LE DON DES AÎNÉS
Entourés d’une foule de témoins qui les ont précédés dans le Royaume de Dieu, les anciens de nos communautés sont les premiers guetteurs de l’Aube à venir. Comment vivent-ils cette nouvelle étape de vie ? Que peuvent-ils transmettre de leur expérience ? Dans la communauté de Sainte-Bathilde à Vanves, qui accueille l’AIM, les aînées sont nombreuses et à leurs côtés, de jeunes sœurs et des moniales sont venues d’autres continents pour étudier à Paris. Les unes apportent le témoignage de leur histoire, de leur fidélité à la prière commune, de la sérénité et de la joie qui les habitent, les plus jeunes ont tout à découvrir des autres cultures, de leurs cours, de la découverte de Paris, et avant tout, de la manière dont une communauté vit sa présence à Dieu et aux autres. C’est un exemple parmi d’autres de la manière dont les richesses de la vie monastique peuvent se communiquer d’une génération à l’autre.
Dès les origines du monachisme, l’Ancien est visité, honoré, écouté. Il est don de Dieu, il est celui qui ouvre la voie du Royaume de Dieu. Ancien ou Abba, il est reconnu comme tel par son exemple, son discernement, sa sagesse. Des moines plus jeunes sont également appelés Ancien, Abba. L’ancien est à la source d’une tradition qui se transmet et se prolonge jusqu’à nous.
En Afrique, comme aux déserts d’Egypte, les cultures traditionnelles se sont fondées sur la tradition orale. Les anciens sont ceux qui ont déjà l’expérience et transmettent un vécu, les jeunes sont ceux à qui appartient le futur, l’avenir. Le présent est le moment par excellence de la communication et, comme le rappelle le Père Boniface Tiguila, osb, c’est sur l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle ! De plus, la formation est initiatique et elle est de l’ordre du présent. Comment vivre pleinement cet « aujourd’hui, je commence » des premiers moines ? Comment bien vieillir ?
L’expérience est la première vertu de l’ancien. Ses actes et ses paroles reflètent cette liberté intérieure qu’il a acquise au fil des ans. Chacune de nos communautés monastiques garde un souvenir ému de ses anciens. Les moments vécus avec eux s’inscrivent dans notre cœur, parfois avec beaucoup d’humour, car leur témoignage unique et original reflète à la fois leur tempérament et leur sagesse. Les dits et les paroles des Pères du désert expriment à leur manière l’originalité de l’Abba dans sa transmission d’une parole de l’Evangile, mais ne pourrions-nous pas recueillir des faits et paroles semblables dans chacune de nos communautés ?
L’âge a aussi ses exigences, don et défi pour notre temps. S. Joan Chittister, osb, remonte aux sources de la vie humaine. Comment entrer dans ces années ? Peur de vieillir ou espoir de bien vieillir ? « Le soir d’une vie bien vécue apporte avec lui sa lumière ». « Au fur et à mesure que nous avançons en âge, écrit La Rochefoucauld, nous devenons à la fois plus fou et plus sage ». Certes, nous devenons à la fois plus conscients de la signification des choses et de leur inconsistance. Par de telles réflexions et d’autres encore, l’auteur décrit l’endroit et l’envers de cette étape pour en relever quelques comportements essentiels. Les anciens en sont conscients. Ils laisseront derrière eux le système de valeurs qui aura marqué leur propre engagement. Comment transmettre, mieux encore que transmettre veut dire et suppose ? C’est la contribution du P. Nicolas Dayez, osb. Avant d’aimer transmettre, il faut d’abord aimer recevoir, aimer avoir reçu. De grands exemples de transmission sont commentés, saint Benoît, saint Paul, Marie à l’annonciation, le Christ. Ceux-là aiment engendrer, rappelle Michel Serres, qui ont aimé leur propre engendrement. Cette vérité est éminemment personnelle, elle est aussi communautaire. Car n’est-ce pas la communauté qui est le lieu par excellence de formation consciente et inconsciente ?
Dom Denis Huerre apporte un témoignage inestimable comme Ancien. Il reprend un concept de la Règle bénédictine, hérité des Romains et de Philon, « humanitas » et le développe dans le sens d’une culture respectant l’homme, équilibre et mesure, discernement… A cet égard, l’Ancien apparaît comme celui qui est né avant. Il est vu comme sage et serviteur. Il trouve dans le Christ, le véritable Ancien, le Premier-né. N’est-il pas signe du futur qui vient ?
Un écueil majeur à écarter, à surmonter, à dépasser avec le secours divin, c’est la fameuse tristesse du désir de Dieu qui peut devenir corrosive. Elle est analysée par dom Bernardo Olivera, ancien Abbé général, ocso. Ce n’est pas seulement le lot des Anciens, mais de toute étape de vie, face à l’échec. Voilà un grand sujet qui peut nous rendre l’espérance et le goût de l’essentiel. Dans notre univers en proie à tant d’épreuves, est-il inutile de rappeler les tentations fondamentales qui minent la foi et la persévérance de celui qui est engagé sur la route ? Les surmonter avec la grâce de Dieu et la présence d’un Ancien, libère la joie d’aimer, engendre la paix et la douceur, ôte toute amertume et réveille le désir de Dieu.
D’autres articles confortent ce don des Aînés dans nos communautés. L’histoire des « Amantes de la Croix », religieuses autochtones vietnamiennes, garde le caractère familial du Confucianisme et le transcende par la lumière de l’Évangile. S. Marie Tuyết Mai met en valeur les correspondances et les ruptures qui s’y vécurent.
Du Dialogue Interreligieux Monastique, en France et en Norvège, en passant par les nouvelles des monastères en Argentine et au Ghana, c’est le IXe centenaire de Saint-Anselme de Cantorbéry qui retient l’attention. Le Doyen de la Faculté de Philosophie de l’Athénée pontifical à Rome, relate cette célébration, honorée de la visite du Pape à l’abbaye du Mont-Cassin et de ses paroles.
Que conclure, sinon que le passé habite le présent et que le présent s’enracine dans l’attente du retour du Christ. C’est en définitive cette vision dynamique de l’Evangile qui transforme nos actes et nos paroles de chaque jour et instaure au milieu de nous le Royaume de Dieu.