela va conduire à un renforcement des vents qui apportent la mousson. Par ailleurs, nous savons aussi que l’air plus chaud garde mieux l’eau, et donc que les précipitations seront plus intenses lors de ces épisodes tropicaux saisonniers. C’est un phénomène déjà remarquable dans les relevés historiques[4].

Le Jet Stream est un courant de vents violents qui circulent à haute altitude autour du pôle nord, il est responsable dans nos latitudes d’événements météorologiques extrêmes. Le réchauffement climatique renforcera fortement cette tendance vers 2050, avec à la clé des vagues de chaleur et des inondations à répétition comme nous en avons connus ces dernières années[5].

La circulation de Hadley est une bande atmosphérique formée de cellules ressemblant à des « tapis roulants » de 15 km de haut et presque 3 000 km de large ; elle assure les échanges de chaleur de l’équateur vers les tropiques en altitude. Au niveau équatorial, l’air chaud et humide monte, il se refroidit en altitude, ce qui donne de fortes pluies, la colonne d’air devenu sec se sépare en deux masses poussées de part et d’autre de l’équateur, avant de plonger vers le sol apportant de l’air chaud et sec produisant le climat spécifique des régions subtropicales. C’est à leur latitude que se trouvent les plus grands déserts de la planète (comme le Sahara ou l’Atacama). Avec le réchauffement climatique, les cellules de Hadley se sont élargies, transformant de nouvelles zones en climat subtropicale sec et à tendance désertique. La circulation de Hadley provoque une expansion de la zone subtropicale et donc une augmentation des sécheresses, et cela va beaucoup plus vite que prévu[6]. Ce phénomène n’est pas étranger aux gigantesques incendies, et nous n’en sommes qu’à + 1°.

El Niño est l’une des principales perturbations climatiques mondiales qui se produit tous les deux à sept ans. Ses conséquences sont importantes : sécheresses et inondations sur de vastes zones, cyclones dévastateurs dans la zone du Pacifique, températures mondiales anormalement élevées les années d’El Niño. Selon les études menées en 2018, les phénomènes extrêmes liés à El Niño vont augmenter et intensifier les risques existants : ils devraient se produire deux fois plus souvent, tout comme les phénomènes extrêmes liés au dipôle de l’océan indien[7] qui est une des causes majeures des incendies australiens récents.

Sécheresses en Australie orientale, Indonésie, Inde, Afrique australe, Brésil ; inondations sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, en Afrique de l’Est équatoriale, dans le sud des États-Unis ; blanchiment des récifs coralliens ; cyclones dévastateurs en Pacifique central : à l’échelle du globe, la température moyenne a tendance à être anormalement élevée pendant les années concernées par ces épisodes.

Après le typhon Yolanda aux Philippines en 2013. © AIM.

Conclusion

Les écosystèmes mentionnés ici sont déjà, pour la moitié d’entre eux, dans une logique de basculement. Plutôt que de se lamenter sur un état de fait, ne convient-il pas d’interroger la pertinence des valeurs de notre civilisation indutrielle, désormais globale ? Ces valeurs induisent un rapport au monde qui est faussé puisqu’il menace la vie même. Il nous faut atterrir, comme le dit le philosophe Bruno Latour, afin de quitter le surplomb où l’on s’est installé et habiter autrement notre planète.

Que peut-on faire ? c’est la question qui s’impose très vite. Avant de parler solutions, la première chose c’est de comprendre et ressentir l’urgence en étant clairement informé ; non pas uniquement conscient qu’il y a un problème, cela ne suffit pas. On prend conscience de l’urgence uniquement quand on sait objectivement pourquoi c’est urgent, qu’on mesure mieux le risque. Donc, un premier élément d’éthique personnelle : se confronter à la réalité de l’enjeu avec des informations fiables, en affronter la démesure et la peur.

Deuxième élément : ne pas se voiler la face sur les gestes personnels, ils n’ont que peu d’impact sur la réduction des émissions, au maximum 10 % si une très grande majorité fait beaucoup d’efforts. Ce sera donc 5 % au mieux. Mais les faire quand même, en sachant leurs limites, comme moins consommer ou moins voyager en avion. Cela compte surtout pour conformer son vécu avec le sentiment éclairé de l’urgence, et participe d’une forme de témoignage.

Troisième élément d’éthique personnelle : monter en clairvoyance politique car il y a des pouvoirs et des systèmes destructeurs, il y a des responsables politiques défaillants malgré leur « verdissement » affiché ; les reconnaître, voire les dénoncer, a un effet non négligeable. N’oublions pas que les décisions de réorientations qui comptent pour aller vers une économie évoluant vers zéro émissions (transports, énergie, agro-écologie, urbanisme, alimentation, etc.) sont les décisions prises au niveau des États et des groupes d’États.

Enfin, et toujours au niveau de l’éthique personnelle : mobiliser l’esprit et la pensée pour un futur commun désirable. Nourrir le désir d’un monde vivant autrement. Considérer aussi la faculté d’émergences, ou de surgissements, dont peuvent être capables les milieux vivants, notamment humains.

Et n’oublions jamais : « La forêt précède les peuples, le désert les suit »[8].


[1] M. Bernard Lucet est consultant de carrière auprès de cadres professionnels.

L’anthropocène, littéralement : « l’âge de l’Homme », est un terme utilisé par les scientifiques pour signifier que les activités de l’Homme ont maintenant la puissance de modifier la terre et son évolution. [Note de l’Éditeur]

[2] G. GIRAUD, Préface de : A. Pottier, Comment les économistes réchauffent la planète, (Anthropocène), Paris 2016.

[3] Cf. http://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2019-10/

[4] Cf. J. SCHEWE et al., “Multi-model assessment of water scarcity under climate change”, Proceedings of the National Academy of Sciences, 111, 2014.

[5] Cf. M. MANN, « Le Jet Stream, un amplificateur météorologique », Pour la Science 503, 2019.

[6] Cf. https://app.getpocket.com/read/2826932240

[7] Le dipôle de l’océan Indien (DOI), aussi connu sous le nom d’El Niño indien, est une oscillation irrégulière des températures de surface de la mer, la partie occidentale de l’océan devenant tour à tour plus chaude et plus froide que sa partie orientale. La mousson en Inde est ainsi généralement affectée par la différence de température entre le golfe du Bengale à l’est et la mer d’Oman à l’ouest. [Note de l’Éditeur]

[8] Cette phrase a longtemps été attribuée à François-René de Chateaubriand sans que l’on puisse la situer dans son œuvre ; cf. J.-M. LE BOT, « Contribution à l’histoire d’un lieu commun : l’attribution à Chateaubriand de la phrase : Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent » (halshs-00662692).

France : les monastères écologistes

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Témoignages

Sœur Nathanaëlle Lefoulon, osb

Monastère de Martigné-Briand (France)

 

France :

Les monastères écologistes

 


En février 2017, une invitation peu ordinaire et improvisée était lancée par l’abbaye de Maylis auprès d’une quinzaine de monastères. Pour être plus précise, l’invitation a été lancée auprès d’un monastère qui en a invité un autre, qui en a invité un autre… et ainsi de suite. Olivétains, bénédictins, cisterciens, moniales orthodoxes, tous, nous nous sommes retrouvés à la ferme permaculturelle du Bec-Hellouin pour une session de trois jours autour de l’écologie intégrale. De nombreux laïcs, désireux d’aider les monastères dans ce mouvement, nous rejoignaient. Nous étions une cinquantaine !

Ce fut l’occasion de rencontres et d’échanges riches et savoureux autour d’Elena Lasida, professeur d’économie, de frère Dominique Lang, assomptionniste, d’Hervé Covez, franciscain et agronome, et bien sûr de Charles et Perrine Hervé-Gruyer, les propriétaires de la ferme. Le sujet de nos discussions : la manière de vivre et de déployer les questions écologiques dans nos vies, nos communautés, nos activités, à partir de l’exemple de Charles et Perrine et de l’encyclique Laudato si’.

Nous sommes repartis des étoiles plein les yeux et plein d’enthousiasme, avec une question : Comment nos communautés pouvaient-elles être, à leur manière, des « laboratoires d’écologie intégrale » ? Nos monastères, exemples même d’une vie où tout est relié et unifié, ne pouvaient-ils pas être des « archétypes de “maisons communes” qui montrent au monde ce qu’il pourrait vivre en grand » ? La difficulté était de savoir comment donner suite à ce bel enthousiasme et à cette intuition…

C’est alors que Simon, étudiant d’Elena Lasida en économie solidaire et sociale, désireux de faire sa thèse sur la manière dont les monastères recevaient l’encyclique du pape François et vivaient cette dimension d’écologie intégrale, a proposé de rendre visite à seize monastères ou communautés nouvelles, de toutes confessions.

C’est ainsi que d’avril à juillet 2018, Simon, toujours accompagné d’un frère ou d’une sœur de la communauté visitée, repartait ensuite avec ce frère ou cette sœur dans la communauté suivante. Au cours de ces « visitations », créativité et enthousiasme, gratuité, communion et gouvernance – ces grands thèmes de Laudato si’ – étaient étudiés dans les quatre relations constitutives de la personne humaine telles que définies par l’encyclique : relation à soi, relations aux autres, relation à la nature et relation à Dieu.

Tout ce travail a donné lieu à une très belle rencontre autour de Simon et d’Elena Lasida au carmel de la paix, à Mazille, du 21 au 25 janvier 2019. Le frère ou la sœur qui avait accompagné Simon et le supérieur de chaque communauté visitée étaient présents.

Au cours de ces journées de travail, ont été mis en évidence trois équilibres en lien avec les vœux monastiques :

– Singulier/collectif : vœu d’obéissance.

– Gratuit/utile : vœu de conversion des mœurs.

– Intérieur/extérieur : vœu de stabilité.

C’est à partir de là que le groupe de Mazille a pris le nom de « Communion Laudato si’ », et qu’est née l’idée d’un écodiagnostic dédié aux monastères.

Grâce à Elena Lasida, deux sœurs et un frère de communautés Laudato si’ (l’abbaye de Landevennec, la communauté du Chemin neuf et le monastère de Martigné-Briand) rencontrent deux sœurs dominicaines de Chalais et d’Estavayer déjà investies sur un projet similaire. L’aventure avec l’association « Église verte » commençait !

Près de deux années de travail ont été nécessaires pour réaliser cet écodiagnostic, et du 31 mai au 31 juillet 2021, la « Communion Laudato si’ » et de nouvelles communautés acceptaient de le tester avant sa mise en ligne définitive sur le site de « Église verte ».

Aujourd’hui l’équipe de travail, qui a intégré une sœur diaconesse de Reuilly, se retrouve régulièrement via Zoom pour corriger, modifier, intégrer les remarques qui ont été récoltées lors de la phase test. Nous espérons une mise en ligne définitive sur le site de « Église verte » vers le mois d’avril prochain.

Célébrer la création de Dieu en plantant des arbres

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Témoignages

Sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing

Extrait de la newsletter de mai-juillet 2021 du prieuré de Manille (Philippines)

 

Célébrer la création de Dieu

en plantant des arbres




Le 22e Chapitre du prieuré de Manille, qui s’est tenu en avril 2019, a approuvé la décision suivante concernant toutes les communautés : « Que chaque communauté plante et entretienne au moins 100 arbres dans les deux ans à venir comme manifestation de notre manière bénédictine de gérer la Maison commune ». Cela fait suite à la recommandation du message du 13e Chapitre général : « La congrégation s’engage à avoir planté au moins 1 300 arbres dans les six prochaines années, en signe d’engagement pour le soin de la création de Dieu », en réponse à l’encyclique du pape François sur l’environnement et l’écologie humaine.

Le mois de juin étant celui de l’environnement et correspondant à l’arrivée de la saison des pluies, il est plus que favorable pour planter des arbres afin de restaurer et soigner notre planète. De plus, un environnement vert est essentiel à notre survie contre le coronavirus. Nos différentes communautés ont rapporté leurs activités de plantation d’arbres depuis 2019.


Communauté de la maison du prieuré

Pour célébrer le jour de l’indépendance des Philippines le 12 juin 2021, et en signe de notre engagement à prendre soin de la création de Dieu, la communauté des sœurs de la maison du prieuré s’est rendue à la ferme de Tanauan pour planter des arbres. Respirer de l’air frais, se détendre au soleil et être au milieu de la verdure et des grands espaces ouverts de la ferme s’est avéré être le meilleur moment pour soigner les corps et les esprits fatigués, afin de mieux faire face à un investissement sur le long terme contre la pandémie qui fait rage.


Communauté de Marihatag

De 2019 à 2020, la communauté de Marihatag a planté et entretenu plus d’une centaine d’arbres fruitiers variés : avocatier, guyabano (graviola), marang, calamansi, kamias, dayap greffé, rambotan, durian, cacaoyer, langka (jacquier), différentes sortes de drageons de banane (lakatan, kwarenta dias, latundan, sab-a, carnaba), des noix de coco naines et indigènes, et bien d’autres espèces qui ont été plantées à la ferme San Benito de Mabog, à la ferme Cabahian et dans le jardin de notre couvent. De plus, en avril 2021, sœur Odilia Bulayungan et sœur Joyanne Morales ont planté cinquante propagules et semis de bitaog.


Collège St. Scholastica et communauté de Manille

De 2018 à 2021, le St. Scholastica’s College mène une activité annuelle de plantation d’arbres dans les fermes de Tanauan et de Tanay avec des représentants des différents secteurs de la communauté scolaire. Chaque plantation d’arbres commence par un service liturgique.

Au cours des quatre dernières années, la communauté scolaire a pu planter une variété d’arbres fruitiers et feuillus. Pour n’en nommer que quelques-uns : 30 marangs (chênes Johey), lanzones (longkongs), 30 cacaotiers, 10 langkas (jacquiers), avocatiers, noix de coco naine et fruits du dragon. Des semis ont également été plantés par la communauté des sœurs dans l’enceinte du campus de l’école.

Bénédiction des plants au collège St. Scolastica (Manille).

Communauté de Ormoc

Sœur Adela Arabia et sœur Leticia Saraza ont planté des arbres fruitiers à la maison Sainte-Scholastique, à Dayhagan. Cette maison est un projet de logement pour les employés du St. Peter’s College (Ormoc).


Communauté de Pambujan

De 2019 à aujourd’hui, les sœurs ont planté 392 arbres. Aujourd’hui, 211 poussent vigoureusement sur le terrain de l’hôpital St. Scholastica.


Communauté de la maison de formation

La communauté a commencé à planter des arbres en juin 2020 avec des avocatiers et des araucarias. À ce jour les terrains sont remplis de la verdure d’arbres fruitiers : manguier, fruit du dragon, mabolo (pomme de velours), santol (fruit de coton), attier (pomme cannelle ou sweetsop), cocotier, etc. Notre pépinière a de nouveaux plants, prêts pour la prochaine saison de plantation.


Communauté de Mati

Sterculia foetida est un arbre à bois mou qui peut atteindre 35 mètres de hauteur. Aux Philippines, cette espèce est bien connue sous le nom de Calumpang. Les branches sont utilisées pour les poteaux de clôture tandis que les feuilles sont données pour nourrir les chèvres. Soixante-quinze de ces arbres ont été plantés du 25 au 30 novembre 2020 à San Isidro Mission Farm (Davao oriental). Quarante autres arbres ont été plantés à l’Institut EnFIDe de St. Scholastica, (Mati City).


Communauté de Baguio

La communauté de Baguio a planté cinquante pins de Baguio à l’intérieur de l’enceinte du couvent le 17 mars 2021.


Le collège St. Scolastica et la communauté de Tacloban

Les sœurs se sont jointes aux étudiants, aux professeurs et au personnel pour des activités de plantation d’arbres à l’intérieur et autour du campus de l’école.

Groupe de l'école de Tacloban.

Communauté du Divine Word Hospital

La communauté des sœurs, le personnel hospitalier et le personnel médical plantent des arbres fruitiers à l’Institut des agriculteurs de Saint-Benoît pour l’agriculture durable (SBFISA), à Alang-Alang, depuis novembre 2018. Les sœurs ont également mené cette activité au cours de leur sortie de communauté à l’hôpital Sainte-Scholastique de Pambujan. Tous se sont engagés à continuer à planter plus d’arbres cette année et les années à venir.


Communauté Tabunok

En 2019, 400 plants de palétuviers et 200 cocotiers ont été plantés par des élèves respectivement de 11e et 12e année, sous la direction des enseignants. Les sœurs avec le personnel de l’école ont planté huit arbres Araucaria pour le 113e anniversaire de la fondation du prieuré de Manille, le 14 septembre 2019. Au jardin de la paix de l’école (school’s Peace Garden), des arbres ornementaux et fruitiers ont été plantés par les sœurs, les élèves et le personnel de l’école. En plus de la plantation d’arbres, la communauté a partagé des semis de feuillus et d’arbres fruitiers de la « mini forêt » de l’école avec la ferme écologique de Cebu.

Le groupe de Tabunok.

Communauté d’Angeles

Le 19 juillet 2020, le programme « Justice et Paix pour l’intégrité de la création » (HFA-CBS JPIC) de la communauté des sœurs a été lancé. Une pépinière d’acajous et de kamansis (arbres à pain) a été créée pour préparer le semis à planter un an plus tard. Le 30 juillet 2021, les sœurs et d’autres membres de la communauté scolaire, ainsi que d’autres partenaires de la mission, ont planté les arbres. La pépinière avait un nombre débordant de plants d’acajous ; certains d’entre eux ont été partagés avec la Fondation de l’école dominicaine d’Angeles et avec notre Institut technique pour femmes, Mary our Help, à Mabalacat.


Communauté de San Fernando

En 2019, l’académie St. Scholastica de San Fernando a planté des bambous. Les sœurs, les étudiants et le personnel d’entretien ont planté quatre-vingt-sept pousses de bambou qui ont été données par l’association des anciens élèves de SSC Manila.


Les sœurs de San Fernando en train de planter de jeunes arbres.

Les monastères pour une économie alternative et durable

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Économie et vie monastique

M. Benoît-Joseph Pons

 

Les monastères pour une économie

alternative et durable[1]

 

 

 

Principes de l’économie monastique

Comment un groupe d’hommes ou de femmes qui pratiquent un mode de vie basé sur des principes économiques opposés à ceux du modèle courant peuvent-ils inspirer des solutions aux problèmes que rencontre le monde d’aujourd’hui ? C’est l’objet de la présentation qui suit.

La vie monastique repose sur quatre piliers qui sont la prière, le travail, la lectio divina et la vie communautaire. La lectio est la lecture d’un texte à caractère spirituel prolongée par une réflexion personnelle, une méditation et éventuellement une prière inspirée par ce texte. Les moines y consacrent généralement entre une et deux heures par jour. L’économie monastique s’articule autour de ces quatre piliers et elle repose sur deux principes essentiels : la désappropriation et l’économie des besoins.

 

La désappropriation

Dans la règle de saint Benoît, la désappropriation est fondée sur l’objectif de « ne rien préférer à l’amour du Christ ». Elle s’exprime de façon pratique par les deux préceptes suivants :

« Avant tout, il faut retrancher du monastère jusqu’à la racine le vice de la propriété »[2],

et

« Que tout soit commun à tous, ainsi qu’il est écrit. Que personne ne dise que quelque chose lui appartient, ni n’ait la témérité de se l’approprier » (RB 33, 6).

La Règle dit aussi :

« Que personne n’ait donc la témérité de rien donner ou recevoir sans l’autorisation de l’abbé ; ni de rien posséder en propre, quoi que ce puisse être, puisqu’il n’est même plus licite au moine d’avoir à leur disposition ni leur corps ni leur volonté » (RB 33, 2-4).

Autrement dit, le moine ne doit rien posséder en propre, ni bien matériel, ni bien immatériel. Ne pas disposer du corps conduit à la chasteté, ne pas disposer de la volonté conduit à l’obéissance. Dans la pratique, ne pas posséder les biens qui sont mis à sa disposition oblige le moine à en prendre le plus grand soin. La Règle demande au cellérier de « regarder tous les objets et tous les biens du monastère comme les vases sacrés de l’autel » (RB 31, 10). Elle dit aussi :

« Si quelqu’un traite les objets du monastère avec malpropreté ou négligence, il sera réprimandé » (RB 32, 4).

La désappropriation monastique génère la nécessité de la solidarité et de la non-compétition professionnelle. Une charge est un service dont personne n’est propriétaire. Elle est donnée par l’abbé, en fonction des aptitudes de la personne et des besoins du monastère. Elle ne donne lieu à aucun avantage personnel.

Beaucoup de monastères pratiquent la « collation des charges ». Tous les trois ans, ou quand cela s’avère nécessaire, chaque moine remet sa charge à l’abbé qui décide soit de le reconduire dans cette même charge, soit de lui en donner une autre. Il ne s’agit pas d’une décision arbitraire ; elle est mûrie avec le Conseil – les moines qui aident l’abbé dans ses choix – et en concertation avec les personnes concernées. Mais chaque moine sait qu’il peut, à un moment donné de sa vie, occuper un poste important, puis se voir attribuer une fonction beaucoup plus modeste. Au monastère, on ne fait pas carrière.

L’idée de ne pas mettre la compétition au centre des relations interpersonnelles est largement développée dans l’encyclique du pape François, Fratelli tutti, idée inspirée par saint François :

« François a reçu la vraie paix intérieure, s’est libéré de tout désir de suprématie sur les autres, s’est fait l’un des derniers et a cherché à vivre en harmonie avec le monde » (FT 4).

 

L’économie des besoins

L’économie des besoins est définie au chapitre 34 de la Règle, intitulé : « Si tous doivent recevoir également le nécessaire ». Elle s’appuie sur l’idée d’un retour au temps idyllique des premiers chrétiens décrit dans les Actes des Apôtres : « On partageait à chacun selon ses besoins » (Ac 4, 35 ; RB 34, 1).

Il ne s’agit pas de considérer toutes les personnes comme des numéros identiques. Au contraire, chacun est différent et a des besoins particuliers. La Règle dit :

« Celui qui aura besoin de moins, rendra grâces à Dieu et ne s’attristera point ; celui à qui il faut davantage, s’humiliera et ne s’élèvera point à cause de la miséricorde qu’on lui fait. Alors tous les membres seront en paix » (RB 34, 3-5).

L’économie des besoins monastiques comprend deux volets : chacun reçoit selon ses besoins, et chacun contribue selon ses moyens. Ainsi, on ne donne pas la même chose à chaque membre de la communauté. On lui donne ce dont il a besoin, en fonction de sa situation propre. Dans l’organisation du travail des moines : celui qui est jeune et doué donne tout ce qu’il a ; celui qui est âgé et moins doué contribue  au niveau de ses moyens.

Dans les magasins ou les ateliers monastiques, le travail du moine donne lieu à une rémunération de la communauté. Mais cette rémunération n’est pas liée à la valeur du travail effectué. Elle est calculée sur les besoins d’une personne qui travaille, de façon identique, que le travail soit basique ou ultra-qualifié.

 

L’économie monastique comme économie alternative et durable

Ces deux principes de fonctionnement font du monastère une société particulière. Ce n’est pas un conservatoire des mœurs d’un autre âge, parce que c’est un lieu où l’on vit au présent. Ce n’est pas un laboratoire parce qu’on n’y fait pas d’expérimentation sociale. C’est le lieu d’une économie alternative, parce qu’on y pose au monde des questions sur ses pratiques en essayant d’inspirer des solutions aux problèmes nouveaux qui se présentent. Je me limiterai ici à l’examen de la question du travail.

Monastère d'Imari, Japon. © AIM.

            Le travail

Dans le monde, le travail sert à produire des biens et à servir une rémunération qui permet de se procurer d’autres biens. C’est la base du fonctionnement de l’économie libérale. Cet échange de biens est une occasion de communication entre les personnes. Le travail contribue à établir une hiérarchie sociale et c’est un élément de reconnaissance, de la part des autres et de soi-même.

Karl Marx définit trois formes d’aliénation au travail : quand la rémunération ne représente qu’une faible partie de la valeur des biens produits, quand le travail ne vise qu’à obtenir un salaire, quand le travailleur ne peut pas mener une activité physique et intellectuelle qui soit libre.

Au monastère, la désappropriation engendre une dissociation complète entre travail et rémunération. Avec ce mode de fonctionnement, les trois formes d’aliénation au travail disparaissent : puisque le moine ne touche pas de rémunération, il ne la compare pas à la valeur de ce qu’il a produit ; le travail qu’il effectue ne vise pas, en premier lieu à obtenir un salaire ; enfin, le travail monastique est très généralement de type artisanal, ce qui laisse au travailleur plus de liberté d’action qu’un travail à la chaîne.

On peut donner au travail trois finalités : travailler pour gagner sa vie, travailler pour être reconnu par les autres et par soi-même et, si on est chrétien, travailler pour participer à l’œuvre créatrice de Dieu.

 

            Travailler pour gagner sa vie

John Galbraith souligne un paradoxe :

« Le mot “travail” s’applique simultanément à ceux pour lesquels il est épuisant, fastidieux, désagréable et à ceux qui y prennent manifestement plaisir et n’y voient aucune contrainte. "Travail" désigne à la fois l’obligation imposée aux uns et la source de prestige et de forte rémunération que désirent ardemment les autres et dont ils jouissent »[3].

Dans l’économie libérale, les rémunérations sont définies par les deux seules forces reconnues, le Marché et le Droit. C’est le Marché qui définit globalement les valeurs ; le Droit les encadre de façon à limiter les abus : SMIC, rémunération des stagiaires, limitation du temps de travail, interdiction du travail des enfants, etc. Le Droit est relativement efficace dans la réglementation des bas salaires. Il est totalement inefficace dans le contrôle des hauts revenus.

Les moines d’aujourd’hui ne veulent pas vivre de la charité publique ; ils sont donc conscients de la nécessité de travailler pour faire vivre leur communauté. Mais comme le travail ne procure aucun avantage personnel, rémunération ou considération, la nature du travail effectué perd de son importance : gérer l’économat ou balayer le cloître ne sont pas fondamentalement différents. Ce sont juste des services correspondant aux capacités du titulaire et au besoin de la communauté. Par conséquent, il n’y a pas de compétition pour les postes.

 

            Travailler pour être reconnu

À côté du salaire, la reconnaissance est une motivation importante. Mais le montant du salaire est lui-même, dans la pratique, un élément de cette reconnaissance. La recherche de reconnaissance au travail se traduit souvent par la recherche de pouvoir, soit pour l’image que l’on donne de soi, soit pour les avantages matériels qu’on en retire. Dans le monde, le pouvoir se mesure au nombre de personnes qu’on a sous ses ordres, au chiffre d’affaires qu’on génère, etc. L’image que l’on donne à son entourage familial et amical est très importante et peut influencer grandement le comportement. Chacun retire également une reconnaissance personnelle dans le sentiment d’être utile à son entreprise, à sa famille, à sa communauté.

Contrairement au salaire, le travail comme moyen d’accomplissement personnel est important pour les moines. Celui qui fait un travail utile à la communauté apprécie la reconnaissance de cette dernière, mais s’il ne l’obtient pas, c’est pour lui une ascèse.

Installation électrique (Togo).

            Travailler pour participer à l’œuvre créatrice de Dieu

Dans une conception chrétienne, l’Homme a été créé à l’image de Dieu.

« Dieu dit “Faisons l’Homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages, et toutes les bestioles qui rampent sur la terre” » (Gn 1, 26).

Le fait que l’Homme ait été créé à l’image de Dieu lui donne une dignité particulière. Cette dignité ne repose pas sur ses possessions, ses succès, son apparence. L’autorité qui lui est attribuée est à l’image de celle de Dieu, une autorité d’amour. La théologie de la création continuée s’oppose à l’idée que la création n’est que la construction d’une immense machine qui fonctionnerait par elle-même. Dieu continue à intervenir dans le monde, et l’Homme, créé à son image, est appelé à contribuer à cette intervention.

L’Homme, créé à l’image de Dieu, participe, par son travail, à l’œuvre du Créateur, et continue, à la mesure de ses possibilités, de la développer et de la compléter, en progressant dans la découverte des ressources et des valeurs incluses dans l’ensemble du monde créé.

Ainsi, le travail, en particulier dans sa conception monastique, n’est pas simplement utilitaire et individualiste : gagner sa vie et obtenir de la reconnaissance. C’est réaliser une œuvre, au sens qu’en donne Hannah Arendt. C’est une vision communautaire, parce que ce qui compte est ce qu’on apporte au monde.

Au 19e siècle, s’est développée l’expression de « travail de bénédictin » qui signifie un travail de longue haleine, nécessitant beaucoup de patience. C’est le souci du travail bien fait, qui rejoint l’obligation de prendre soin de tous les biens du monastère. La conception bénédictine du travail suppose de se consacrer à ce qui est utile. Éviter de s’occuper avec zèle et piété à des « riens ». Dom Bertrand Rolin explique, à propos du chapitre 48 de la Règle, intitulé « Le travail manuel de chaque jour » :

« Ce qui importe dans ce chapitre, c’est qu’il s’agisse de travail “vrai”. Et le travail “vrai” est celui qui est “à faire”, dit la Règle, c’est-à-dire celui qui est utile à la vie de la communauté et à son action, quelle que soit sa valorisation si on en juge selon les critères de la société. »[4]

Combien de fois, faisons-nous des choses parfaitement inutiles mais qui nous feront bien voir parce qu’elles démontrent nos talents ?

 

            Travail et rémunération

Dans l’économie monastique, il y a déconnexion complète entre travail et rémunération, ce qui n’est pas le cas dans le monde. Au monastère, l’abbé doit trouver une personne pour chaque fonction et donner une fonction à chaque personne. Par principe, il n’y a pas de chômage. Cela a deux conséquences. La première est que l’existence d’une fonction ne dépend pas de l’équilibre entre ce qu’elle coûte et ce qu’elle rapporte. Même si cultiver un jardin potager coûte plus cher qu’acheter ses légumes au supermarché, le fait que cela donne du travail à quelqu’un mérite d’être pris en considération. La seconde se rapporte à la question du chômage et de son indemnisation. Donne-t-on la priorité à la réduction du chômage ou à son indemnisation ? La politique traditionnelle peut laisser penser qu’on se défausse un peu de la lutte contre le chômage par une bonne indemnisation des chômeurs. Les actions contre le chômage semblent souvent surtout pilotées par la nécessité de baisser le coût de l’indemnisation. Or, nous l’avons vu, le travail est certes une source de revenus, mais pas uniquement. Indemniser les chômeurs est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant : il faut leur donner du travail. C’est une question de dignité comme l’exprime le pape François dans Fratelli tutti.

Atelier de confiture au monastère de Quilvo (Chili). © AIM.

Conclusion sur le travail

La conception monastique du travail ne s’applique pas uniquement aux moines. Elle inspire les oblats, ces laïcs qui, en liaison avec une communauté cherchent à vivre la Règle dans le monde. Elle repose sur un enseignement issu de la tradition, mais aussi sur une adaptation au monde d’aujourd’hui. Les moines n’hésitent pas à utiliser des machines ultra-modernes dans leurs ateliers. Elle prétend inspirer au monde une voie de progrès, inspirer chacun, chrétien ou non chrétien, sur différents aspects.

Je retiendrai ici l’idée que le travail ne doit pas être uniquement une source de revenus. Le travail doit être un élément de développement personnel. Et ce développement personnel passe par le fait d’être utile à la communauté. Pour un travailleur en bas de l’échelle, il faut qu’il puisse être fier de ce qu’il fait. Pour quelqu’un qui a des responsabilités hiérarchiques, il faut qu’il organise le travail de ses collaborateurs pour qu’ils puissent s’épanouir dans ce qu’ils font. Pour les politiques et les administrations, il ne faut pas se contenter d’indemniser le chômage, il faut le réduire.

D’un autre côté, il faut que le travail donne à la personne de quoi vivre dignement. Les mouvements du Commerce équitable ou des AMAP[5] militent en ce sens.

Le travail ne doit pas être un lieu de compétition, mais un lieu de coopération.

Enfin, travailler plus, pour gagner plus, pour consommer plus n’est pas une approche responsable, à partir du moment où l’on se procure le nécessaire. Cela conduit à se poser la question de la place de la croissance dans nos analyses économiques. Cela pose aussi la question de la publicité. Un aspect moderne de la clôture monastique consiste à se préserver des incitations à consommer, en particulier en limitant l’accès à internet. La publicité n’est pas mauvaise en soi, mais l’usage qu’on en fait doit être maîtrisé.

 

La réception de l’encyclique Laudato si’  dans les monastères

La publication par le pape François de l’encyclique Laudato si’ a provoqué une vague d’enthousiasme dans les milieux écologistes, même non chrétiens. Ils y ont trouvé une confirmation de leur discours, en passant volontairement sur les points qui les dérangeaient, comme la défense de la vie. Paradoxalement, dans les milieux monastiques, l’encyclique a mis du temps à s’imposer alors que les documents du magistère y sont généralement accueillis très favorablement. Pour essayer de comprendre ce paradoxe, j’émets une hypothèse : alors que les militants écologistes ont vu dans l’encyclique une véritable révolution dans la doctrine sociale de l’Église, les moines n’y ont vu, au départ, qu’une expression nouvelle de ce qu’ils vivent quotidiennement depuis les origines.

La vie monastique est une vie de prière, essentiellement communautaire, qui s’appuie sur le chant des psaumes. Le psautier contient 150 psaumes ; les moines le chantent, normalement, en entier, chaque semaine. Plusieurs auteurs ont travaillé sur l’écologie dans les psaumes. Certains parlent de psaumes écologiques, d’autres de psaumes de la nature ou de psaumes de la création. 51 psaumes se retrouvent dans une, au moins, de ces trois catégories ; autrement dit, une part importante du psautier est écologique. Donc, un moine, sauf à chanter sans se soucier de ce qu’il chante, est forcément un écologiste, peut-être sans le savoir ou le reconnaître.

Après un certain temps de maturation, beaucoup de monastères ont adopté Laudato si’, quand ils ont constaté qu’il s’agissait d’une formulation brillante de ce qu’ils essaient de vivre et que cela les aidait à progresser.

Serre des bénédictins de Thien Binh (Vietnam). © AIM.

La principale contribution de l’économie monastique à la question écologique est la « sobriété heureuse ». Il s’agit d’une expression développée par Pierre Rabhi[6], mais qui, d’une certaine façon est constitutive de la spiritualité monastique depuis ses origines. Pour Pierre Rabhi, les ressources de la planète sont limitées. Les ressources fossiles ne sont pas renouvelables et la capacité d’absorption de la pollution par la biosphère est limitée.

La notion de limite est constitutive de la foi chrétienne : déjà dans la genèse Dieu dit : « Tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2, 17). Cette notion de limite s’oppose à l’idée que la techno-science donnera à l’Homme un pouvoir illimité sur son environnement. Dans Laudato si’ le pape François affirme que le développement technologique est bon, mais à condition seulement qu’il soit « accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience ».

Pierre Rabhi affirme que la croissance économique est irréaliste et absurde : c’est un modèle porteur de mort. Il faut donc instaurer une politique de civilisation fondée sur la sobriété. Il faut satisfaire nos besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Laudato si’, dit la même chose en parlant de la nécessité de conversion des cœurs. Dit en langage chrétien, la sobriété heureuse de Pierre Rabhi revient au respect de la création et au souci pour les générations à venir à qui nous nous devons de laisser un environnement vivable.

Mais la sobriété heureuse monastique diffère de la sobriété heureuse écologiste. Alors que les écologistes la fondent essentiellement sur la protection des ressources naturelles et de l’environnement, les moines la fondent aussi sur un aspect social : consommer du superflu revient à priver d’autres personnes du nécessaire. Dans une vision écologiste, il faut travailler moins pour moins détruire de ressources. C’est la décroissance. Dans une vision monastique, il s’agit moins de travailler pour produire plus que pour satisfaire ses propres besoins ou ceux de sa communauté, parce qu’il faut pouvoir partager avec ceux qui n’ont pas les moyens de produire tout ce dont ils ont besoin.


Conclusion

Dans cette présentation rapide de l’économie monastique comme économie alternative et durable, nous avons identifié quelques aspects qui peuvent inspirer le monde. La valeur du travail comme moyen de développement personnel, les méfaits potentiels de la compétition dans les relations économiques, la recherche de la consommation comme source de bonheur. Cela conduit à la valeur de l’idée de sobriété heureuse qui ne doit pas être considérée uniquement sous son aspect environnemental, mais aussi sous son aspect social. Dans le prolongement de cette proposition, il faudrait aborder la question des inégalités sociales. La vie monastique permet d’éviter le piège d’un déséquilibre insupportable. L’économie des besoins questionne fortement la mise en œuvre du principe d’égalité.

Le mot « pax » est la devise bénédictine. Saint Benoît le présente comme un bien qu’il nous faut avidement rechercher. C’est le mot qui résume le mieux l’harmonie, caractéristique de l’existence du moine. Dans le prologue de la Règle, saint Benoît demande de chercher la paix et de la poursuivre sans cesse ; cette recherche de la paix est associée à la recherche de Dieu, comme deux buts qui se fondent l’un dans l’autre. L’économie monastique, basée sur la désappropriation, et l’économie des besoins auxquelles se rajoutent la non-compétition et la sobriété heureuse, proposent les moyens d’obtenir cette paix. Et, c’est la paix qui rend l’organisation durable.


[1] Benoît-Joseph Pons est un ingénieur agronome français. Il a commencé sa carrière, dans l’industrie, comme chercheur en microbiologie alimentaire. Il a été ensuite chef d’entreprise dans la chimie pharmaceutique. Il est titulaire d’une licence de théologie et d’un doctorat en économie obtenus à la Faculté des sciences sociales et économiques de l’Institut Catholique de Paris. Il est actuellement chercheur à la chaire Jean Bastaire de l’Université Catholique de Lyon. Il a écrit un livre sur « L’économie monastique. Une économie alternative pour notre temps » (2018).

[2] Règle de saint Benoît (ci-après RB) 31, 1.

[3] John GALBRAITH, Les mensonges de l’économie – Vérité pour notre temps, Paris, Bernard Grasset, 2004, p. 34.

[4] Dom Bertrand ROLLIN, Vivre aujourd’hui la Règle de saint Benoît – Un commentaire de la Règle, Bégrolles en Mauge, Bellefontaine, coll. Vie monastique n° 16, 1983, p. 54.

[5] Les AMAP - Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne - sont destinées à favoriser l'agriculture paysanne et biologique qui a du mal à subsister face à l’agro-industrie. Le principe est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs, qui s’engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable et en payant par avance. [Note de l’Éditeur]

[6] Pierre Rabhi (1938-2021), agriculteur, essayiste, conférencier français d’origine algérienne, est considéré comme un des pionniers de l’agro-écologie qui vise à régénérer le milieu naturel en excluant pesticides et engrais chimiques. Ses nombreux ouvrages ont rencontré un grand succès. Il a cofondé le mouvement citoyen Colibris qui appelle aux actions locales, comme les jardins partagés, les fermes pédagogiques ou encore les circuits d’approvisionnements courts. Il est aussi controversé pour ses méthodes non scientifiques, pour ses accointances avec la philosophie ésotérique développée par Rudolf Steiner dans les années 20 (l’anthroposophie), pour ses relations avec des patrons de grands groupes industriels. [Note de l’Éditeur]

Le cellérier selon la règle de saint Benoît

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Économie et vie monastique

Père Médard Kimengwa Kitobo, osb

Monastère de Lubumbashi, Kiswishi (RDC)

 

Le cellérier selon la règle de saint Benoît :

Un père pour tout le monastère,

comme l’abbé et avec lui

 

Compte rendu de l’intervention du père Simon Madeko[1]

à la session de l'association MAC en juillet 2021

 

 

Pourquoi nous intéresser à l’esprit, à la motivation qui doit animer l’agir du cellérier dans une communauté monastique de tradition bénédictine ?

Nous appartenons à un monde qui a une conception de l’économie pas nécessairement en harmonie avec notre idéal monastique et chrétien en général. Le problème est qu’à la base nous sommes héritiers, à travers la culture grecque depuis Platon, d’une anthropologie (une vision de l’Homme, du composé humain) dualiste. Donc, négative. Il s’agit d’une conception de l’Homme qui dissocie le corps et l’esprit. Cette anthropologie dualiste détermine la conception courante de l’économie jusqu’à une simplification à outrance, au point de prendre la forme d’une caricature.

Cette conception opère une séparation sèche entre vie économique (temporelle) et vie spirituelle. De ce fait, couramment, le supérieur religieux, l’abbé/l’abbesse ou le prieur/la prieure, dans notre contexte bénédictin, est la personne qui a juste et exclusivement la charge du soin des âmes, soi-disant sans rapport avec la vie matérielle, la vie temporelle (tout ce qui concerne la production des biens, la provision des moyens pour y arriver, leur vente et leur répartition ainsi que leur gestion), qui serait, elle, la chasse-gardée de l’économe, du cellérier - de la cellérière.

Mais est-elle vraie, dans le contexte de la spiritualité bénédictine, cette conception qui fait que le supérieur religieux n’ait rien à voir avec la vie matérielle comme l’économe n’aurait rien à voir avec la vie spirituelle ? On trouverait alors normal que ce dernier sacrifie des heures de prière ou d’autres activités spirituelles pour accomplir sa tâche administrative et autre ? Cette conception est simpliste et faussée.

Rien n’est plus faux que cette caricature, particulièrement selon les données de la RB. En effet, dans la spiritualité bénédictine, il n’y a pas de séparation entre les deux domaines. Concrètement, dans la RB, l’abbé n’est pas seulement identifié à son rôle en matière spirituelle, mais à l’ensemble de ce qui touche la personne humaine, y compris dans sa vie matérielle. Il doit bien sûr s’occuper de la vie matérielle, sinon la vie spirituelle ne saurait s’épanouir. La vie monastique suppose une vie matérielle décente pour s’épanouir. Pour que l’abbé génère des fils qui puissent se conformer à la volonté de Dieu, leur Père, il doit veiller aux conditions matérielles nécessaires. Les anciens ne disaient-ils pas qu’il fallait un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu ?

S’agissant du cellérier, selon la RB, il lui incombe fondamentalement de s’occuper de la vie temporelle (économique) de tout le monastère (RB 31, 3). Mais saint Benoît ne s’arrête pas à cette formalisation de sa mission. Car il indique aussi l’esprit qui devrait caractériser son agir dans la gestion du temporel. Concrètement, saint Benoît dit au cellérier qu’il « devra agir en collaboration avec l’abbé et en se comportant comme un père pour tout le monastère » (RB 31, 2). C’est très important. Père comme l’abbé : sa mission est donc aussi bien spirituelle. Il participe ainsi à la charge de l’abbé dans l’exercice de sa mission. Comme aussi un père pour tout le monastère à l’instar de l’abbé, le cellérier participe dans l’exercice de son ministère à la génération des fils pour Dieu, qui est la première mission de l’abbé. Donc, le cellérier a aussi la mission de soigner les âmes des frères dans le monastère. Quand il n’a rien à donner, qu’il réponde avec une parole de bonté (RB 31, 7.13). Pas question de refuser pour refuser, mais pour laisser ses frères être engendrés à la vie dans l’Esprit.

Le cellérier doit agir comme l’abbé. Il doit tenir compte des personnes. Il doit travailler en étroite collaboration avec l’abbé. Dans l’exercice de sa charge, il ne devra rien faire sans l’ordre de l’abbé et appliquer uniquement ce que ce dernier aura commandé (RB 31, 4-5 ; 12. 15). Si le moine cellérier entre dans ce rapport avec l’abbé, son obéissance est pour que dans le monastère il règne la paix. Et il lui est dit que s’il n’y a pas d’harmonie, il lui en sera aussi demandé des comptes (RB 31, 9.16).

Le style de vie ou de spiritualité qu’implique la question économique dans le monastère devrait porter à avoir principalement le souci de la personne humaine et une vision sacrée des choses (il est demandé au cellérier de traiter les objets du monastère comme des vases sacrées de l’autel – RB 31, 10 – et de vendre ce qu’on produit sans cupidité – RB 57, 4-8).

En d’autres termes : ce qui importe dans l’activité économique du monastère, ce n’est pas le gain mais le bien de la personne humaine par rapport au projet de recherche de Dieu. Ceux qui ont affaire avec l’organisation de la vie matérielle du monastère ont à considérer le primat de la personne humaine, sans la sacrifier sur l’autel de l’efficience économique ou de l’économie pure. Chacun d’eux, pour toute disposition et action, devrait se poser la question : Est-ce que les mesures que je prends et les actions que j’entreprends par rapport à la gestion contribuent à l’épanouissement de la personne humaine, à la paix et à l’harmonie dans la communauté ?

Ayant créé l’Homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1, 26), Dieu le veut debout ! Car il trouve sa gloire dans l’Homme qui vit dans la dignité (cf. saint Irénée de Lyon). Tous les commentateurs de la RB sont unanimes pour reconnaître que ce qui fait son actualité permanente, c’est son adaptation à chaque personne humaine à l’intérieur du jeu communautaire. Que l’Homme soit debout est tout l’horizon de la RB, dans laquelle Benoît conçoit la vie monastique comme une entreprise de conversion, de retour à Dieu par le labeur, la voie de l’obéissance, après l’asservissement à la volonté propre (RB, Prol. 2-3, 8).

La nécessité de la spiritualité avec cet horizon de l’attention à l’Homme est perceptible dans un courant économique, « l’économie  sociale du marché ». Le souci de la personne humaine ou l’attention à l’Homme est par contre le cadet des soucis de ce qu’on appelle le libéralisme économique, qu’on appelle aussi « capitalisme sauvage ». Si dans l’économie sociale du marché il y a de l’intérêt pour la personne humaine, dans le capitalisme sauvage l’Homme ne compte pas : ce qui est important est uniquement l’intérêt, le gain. Et justement, congolais et participant à cette session à Goma, au Nord-Kivu, dans les environs du Sud-Kivu et de l’Ituri, nous pouvons avoir l’illustration de cette conception économique en considérant la guerre à « basse intensité » (de fait, elle ne finit pas) qui embrase ces territoires, avec des gens obligés de quitter leurs terres à cause de la menace des armes… « Qu’ils meurent… » : ce n’est pas l’affaire des multinationales, et des dirigeants qui sont leurs « nègres de service ». Que l’ambassadeur italien soit sacrifié, cela ne compte rien par rapport aux intérêts. Le monde peut s’émouvoir un instant, en voyant se soulever un petit coin du voile qui ensevelit les affres de cette guerre infâme, mais aussitôt après, c’est le silence imposé par le dieu Mammon, que servent les nouveaux maîtres du monde, ceux qui contrôlent la bourse mondiale.

Restauration de la chapelle des moines bénédictins de Koubri (Burkina Faso) en 2019.

Toute proportion gardée, Max Weber pourrait être retenu, dans une certaine mesure, comme un ancêtre de l’économie sociale du marché avec notamment son livre : L’éthique du protestantisme et l’esprit du capitalisme (1904-1905). Il y démontre comment les pays scandinaves, sous l’influence du protestantisme, ont connu un fonctionnement de l’économie mettant l’Homme au centre. L’éthique protestante, selon lui, a généré, dans ce contexte, un capitalisme à visage humain.

On comprend alors pourquoi l’économie sociale du marché a la faveur du Magistère de l’Église, à travers son enseignement social depuis Paul VI avec son encyclique Populorum progressio (1967). Mais Paul VI lui-même s’inscrivait dans une sensibilité ecclésiale sur la question, une sensibilité repérable déjà chez Léon XIII avec son encyclique Rerum novarum (mai 1891), et chez Jean XXIII, dans son encyclique Mater et Magistra (1961). Leurs successeurs n’ont pas manqué de marcher dans la même direction sur ladite question, comme on peut le constater chez Jean-Paul II (Laborem exercens, septembre 1981 ; Sollicitudo rei socialis, décembre 1987 ; Centesimus annus, mai 1991), Benoît XVI (Deus caritas est, 2005, 3e chapitre ; Exhortation apostolique Africae munus, novembre 2011) et François (Laudato si’, mai 2015 ; Exhortation apostolique Querida Amazonia, février 2020). Dans ses différentes prises de position à ces occasions, sur, entre autres, la question que nous considérons, le Magistère de l’Église veut inciter les chrétiens et les hommes de bonne volonté à tenir compte de l’Homme, de sa dignité, préconisant une économie faisant attention à l’Homme. Avec tout cela, nous réalisons que l’esprit qui doit animer le cellérier dans sa charge a un fondement magistériel solide.

Dans ce contexte quel esprit doit animer le cellérier ? Quel style de vie doit être le sien dans l’exercice de sa mission ?

En réponse à cette réalité et en lien avec notre idéal de vie, à la base de notre conception de l’économie il y a la foi en la divine Providence. Nous réalisons que parfois nos investissements économiques, en dépit de toutes les précautions, ne donnent pas un rendement suffisant. Donc, nous devons vivre, produire, pourvoir à notre subsistance, partager et en même temps être humbles en recourant à l’aide et en nous confiant à la Providence. Et nous devons participer à une prise de conscience des enjeux économiques de l’économie mondialisée capitaliste en exploitant notre pouvoir éducateur des masses.

En écho à toutes les préoccupations et inquiétudes exprimées par les participants face à la réalité du capitalisme sauvage, le père Simon nous éveille en proposant ce qui suit :

Face à cette agression de l’économie libérale, pourquoi ne pas mettre sur pied un réseau de vente des produits de nos monastères (MAC) dont les conditions de production sont respectueuses de l’Homme et de l’environnement ? Promouvoir l’initiative privée, entrer en synergie entre nous et avec d’autres. Mettre sur pied une coopérative ? Un circuit éthique ! Car, avec les populations qui nous environnent, nous sommes victimes de l’économie libérale. Les supermarchés nous étranglent ! Il y a la publicité qui nous conditionne. Voilà pourquoi il nous faut sélectionner l’information que nous avons à consommer.

Pour entrer dans le circuit proposé, il faut potentialiser ce qu’on a l’intention de mettre sur le marché. Qu’ils soient des produits de qualité et surtout éthiques, en mesure de séduire des clients qui s’orienteraient vers nous comme alternatives aux supermarchés.

Dans le même registre, pour promouvoir la solidarité à l’intérieur du fonctionnement de l’économie dans nos monastères, nous pouvons aussi penser au projet d’une mutuelle de santé pour nos monastères MAC comme expression de notre attention à l’Homme dans notre recherche d’une santé financière. Ce serait une bonne illustration de notre effort productif, mettant l’Homme au centre.

Bref, nous nous intéressons principalement à l’esprit qui doit animer ceux qui ont la responsabilité de la gestion directe de l’économie dans le monastère pensé par Benoît, l’économe et l’abbé en particulier. Il s’agît d’entrer dans l’esprit de l’économie selon les Pères des moines d’Occident. C’est la perspective d’une économie selon l’esprit de la RB. À son école, l’économie se fonde sur une spiritualité.

 

La vie monastique selon Benoît dans sa règle

Saint Benoît a conçu la vie monastique comme un chemin de conversion, de retour à Dieu. Il s’agit d’un chemin de retour à Dieu à travers le labeur de l’obéissance. Et ce, après la faillite des illusions de la volonté propre et du choix de l’autorégulation (cf. RB, Prol. 2-3.8). La destination de ce chemin de retour à Dieu (cf. RB, Prol. 1 et ss), c’est la vie éternelle, ou tout simplement la vie authentique, le royaume de Dieu, la vie de communion avec Dieu : la béatitude (cf. RB, Prol, 42, 5.3.10, 7.11 ; 72, 2.12).

Quand Benoît fait de la « vie éternelle » (RB, Prol. 15, 17, 20, 42), le « royaume des lumières », des « jours heureux » (RB, Prol. 21), le terminus du chemin de retour à Dieu qu’entreprend le moine, il ne pense pas aux « fins dernières » mais à une expérience déjà dans la vie présente, l’harmonie vécue avec ceux qui partagent la vie du moine dans le même monastère. Le lieu concret de l’expérience de cette béatitude et de cette paix, c’est le vécu des commandements de Dieu : la vie éclairée par la Parole de Dieu. En d’autre termes : saint Benoît demande à ses disciples de prendre ce chemin en se laissant guider par la Parole, en tant que principale source de l’agir, et lumière sur leurs pas au quotidien (cf. RB, Prol. 10-12, 21-22, 25, 29, 33-34, 40).

En conclusion, saint Benoît a voulu la vie monastique comme une « école pour apprendre à servir le Seigneur » (RB, Prol. 45), ou à être totalement donné au Seigneur.

Dans le vécu de l’idéal évangélique, outre son vœu de faire de la vie monastique une école de service du Seigneur, Benoît a aussi voulu la vie monastique comme atelier (cf. RB 4, 78) à l’intérieur duquel on s’exerce à l’art spirituel (cf. RB 4, 75).

Cet idéal monastique ainsi défini par Benoît, l’abbé en est le dépositaire. Il devrait l’incarner en premier et en être le garant, le répondant envers tous ceux qui, avec lui, ont intégré l’école de service du Seigneur et l’atelier d’entraînement à l’art spirituel.

 

Profil et mission de l’abbé selon la RB (RB 2 et 64)

Sur le profil et la mission de l’abbé selon la RB, les données des chapitres 2 et 64 ont à être complétées par d’autres, dont ceux, entre autres, des chapitres : 21-24, 28, 31-33, 36, 39-41, 44, 47-51, 53-57, 60, 66-68, 70.

L’abbé, en tant que garant de l’idéal que saint Benoît propose à ses disciples, a la mission de guider les moines qui lui sont confiés dans la réalisation de l’idéal de retour à Dieu. C’est parce qu’il rend présent le Christ : par lui Dieu engendre, mieux, réengendre des fils. Il n’est pas le Christ, mais il le rend présent par son témoignage et par son enseignement. L’abbé a à engendrer des fils pour Dieu en enseignant, mais d’une manière particulière. Car enseigner n’est pas le problème. La question est celle de la manière d’enseigner. C’est par sa parole, habitée par la Parole de Dieu, qu’il a à enseigner. Il doit posséder cette Parole, la proclamer, l’expliquer mais, surtout, l’illustrer par l’exemple, son témoignage de vie, pour son actualisation. Par exemple, en corrigeant les autres, il se corrige lui-même. Il a à soigner les âmes, mais à condition que les moines lui ouvrent leurs cœurs, lui exposant leurs maladies spirituelles (RB 7, 44) comme, par exemple, lui soumettant ce qu’ils désirent offrir à Dieu durant le carême, pour le réaliser avec sa prière afin qu’ils ne tombent pas dans la présomption et la vaine gloire (cf. RB 49, 8-10).

Cette forme de paternité de l’abbé, selon saint Benoît, est héritière de la figure du père spirituel dans la tradition des déserts d’Égypte aux origines du monachisme, figure bien immortalisée par les Apophtegmes.

L’abbé, pour que s’épanouisse la vie spirituelle de ses moines, devra avoir une attention particulière sur les conditions matérielles nécessaires. Autrement dit, sur la vie temporelle, dont il est le premier responsable. Les supérieurs sont les premiers responsables de la vie temporelle des monastères qui leur sont confiés. Concrètement, saint Benoît a prévu que l’abbé veille à ce que les moines dorment dans de bonnes conditions (cf. RB 22), avec un dortoir pour eux, par exemple. Il doit même veiller à la quantité et de leur nourriture (cf. RB 39) et de leur boisson, cf. RB 40 (jamais vu un homme si réaliste que saint Benoît !). Il devra aussi faire attention aux faibles (aux vieillards, aux malades et aux enfants), cf. RB 36 et 37.

Abbaye de Gedono (Indonésie), 2010. © AIM.

Pour les malades, sa vigilance va plus loin : Benoît a prescrit qu’il y ait une infirmerie où ils doivent recevoir des soins appropriés (cf. RB 36, 7-8). Parmi les faibles, placés sous l’attention de l’abbé, Benoît cite aussi : les étrangers, les pèlerins et les hôtes. Il lui est demandé de veiller à ce qu’ils soient accueillis décemment, avec notamment un logis géré par un homme qui craint Dieu (cf. RB 53, 16-22). C’est vraiment la centralité de la personne qui reste en jeu dans le soin que l’abbé doit apporter à la vie matérielle du monastère.

En définitive, la communauté, dans laquelle le moine doit se configurer au Christ, doit avoir tout ce qui est nécessaire sur le plan matériel (cf. RB 66, 6). Tout avoir ! C’est ici une proposition universelle. C’est une communauté dans laquelle on devrait, entre autres, trouver différents instruments pour les différents services nécessaires (cf. RB 32). L’abbé est prié d’en tenir l’inventaire (cf. RB 32, 3). Pourquoi, par exemple, ne pas penser procéder à un inventaire annuel systématique dans nos monastères ?

L’abbé doit aussi faire en sorte que les moines de sa communauté puissent avoir ce qui est nécessaire à leur travail, s’efforçant notamment de s’adapter à chaque personne (cf. RB 2, 23-32 ; 33, 5).

La mission de l’abbé, donc, consiste à ce que dans son monastère, tous les membres soient en paix (cf. RB 34, 5). Avec un minimum de paix dans nos communautés, ce serait le paradis. Mais c’est à cause de notre péché qu’il n’en est pas ainsi. Tous les membres, même ceux avec qui on n’a pas un bon feeling, doivent vivre en paix. Car, justement, au sein de la maison de Dieu que l’abbé gouverne, personne ne doit être triste, ni préoccupé (RB 31, 19). Chaque matin, regarder chaque sœur / chaque frère pour tester son état d’âme : est-elle/il en paix ou est troublé(e) intérieurement ? A-t-elle/il des problèmes, des soucis ?

La santé économique d’un monastère est une dimension importante pour l’épanouissement de la santé psychologique et spirituelle de chaque membre en son sein. C’est un facteur de paix, d’harmonie pour chaque vocation monastique. Voilà pourquoi, dans la RB, l’abbé y apparaît comme un intendant par rapport à une autorité supérieure à qui il a à rendre compte (cf. RB 2, 1 aussi RB 64, 7-8.20-21). Il est gestionnaire de l’ensemble du monastère dans ce qui touche et la vie matérielle et la vie spirituelle, avec une attention particulière à chaque personne, en essayant de s’adapter à chacun. L’abbé est d’abord gestionnaire des personnes avant d’être celui des biens. S’il gère les biens, c’est uniquement parce qu’ils sont au service des personnes par rapport à leur processus de ré-engendrement par Dieu. Il y a donc la primauté des personnes sur les biens.

Pour qu’il ne déroge pas à sa mission spirituelle, l’abbé délègue son pouvoir au cellérier et aux autres officiers, collaborant avec eux. En plus d’être un intendant, il est aussi un enseignant de la Parole de Dieu qu’il a à actualiser. Il est en outre père, en référence au Christ, et il a à veiller sur ses moines, en les aimant comme Dieu aime ses fils, et en veillant à ce qu’ils aient du pain. Il est ainsi, en dernière analyse, un pasteur, un berger, un médecin. Il est appelé à avoir de la compassion et à soigner, à « couvrir de soins » ses moines, surtout ceux qui sont en difficulté. Que les responsables des communautés apprennent parfois à perdre le sommeil pour mériter leur rôle de père, de mère. Il n’y a pas de mérite à être le seul parfait à l’intérieur d’une communauté de délinquants… C’est ensemble que nous devons arriver à la fin de la course (cf. RB 72) !

La spiritualité du cellérier devrait se dessiner à travers le profil et la mission de l’abbé par le fait que le cellérier agit comme un père, imitant son abbé, en générant des fils pour Dieu.

Selon les données de la Règle, l’identité et la mission de l’abbé qui se répercutent sur la spiritualité du cellérier est celle de l’incarnation par rapport à la justice et à la paix. Cette spiritualité veut que :

– le cellérier soit marqué de la crainte de Dieu, vertueux, habité par la Parole de Dieu pour être transfiguré par elle ; trouvant en elle, la consolation et la force.

– Qu’il soit obéissant, soumis, docile, attentif (cf. RB 31, 4).

– Qu’il soit charitable, compatissant, ayant du discernement, en vue de privilégier les faibles, parce que convaincu que les biens mis à la disposition de l’homme devraient être d’abord mis à disposition des faibles. C’est donc une spiritualité diaconale, de service.

– Qu’il ait un sens de la responsabilité vis-à-vis des personnes et des biens en développant une liberté à l’égard des choses de ce monde, mais aussi en développant une confiance dans la Providence.

– Qu’il soit humble, s’ouvrant à la collaboration, dans la conscience qu’il est un serviteur inutile, quelconque.

– Qu’il soit honnête.

Au fond, le cellérier comme l’abbé sont invités à vivre une spiritualité de la croix. Le cellérier est celui qui s’occupe du temporel pour le salut des âmes. De ce fait, l’abbé et le cellérier sont tenus à une grande collaboration, dans la confiance, la foi, la paix et l’harmonie.


[1] Le père Simon Madeko est le prieur de la communauté bénédictine de Mambré (RDC).

Le monachisme cistercien de rite guèze

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Liturgie

Dom Négusse Woldai, ocist

Abbé de la communauté d’Asmara (Érythrée)

 

Le monachisme cistercien

de rite guèze

 

Le guèze (ou ge’ez) est la langue abyssinienne classique aujourd’hui utilisée uniquement comme langue liturgique. Dans notre monastère, nous prions les heures en guèze, mais les lectures des Écritures et des pères sont en tigrigna en Érythrée, et en amharique en Éthiopie ; toutes deux en dérivent.

© AIM.

Dès le début, les intentions de l’Église et de notre fondateur, le vénérable abba Fesseha Ghebreamlak, étaient d’ériger un monachisme catholique pour les catholiques indigènes, parallèlement à l’Église orthodoxe, sœur existante d’Abyssinie (Éthiopie et Érythrée).

À l’initiative et par la médiation de la Congrégation pour les Églises orientales, la congrégation cistercienne de Casamari est devenue le berceau du projet en acceptant le futur fondateur abba Fesseha Ghebreamlak qui était prêtre diocésain, et d’autres qui ont suivi ses traces.

Ils ont été formés selon la règle de saint Benoît, les Constitutions de la congrégation de Casamari, avec l’intention claire de suivre le rite guèze, une fois de retour chez eux, et d’établir la vie monastique cistercienne en Érythrée.

En 1940, le premier groupe de cisterciens, composé de trois Italiens et de quatre Érythréens, arriva dans la capitale de l’Érythrée, Asmara, pour établir son premier monastère dans une localité appelée Beleza, à 13 km au nord de la capitale. Plus tard en 1948, le monastère a été transféré à Asmara.

Ce n’était pas facile d’avoir deux rites, latin et guèze, dans le même monastère pendant les premières décennies, mais ils ont réussi à marcher ensemble sous la Règle bénédictine. En 1960, lorsque le premier moine érythréen abba Thimoteos Tesemma a été élu supérieur, seul le rite guèze était utilisé en Éthiopie et en Érythrée.

Comme observance commune cistercienne, nous vivons selon la devise : « Ora et labora ».


Vie liturgique

Notre psalmodie comprend 150 psaumes et 15 cantiques des prophètes ; elle est continue, et elle se répartit sur deux semaines. Cela signifie que toutes les deux semaines, nous commençons par le psaume 1.

La liturgie monastique des heures en semaine comprend :

1. 1er nocturne : Il comprend les psaumes et lectures respectifs de l’Écriture, suivis d’une courte prière appelée Liton.

2. 2e nocturne : Psaumes respectifs et lecture des Pères suivis de Weddasie Mariam (louange à la Vierge Marie de saint Ephrem le Syrien).

3. Laudes : Psaumes respectifs suivis de Kidan Zalalit (du Testamentum Domini) I et II.

4. Divine liturgie (Sainte Messe).

5. Tierce et sexte à 12 h 30.

6. Vêpres à 18 h 15 tous les jours (15 h 30 les fêtes…).

7. Le chapitre et complies à 20 h 45 sont conclus avec le Salve Regina en langue guèze.

© AIM.

Les dimanches et jours de fête, notre psalmodie est l’Office divin cathédrale selon la liturgie du rite guèze. Comme d’habitude, la veille, les Vêpres sont chantées, puis tôt le matin la Vigile commence au chant du coq, c’est-à-dire 3 heures ou 4 heures, jusqu’à la Divine liturgie ou Sainte Messe.

Les dimanches ordinaires ont leur propre thème et leur nom.

Nous utilisons les instruments de musique traditionnels pendant l’office cathédrale tels que les tambours, les sistres et la canne ou le bâton de chœur de soutien, la danse liturgique accompagnée de battements de mains et de voix hurlantes de mères et de sœurs. Ici aussi les fidèles se joignent à cette psalmodie.

Nous avons notre lectionnaire traditionnel et calendrier liturgique (12 mois de 30 jours chacun, plus 5 ou – l’année bissextile – 6 jours supplémentaires). Ici, nous insérons quelques fêtes de saints et commémorations de l’Église romaine et bénédictine. Selon la tradition de l’Église catholique éthio-érythréenne, la Divine liturgie quotidienne est célébrée soit à voix basse, soit chantée, tandis que la tradition de l’Église orthodoxe sœur est toujours chantée le dimanche, les jours de fête et lors d’occasions spéciales, tels que le mariage, les services funéraires ou la messe des défunts, le baptême des nourrissons où les sacrements de confirmation et de communion (c’est-à-dire les sacrements d’initiation) qui sont administrés simultanément, etc.

Le jeûne est observé près de 200 jours par an avec rigueur. Dans la tradition de l’Église orthodoxe, les jours de jeûne, la Divine liturgie est célébrée à partir de midi, alors que nous la célébrons le matin.

 

La musique et la gestuelle du rite guèze sont la reproduction du service musical et gestuel céleste. Les chantres sont séparés en deux chœurs : le côté droit est symboliquement celui des anges chérubins, le gauche celui des séraphins. La chorégraphie des chantres symbolisent la passion du Christ.

Le kabaro est un tambour de bois de forme conique en peau de vache, recouvert d’un tissu qui représente le linceul ayant recouvert le corps du Christ, ou le tissu couvrant son visage lorsque les soldats romains le giflèrent. La petite membrane du tambour symbolise le Nouveau Testament, la grande membrane l’Ancien Testament.

Le bâton de chœur représente la croix du Christ. La tête représente la tête de l’agneau pascal, symbole du Christ.

Le sistre représente l’échelle de Jacob. Il est constitué de deux montants verticaux symbolisant l’Ancien et le Nouveau Testament, la jonction des deux au sommet formant la Bible. Selon certains, le son du sistre symbolise le bruit des ailes des séraphins et des chérubins dans les cieux.


© AIM.

Viktor Josef Dammertz (1929-2020)

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Grande figures de la vie monastique

Père Cyrill Schäffer, osb

Monastère Sankt Ottilien (Allemagne)

 

« Pour vous, avec vous »

Viktor Josef Dammertz (1929-2020)

archi-abbé, abbé primat, évêque, moine

 


Josef Dammertz est né le 8 juin 1929 à Schaephuysen, dans le Bas-Rhin. La famille maternelle était originaire des Pays-Bas. Le père, Wilhelm Dammertz, a grandi dans une ferme de Schaephuysen, jusqu’à ce qu’il reprenne, après son mariage avec Engelina Schepens, une épicerie que son beau-père, déjà décédé, avait montée. Ils eurent deux enfants, Joseph et Marga.

Très engagé dans l’association catholique de jeunesse Neudeutschland où il approfondit sa foi et cultiva l’art du service, Joseph, parvenu en classe terminale, annonça à ses parents qu’il voulait devenir prêtre.

C’est ainsi qu’au deuxième semestre de l’année 1950, il entra au Collegium Borromaeum, le séminaire du diocèse de Münster. Il poursuivit ses études à Innsbruck, où il résida au collège jésuite Canisianum. À l’université, il put écouter des professeurs connus comme Andreas Jungmann et Hugo et Karl Rahner. Dès l’époque d’Innsbruck, il avait fait connaissance, en troisième année d’études, du monastère missionnaire de Sankt Ottilien, en Haute-Bavière, et il se sentit attiré par l’esprit de l’Église universelle et la vie religieuse qui y régnaient.

Josef Dammertz entra donc le 12 septembre 1953 à Sankt Ottilien, où il reçut le nom de Viktor, en mémoire du martyr  paléochrétien Victor de Xanten. Après sa première profession, il poursuivit ses études théologiques à l’université bénédictine de Sant’ Anselmo (Rome). Après avoir terminé son parcours romain avec une licence, le frère Viktor fut ordonné prêtre en 1957. Sa devise comme abbé primat exprime clairement sa vision d’un sacerdoce de service : « Prêtre de Jésus-Christ au service des hommes ».

Il lui fut demandé d’étudier le droit canonique, car l’abbé du temps, dom Suso, avait besoin d’un secrétaire ayant des connaissances en ce domaine. Il obtint son doctorat summa cum laude avec une thèse sur le « Droit constitutionnel des congrégations monastiques bénédictines dans l’histoire et le présent ». Au fond, avec cette thèse, et compte tenu de ses capacités intellectuelles, une carrière académique aurait pu s’offrir à lui, mais elle n’a manifestement jamais été sérieusement envisagée.

Dès le sixième chapitre général de Sankt Ottilien en 1960, le père Viktor fut appelé au poste de secrétaire de la Congrégation, et l’archi-abbé Suso le nomma en même temps son secrétaire personnel. Même si le rôle du secrétaire abbatial est plutôt secondaire, le père Viktor a pu à bien des égards exercer une influence modératrice sur son supérieur et équilibrer les tensions entre l’archi-abbé et la communauté. En tant qu’expert en droit canonique de la Congrégation, le père Viktor a joué un rôle essentiel dans la révision des Constitutions des bénédictins missionnaires, adoptée en 1970. Sa collaboration consultative fut également appréciée par d’autres Congrégations bénédictines et non bénédictines. Il a notamment participé de manière plus ou moins intensive à l’élaboration des droits propres post-conciliaires de plusieurs Congrégations bénédictines.

En raison d’un grave cancer, l’archi-abbé Suso, âgé de 65 ans, dut quitter son poste au début de l’année 1975. Lorsque le P. Viktor fut élu comme successeur le 8 janvier 1975, ce ne fut pas une grande surprise.

En tant que nouvel abbé du monastère, le P. Viktor continua à prodiguer des soins personnels à son prédécesseur, qui avait tenu bon jusqu’à l’élection de son successeur, mais qui succomba à son cancer quelques jours plus tard, le 12 février.

L’archi-abbé Dammertz choisit comme devise : « Iter para tutum ». Cette phrase programmatique tirée de l’hymne « Ave maris stella » exprime d’une part sa piété mariale, mais aussi la conscience de vivre en des temps de bouleversements tumultueux, dans lesquels il faut une étoile qui permette d’être guidé.

En prenant ses fonctions, l’archi-abbé Viktor entra dans un grand réseau d’obligations et surtout d’attentes. Il s’agissait notamment d’interventions dans le diocèse d’Augsbourg lors de messes solennelles, de confirmations et de manifestations de toutes sortes, dans le monastère lui-même avec ses nombreux lieux annexes tels que l’école, les paroisses, les cinq maisons dépendantes, les entreprises et les ateliers, et bien sûr auprès des monastères de la Congrégation qui attendaient des orientations de la part du président de la Congrégation, en particulier dans les jeunes Églises. Même si le mandat de l’archi-abbé Viktor ne devait durer que deux ans et huit mois, il put contribuer à donner une certaine stabilité à la Congrégation dans la tourmente de l’après-Concile. Dans son propre monastère, il a notamment pu mettre en place l’intégration d’un lycée dans l’œuvre scolaire du diocèse d’Augsbourg, ce qui assura la pérennité de l’école.

En septembre 1977, l’archi-abbé Viktor participa au congrès des abbés de la Confédération bénédictine à Rome, où il était déjà depuis des années secrétaire de la Commission canonique, et avait joué un rôle déterminant dans la refonte du droit propre. Outre la question de l’avenir du Collège Sant’ Anselmo, le congrès porta également sur le nouveau droit religieux des bénédictins. L’archi-abbé Viktor, en tant que canoniste, fit un exposé engagé et novateur sur ce sujet. Peu après, le 20 septembre, l’Abbé Primat Rembert Weakland surprit les abbés réunis en leur annonçant qu’il avait été nommé archevêque de Milwaukee et qu’il quittait donc sa fonction d’Abbé Primat avec effet immédiat. De nouvelles élections ont été immédiatement organisées pour lui trouver un successeur. Dès le 22 septembre, les voix des abbés se concentrèrent sur l’archi-abbé de Sankt Ottilien qui non seulement était à la tête de l’un des plus grands monastères de l’ordre bénédictin, mais apportait également la compétence dont il y avait un besoin urgent en matière de droit religieux. La communauté de Sankt Ottilien fut informée des opérations en cours à Rome. Mais lorsque le prieur Paulus Hörger envoya un fax au nom de la communauté avec ces mots : « N’acceptez sous aucun prétexte », l’archi-abbé avait déjà répondu favorablement au vote du Congrès des abbés et quittait ainsi sa fonction d’abbé du monastère et de président de la congrégation de Sankt Ottilien.

Dans les années qui suivirent, l’Abbé Primat Viktor réussit à apaiser quelque peu les relations agitées au sein du Collège bénédictin. Il avait à ses côtés des collaborateurs hautement qualifiés en la personne du recteur Magnus Löhrer (1928-1999) et du prieur Gerhard Békés (1915-1999). Malgré la baisse du nombre d’étudiants issus de l’Ordre, l’université de l’Ordre connut une période de prospérité scientifique grâce un certain nombre de professeurs de qualité qui élaborèrent ensemble, entre autres, l’ouvrage de référence post-conciliaire « Mysterium Salutis » (1965-1976).

Première réunion panafricaine anglophone au grand séminaire d'Harare (Zimbabwe) en 1991.

Par la suite, l’Abbé Primat Viktor put apporter de multiples aides lors des révisions nécessaires des Constitutions de la Congrégation ; il participa à la refonte du droit religieux et fut membre de la Commission pour l’interprétation authentique du droit canonique. Au cours des quatorze années qu’il a passées à la tête de la confédération bénédictine, réélu à deux reprises, l’Abbé Primat Viktor a visité plus de 750 communautés de femmes et d’hommes dans le monde entier lors d’innombrables voyages. L’un des points forts de son mandat fut l’organisation du grand jubilé de saint Benoît en 1980, au cours duquel fut célébré le 1500e anniversaire de la naissance du père de l’Ordre bénédictin. À cette occasion, 500 abbés de la famille bénédictine se sont retrouvés à Rome. À Sant’ Anselmo, la bibliothèque située dans l’ancienne crypte de l’église abbatiale est le principal héritage architectural de l’activité du Primat.

Dans une interview de 1992, il exprimait sa conception du ministère en disant que l’Abbé Primat devait promouvoir dans les monastères bénédictins la conscience qu’ils faisaient tous partie d’une « grande communauté mondiale ». Face aux forces centrifuges au sein de l’Ordre, l’Abbé Primat tenta de promouvoir l’unité sans pour autant réduire la diversité légitime et vitale au sein de l’Ordre. Son service de médiation comprenait également la construction de ponts entre les sœurs et les moniales de l’Ordre qui, dans la conception de l’époque, étaient séparées dans des mondes différents. Dans ses efforts de médiation, l’Abbé Primat prônait la reconnaissance mutuelle des options bénédictines légitimes, qu’il comparait à Marie et Marthe. Il suggéra que les secrétariats séparés pour les moniales et les sœurs bénédictines soient réunis, ce qui constitua un jalon important sur la voie de l’actuelle « Communio Internationalis Benedictinarum », Commission Internationale des Bénédictines.

Au congrès des abbés de 1992, l’abbé de Collegeville, Jerome Theisen (1930-1995), fut élu pour lui succéder. Après l’expiration de son mandat le 20 septembre 1992, le P. Dammertz avait en fait prévu une retraite plus tranquille dans son monastère, bien qu’il ait été question d’une nomination à la Congrégation vaticane pour les religieux. Cependant, en pleine retraite privée avant Noël 1992, le nonce apostolique l’a appelé pour lui annoncer que le pape Jean-Paul II l’avait nommé 78e évêque d’Augsbourg.

Dans sa résidence officielle, le palais épiscopal situé en face de la cathédrale d’Augsbourg, l’évêque Viktor aménagea une petite communauté domestique avec son secrétaire, le Dr Christian Hartl, sa sœur Marga et deux sœurs franciscaines de Maria Stern, avec lesquelles il célébrait la prière du jour et l’eucharistie. Il décrivit lui-même les conditions de logement comme un « petit couvent » et trouva agréable de poursuivre un peu de vie communautaire monastique dans l’épiscopat.

Parmi les événements marquants de son mandat, il convient d’en citer quelques-uns qui tenaient particulièrement à cœur à l’évêque Viktor Josef lui-même. Parmi eux, la signature de la « Déclaration commune sur la doctrine de la justification » le 31 octobre 1999 à Augsbourg, la grande journée de la foi à l’occasion de l’Année sainte 2000 au Rosenaustadion d’Augsbourg, et la canonisation de Crescentia von Kaufbeuren à Rome le 25 novembre 2001 et, tout à la fin de son mandat, l’« année de la vocation » qu’il a proclamée en décembre 2003, au cours de laquelle on devait certes prier pour la relève ecclésiale, mais surtout découvrir chaque chemin de vie comme une vocation et un don. Comme le montrent des événements aussi divers, l’évêque Viktor pouvait et voulait jouer sur différents registres qui englobaient aussi bien la piété populaire que les nouveaux développements théologiques et ecclésiastiques mondiaux.

Rencontre du père Viktor Dammertz avec le pape Jean-Paul II.

Le jour de son 75e anniversaire, le 8 juin 2004, le pape Jean-Paul II accepta la demande de démission de l’évêque d’Augsbourg, et l’évêque émérite put se retirer dans un lieu qui était devenu pour lui un lieu de repos familier après de nombreuses vacances : le couvent de bénédictines et le village d’enfants Saint-Alban, où il servait les sœurs en tant que directeur spirituel de la maison. Sa sœur Marga, qui était déjà à ses côtés lorsqu’il était évêque, l’accompagna dans sa retraite à Saint-Alban. De nombreux amis et compagnons de route lui rendaient visite en ce lieu, jusqu’à ce qu’en janvier 2015, une faiblesse croissante due à l’âge lui suggéra de déménager à l’infirmerie de Sankt Ottilien. Là, on pouvait le rencontrer régulièrement dans la grande salle de séjour où il parcourait une pile de livres et de revues posée à côté de lui.

Un soudain déclin de ses forces ne lui permit pas d’assister à l’ordination épiscopale de son deuxième successeur et, après quelques jours de faiblesse croissante, il prit congé en pleine conscience. Les funérailles dans la cathédrale d’Augsbourg ont été présidées par le cardinal Reinhard Marx, tandis que son successeur, Bertram Meier, prononçait l’homélie. Le défunt repose maintenant dans la crypte de la cathédrale.

Après cet aperçu biographique, il convient maintenant d’examiner de plus près l’empreinte bénédictine de l’évêque religieux. Lors d’une première interview du nouvel évêque, on lui demanda de manière légèrement provocatrice si le monde monastique fermé constituait une préparation utile aux vastes responsabilités d’un évêque. Le nouvel évêque reconnut que l’espace de la vie monastique était naturellement très différent de la pastorale diocésaine. Mais il apporte aussi des avantages liés à l’expérience. Parmi ceux-ci, l’évêque citait l’importance de l’approfondissement spirituel pour l’avenir de l’Église et l’appréciation de la diversité dans l’unité, car cela exige l’acceptation mutuelle et le dialogue. À la fin de son mandat, l’évêque Viktor a souligné ces avantages de manière encore plus massive :

« La vie monastique selon la règle de saint Benoît m’a profondément marqué, et les valeurs et les attitudes fondamentales qui m’ont été transmises m’ont également profité en tant qu’évêque. L’image que Benoît donne de l’abbé peut facilement être adaptée à l’évêque. La recherche d’un équilibre entre ora et labora, entre prière et travail, est aussi un défi permanent pour l’évêque (...) La vertu de sage modération – Benoît l’appelle discretio et la considère comme la mère de toutes les vertus (RB 64, 19) – retient l’évêque de chercher la solution des problèmes dans des positions extrêmes ».

Sur la base de l’image bénédictine de l’abbé, Viktor-Joseph pu établir un petit miroir épiscopal bénédictin et a même estimé que la direction d’une paroisse n’était pas si éloignée de celle d’un monastère pour les questions fondamentales.

La ligne de conduite de l’évêque, toujours axée sur la médiation, a également trouvé un certain nombre de détracteurs qui trouvaient que tout manquait d’énergie et de décision. Mais dans l’ensemble, le porte-parole du Conseil presbytéral d’Augsbourg résumait l’ambiance par ces mots : La « vie selon la sage règle de saint Benoît de l’évêque Viktor est pour nous un exemple et un encouragement, en particulier en ce qui concerne la spiritualité et le style de direction ».

Dans ce qui suit, j’aimerais reprendre cette appréciation, tout en la remettant quelque peu en question : un titulaire de charge bénédictine des 20e et 21e siècles suit-il effectivement les directives de la règle de saint Benoît, et où commence le vaste espace de réappropriation créative et personnelle ?

L’évêque Viktor décrit sa conception du ministère de la manière suivante :

« C’est l’une des tâches les plus importantes d’un abbé que de préserver, de promouvoir et de recréer sans cesse l’unité de la communauté malgré toutes les oppositions. Cela n’est pas moins vrai pour l’évêque diocésain dans une Église qui souffre de plus en plus de polarisations. Les différents groupes s’accusent rapidement les uns les autres de ne plus être “catholiques” ou de former une secte. La tâche de l’évêque est de repousser les excès des deux côtés, mais pour le reste, de maintenir ensemble dans l’unité ecclésiale les groupes qui dérivent et de s’efforcer sans cesse à la médiation ».

On peut déduire deux choses de cette déclaration. D’une part, pour décrire la compétence de direction ecclésiale, l’évêque Viktor recourt à l’image bénédictine de l’abbé du chapitre 2 de la Règle, selon laquelle le responsable d’une communauté doit « servir le caractère propre de beaucoup » (verset 31). D’autre part, il élargit cependant la sage considération de la diversité humaine par une aspiration fondamentale à l’unité et à la médiation, que ce soit dans les communautés monastiques ou dans l’Église locale et universelle. Même si cela correspond tout à fait à l’attitude bénédictine, un tel service pour la paix ne se trouve pas explicitement dans la règle de Benoît.

Un autre trait marquant de l’évêque Viktor Josef, auquel on rend régulièrement hommage, était sa capacité de « travailler en équipe ». Les personnes impliquées soulignent sa capacité d’écoute, la patience et le temps qu’il accordait aux autres. Ils ont ainsi pu expliquer leur point de vue et ont ressenti de l’estime, même en cas de divergences persistantes. Il est bien connu que la règle bénédictine commence par une invitation à l’écoute. Elle recommande au moine d’écouter les paroles du Maître, c’est-à-dire les paroles du Christ, et de s’ouvrir à elles (RB Prol. 1). Dans le prolongement de ce principe de base, l’abbé est invité à « écouter le conseil des frères » (RB 3, 2). Par la suite, il est toutefois précisé qu’il doit décider lui-même de ce qui lui semble juste. Il faut donc aussi voir que la règle de Benoît contient certes des traces de prise de décision démocratique, mais que son modèle de domination reste essentiellement une monarchie. Les restrictions actuelles du pouvoir abbatial par le Chapitre et le Conseil sont des développements ultérieurs. Les représentations de la recherche de la vérité par le dialogue, qui nous semblent évidentes, ne correspondent pas aux réflexes du monachisme primitif.

Ces brèves remarques ne visent pas à contester l’indéniable empreinte bénédictine du style de vie et de direction de l’évêque Viktor Josef, qu’il a d’ailleurs lui-même soulignée. Elles souhaitent cependant inviter à une utilisation réfléchie de la formule souvent utilisée de manière stéréotypée de « spiritualité bénédictine ». La règle de saint Benoît offre des possibilités d’interprétation presque illimitées. Les milieux traditionalistes et intégristes s’y réfèrent tout autant que les chrétiens libéraux et ouverts au dialogue. Dans le cas de l’évêque Viktor Josef, il s’agit avant tout d’une mise en œuvre très personnelle du charisme bénédictin, qui résulta de son caractère, de son expérience de vie et de sa sagesse. Elle a peut-être plus à voir avec Viktor Dammertz qu’avec saint Benoît. Peut-être plus en accord avec la tradition bénédictine, l’évêque Viktor aimait caractériser cette tradition par l’expression : « diversité dans l’unité ». Les deux sont importantes, la diversité et l’unité, mais, comme le souligne Viktor Dammertz, en mettant la diversité en avant : la diversité a une légère priorité.


Les trois derniers abbés primats : Gregory Polan, Nokter Wolf, et Viktor Dammertz.

La Fondation Benedictus

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News

La Fondation Benedictus


Père Jean-Pierre Longeat, osb

Président de l’AIM

 

 

Les Amis des Monastères à Travers le Monde (AMTM) et l’Alliance Inter-Monastères (AIM) ont créé ensemble la Fondation Benedictus – sous l’égide de la Fondation Caritas France. La Fondation Benedictus poursuit un objet d’intérêt général, à but non lucratif, conforme à l’objet de la Fondation Caritas France. Elle a pour mission d’apporter son concours moral et financier en vue de soutenir les activités de développement social, culturel, économique et environnemental au service de la promotion et de la dignité des populations défavorisées, en lien avec des fondations monastiques à travers le monde, vivant sous la règle de saint Benoît, en dehors de l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord.


Pourquoi avoir créé Benedictus ?

Pour permettre, en toute sécurité administrative, d’élargir les dons avec une possibilité de reçu fiscal notamment les dons déductibles de l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière), de recevoir des legs et de toucher de nouveaux donateurs, de nouveaux amis des monastères.


Liens avec l’AIM et l’AMTM

Cette Fondation abritée vient en complément du travail de l’Alliance Inter-Monastères qui reçoit directement des aides financières de la part des monastères, d’organismes divers et de particuliers afin de soutenir tous les projets qui n’entrent pas dans le cadre de la Fondation Benedictus : formation, construction et rénovation de bâtiments spécifiquement religieux, activités lucratives des monastères... L’association de l’AMTM, par ailleurs, poursuivra une action de sensibilisation au soutien de la vie des monastères en Afrique, Asie, Amérique latine, Océanie et Europe de l’Est.

Merci de votre fidélité ! N’hésitez pas à nous apporter votre soutien de la manière la plus adaptée à vos possibilités et soyez sûrs de notre prière et de notre fraternité.

 

Lien vers la page de la Fondation Benedictus

sur le site de Caritas France :

https://www.fondationcaritasfrance.org/fondations/fondation-benedictus/

L’évolution des congrégations bénédictines d’un point de vue féminin

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Nouvelles

L’évolution des congrégations bénédictines

d’un point de vue féminin


Mère Franziska Lukas, osb

Abbesse de Dinklage (Allemagne)

 

 

J’ai été invité à parler des congrégations bénédictines d’un point de vue féminin, mais j’ai pensé que vous seriez davantage intéressés par quelques échos des expériences que nous avons vécues en nous mettant sur le chemin de l’érection de la congrégation bénédictine européenne de la Résurrection. C’est bien sûr le point de vue d’une bénédictine, je n’aborde pas directement la situation des trappistes, des cisterciens ou d’autres ordres.

 

Contexte général

Tout le monde connaît l’histoire générale de Cor Orans : En 2014, un questionnaire de la CIVCSVA de Rome a été envoyé à tous les monastères de moniales. Cependant, beaucoup ne l’ont reçu qu’après un long délai et certains ne l’ont jamais reçu du tout. Cela était particulièrement vrai pour nous, les moniales bénédictines. Heureusement, cette année-là, nous étions ensemble pour le symposium de la CIB. Lors de ce symposium, une audience papale était prévue qui a été annulée par le Vatican dans un délai très court. Cela nous a donné le temps et l’opportunité de parler et de communiquer sur le questionnaire. À notre grande surprise, nous avons réalisé que nous étions d’accord dans notre réponse sur la plupart des questions de base.

En 2016, la Constitution apostolique Vultum Dei quaerere a été publiée : nous ne pouvons toujours pas dire si, ou dans quelle mesure, nos réponses au questionnaire ont été intégrées dans ce document.

Par la suite, en 2018, l’Instruction Cor orans a vu le jour ; cela a défini les nouvelles normes que nous sommes censées adopter dans l’obéissance. Certaines normes ont accru la responsabilité des moniales, d’autres ne sont pas compatibles avec notre vie d’aujourd’hui.

Cor orans a été le catalyseur de trois mouvements :

1. Collaboration à différents niveaux, notamment en ce qui concerne l’irritation généralement causée par la longueur de la période de formation.

2. Contact avec la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée au niveau international, européen et national.

3. Développements et changements en cours parmi les communautés de moniales elles-mêmes, par exemple :

  – En Espagne : les communautés étaient déjà en train de former une congrégation ; aux Philippines : les trois communautés de moniales ont commencé à former une congrégation monastique ; en Europe, onze monastères ont fondé une nouvelle congrégation européenne. Les Constitutions de toutes ces congrégations ont maintenant été approuvées.

  – Pour les monastères individuels qui ont décidé de rejoindre une fédération ou une congrégation déjà existante, les fédérations ajustent leurs normes ; dans certains cas, elles envisagent de demander des dérogations (par exemple, pour le temps de formation prolongé).

Ces quelques références peuvent suffire dans le cadre de cette perspective générale sur cette question.

 

La congrégation bénédictine européenne de la Résurrection

En ce qui concerne la nouvelle congrégation bénédictine européenne de la Résurrection, je pourrais en parler sous deux angles :

Tout d’abord, le processus que notre communauté de Dinklage a traversé : chaque monastère de notre Congrégation, en effet, a dû suivre son propre processus et décider comment il voulait que Cor orans influe sur son avenir. Pour nous à Dinklage, nous avions différentes raisons qui nous ont amené à préférer créer une nouvelle congrégation. Il nous semblait que construire quelque chose de nouveau « seulement » en Allemagne serait trop étroit, parce que nous avons des nationalités différentes dans la communauté, mais que construire une congrégation vraiment mondiale nous paraîtrait un peu trop large.

Deuxièmement, nous voyons une congrégation de « femmes » comme un signe qui nous est demandé en ce moment dans l’Église, alors que Rome nous a donné le pouvoir de le faire ; nos expériences à cet égard font partie d’une histoire plus longue.


• Processus de développement du groupe de communautés qui appartient désormais à la Congrégation nouvellement érigée

L’initiative a été prise par deux monastères en Belgique : Ils ont demandé à d’autres monastères s’ils étaient intéressés, dans les réseaux existants qui se sont développés au cours des dernières décennies (UBB, ADSUM, CIB).

Depuis le commencement, il s’agissait de développer une congrégation monastique, pas une fédération. Nous étions toutes d’accord pour dire que c’était la voie privilégiée parce que nous voulions être juridiquement indépendantes de l’évêque.

Nous faisions cela en pensant que c’était bon pour nous, et non parce que Rome l’avait demandé (même si Rome a finalement donné l’impulsion). Nous avons tout de suite découvert que prendre ce risque et s’ouvrir à une telle aventure nous donnaient de l’énergie. Nous voyons des avantages à construire une communauté nouvelle et plus grande de cette manière.

Préserver la diversité : c’était et c’est toujours un point important pour nous toutes car chacune des communautés a une histoire, un mode de vie, une tradition et une culture très différentes.

L’idée de vivre dans une « Europe » commune était partagée.

 

• Les étapes pour l’élaboration des Constitutions

Lors de la toute première réunion en octobre 2018, nous avons décidé d’avoir une Commission juridique avec quatre supérieures et sœur Scholastika Häring (Dinklage) comme coordinatrice. Cette Commission a fait différentes ébauches au fur et à mesure que les sœurs avançaient. Nous avons discuté de chacun de ces projets dans la Conférence des supérieures. Chaque projet provenant de la Commission a été envoyé aux supérieures qui l’ont discuté et ajusté. Ensuite, le texte a été transmis à chacune des communautés.

Chaque fois, nous avons apporté avec nous les questions et les commentaires qui ont été en débat dans nos communautés, puis nous avons pris des décisions en fonction de tout cela lors de la réunion suivante des supérieures. Cela a continué étape par étape pour plusieurs ébauches.

Avant de présenter le texte final, nous avons demandé à sœur Eleonora, ocso (Glencairn), et frère Hugues Leroy, osb (France), de relire le texte : il y avait donc une femme et un homme et d’autre part une anglophone et un francophone. Après avoir reçu leurs commentaires, nous avons eu une dernière réunion de supérieures pour en discuter. Le texte final est allé à chacune des communautés qui l’ont ensuite voté.

 

• Contenu des Constitutions

Nous avons rédigé un préambule comme « identité commune » : selon Perfectae Caritatis n° 9, notre Congrégation serait « monastique » et non pas Institut entièrement voué à la contemplation (PC n° 7).

Nous soulignons l’importance des normes du monastère : mandat de l’abbesse, durée et composition du Conseil, périodicité des visites canoniques…

Nous avons voulu éviter la standardisation ; ceux-ci ne sont pas possibles ou souhaités dans les domaines de la liturgie, de l’habit ou des apostolats. Tous nos monastères doivent vivre selon leur lieu et leur tradition.

Nous avons commencé le processus en octobre 2018 et, au printemps 2020, les Constitutions étaient presque terminées. Puis est venu le confinement durant lequel nous avons pu nous rencontrer uniquement via Zoom. Nous avons pu faire ce travail, cependant, et avons réussi à terminer la rédaction de nos Constitutions.

Novembre 2020 : réunion virtuelle des supérieures au cours de laquelle nous avons adopté les Constitutions puis les avons envoyées aux communautés pour qu’elles les votent.

Même à ce stade, il restait impossible pour les supérieures de se rencontrer en présentiel. Nous nous sommes réunies virtuellement et avons pris la décision de tout préparer pour Rome, puis de l’envoyer. En plus des Constitutions elles-mêmes, nous avions le procès-verbal du Chapitre du vote pour rejoindre la Congrégation, le procès-verbal du Chapitre sur le vote pour les Constitutions, le décret de chaque monastère concernant l’érection de la Congrégation et une brève description de chaque monastère. L’une des supérieures était autorisée à parler en notre nom à toutes.

Après quelques mois d’attente, un miracle nous a été accordé : l’érection de la Congrégation et l’approbation des Constitutions pour cinq ans ad experimentum. Donc nous en sommes là ! En novembre 2021, nous avons préparé le Chapitre général qui se tiendra en février dans notre communauté de Suède. Là, nous élirons la présidente, le Conseil et ainsi de suite et bien sûr, nous célébrerons le fait que nous en sommes arrivées là !

Les monastères de la nouvelle Congrégation sont :

• Alexanderdorf, Allemagne

• Dinklage, Allemagne

• Egmond, Pays-Bas

• Hurtebise, Belgique

• Kaunas, Lituanie

• Liège, Belgique

• Montserrat, Espagne

• Oosterhout, Pays-Bas

• Simiane-Collongue, France

• Steinfeld/Bonn, Allemagne

• Vadstena, Suède

Conclusion du rapport sur l’évolution de la Confédération bénédictine

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Nouvelles

Conclusion du rapport sur l’évolution

de la Confédération bénédictine depuis 140 ans,

donné au synode des Abbés Présidents (sep 2021)

 

Thomas Piazza[1]

et P. Geraldo González y Lima, osb[2]

 

 

Une vision globale de la Confédération bénédictine à partir des différents catalogi documente les grandes tendances des 140 dernières années de l’histoire bénédictine. Il semble y avoir eu quatre grandes périodes :

1880-1935 : Après le renouveau et la restauration de la vie monastique dans la deuxième moitié du 19e siècle, le nombre de moines et de monastères augmente rapidement jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Bien que l’augmentation ait ralenti pendant la Première Guerre mondiale, la tendance principale de croissance rapide s’est poursuivie jusqu’en 1935.

1950-1965 : Après la Seconde Guerre mondiale, la croissance s’est poursuivie, bien qu’à un rythme plus lent, jusqu’à ce que le nombre de membres atteigne un pic dans les années 1960.

1965-1980 : Les décennies des années 1960 et 1970 ont représenté une période d’innovation et de réforme à la fois dans les monastères et dans l’Église dans son ensemble. Cette période dynamique, avec notamment de très nombreuses fondations sur les continents extra-européens, s’est cependant accompagnée d’un départ important de beaucoup de membres (une baisse d’environ 20 % du nombre total de moines) entre 1965 et 1980. Il serait très intéressant de pouvoir analyser la structure par âge dans les monastères, avant et après cela.

1980-2020 : Après 1980, le nombre total de moines a continué de diminuer, mais à un rythme plus lent. Le nombre de moines ordonnés a diminué un peu plus rapidement, à mesure que les prêtres plus âgés décédaient et qu’une plus petite proportion de moines étaient ordonnés. Il semble que nous entrons maintenant dans une période de contraction et de consolidation. Mais notre propos n’est pas de projeter ces tendances dans le futur. Nous voulions simplement montrer la situation jusqu’à présent.

Les Abbés Présidents en septembre 2021

Nous tenons à souligner que ces tendances pour la Confédération dans son ensemble ne reflètent pas nécessairement ce qui se passe dans chaque congrégation, dans chaque partie du monde. Ce n’est qu’un oiseau vue des yeux, pour ainsi dire. Nous avons l’intention d’effectuer d’autres analyses géographiques et de congrégations à l’avenir, en plus de deux de ces analyses publiées jusqu’à présent.

En conclusion, nous voulons souligner la valeur des Catalogi Monasteriorum O.S.B. pour comprendre les tendances d’adhésion dans la Confédération bénédictine. Nous avons une grande dette de gratitude envers les premiers membres de la Confédération qui ont eu la clairvoyance de compiler et de publier ces documents inestimables. Il nous appartient à tous de les utiliser efficacement pour nous aider à comprendre la situation actuelle, et à planifier l’avenir.


[1] Thomas Piazza est un statisticien retraité de l’université de Californie à Berkeley (USA). Il a été moine bénédictin à l’abbaye de St. Leo en Floride dans les années 1960.

[2] Le père Geraldo González y Lima est moine de l’abbaye de Saint-Gérard à São Paolo (Brésil), trésorier de la Confédération bénédictine, et vice-président de la Commission internationale de l’éducation bénédictine.


Rapport du Secrétaire général du DIM

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Nouvelles

Rapport du Secrétaire général du DIM

au Conseil d’administration de l’AIM

28 octobre 2021


Père William Skudlarek, osb

 

 

Les restrictions persistantes sur les voyages et les rassemblements pour stopper la propagation du coronavirus ont à nouveau sévèrement limité les activités du DIM en 2021, celles parrainées par le Secrétariat ainsi que les activités au niveau des Commissions régionales. Un dialogue en cours avec les musulmans chiites, qui a été reporté en 2020 et devait avoir lieu à Vienne (Schottenstift) au début du mois, a de nouveau dû être reporté. Nous espérons maintenant nous rencontrer en mai 2022.

La réunion annuelle des Commissions européennes du DIM devait avoir lieu à Ligugé en septembre de cette année mais a de nouveau été suspendue. Elle aurait inclu une journée avec les membres du nouveau Centre international de la Communauté Mondiale de Méditation Chrétienne (CMMC), à Bonnevaux, pour discuter de la façon dont le DIM et le CMMC pourraient collaborer dans les programmes du Centre.

Le Chapitre général de la congrégation de Sankt Ottilien a également été retardé, il aurait inclu une session sur le dialogue interreligieux monastique.

Les organisateurs du National Workshop on Christian Unity (USA) m’ont invité à être « théologien en résidence » et conférencier principal pour leur conférence virtuelle qui s’est tenue en avril. J’ai donné trois conférences sur la place de l’hospitalité (philoxénie, amour de l’étranger) dans le dialogue œcuménique et interreligieux.

En tant que rédacteur en chef adjoint du journal en ligne du DIM, Dilatato Corde, je continue de consacrer beaucoup de temps et d’efforts à la traduction et à l’édition de documents soumis pour publication, ainsi qu’à la correspondance avec les auteurs et les réviseurs externes d’articles scientifiques. En plus des réflexions personnelles et des rapports sur les activités interreligieuses des individus et des commissions régionales du DIM, Dilatato Corde continue de publier d’importants travaux scientifiques sur le dialogue interreligieux au niveau de l’expérience et de la pratique spirituelles. Dans les deux numéros du tome 11 (2021), par exemple, vous trouverez « De Deus in adiutorium à Maranatha : Colonialisme et réforme dans la rencontre hindoue de John Main », de Nicholas Scrimenti, et deux études de Fabrice Blée : « Le dialogue chrétien-bouddhiste : Dimension prophétique du dialogue interreligieux monastique » et « L’expérience de Dieu dans l’œuvre de Panikkar : Éléments épistémologiques pour une approche contemporaine du divin ».

J’ai fait une présentation sur les dimensions « conviviales » du dialogue interreligieux monastique lors d’un webinaire organisé par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux pour les membres et consulteurs nord et sud-américains du PCID (Pontifical Council for Interreligious Dialogue). Le webinaire s’est tenu le 19 octobre et s’inscrivait dans le cadre de la préparation par le Conseil de l’Assemblée générale de l’année prochaine, qui sera consacrée à la convivialité et au dialogue.

J’ai bon espoir que mon successeur en tant que secrétaire général du DIM sera nommé dans cette année 2022 ou au début de l’année prochaine. Je terminerai mon cinquième mandat de trois ans le 30 novembre 2022, et bien que ma santé soit bonne et que je reste déterminé à promouvoir le dialogue interreligieux entre les moines, je pense que c’est le bon moment pour un jeune bénédictin passionné et bien informé sur le dialogue interreligieux d’assumer la direction de cette importante œuvre au nom de la Confédération – un bénédictin d’ailleurs qui pourrait être autre que nord-américain ou européen.

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