Edito P. Martin Neyt Bulletin 94
Durant cette dernière décade, une centaine de monastères ont surgi à travers le monde. Chacune de ces nouvelles communautés s'inscrit dans un cadre géographique différent, dans la campagne ou dans la ville, dans la solitude ou non, dans un contexte socio-économique et culturel qui lui est propre. Sur ces nouveaux territoires s'élève la louange de Dieu, le travail et l'apprentissage d'une vie commune fondée sur l'Évangile. Une question se pose dès le point de départ : quel visage concret donner à ce monastère ? Comment bâtir ? Comment à la fois élever un bâtiment qui réponde à cette quête de Dieu et qui s'inscrive dans la vie culturelle d'une époque. Telle est bien la question que nous avons voulu aborder dans ce bulletin: s'inscrire dans le génie du lieu et privilégier un climat de recueillement.
À côté de multiples essais, le plan carolingien s'est imposé dès le 9ème siècle et perdure de façon homogène jusqu'au 19ème siècle. Une variante apparaît à l'époque baroque, disposant l'Église au centre de l'ensemble monastique. D'autres plans sont apparus, expression d'une vie simple, dépouillée, conviviale. Souvent l'évolution des constructions va de pair avec l'histoire de la communauté.
La communauté des moniales-oblates d'Abu-Gosh en Israël décrit ces étapes et rappelle trois principes de « discretio » propres à la tradition bénédictine : évaluer le nécessaire au rythme de la communauté ; favoriser la réflexion de tous ; savoir attendre pour commencer ! En effet, la croissance des bâtiments accompagne généralement celle du développement de la communauté et des hôtes qui la fréquentent. Mais, il arrive qu'une construction monastique soit réalisée et les premiers postulants toujours attendus. Plus souvent, les candidats affluent et les bâtiments sont exigus, du moins pour un temps...
Les requêtes adressées à l'AIM conjuguent tous les styles et toutes les ambitions. Les uns voient grand. Leur projet est grandiose, quand ce n'est pas l'architecte qui impose sa vision, et il anticipe sur l'avenir. On se croirait revenu à l'époque de Cluny. L'humilité et la discrétion monastique laissent place à des visions démesurées au sens de la réalité de la vie et du contexte socio-culturel. Il arrive aussi que des communautés héritent d'une bâtisse, humble demeure ou d'un ensemble plus vaste, parfois laissé à l'abandon et qu'il convient de restaurer. La première tâche de la communauté est alors de rendre le lieu habitable, convivial et priant. Peu à peu, la vie impose ses exigences : oratoire, cellules, chambres d'hôtes, cuisine, ateliers, buanderie... Ainsi, les espaces bâtis se prolongent selon les moyens financiers et les possibilités qu'offre le terrain.
Entre ces deux extrêmes, il est des monastères qui s'inscrivent parfaitement dans le génie du lieu, avec goût, sobriété, empreint d'humanité et du sens de Dieu.
En ce début du IIIème millénaire, plusieurs réalisations remarquables sont venues de différents continents et peuvent nourrir les réflexions des choix à prendre pour de nouvelles communautés. Ces réalisations architecturales contemporaines viennent d'Israël, du Japon (Fujimi), au Pérou Pachacamac, d'Europe (Clerlande, Chauveroche, Einsiedeln), des États-Unis (Christ-dans-le-désert) Quant à Mère Charles, osb, habitée d'une énergie inaltérable, elle développe au nord de Madagascar, sa propre vision qui rend aux psaumes de la création toute leur densité visuelle. D'autres monastères remarquables dans leurs constructions, n'ont pu être illustrés dans ce numéro : El Rosal, osb (Colombie), Esmeraldas, ocso (Équateur), Tepeyac, osb, (Mexique), Güigüe, osb, (Venezuela). En Afrique, Moundou, osb (Tchad) et Kinshasa, osb (R.D. Congo) parmi d'autres...
L'habitat monastique en Éthiopie, décrit par le frère Sabino Chiala de Bose, vient à bon escient pour rappeler la première tradition monastique. Dans les cellules des plus dépouillées, les livres d'Heures sont d'une beauté incomparable de même que les icônes des Églises. La rumination de la Parole et la Liturgie offrent des livres décorés avec un soin extrême alors que les bâtiments eux-mêmes, en dehors de l'église, sont d'une sobriété déconcertante. Et les Bouddhistes au japon vivent, eux aussi, d'un grand dépouillement qui interpelle les disciples de « Celui qui n'avait pas de lieu où reposer la tête ». Le vocabulaire est symptomatique : non pas entrer au monastère, mais quitter la maison !
Ces réflexions qui en appellent d'autres nous invitent à entrer davantage au cœur de notre vie consacrée et de faire de nos lieux de vie des espaces où, à chaque instant, se chante la gloire de Dieu.