Quatrième rencontre des Supérieur(e)s monastiques de l’Afrique de l’ouest francophone
Les Supérieurs/es Monastiques Francophones de l’Afrique de l’Ouest viennent de vivre une rencontre à Toffo au Bénin du 5 au 11 février, à l’issue de laquelle l’Association des Bénédictines de l’AO a poursuivi son propre itinéraire de partage et de réflexion.
Nous désirons en premier lieu exprimer à l’AIM notre joie d’être accompagnés par la prière, dans les contextes particuliers des fondations, qui peuvent être des lieux d’un passionnant défi.
Nous avons évoqué l’intérêt perçu également par les Formateurs à Parakou très récemment, celui de la structure Ste-Anne, des sessions JPM…, nous remercions l’AIM pour sa communion, sa conviction de soutien, et son aide chaque fois que cela lui est possible !
Des passages du compte-rendu de Mère Henriette, Prieure de Koubri et du Père Ange-Marie Niouky, Abbé de Keur-Moussa relateront fidèlement le déroulement de cette session ; ces rencontres dans un esprit très fraternel sont importantes pour mieux nous situer dans nos services de responsables en communautés et par rapport au témoignage attendu de la vie monastique.
Le Père Théodore Coco, Abbé du monastère de Dzogbégan au Togo, coordinateur des Supérieurs monastiques de l’AO en situe l’enjeu :
« Être des témoins de réconciliation, de justice, de paix, comme nous y invite le dernier synode … l’Eglise attend beaucoup du témoignage des communautés religieuses marquées par la diversité raciale, régionale ou ethnique. Celles-ci proclament par leur vie que Dieu ne fait pas acception des personnes, que nous sommes membres d’une seule et même famille, vivant dans l’harmonie, dans la diversité et la paix.
« Comment donner ce beau témoignage que l’Eglise attend de nous, à notre continent, si nous n’arrivons pas à gérer nos diverses crises inhérentes à la croissance de nos communautés ?
Nous allons aborder quelques aspects de la gestion dans nos communautés… A chacun d’entre nous d’être vigilant pour déceler ce que Dieu veut dire, à lui et à sa communauté, à travers cette rencontre. »
Ouverture
Mère Marie-Reine, Prieure de Toffo exprime la joie de la communauté de Saint-Joseph de Toffo d’accueillir les Supérieurs monastiques qui viennent, comme de coutume, dans le but d’un partage fraternel de leurs expériences communautaires et personnelles.
« Soyez les bienvenus chez vous, à Toffo, insistait-elle. Sentez-vous chez vous, à Toffo : la famille n’a pas de limite !
Cette rencontre sera un enrichissement pour tous. Elle contribuera à l’accomplissement de notre mission auprès de nos communautés respectives, dans la fidélité à notre charisme, en Notre Père Saint Benoît.
Je suis heureuse de prendre part, pour la première fois en tant que Prieure nouvellement élue, à cette rencontre. »
Nous saluons avec joie, la présence encourageante parmi nous de Mère Béatrice, Prieure de Martigné-Briand (France), Présidente de la Congrégation de Sainte Bathilde en visite fraternelle en ce moment à Toffo. Elle est heureuse, elle aussi, de faire connaissance avec les Supérieurs Monastiques de l’Afrique de l’Ouest.
« La gestion des ressources humaines dans nos communautés »
Ce thème avait été choisi à la fin de notre rencontre de 2006 à Keur Moussa où nous avions réfléchi sur le « Travail dans nos communautés ». Le lien entre les deux sujets est clair.
Pour nous aider à ouvrir notre réflexion à ces dimensions de l’Eglise et du monde, deux intervenants sollicités ont accepté de partager leurs connaissances et expériences, monsieur Michel AMEKE, Premier Conseiller de la Commission Justice & Paix au Togo, et le Père Edouard ADE, curé de la Paroisse du Bon Pasteur à Cotonou.
Monsieur Michel, pour nous mettre en appétit, nous présente 4 tableaux représentant des situations à gérer. Ces 2 premières journées mettront en relief l’importance de la structure de nos communautés et de la responsabilité de chacun de ses membres : « Qui ? Fait quoi ? Où ? Quand ? Comment ? »
Nous parcourons aussi un document de travail qui nous précise quelques notions de droit pénal. Le dialogue libre avec M. Michel sous un mode qui n’est pas dénué d’humour, et sur des faits concrets nous permet de mieux situer les liens avec les travailleurs dans nos communautés, ceux à établir à bon escient avec les institutions administratives. Il attire notre attention sur des dispositions à prendre pour éviter des incidents malencontreux, où d’insuffisance de discernement.
LE PERE EDOUARD ADE intervient dans la même lancée que Monsieur Michel AMEKE en reprenant les images des panneaux qui illustrent quelques scènes de la vie en société ou en famille. Il insiste, à dessein, sur les deux premiers qui incluent les deux autres.
• Le premier panneau nous présente deux animaux attachés à la même corde, d’abord opposés, ils se font mutuellement mal ; mais chemin faisant, ils se mettent d’accord et font bon ménage. Cela vaut mieux.
• Le second panneau montre les animaux à la prairie. Ils broutent sans se douter de rien quand survient le prédateur : c’est le sauve qui peut ! Une malheureuse victime succombe à tous les coups. Là aussi, l’instinct grégaire aidant, les animaux se regroupent et font face au prédateur qu’ils repoussent : « Tous ensemble, pour la même cause ! ».
Dans ce préambule, le Père ADE a présenté également quelques situations qui nous montrent comment gérer nos affaires dans nos rapports avec l’extérieur.
Quel modèle de fonctionnement voulait saint Benoît ?
Pour saint Benoît le Monastère est avant tout une famille ; le Père Abbé en est le père. Saint Benoît voulait donc une famille à l’exemple de la communauté primitive. Ananie et Saphir ont donné un mauvais exemple d’appartenance à cette famille spirituelle. Prévenant ce danger funeste, saint Benoît condamne absolument l’instinct de propriété, le manque de transparence etc.
Le monastère, pour saint Benoît est aussi une « école du service du Seigneur.» Vivre l’Evangile est donc un chemin de croissance qui implique un apprentissage.
Toute la sagesse du Père de la famille monastique sera dans la mesure, la discrétion, le bon sens pour appréhender les choses et les événements. La Règle est déjà le manuel inspiré de la Gestion des Ressources Humaines qui a fait ses preuves.
Une bonne gestion des ressources humaines dépend du fait que l’organisation possède ou non une vision, un objet, une mission et des valeurs clairement définis.
VISION (un monde sans faim) ;
OBJET (aide les gens à augmenter la production de nourriture) ;
MISSION (réduire la faim en formant des agriculteurs…) ;
VALEUR (engagement à l’égard de Dieu, humilité, apprentissage…).
(4 points de repère essentiels : exemples donnés par rapport à une organisation humanitaire.)
La vision est nécessaire pour motiver la communauté. (Signe de vie chrétienne, « qu’ils soient un », aller à Dieu ensemble...)
L’objet est indispensable pour faire en sorte que tous travaillent pour atteindre un même but. (« Ecole du service du Seigneur », communauté de vie, de prière, de travail, entraide fraternelle…)
Sans mission, il est impossible pour le monastère de savoir quel est le travail à faire, et de ce fait, les descriptions de poste ne peuvent pas être identifiées. (Complémentarité des personnes, équilibre « ora et labora »…)
Les valeurs montrent comment le monastère doit faire son travail et de quelle sorte de personnel il a besoin pour le faire. (humilité, humanité, comportement de disciple, « vases sacrés de l’autel », redonner le goût de Dieu au monde…)
Quelle est la structure interne de la communauté : situation et rôle ?
Pour ce sujet, nous nous sommes arrêtés sur deux emplois spécifiques traités selon l’importance numérique des communautés représentées : petites, moyennes et grandes. Le cellérier et la cuisine sont les emplois sur lesquels les groupes ont réfléchi : les difficultés rencontrées et la description du poste. Présenter en grandes lignes la tâche à accomplir, ce qu’on attend de lui, sa place dans la structure hiérarchique, les limites de son pouvoir de décision.
A la remontée des carrefours, en guise de conclusion, le Père animateur nous a seulement évoqué l’anecdote suivante. On cherchait un frère pour être responsable d’une communauté. On demanda à saint Thomas d’Aquin qui fallait-il prendre : est-ce un savant, un saint ou un sage ? Celui-ci aurait répondu : « S’il est un savant, qu’il nous enseigne ; s’il est un saint, qu’il prie pour nous et s’il est un sage, qu’il nous gouverne ! ».
Complexité de devoir gérer les personnes
Le domaine de la relation avec les hommes est fluctuant : chaque homme ayant son histoire, le risque des malentendus est plus grand :
• « De l’ordre » : Chaque chose a sa place, chaque frère a son rang dans la communauté à partir de son entrée au monastère. Le problème des relations « par influence » selon les personnes est trop développé en Afrique. Nous devrions y prêter une attention particulière. L’ordre que saint Benoît établit dans la communauté pourrait être un moyen de guérison pour toute l’Afrique.
• De la structure objective : Lorsqu’on parle d’une charge, d’un emploi, on ne pense pas d’emblée à telle personne particulièrement. C’est à l’esprit de la Règle qu’il faudra toujours se référer.
• Qui mettre à ce poste ? Cette question n’est pas négligeable. Il faut faire recours aux personnes appropriées, susceptibles de donner à la structure sa performance, permettant l’orientation objective de la Règle.
Les trois niveaux de la structure de l’organisation
Une bonne structure d’organisation nécessite 3 niveaux :
1) savoir : qualifications …,
2) savoir faire : l’expérience, compétences et aptitudes …,
3) savoir être : qualités personnelles, le comportement…,
Pour que la structure fonctionne dans la vie monastique, il faut privilégier le troisième niveau, le savoir être, et par conséquent cela incite à inverser l’ordre des 3 niveaux, nous sommes dans l’ordre du témoignage :
3e Niveau : savoir être
Il est important de considérer non pas quel diplôme a tel frère, mais qu’est-ce qui le meut ? Il faut tout à fait faire sortir de la mentalité d’un plan de carrière, mais aider à entrer dans la disponibilité à faire ce que Dieu veut. Quel service peut l’aider à poursuivre la vie pour la quelle il est appelé ? Peut-il vivre ainsi sa vie d’intimité avec le Seigneur ?
Responsabilité et détachement, liberté, doivent ainsi se conjuguer.
Il y a aussi à articuler la mission du frère, et celle de la communauté.
2e Niveau : savoir faire
Il faut prendre en considération l’adage qui dit : « La grâce ne détruit pas la nature ». C’est le monastère tout entier qui est une école d’humanité : il faut éduquer, de manière à avoir un regard positif sur l’autre.
L’œil oblique ! C’est l’œil mauvais qui jalouse d’abord sur des banalités, puis débouche finalement sur la sorcellerie. Si je n’accueille pas l’autre comme un don de Dieu, il est normal que, peu à peu, il me devienne ombrageux.
Un chant béninois dit ceci : « Ce que Dieu créateur m'a donné n'est jamais peu ».
Lutter contre la sorcellerie, ce n’est point multiplier les exorcistes mais éduquer à l’émerveillement. C’est la culture de l’émerveillement, la pastorale positive sur l’autre, qui nous libérera….
La spiritualité de l’émerveillement découragera la sorcellerie ou l’esprit de la sorcellerie.
Témoignage : Je suis chrétien, disait un homme qui se réjouissait d’une promotion de son ami : « Le bien qui arrive à l’autre, mon frère, me réjouit ».
Gérer les Ressources Humaines, c’est cultiver et développer autour de soi cet esprit-là.
1er Niveau : savoir
On met un frère à un poste en tenant compte du besoin de la communauté et de la compétence du frère, sans nier sa disponibilité intérieure. Dans le monde, on recrute selon les connaissances ou la formation technique des candidats ; l’Abbé ne peut confier un emploi à quelqu’un sans un minimum d’aptitudes. Il peut y avoir des nécessités de formation.
Quelques conseils pratiques
1. Importance de la transmission : passation de services
Ce n’est pas pour rien que l’on prie pour les frères qui entrent en charge, dans nos communautés, au début de la semaine. L’esprit de la Règle de saint Benoît veut que ceux qui sont affectés au service de la communauté pour un temps déterminé soient assistés de la prière de tous les frères auxquels ils restent en communion dans l’exercice de leur service.
Le Père Abbé devrait revenir de temps à autre sur le sens de cette prière de la bénédiction des frères en service, pour en expliciter le sens. Quelle signification donner à cette prière ?
Les frères accomplissent leur service dans la lumière trinitaire : nous sommes des créatures, des serviteurs … C’est le Père qui fait, le Fils qui sauve et l’Esprit Saint qui sanctifie.
2. Pour réussir cette mission, il est indispensable de respecter certains éléments, par exemple :
La persévérance dans le bon zèle ou la gestion de la performance.
Une chose est de bien commencer une bonne œuvre, c’en est une autre d’y durer et de continuer à être efficace. En langage de Gestion des Ressources Humaines, cela s’appelle : LA GESTION DE LA PERFORMANCE ! Ce qui signifie : comment, dans la durée, je maintiens cette compétence vive ?
3. Le retour d’informations : un cycle de revue et de lancement d’objectifs
Tenir compte de l’univers dans lequel nous sommes formés pour éviter le décalage des générations. Des équivoques peuvent s’installer et aboutir à des dialogues de sourds.
La génération du NET est « une génération de rêveurs... » ! Donc, il faut en tenir compte et s’assurer toujours que l’ordre donné est compris et enregistré.
Il y a toujours nécessité d’une vérification discrète afin de s’assurer de l’évolution dans un emploi donné ou d’une nouvelle expérience. Ces retours pour vérifier ne doivent pas être ressentis comme un manque de confiance mais comme un encouragement à mieux faire.
« Gouverne, qui a l'information ! » Dans nos sociétés modernes, il est indispensable au responsable d’avoir des informations. Ce « va-et-vient » est important entre les frères et le responsable qui doit toutefois se garder de tenir en suspicion les frères. Faire avec doigté les remarques nécessaires à temps et à contretemps. « Etre là, sans être là ! » Dieu en voyage en étant toujours présent !
Conclusion : La vie monastique, signe du Royaume
Il ne faut jamais perdre de vue que la vie monastique est signe du royaume à venir. La source, ce sera sans conteste le retour à la Règle de saint Benoît.
Celui qui est responsable, doit répondre de sa fonction et des frères qu’il a sous ses ordres. Le responsable est aussi celui qui supplée aux faiblesses de ses frères fragiles. Il essaie de favoriser une certaine maturité de ses frères en l’acceptant tel qu’ils sont. C’est dans une attitude de confiance qu’il se donne à tous.
Parfois nous nous formons des « a priori » de faits qui n’ont aucun rapport entre eux – en Afrique, tout particulièrement, nous devons être plus attentifs à ce fait.
L’enjeu de cette rencontre était celui de la vérité du témoignage monastique : nous avons vécu une réelle rencontre de fraternité. Que cette réflexion puisse animer intérieurement chacun d’entre nous à vivre nous–mêmes et accompagner nos frères et sœurs dans ce signe du service.