Saint Anselme de Cantorbéry - IXe centenaire
 
par le P. Alfredo Simón, osb,
Doyen de la Faculté de philosophie de l’Athénée pontifical Saint-Anselme

Cette année a été célébré le neuvième centenaire de la mort de saint Anselme, dans son siège archiépiscopal de Cantorbéry (1109). À cette occasion, le Pape Benoît XVI a écrit une lettre à l’Abbé Primat des Bénédictins, le P. Notker Wolf, qui a été publiée dans Ecclesia le 27 juin dernier, en même temps que l’homélie pontificale prononcée le 24 mai, jour de la fête de l’Ascension, à l’abbaye du Mont Cassin.
 
La réflexion du Pape se joint ainsi aux nombreux congrès organisés dans plusieurs pays pour commémorer cet anniversaire.
 
Le Pape et les bénédictins
 
Le Pape a régulièrement visité tout au long de sa vie, les monastères bénédictins, en Bavière, en Italie, et il a surtout écrit de belles pages sur leur signification dans la tradition culturelle et spirituelle du christianisme. On pourrait citer, par exemple, le livre Dieu et le monde, qu’il a écrit lorsqu’il était cardinal, ou encore le choix de son nom lors de son élection pontificale, motivé par sa dévotion à saint Benoît.
 
Le 24 mai dernier au Mont Cassin avec des centaines de moines et moniales du monde entier, nous avons eu l’occasion de partager avec Benoît XVI le repas, l’office des vêpres et le moment de vénération devant la tombe du saint Abbé et de sa sœur Scholastique. Dans son homélie des vêpres, le Pape a remercié les moines pour l’hospitalité qu’ils lui ont offerte à plusieurs occasions ; il a reconnu avoir « passé dans cette abbaye des moments inoubliables de calme et de prière ». Il a souligné l’œuvre de rénovation qu’a constituée en Occident « l’aventure humaine et spirituelle de saint Benoît » qu’il appelle, en citant la préface liturgique de sa fête : « Docteur en sagesse spirituelle » et « Maître de civilisation » pour l’équilibre qu’il a su proposer entre l’idéal de sainteté et la fraternité authentique et pacifique entre les hommes et les sociétés. La paix, ou plutôt « l’art de la paix » comme l’appelle le Pape, est la devise des moines bénédictins, et de nombreux hôtes et pèlerins peuvent lire l’emblème « Pax » à l’entrée des monastères.
 
Mais vient inévitablement à l’esprit la vraie question : les moines ont-ils encore un sens dans le monde actuel ? Le Pape, pour sa part, énonce une réponse claire articulée autour de trois principes de base : la prière, la culture et le travail. Dans la période du haut Moyen Âge, les moines ont construit, dit-il, avec la croix, le livre et la charrue le continent européen caractérisé par un humanisme toujours ouvert à la transcendance et préoccupé du bien commun. Si des mots comme « dialogue » ou « rencontre » ont une signification dans la société actuelle, les monastères continuent à avoir un sens, rappelle le Pape, parce qu’ils se sont convertis en « centres vivants de dialogue », en lieux de rencontre entre personnes différentes.
 
La « recherche de Dieu » évoquée dans la Règle de saint Benoît a conféré à l’action des moines au long de l’histoire une solide référence spirituelle, si nécessaire à notre époque, et elle a aussi donné à la vocation monastique toute son actualité.
 
Conscient de l’importance vitale des origines dans l’élaboration d’une identité, le Pape a engagé l’Europe, sous le regard de son patron, à retrouver ses racines culturelles et son patrimoine spirituel pour être à nouveau créatrice d’une véritable sagesse libératrice de l’homme et des communautés.
 
Dans cette ligne, son discours aux intellectuels, le 12 septembre de l’an dernier à Paris, a eu un grand écho. Il a précisément traité de l’importance du « quaerere Deum » des moines dans la configuration du christianisme médiéval et de son actualité dans la culture contemporaine. En s’inspirant principalement du célèbre livre de Jean Leclercq l’amour des lettres et le désir de Dieu, le Papa a commenté de manière systématique le premier épanouissement de la culture chrétienne médiévale et le contexte de grands changements démographiques dans lequel les monastères se sont convertis en solides et chaleureux foyers d’accueil et d’expérience inspiratrice du fait essentiel : la Parole de Dieu.
 
Autour de la Lectio divina et de la célébration liturgique communautaire, les moines ont intégré la connaissance littéraire et la pensée, l’art et le travail, la musique et l’expérience spirituelle en une unité de vie initiatrice d’une culture qui restaure l’essence de l’homme comme image de Dieu, et qui se manifeste esthétiquement dans la perfection d’un chant où se reflète l’harmonie divine du plan créateur du cosmos et de la rédemption humaine.
 
Le monastère réunissait ainsi les conditions pour être un univers créatif et une épiphanie du Mystère.
 
De manière particulière, la signification théologique de la musique tendait à exprimer, comme l’expliquait saint Bernard, la ressemblance de l’homme avec Dieu, tout comme le fait de chanter faux dans une mélodie indiquait la regio dissimilitudinis, le péché et l’imperfection de l’homme éloigné de Dieu.
 
La vie de la foi chez les moines donnait accès à l’espace herméneutique de la contemplation et à la beauté par la lecture de l’Écriture, qui constituait, pour le moine, l’expérience de la rencontre divine. Son désir s’orientait non pas vers un vide, mais vers une Parole faite Logos et sacrement dans le Christ, agissant en permanence dans la vie des hommes.
En définitive, chercher Dieu, était et est la manière de le trouver, de le rencontrer, tout comme l’amour était et est la manière de le vivre et de l’expérimenter.
 

Saint Anselme, un maître de spiritualité et de théologie
 
Une des figures monastiques les plus fascinantes de la tradition bénédictine médiévale est représentée par saint Anselme. Moine et Abbé du Bec, il est devenu, malgré lui, archevêque de Cantorbéry, et il est aujourd’hui reconnu comme Docteur de l’Église. Le Pape, dans sa lettre adressée à l’Abbé Primat de la Confédération bénédictine et grand Chancelier de l’Athénée pontifical de Saint-Anselme à Rome, met en évidence, dans l’œuvre de saint Anselme, une manière de faire de la théologie qui associe à la réflexion théorique l’expérience spirituelle des mystères de la foi.
 
En effet, son œuvre la plus connue, le Proslogion commence par une prière pour passer ensuite à une argumentation rigoureusement rationnelle à propos de la connaissance de Dieu. On redécouvre de plus en plus saint Anselme non seulement comme le génie qui a conçu une preuve de l’existence de Dieu ou une logique de la rédemption (cfr. Cur Deus homo), mais aussi comme un maître de la spiritualité chrétienne à travers ses prières et ses lettres. En réalité, le Pape insiste, une fois de plus, sur l’importance et l’urgence de connaître les sources chrétiennes anciennes et l’histoire de l’Église du premier millénaire
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Saint Anselme reconnaît que l’homme ne peut pas comprendre ce qu’il dit quand il prononce le nom de Dieu. Pour lui, comme pour les Pères, la connaissance de Dieu est un mouvement de l’esprit et du cœur, de la raison et du désir, dans lequel, ce que nous appelons aujourd’hui la théologie et la spiritualité, progressent ensemble dans une dynamique qui féconde l’intelligence et l’affection.
Ses textes sur la vérité et la liberté, au-delà des autres œuvres plus connues, font découvrir cette modalité cognitive, qui n’est pas purement théorique mais qui inclut aussi l’amour, la joie de l’expérience spirituelle, l’étonnement et la contemplation.
 
De cette manière, saint Anselme, se présente comme un fils de la tradition patristique et monastique, où la sagesse intégrait l’homme tout entier dans une unité de rationalité et d’affectivité et se comprenait comme une manifestation du don reçu de Dieu, en dernier ressort.
 
La contemplation de la beauté et de la vérité dans la vision de Dieu est l’objectif final que saint Anselme poursuit dans sa vie et son œuvre. Sur ce chemin, comme en témoigne son abondante correspondance, l’amitié sera la forme privilégiée d’y parvenir, accompagnée de l’expérience de la joie et du bonheur que Dieu a voulu pour l’homme.
 
De nombreuses lettres se présentent comme un éloge de l’amour et de l’amitié entre des hommes et des femmes qui vivent leur être de relation comme un don et comme une responsabilité.
 
Pour toutes ces raisons, saint Anselme, comme d’autres témoins exemplaires de la tradition ancienne, a encore beaucoup de choses à dire à l’Église d’aujourd’hui.

Traduction : Mr Paul Dupuis