Les éléments essentiels de la vie monastique
Un texte de BECOSA
Le texte suivant est un commentaire développé à partir d’une rencontre de membres de communautés bénédictines d’Afrique du Sud (BECOSA), qui ont participé au Programme des Formateurs Monastiques (MFP) à Rome. Cette rencontre se tint du 11 au 16 juillet 2012 dans le centre de retraite de Lumko, à Benoni, en Afrique du Sud.
Le germe de cet article fut planté lorsque BECOSA commença à explorer la possibilité d’un institut monastique dans la région sud-africaine. Ce devait être un lieu de formation continue et d’éducation des moines et des moniales dans notre région. Nous pensions inviter comme conférenciers les meilleurs universitaires bénédictins et des orateurs expérimentés. Pourtant, alors que nous en parlions, nous avons fini par comprendre que nous ne pouvions pas ignorer le savoir et la compétence acquis par les membres de nos communautés. Presque chacune des communautés de notre association a été représentée par au moins un de ses membres au programme MFP, et souvent même par deux, trois membres ou plus. Ce programme a pour objectif de satisfaire les besoins de ceux qui travaillent à la formation monastique ou s’y préparent pour l’avenir, en bénéficiant de l’enseignement de certains des meilleurs professeurs de la vie monastique de notre temps. Plus de 300 moines et moniales de tous les continents et de diverses traditions monastiques ont participé à ce cours. Dans le vrai sens du terme, il s’agit d’une expérience de formation pour formateurs.
Comptant tant de membres avec une formation aussi riche sur l’expérience monastique, l’association BECOSA disposait déjà d’un fond précieux à partir duquel il était possible de tirer une sagesse et une pensée monastique.
Ce qui finalement émergea de nos échanges fut de réaliser que le besoin concret de BECOSA était de savoir énoncer exactement ce qu’est la vie monastique. Lorsque nous exprimons notre vie, que ce soit en parole ou en acte, que disons-nous ? En tant que moines et moniales, que disons-nous sur ce que nous sommes ?
Ainsi, les anciens participants au MFP furent mandatés pour exprimer cela d’une manière qui pourrait être discutée et utilisée par toutes nos communautés. Nous avons maintenant décidé de publier ce document sur le site de l’AIM ainsi que sous une forme qui lui permette d’être facilement distribué.
Ce document est à la fois une déclaration théologique et philosophique sur la vie monastique. La vie monastique n’est pas floue. Elle a une définition et une forme claires et sans compromis, le monachisme restant tout autant en prise avec la vie. Nous espérons que ce document sera en lui-même une expression de la profonde et étonnante vitalité qui est en jeu au cœur du monachisme.
Vivre la vie chrétienne
Vivre la vie monastique consiste à « ne rien préférer au Christ » (RB 71, 11). Si nous voulons communiquer l’essentiel de la vie monastique à ceux et celles qui viennent nous rejoindre ou à un plus large public, nous espérons qu’un tel principe puisse ressortir comme une évidence dans ce que nous disons, dans notre manière de vivre et de le décliner pour d’autres. Dans nos communautés, nous gardons un environnement qui facilite cette préférence. Nos communautés sont des lieux où « l’amour parfait de Dieu, qui chasse toute crainte » est palpable (RB 7, 67 ; 1 Jn 4, 18).
Ne rien préférer au Christ requiert une sorte d’exploration de soi-même, peut-être même une recherche de son être profond. Cela signifie se poser des questions sur soi-même, sa communauté, ceux et celles qui sont en formation initiale ou aspirent à entrer dans nos communautés.
– Comment rencontrons-nous le Christ ?
– Vivons-nous avec le Christ et en Christ ?
– Qui est le Christ pour nous ?
– Où est-ce que je le rencontre dans la vie monastique ? Et même, où est-ce que je pense pouvoir le rencontrer dans la vie monastique ?
La réponse à ces questions peut révéler beaucoup sur nous-mêmes et nos communautés. Parce que le Christ devient le moine idéal pour nous, et ainsi, notre vie monastique nous configure au Christ. La tradition monastique nous procure, avec l’aide de l’Esprit Saint, un chemin particulier pour imiter le Christ et permettre à Dieu de travailler et d’habiter en nous et à travers nous.
Ceux et celles qui s’attachent à ce continuum qui dure depuis le 4e siècle, désirent vivre comme Dieu le voudrait, dans sa grâce et son amour surabondants, tel qu’on peut l’attendre de tous les chrétiens. Le monachisme choisit seulement de faire cela avec une intense conscience de servir Dieu dans le cadre d’une communauté et sous un abbé, une règle et l’Évangile. Mais la vie chrétienne est la base du développement de cette conscience. Notre vie chrétienne ne peut pas être séparée de notre vie monastique. Par conséquent, nous voulons assumer la particularité chrétienne de manière authentique et avec zèle.
Vivre la promesse baptismale
Notre baptême nous attache au Christ, que ce soit pour certains peu de temps après leur naissance ou, pour d’autres, plus tard dans la vie. Cela signifie que nous sommes marqués comme appartenant à Dieu, scellés dans la vie et l’enseignement du Christ, qui devient ainsi notre modèle. Il est le test décisif de ce que nous faisons et disons.
Rencontrer la Parole de Dieu
Le Christ est le Verbe de Dieu. Tel est le titre qu’on lui donne. L’ignorance des Écritures est ignorance du Christ. Une relation avec Dieu est le point de départ pour rencontrer cette Parole. Nous devons être désireux d’entrer en interaction avec Dieu, d’écouter la Parole de Dieu et de répondre lorsque nous sommes interrogés.
Prière
La vie monastique possède une théologie précise : le chemin par lequel nous rencontrons le Christ et déployons notre prière. Si nous avons besoin de savoir comment prier, nous regardons le Christ comme notre maître et notre exemple. Il est le suprême expert de la prière. À chaque étape importante de sa propre vie, il rejoint un endroit désert pour prier. Nous pouvons nous aussi vivre la prière en chaque étape de notre itinéraire, et tout spécialement dans ce chemin monastique qui nous christifie.
Foi
La vie monastique est davantage une disposition intérieure. Notre comportement extérieur reflète la transformation qui s’opère en nous. En tant que moines et moniales, nous pouvons nous guider les uns les autres dans ce voyage d’exploration de la vie monastique en Christ, spécialement ceux et celles qui sont en formation initiale. La vie monastique, c’est se tourner continuellement vers Dieu en tant qu’il est la source de la vie. Notre foi doit être une expérience vécue, qui doit avoir une signification particulière pour nous et ne pas être seulement un concept ou une doctrine. Nous nous évangélisons nous-mêmes par notre foi. Nous croyons en notre relation au Christ. Nous faisons confiance en la Parole et nous la suivons.
Les autres sacrements
À travers notre foi, les sacrements nous révèlent leur signification. Ils construisent notre relation au Christ et à notre communauté. Ils expriment la vie qui jaillit du Christ. Réciproquement, la vie monastique marque notre vie sacramentelle, tant au niveau de la communauté que du trajet individuel. Nous vivons les sacrements dans notre chemin les uns avec les autres et dans notre chemin de conversion intérieure vers Dieu. Tout cela est fondé sur notre relation au Christ.
La place de l’Esprit Saint
Les moines et moniales sont porteurs de l’Esprit. Nous sommes marqués de l’Esprit du Christ à notre baptême. Non seulement, nous croyons en la Parole grâce à l’Esprit Saint, mais nous l’avons également en nous-mêmes. Et en étant porteurs de l’Esprit, nous sommes également porteurs de la Croix. Notre vie monastique est intrinsèquement liée au mystère pascal. Nous vivons de ce mystère dans notre vie quotidienne. Le Christ nous a donné son Esprit par sa mort et sa résurrection. Nous aussi, nous avons à prendre notre croix et à marcher à sa suite.
Appartenir au Christ
Tout ce que nous avons décrit de la vie chrétienne a pour but de montrer que notre relation au Christ est si intime et étroite que nous ne pouvons nous tenir à distance de la présence du Christ. Nous appartenons au Christ. Nous ne pouvons échapper à cette réalité ou nous en distancer. En tant que moines et moniales, nous embrassons le Christ de tout notre cœur, de tout notre esprit et de toute notre âme, et nous sommes embrasés par son enseignement et sa vie.
De la théologie à l’action (Prologue 20)
Benoît décrit la communauté comme une « école du service du Seigneur » (RB Prologue 45). L’école décrite par Benoît est un atelier où les aptitudes au métier peuvent être aiguisées et perfectionnées. La charpente spirituelle de la vie monastique doit passer de la théologie à l’action. À quoi ressemble la disposition intérieure dans la pratique ? Dans le Prologue de la Règle, Benoît écrit ceci : « Quoi de plus doux, frères et sœurs bien-aimés, que cette voix du Seigneur qui nous invite ! Voyez : dans sa tendresse, le Seigneur nous montre le chemin de la vie. C’est pourquoi prenons pour ceinture la foi et la pratique des bonnes actions. Laissons-nous conduire par l’Évangile et avançons sur les chemins du Seigneur. Alors nous mériterons de le voir, lui qui nous appelle dans son Royaume » (RB Prologue 19-21).
Pour trouver des réponses aux questions mentionnées ci-dessus, il s’agit vraiment de chercher Dieu.
Ainsi, notre point de départ est de ne rien préférer à l’amour du Christ. Nous voulons vivre comme le Christ vit. Nous voulons agir comme le Christ agit. Ainsi, notre initiation à la vie monastique se fait à travers une vie en Christ, sous la direction éprouvée de la règle de saint Benoît. Nous transmettons cette vie à travers notre enseignement et notre agir à ceux et celles qui, nouveaux, viennent à nous. Par exemple :
– Si nous vivons en ayant l’Évangile pour guide, la lectio doit être habituellement pratiquée et notre vie monastique doit en être imprégnée. Notre lectio doit être une expérience vécue.
– La liturgie est vie pour nous parce qu’elle est vie vécue en Christ. C’est la communauté qui prie ensemble. Notre liturgie doit se réaliser en relation avec la manière dont nous vivons notre vie communautaire.
– La communauté est notre vie de communion. Nous avons à développer des relations entre nous autant qu’avec le Christ, et ce tissu relationnel doit être signifiant dans notre manière de vivre la vie monastique.
– Notre travail est notre mission. Il est notre apostolat.
– Et finalement, la conversion doit être une expérience que nous vivons à l’intime de nous-mêmes. La conversion est une transformation au plus profond de notre être et elle doit se refléter dans notre manière de vivre en Christ. Notre conversion est vue par les autres, et parfois cela peut nous surprendre tellement nous sommes mauvais juges par rapport à nous-même.
Lectio
Écouter devient la première étape dans notre relation à Dieu. C’est le point crucial de l’initiation à la lectio divina. La lectio a à devenir une des activités de base d’un moine parce qu’elle nous permet « d’écouter avec l’oreille de notre cœur » (RB Prologue 1). Dans notre pratique de la lectio, nous développons la foi et la confiance dans le fait que la Parole de Dieu est Esprit et Vérité. Cette vérité se manifeste dans notre manière de laisser le Verbe nous mouvoir et nous transformer. Nous écoutons et nous traduisons en actes ce que Dieu nous dit dans les Écritures par la foi.
La pratique de la lectio est « de chercher le cœur de Dieu dans le Verbe de Dieu » (Grégoire le Grand). C’est à travers les Écritures que nous apprenons à connaître ce Dieu qui nous aime. Nous lisons lentement, méthodiquement, soigneusement et de manière répétitive afin de rencontrer le Christ, et nous laisser enseigner comme ses disciples. Ainsi, la manière dont nous sommes enseignés, inspirés, confortés et interpellés par l’Évangile devient une part du chemin de notre vie, avec les réalités auxquelles nous avons à faire face et les dons que nous recevons. La conclusion de la Règle (RB 73), les chapitres sur la lectio, sur l’obéissance et l’œuvre de Dieu peuvent nous nourrir d’une spiritualité du Verbe en actes.
Quoi qu’il en soit, notre itinéraire éclairé par la Bible n’est pas seulement individuel. Nous avons à partager le Verbe avec d’autres. Quand nous le pouvons, nous essayons de remplir nos pensées de textes scripturaires.
Liturgie
La liturgie, dans un contexte monastique, est une liturgie vivante, et non simplement une performance ou une routine obligatoire. C’est pour nous l’école de la prière. Nous imitons le Christ dans notre prière avec lui. Parce que lui-même a utilisé les psaumes dans sa propre relation avec son Père, ne serait-ce que son cri sur la croix (psaume 22). Le mystère pascal est vivant en nous à travers le culte que nous accomplissons ensemble en communauté. Ainsi, nous devons apprendre à prier à travers elle, en participant activement à ce que nous disons et faisons ensemble en tant que communauté. La préparation et la réflexion deviennent des aspects cruciaux de cet effort. La prière individuelle est le fondement de notre chant des psaumes « de telle manière que notre esprit soit d’accord avec notre voix » et inversement (RB 19, 7). Utiliser des éléments de la liturgie, particulièrement des psaumes, dans notre prière personnelle peut être assez efficace pour ce culte vivant.
Les psaumes sont la pièce maîtresse de notre Opus Dei. En tant que moines et moniales, nous essayons de comprendre quel rôle ils jouent en chaque office ainsi que dans notre propre vie. Nous devons être capables d’enseigner aux gens comment prier les psaumes, de transmettre leur valeur et de voir ce qu’ils signifient pour nous et pour le monde.
Nous partageons et célébrons notre foi dans l’Opus Dei. Dans l’eucharistie avec le Christ et entre nous, nous commençons à découvrir la beauté du culte dans la mesure où nous sommes introduits avec nos propres corps dans cette beauté. Alors la liturgie devient un acte sacré qui imite le Christ et ses enseignements. Ce que nous faisons en tant qu’Église du Christ est notre réponse à son sacrifice d’amour. La communauté qui prie ensemble exprime de la gratitude à l’égard de l’amour de Dieu pour toute la création.
Communauté
Espérance, foi, amour et charité : si l’un ou l’autre point vient à manquer dans notre vie communautaire, alors nos communautés commencent à dysfonctionner. Toutes ces caractéristiques doivent être présentes dans une communauté centrée sur le Christ et son amour qui contient tout. Et comme le dit Paul, « le plus grand de tous ces dons, c’est la charité » (1 Co 13, 13).
Comme nous l’avons affirmé ci-dessus, la vie communautaire est une vie de communion, non seulement les uns avec les autres mais également avec Dieu. C’est l’eucharistie vivante qui nous fait corps du Christ. La communauté devient vraiment « l’école du service du Seigneur », où nous travaillons tous ensemble à l’art de servir Dieu. Servir n’est rien d’autre qu’une expression de l’amour.
Tous les chapitres de la règle de saint Benoît qui traitent des différentes fonctions dans le monastère – l’abbé, le cellérier, le maître des novices, l’hôtelier, les anciens, etc. – reflètent étroitement le service auquel Jésus nous appelle tous, selon son propre exemple et son commandement nouveau de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés (Jn 13, RB 2, 21, 31.35.38.53.57.58.65 et autres).
Dans le service, l’obéissance – a fortiori l’obéissance mutuelle (RB 5, 71) – joue un rôle crucial. Nous nous servons les uns les autres en communauté à travers l’obéissance. Ainsi, nous commençons à voir ensemble la volonté de Dieu (RB 3). L’eucharistie est le signe sacramentel de notre vie en communauté dans la mesure où elle construit notre vie communautaire de même qu’elle crée une théologie de la communauté. Amour, intimité, amitié et affection sont les caractéristiques de cette sorte de communion. Nous faisons confiance et croyons en l’unité de notre communauté qui permet que se développent le dialogue et la communication. Dans une communauté de foi et d’amour, nous nous sommes engagés à la stabilité (qui est l’une des trois composantes de notre vœu monastique ainsi que l’obéissance, RB 58).
Afin de faciliter cet engagement, il est important pour une communauté monastique de bien connaître son histoire et d’être capable de recevoir d’elle autant de ce qui vient de ses succès que de ses erreurs.
Afin de faciliter également l’engagement, une communauté devrait avoir une bonne compréhension de la vraie place de la discipline et des règles qui régissent la vie communautaire. La correction fraternelle est nécessaire et saine tant qu’elle est exercée avec gentillesse et conduit à la réconciliation et au pardon.
Le fondement principal de la culture en communauté est l’Évangile, et la règle de saint Benoît offre un chemin qui a fait ses preuves pour vivre cet Évangile. Telle est la culture que nous avons reçue en tant que moines et moniales. Aucune autre considération ne devrait remplacer celle-là.
Travail
Le travail dans nos communautés devrait, nous l’espérons, avoir des qualités en matière d’accueil et de mission. En outre, comme l’affirme Benoît, nous ne devrions pas avoir peur de nous salir les mains. À la mesure du nécessaire, le travail manuel fait partie de notre vie (RB 48, 8). Et quelque travail que nous fassions, c’est encore une autre manière de construire la communauté. Nous travaillons au développement humain, à celui des autres ainsi qu’au nôtre. En tant qu’artisans, nous participons comme cocréateurs et collaborateurs à la construction du royaume de Dieu.
Conversion
Lorsque nous faisons profession monastique, la conversion de vie représente la troisième part de notre vœu. Cette dimension implique que nous acceptions d’être conduits par le Christ, qui est mort pour nous afin que nous devenions des créatures nouvelles en lui (1 Co 5, 14.17). L’Esprit Saint n’est pas uniquement celui qui nous crée mais il est aussi celui qui nous recrée en permanence. Nous devenons des créatures nouvelles en découvrant l’amour de Dieu pour nous de telle sorte que nous puissions l’aimer en retour (1 Jn 4, 19). Croissance et changement viennent comme le fruit de cette venue de l’amour dans nos cœurs (Rm 5, 5). Comme nous l’avons déjà exprimé, cette irruption est signifiée en premier lieu par notre baptême. Ainsi, nous souvenir de notre alliance baptismale nous aide à demeurer confiants au milieu des cruciaux et nécessaires changements auxquels Dieu peut éventuellement nous appeler.
La conversion n’implique pas seulement la transformation mais également l’humilité. Le chapitre 7 de la règle de saint Benoît est un excellent guide pour nous ouvrir aux impulsions et mouvements de l’Esprit en nous. L’humilité requiert parfois un changement radical lorsque nous avons à sortir de nos propres chemins pour mettre la communauté en premier dans les décisions que nous prenons. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, spécialement de ceux qui ont pris ce chemin avant nous et même de ceux qui viennent après nous. Saint Benoît souligne l’importance de consulter les membres les plus jeunes de la communauté aussi bien que les anciens, et de les interroger sur ce qu’ils pensent ou savent parce que « souvent le Seigneur découvre à un frère plus jeune ce qui est le mieux » (RB 3, 3). Cela demande de l’humilité d’admettre la limite de notre savoir et notre besoin de la communauté et de Dieu.
De même que stabilité et obéissance vont de pair, obéissance et conversion sont étroitement liées l’une à l’autre, faisant des trois parties du même vœu un tout imbriqué de manière si complexe. Benoît ne les voyait pas comme trois vœux différents mais comme les parties d’une même promesse. Les nouveaux qui arrivent dans nos communautés ont à comprendre pleinement la signification du vœu et ce que l’engagement représente vraiment pour eux. C’est pourquoi, il est important qu’un nouveau venu lise le chapitre 58 en entier et à plusieurs reprises. À la conversion le discernement est une importante condition préalable. Il s’agit de désirer le pur lait spirituel de manière à ce que puisse advenir la croissance vers le salut (1 P 2, 2). Quelques documents peuvent aider à comprendre l’engagement :
– Le rite d’initiation chrétienne pour les adultes catholiques trace le chemin d’un ré-engagement de vie chrétienne à partir des promesses du baptême.
– Le rituel baptismal dans le livre de prière anglican de l’Église anglicane d’Afrique du Sud ou le livre des prières usuelles de l’Église d’Angleterre ainsi que celui de l’Église épiscopalienne des États-Unis peuvent être une autre source importante de documentation.
Ce rituel nous rappelle les promesses que nous avons faites, ou que quelqu’un d’autre a prononcé en notre nom, lors de notre entrée dans l’Église chrétienne. Notre vœu monastique est un accomplissement ultérieur de notre baptême. Ainsi, la formation à la vie monastique a lieu même lors du stage d’un aspirant, lequel peut avoir besoin d’un peu de catéchèse ainsi que de formation à l’esprit monastique. Un bon fondement chrétien est vital pour la vocation d’un nouveau venu.
La conversion touche également d’autres aspects variés de notre vie en communauté :
– Le sacrement de réconciliation n’est pas simplement un moyen pour nous laver de nos fautes mais une occasion de conversion.
– Répétons-le : la correction fraternelle peut être une source efficace de conversion dans la mesure où elle est faite de manière aimable.
– En plus du chapitre 7, le chapitre 4 de la règle de saint Benoît liste pour nous très clairement les outils de la conversion. Ce chapitre peut éclairer grandement les moyens d’obtenir « le pur lait spirituel » que nous désirons tant.
– Le développement humain et spirituel doit contribuer à notre croissance dans le salut. Lorsque nous grandissons, c’est en tant que personne dans toutes ses composantes.
– La conscience de soi peut ne pas être un outil évident de conversion, mais nous avons à être suffisamment consciencieux pour être des moines et des moniales. La vie monastique est une vie de pleine conscience. Nous ne gardons jamais consciemment de mauvaises habitudes.
La motivation de chercher Dieu
Au chapitre 58 de la règle de saint Benoît, il est dit qu’on ne doit pas accorder une entrée facile aux nouveaux candidats dans la vie monastique. Nous devrions « chercher à savoir si l’esprit avec lequel ils arrivent vient de Dieu » (RB 58, 1 ; 1 Jn 4, 1). Cette déclaration montre combien saint Benoît désire que nous soyons prudents avec la formation des nouveaux venus. Il affirme également « qu’on leur donnera un frère ancien, capable de les entraîner vers Dieu. Ce frère s’occupe d’eux avec le plus grand soin. Il regardera attentivement le nouveau venu. Est-ce qu’il cherche vraiment Dieu ? Est-ce qu’il s’applique avec ardeur au service de Dieu, à l’obéissance, aux épreuves qui rendent humble ? » (RB 58, 6-7). Les formateurs de nos communautés ont dans la plupart des cas une grande et même très importante responsabilité à l’égard de la vie monastique. Benoît est très clair à ce sujet dans le chapitre 58 de la Règle. James Otis Sargent Huntington, le fondateur de l’ordre de la Croix glorieuse, écrit dans sa Règle que l’avenir d’une communauté repose entre ses mains (règle de James Otis Sargent Huntington, chap. 32, § 146). Le formateur n’enseigne pas seulement par ce qu’il dit mais également par son exemple. Il ou elle donne à voir au novice ce à quoi une vie à la recherche de Dieu doit ressembler. La particularité la plus importante de la formation est qu’elle ne se passe pas dans « une classe » mais dans l’accompagnement spirituel actif du maître des novices.
Mais il est également important de réaliser que la communauté doit favoriser un environnement dans lequel une bonne formation puisse advenir. La communauté autant que le formateur est un modèle pour celui qui arrive. Et ainsi, une bonne communauté de formation est celle qui permet de voir en toutes choses la recherche de Dieu. En un sens, nous sommes tous une communauté en formation continue concernant la tradition monastique. La formation ne s’arrête pas avec les vœux perpétuels. Apprendre continuellement, croître et se développer en tant que groupe d’hommes ou de femmes qui vivent dans l’unité est le meilleur moyen de gagner les âmes de ceux qui entrent dans nos communautés, et de ceux qui d’une manière ou d’une autre sont en contact avec nous. En d’autres termes, nous avons tous et ensemble à être les imitateurs du Christ.
Voici ci-dessous une liste des « essentiels » de la formation à la tradition monastique, dont il est bon d’avoir connaissance en tant que moines et moniales qui ont été introduits dans cette forme de vie très ancienne, qui respire et donne toujours de la vitalité. Certains de ces points ont été traités en détail dans les paragraphes précédents et sont regroupés dans des catégories générales, après une brève introduction.
Communauté et relations
La personne en formation doit apprendre à développer ses relations et à comprendre ce que signifie vivre dans une communauté particulière. Créer du lien entre les deux parties requiert des sacrifices de la part du candidat et de la communauté. La communauté joue un rôle de mentor dans la manière d’établir cette relation et peut aider le nouveau venu à être formé. Les membres de la communauté doivent agir de telle manière qu’ils doivent se montrer dignes d’être imités. Ils offrent des modèles ainsi que des chemins pour enseigner celui ou celle qui est en formation. La communauté doit être impliquée dans ce processus. Ceux qui arrivent doivent apprendre à écouter, à aimer leurs frères et sœurs, à apprendre des autres et de leurs exemples et témoigner un soin visible et un intérêt certain à l’égard des propositions et des enseignements de la communauté. Il s’agit d’une relation à deux parties et donc, bien entendu, le dialogue est crucial. Il faut espérer que les postulants et les novices soient capables de chercher Dieu dans la communauté, dans sa vie, ses membres et dans leurs relations avec la communauté. Le nouveau venu et la communauté ont à s’engager conjointement et fidèlement dans ce processus.
1- Écouter pour aimer - l’écoute avec le cœur est le vrai fondement de la vie monastique.
2- La communauté doit être christo-centrée.
3- La vie communautaire est cruciale dans les premières étapes de formation.
4- Nous devons tous vouloir apprendre les uns des autres.
5- Nous cherchons Dieu en communauté.
6- Nous faisons attention les uns aux autres.
7- Le formateur n’est pas le seul qui soit concerné par la personne du nouvel arrivant. La communauté est également formatrice.
8- Dialogue (voir l’introduction ci-dessus).
9- Engagement à la vie communautaire et au sacrifice (voir l’introduction ci-dessus).
10- Lorsque nous nous rassemblons en communauté, nous venons tels que nous sommes. Une fausse piété n’a pas de place dans des relations vraies au cœur de la tradition monastique.
11- Les membres de la communauté ont à imiter le Christ (voir l’introduction ci-dessus).
12- Lorsque nous entrons ensemble en relation, nous vivons « notre » liturgie (voir la section sur la liturgie ci-dessus).
13- La communauté devrait être un lieu saint, sacré, un espace où s’opère le sacrifice dans lequel nous sommes sanctifiés.
Les aptitudes à la vie communautaire des nouveaux arrivants, des conditions pré-requises ?
Comme nous l’avons déjà dit, la vie monastique ne préfère rien au Christ. Cette préférence informe la manière dont chacun vit. Si nous possédons l’amour parfait de Dieu, il chassera toute crainte. Cette affirmation était spécialement celle du chapitre sur l’humilité. Cette valeur clairement monastique imprègne tous ceux qui vivent une telle préférence. Le Christ est l’humble serviteur qui « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2, 6-8). C’est ce que nous pouvons chercher lorsque nous voyons nos novices et nos postulants grandir dans la tradition. Le chapitre 58 décrit également assez bien les qualités qui sont à chercher chez ceux qui nous rejoignent.
1- A-t-il une recherche, un désir de Dieu ? Est-ce que le nouveau venu cherche Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit ?
2- Est-ce que la personne peut comprendre un message intégré à la vie ordinaire ? Est-ce qu’il ou elle est enseignable ou intéressé/e à se connaître du point de vue de son développement humain et spirituel ?
3- Est-ce que le candidat cherche Dieu dans la communauté ? (Voir les sections sur la communauté ci-dessus.)
4- Le nouveau venu établit une relation d’amour définitive avec le Christ ressuscité et conduit les autres à cette rencontre de dialogue.
5- Engagement à la vie communautaire et au sacrifice, comme don de soi (voir les sections sur la communauté ci-dessus).
6- La Parole est vécue dans la totalité de la personne.
7- La personne est désireuse et capable de conversion.
8- Est-ce que la personne en formation se sent bien avec les autres ? Est-ce qu’elle rencontre par ce biais la communauté ? Y a-t-il de la fausse piété chez cette personne ?
9- La personne doit être désireuse d’imiter le Christ et montrer des signes que cela se fait bien en elle.
10- Chacun doit comprendre le cheminement et la provenance de ceux qui sont en formation.
11- Est-ce que le nouveau venu comprend le sens et le but de la vie monastique ?
12- La personne en formation est-elle prête à se disposer en vue d’être enseignée ?
13- Qui est le Christ pour le candidat ou la candidate ?
14- On peut espérer que le nouveau venu aime la prière et est naturellement enclin à prier.
15- Le nouveau venu doit aimer aussi la Parole de Dieu.
L’essentiel des formateurs : l’art de gagner les âmes
Les imbrications entre les qualités à rechercher en ceux et celles qui sont en formation et celles que le formateur considère cruciales à posséder ou à cultiver en tant que telles sont assez frappantes. Non, nous n’essayons pas de faire de nos postulants et novices des photocopies de nous-mêmes, ni ne tentons de faire des autres membres de la communauté des robots. S’il en était ainsi, nos propres egos seraient trop impliqués dans le processus de formation. Celui qui forme le mieux et de la manière la plus véridique est le Christ à travers l’enseignement du Saint-Esprit, comme l’a dit le pape Benoît XVI : « Éduquer devient une mission merveilleuse si on l’accomplit en collaboration avec Dieu qui est le premier et véritable éducateur de chaque homme ». Le pape Benoît XVI l’affirme en lien avec le baptême. L’enfant est éduqué « au sacrement qui marque l’entrée dans la vie divine, dans la communauté de l’Église ». Il dit aux parents : « Nous pouvons dire que cela a été votre premier choix éducatif comme témoins de la foi envers vos enfants : le choix est fondamental ! » (Pape Benoît XVI, homélie pour la fête du baptême du Christ, prêchée au Vatican le 8 janvier 2012).
Nous éduquons les personnes en formation à vivre à nouveau de leur baptême, à se souvenir qui elles sont et à qui elles appartiennent. La vie monastique peut être vue comme une manifestation et une expression supplémentaires de la vie baptismale en Christ. Si nous avons à être des formateurs/éducateurs, nous devons nous souvenir qui est vraiment le Formateur et ne pas lui faire obstacle. C’est pour cela que nous devons désirer être formés par le Christ. Nous devons être malléables au travail de salut en Christ. Le pape Benoît XVI écrit : « En tant que personnes adultes, nous nous sommes engagés à puiser à de bonnes sources, pour notre bien et pour celui de ceux qui sont confiés à notre responsabilité » (Ibid.).
Ceci est spécialement vrai lorsqu’on est maître des novices. Nous devons puiser à la source du Christ, de la Parole et des sacrements de l’Église. Nous devons nous « nourrir » nous-mêmes « à ces sources pour pouvoir guider les plus jeunes dans leur croissance ». Pour donner, nous avons à recevoir et à chercher la Parole de Dieu au sein de la vie de la communauté, dans notre prière et dans la formation que nous assurons. Et par-dessus tout, nous cherchons à imiter le Christ, à lui devenir conformes dans la mesure où nous enseignons à nos postulants et à nos novices à faire de même.
1- Les formateurs ont à être des imitateurs du Christ.
2- Nous, formateurs venons à nos novices simplement tels que nous sommes, abandonnant toute forme de fausse piété.
3- Nos postulants et novices peuvent-ils voir la conversion à l’œuvre à travers nous, leurs maîtres des novices ?
4- Est-ce que nous vivons de la Parole et la déclinons pour les nouveaux venus ?
5- Nous nous sommes engagés à vivre dans la communauté dans l’offrande de nous-mêmes.
6- Les formateurs ont à établir une relation d’amour décisive avec le Christ ressuscité et ils doivent être capables de conduire les autres à cette rencontre de dialogue.
7- Est-ce que nous cherchons Dieu dans la communauté ?
8- Offrons-nous un message intégré à l’expérience de la vie ?
9- Est-ce que recherche et désir nous habitent, spécialement à l’égard de Dieu ?
10- Nous devons nous assurer de la bonne volonté et de la fiabilité des candidats. Nous devons faire preuve de beaucoup d’amour et nous sentir concernés par cette tâche et, si besoin, échanger avec d’autres experts.
11- L’accompagnement est direction et compagnonnage en tenant compte de l’apprentissage permanent du voyageur qui chemine avec nous.
12- Les formateurs doivent être capables de comprendre d’où viennent les candidats.
13- Les formateurs doivent avoir une bonne et solide compréhension de la signification et de l’objectif de la vie monastique.
14- Les formateurs ont à créer un environnement pour que le noviciat soit un lieu d’offrande (et donc de sanctification) au sein de la communauté.
15- Les formateurs ont à être ouverts au changement et apprendre particulièrement de ceux qui sont formés.
16- Qui est le Christ pour nous, formateurs ?
17- Nous devons aimer et encourager la prière.
18- Nous devons aimer et encourager l’amour de la Parole.
Le but de tout cela
Dans le fait d’être guidés et conduits par la tradition monastique, notre objectif est d’avoir une attitude véritablement consciente et responsable face à la présence de Dieu en nous. La vie monastique devient alors un témoignage authentique de la vie chrétienne. En d’autres termes, la vie monastique n’est rien d’autre qu’une vie chrétienne menée avec sérieux et intégrité.