Sœur Sheila Long, moniale de l’abbaye Sainte-Marie de Maumont (France)
KYOTO - le 20 juin
De retour à Kyoto, nous retrouvons le P. Scott et le P. Thierry juste à côté de l’ensemble des temples de Myoshin-ji, au Hanazono Kaikan, un hôtel et centre de réunions et de sessions Zen, où nous passerons la nuit. Nous partons tous les sept à la Boulangerie, où nous partageons nos expériences de la semaine précédente pendant une bonne partie de l’après-midi.
Nos deux dominicains sont fatigués aussi, ayant eu une deuxième semaine d’osesshin, ainsi qu’une tournée de quête rituelle avec les moines bouddhistes à la fin. En l’honneur de l’osesshin, ils se sont fait raser la tête, mais le P. Scott a gardé sa moustache. Les Japonais avait beaucoup de mal à prononcer leurs noms. « Scott » est donc devenu « Scotto », mais en ajoutant « san », le suffixe de respect, c’était un peu encombrant, donc, on a fini par l’appeler « To-san. » Par une évolution semblable, le P. Thierry-Marie s’est transformé en « Ri-san. » (À Aichi Nissodo, les noms ont posé les mêmes problèmes. Nous avions du mal à retenir les leurs, et inversement. Sr Lucy est devenue « Rusi-san » mais Sr Gilchrist et moi ont des noms si compliqués pour les Japonais, qu’elles ont fini par nous appeler « Sista » (Sister), individuellement ou collectivement. J’aimais bien apostropher mes deux sœurs en appelant « Sista ! » à travers le rideau de notre chambre, puis voir leur surprise quand elles voyaient que ce n’était que moi.
Je n’aurais pas été étonnée si nos frères avaient été jaloux de notre semaine relativement facile, et s’ils nous avaient taquinées à ce propos, mais pas du tout. Au contraire, ils ont dit combien ils étaient heureux de nous voir plus reposées, car nous avions eu l’air très fatigué, il paraît, à la fin de l’osesshin à Sogen-ji. Ils ont avoué aussi avoir été inquiets à notre égard : nous sommes tellement différentes qu’ils n’étaient pas du tout sûrs que nous arriverions à faire une communauté à trois, donc, ils étaient soulagés de nous voir bien soudées.
Après quelques heures de conversation, j’ai commencé à pousser les autres à sortir voir un peu Kyoto. Au début, personne ne voulait bouger, mais j’ai insisté, en disant qu’il ne fallait pas rater cette occasion unique de voir une ville que nous ne reverrions probablement jamais. J’avais une carte, fournie par le bureau de tourisme japonais à Paris, et dont le P. Scott s’est servi ensuite pour nous piloter dans le métro. Le F. Martin a pris des notes, pour assurer qu’il y aurait au moins deux à pouvoir trouver le chemin de retour.
Que voir, alors ? Les autres avaient envie d’aller dans une énorme librairie à plusieurs étages, dont un est consacré uniquement aux livres en anglais. Je n’ai pas beaucoup de maîtrise de soi dans les librairies, et en plus, Sr Marguerite m’avait dit au moins cinq fois : « Je vous en supplie, surtout ne rapportez pas de livres du Japon ! », ce qui fait que j’aurais préféré trouver des temples à visiter, mais j’ai suivi le mouvement.
Sur le chemin de la librairie, nous passons tout près de la cathédrale de Kyoto, un édifice assez petit, style moderne, décor bleu ciel à l’intérieur, avec un gros vitrail bleu et rouge derrière l’autel. Tout près de la cathédrale, il y a une librairie catholique, où j’essaie d’acheter une RB pour nos sœurs d’Aichi Nissodo, mais mon japonais n’est pas à la hauteur, et eux ne comprennent pas l’anglais. Pourtant, ayant bien compris « Benoît » ils me montrent une photo de Benoît XVI ; finalement, j’arrive à leur faire comprendre qu’il s’agit de Saint Benoît, sur quoi ils sortent un livre sur Saint Benoît écrit par un Français et traduit en japonais, mais on n’a pas pu aller plus loin. C’est là où la grande librairie devenait intéressante. À l’étage anglophone, on parle anglais, et je réussis à obtenir la référence ISBN de la RB qu’ils me trouvent sur Internet. Avec la référence, je retourne à la librairie catholique, et voilà ! Ils ont la RB en japonais !
Hanazono Kaikan
Le Hanazono Kaikan, où nous passons la nuit, a deux parties, une avec des chambres du style occidental et l’autre avec dortoirs à la japonaise, où ils reçoivent des groupes. Ce jour-là, les dortoirs sont occupés par un grand groupe d’écoliers en uniforme, tandis que nous sommes dans les chambres « occidentales », les frères deux par deux, les sœurs ayant chacune le grand luxe d’une chambre particulière. Dans ces chambres « occidentales » nous trouvons quand-même des éléments japonais : des pantoufles dans l’entrée, par exemple, ainsi qu’un yukata, sorte de robe de chambre en coton amidonné avec une veste qu’on met par-dessus, pliés sur le lit. On peut mettre cette tenue pour descendre à la salle de bain commune au rez-de-chaussée, si l’on veut. Il y a aussi pas mal de gadgets, comme la lampe de poche fixée dans l’alcôve à côté de la lampe de chevet, et qui s’allume automatiquement dès qu’on la détache du mur. Dans le tiroir du bureau, se trouve un livre, Le Bouddha et son enseignement, le même qu’on nous a offert à Aichi Nissodo, plus un livre en japonais ainsi que du papier à lettres avec des lignes verticales, pour écrire en japonais. Chaque chambre a sa salle d’eau, avec une baignoire petite mais très profonde. Comme dans les bains publics, la douchette se trouve à l’extérieur de la baignoire pour que l’eau du bain reste parfaitement propre.
La salle à manger, où nous prenons notre petit déjeuner, a des meubles occidentaux, c’est à dire des chaises et des tables à une hauteur normale pour nous, mais le petit déjeuner est 100 % japonais. J’ai compté douze petites assiettes ou bols sur chacun de nos plateaux, avec du tofu, deux sortes de soupe, du riz, du thé vert, des légumes cuits ou conservés au vinaigre, etc.
Après le petit déjeuner, l’agent de voyage germanophone qui nous avait déjà conduits au Zendo International de Kyoto nous accompagne dans le train jusqu’à la ville de Fukui, pour assurer notre descente à la bonne gare pour le monastère d’Eihei-ji. Le trajet dure plusieurs heures, en passant à côté des montagnes à gauche, des rizières aux deux côtés, et le lac le plus grand du Japon à notre droite.
EIHEI-JI : du mardi 21 juin au vendredi 24 juin
Eihei-ji, « temple de la paix éternelle », fut fondé en 1244 par Dogen Zenji, fondateur du Zen Soto, dans les montagnes près de la côte ouest du Japon. Il est un des deux temples principaux de l’observance Soto, qui est caractérisée par une méditation assise en prenant conscience surtout de la respiration, au lieu d’une méditation sur les koans. Comme autres caractéristiques : l’extrême lenteur de la marche méditative, ainsi que la complexité du cérémonial.
Eihei-ji est un monastère immense, avec 273 novices qui viennent d’habitude pour une formation de deux ou trois ans. En plus, il y a trente prêtres chargés de les former, plusieurs prêtres administrateurs, un secteur international qui s’occupe des hôtes étrangers, et un prêtre en chef, 105 ans, élu pour cette tâche à l’âge de 93 ans. Lors de notre visite, il était absent pour une tournée de conférences, accompagné par ses aides-soignants, mais nous l’avons vu en photo, habillé dans le même costume qu’avait Aoyama-senseï pendant la grande cérémonie. La plupart des prêtres en formation ont entre 20 et 25 ans, et le régime est structuré un peu comme une armée, conçu pour poser un défi aux jeunes hommes de cet âge-là. Ceux qui entrent plus tard ont beaucoup de mal à suivre le rythme, et quant à notre groupe, il n’en était pas question. Notre introduction à leur vie se fait à part, dans des conditions bien mitigées.
Les nouveaux novices arrivent d’habitude au mois de février, dans la neige. Le maître des novices leur donne rendez-vous au portail du monastère à telle ou telle heure, puis il arrive exprès plusieurs heures en retard, pour tester la motivation des postulants, qui attendent pendant tout ce temps à genoux dans la neige. Il y en a qui s’en vont avant l’arrivée du maître des novices.
Les prêtres en formation, en tant que futurs prêtres de temple, doivent apprendre à tout faire, donc il y a un roulement dans les différents travaux du monastère : jardinage, cuisine, sacristain, etc. Ceux qui savent des langues étrangères font un stage dans le secteur international. Une délégation de ce secteur vient nous chercher à la gare de Fukui, y compris deux que nous appelons nos « anges gardiens », qui s’occuperont tout spécialement de nous pendant notre séjour. Nous rentrons au monastère dans deux minibus noirs, climatisés, chacun avec un petit écran à côté du volant montrant à tout instant notre situation sur une carte, comme les écrans sur les dossiers des sièges Air France.
Arrivée, premiers contacts
Pendant le petit trajet en voiture, nous commençons à connaître nos anges gardiens, ainsi qu’un prêtre « senior » qui va nous piloter ça et là. Seigaku-san, 23 ans environ, a un air sérieux, même solennel ; il nous dit dans un anglais lent mais parfait qu’il avait visité l’Europe quand il était enfant. Au cours de notre séjour, son sourire s’épanouit de plus en plus, et vers la fin, on arrivera même à le faire rire. Juko-san, dans la quarantaine, a quitté une très bonne situation avec des voyages en Angleterre et du golf les week-ends pour l’austérité monastique. Il trouve cette vie tellement dure qu’il n’est pas sûr de pouvoir tenir les dix-huit mois qui lui restent. Nous l’encourageons à persévérer. Chuzi-san, le prêtre « senior », à 44 ans est souriant et détendu. Il a travaillé en Californie et parle un anglais excellent. Plus tard, nous apprendrons qu’il est marié, et qu’il a une petite fille de 4 ans. Il passe huit à dix jours par mois avec sa famille et le reste du temps au monastère.
Les bâtiments du monastère sont spectaculaires, sertis dans le côté d’une montagne, et entourés de cèdres géants apparentés aux « redwoods » de la Californie. La plupart des constructions sont vieilles, mais l’hôtellerie à quatre étages est non seulement neuve, mais brillante d’une propreté entretenue par des armées de volontaires qui frottent les parquets à quatre pattes. Parfois ils font briller le parquet en courant, un chiffon dans les mains et le fond en l’air, leurs corps faisant des triangles isocèles avec le sol.
Le livret d’accueil pour les hôtes dit : « Tous les visiteurs, même ceux qui viennent uniquement dans un but touristique, sont accueillis comme des participants dans l’entraînement religieux, et sont priés de se comporter de la sorte. » De ce fait, l’ambiance même à l’hôtellerie a un air discipliné et militaire. Seigaku-san nous dit que pendant la dernière guerre, l’armée avait envoyé les jeunes soldats à Eihei-ji pour être formés. Ma cousine Elizabeth me dira plus tard que les entreprises y envoient souvent des groupes d’employés pour faire un stage, afin de les souder en équipe.
Quand nous nous déplaçons dans les couloirs ou dans les escaliers, nous sommes priés de garder la gauche, une coutume qui remonte à l’époque des samouraïs. Si l’on est serré contre le mur gauche, on a le côté gauche protégé et la main droite libre pour sortir son épée à toute vitesse en cas d’attaque surprise.
Nous sommes déjà formés à nous incliner, les mains jointes, mais les inclinations à Eihei-ji ont l’air plus martial que celles que nous avons rencontrées jusqu’ici. Chaque fois que nous rencontrons quelqu’un dans un couloir, son corps forme un angle droit à partir de la taille, les mains dans la position gassho. S’il a quelque chose dans la main, la main libre « fait gassho » toute seule, ce qui me fait penser au koan qui parle du « son du battement d’une main. » Je n’étais pas sûre comment il fallait répondre à de telles inclinations, mais je souriais en m’inclinant à mon tour.
Comme le Seigneur, nos anges gardiens ne dorment, ni ne sommeillent, et on se demande quand ils ont le temps de manger, car ils sont tout le temps en train de s’occuper de nous. Notre premier soir, à l’heure du coucher, ils prennent nos habits zen bien sales et nous les rendent tout propres à 3 h15 du matin, l’heure où nous nous levons pour le Zazen matinal. Tous les matins, ils passent à cette heure pour s’assurer que nous sommes bien réveillés, alors qu’eux sont déjà rasés et habillés. Ils sont avec nous pour les repas, nous servant et nous disant ce qu’il faut faire à chaque pas, car le cérémonial des repas est très complexe, mais ils ne mangent pas avec nous, sauf au cours d’un repas informel en dehors du monastère et lors d’une petite fête d’adieu que nous leur avons offerte le dernier soir.
Quand l’administrateur en chef nous accueille dans une belle salle de conférence, nos anges gardiens se tiennent debout pendant une heure et demie. Je pense à leurs pieds et leurs dos, en me demandant s’ils n’ont pas mal. Juko-san s’appuie contre le mur de temps en temps et il nous regarde, tandis que Seigaku-san se tient droit comme un i, les yeux respectueusement baissés. À un moment donné, ils nous servent du thé vert, Seigaku-san à genoux, Juko-san, debout.
Nous logeons dans trois appartements du 3e étage : un pour les frères, un pour les sœurs ; celui du milieu nous sert de réfectoire et de chapelle. Les appartements sont identiques, chacun avec une entrée ou l’on laisse ses pantoufles (nos chaussures sont dans des petites cases au rez-de-chaussée), puis, en grimpant une petite marche, on trouve un lavabo et W.C. Dans les autres pièces il y a du tatami : chaussettes ou pieds nus obligatoires ! Il y a une grande pièce centrale, une chambre plus petite, et du côté extérieur, une troisième pièce qui donne sur une véranda, d’où on a accès aux autres appartements. Dans la grande pièce du milieu il y a une longue table basse, ainsi qu’un petit meuble avec tout le nécessaire pour le thé et le café en poudre, mais à part cela, l’appartement est vide. En explorant un peu, nous découvrons des placards sur toute la longueur d’un mur, avec des matelas, des draps, des couvertures, des oreillers, des coussins pour s’asseoir par terre, un service de thé supplémentaire, ainsi que des étagères vides où nous installons nos affaires. Tous les soirs, en remontant du bain, nous trouvons nos matelas installés et préparés avec des draps propres. Les nuits sont douces, mais trop courtes.
Peu de temps après notre arrivée, je demande si l’on peut faire un petit tour dehors. Il n’est pas permis aux hôtes de circuler seuls dans le monastère, même à l’hôtellerie, mais Seigaku-san a l’air content de pouvoir sortir et il propose d’accompagner le P. Thierry-Marie et moi. Les alentours sont magnifiques, et impeccablement entretenus par les prêtres en formation. Seigaku-san avait déjà fait son stage au jardin, et il nous dit qu’il y va de temps en temps quand il a besoin de respirer, en prenant un balai de jardin au cas où quelqu’un l’interroge. Le P. Thierry-Marie lui pose beaucoup de questions, y compris comment il ressent les coups du keisaku. Au début, Seigaku-san dit que cela peut être bénéfique, surtout si la personne qui le fait agit « avec amour, comme un père », mais quand le P. Thierry-Marie insiste, il dit que ce serait mieux de ne pas frapper.
Les repas
Comme dans les autres monastères, une de nos premières activités est une leçon de cérémonial pour les repas. Chuzi-san dit qu’il suppose que nous avons déjà été initiés aux manières de table zen. Je lui réponds que oui, mais que dans chaque monastère c’est un peu différent, donc il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre, ce qui le fait rire. Eihei-ji, étant de l’observance Soto, a des rituels qui ressemblent à ceux d’Aichi Nissodo, mais ici, ils sont encore plus détaillés, plus compliqués. À chaque repas, Seigaku-san, une liste à son côté, nous lit ce qu’il faut faire à tout moment : « D’abord, faites gassho, puis une inclination. Maintenant, prenez votre feuille avec la prière que nous allons chanter..... Maintenant, touchez la feuille au front et rangez-la dans votre habit, comme ceci. Maintenant, sortez vos bols » etc. Nous avons l’impression qu’on lui a donné ce travail pour sa propre formation autant que pour la nôtre.
Juko-san dit que les repas en communauté durent environ une heure, mais qu’il faut se dépêcher pour manger, car c’est le cérémonial qui est long, pas le temps de dégustation. D’habitude, ceux qui viennent d’arriver sont obligés de prendre moins de nourriture qu’ils voudraient afin de pouvoir finir en même temps que les autres. Heureusement, notre petit groupe peut manger à son rythme. À la fin de notre premier repas, Juko-san nous demande si nous tenons le coup, si nous ne sommes pas trop stressés. Je réponds que pour nous, il s’agit d’une expérience interculturelle intéressante qui ne dure que quelques jours. Par contre, si c’était notre vie de tous les jours, ce ne serait pas pareil. Juko-san nous dit que pendant sa première semaine au monastère il a perdu 8 kilos, à cause du travail et du manque de nourriture.
À l’autre bout du 3e étage, il y a un Sodo (salle de méditation) où nous faisons notre Zazen et où nous prenons le petit déjeuner, afin d’avoir l’expérience d’un repas dans un Sodo, comme la communauté. La communauté est tellement grande que les moines méditent, chantent les sutras et mangent par groupes d’environ quatre-vingts à la fois. Bien sûr, on ne mangera pas avec eux. Sr Gilchrist est encore sur un coussin pour le Zazen, mais pour les repas au Sodo, Sr Lucy et elle sont installées sur des chaises à une table à une hauteur occidentale. Au petit déjeuner, nous sommes sept à manger, avec sept moines japonais qui nous servent et qui nous aident avec tout le cérémonial. Quand je compte le nombre de personnes employées à notre service et tout le mal qu’elles se donnent, les moines répondent simplement : « C’est notre pratique. » Un peu à l’écart dans le Sodo, il y a un moine d’un certain âge qui a l’air de méditer, mais qui, à mon avis, doit être là pour surveiller et s’assurer que tout se passe comme il faut.
À un moment donné, Seigaku-san me dit qu’au début il n’a pas compris le pourquoi de tous les rites monastiques,
mais après un certain temps il a fini par comprendre. « Donc » conclu-t-il, « il est important de suivre les règles. » Sur le coup, il m’a fallu un tel effort de concentration que je n’avais plus d’énergie pour me poser des questions quant au pourquoi des différentes pratiques Zen, mais maintenant que j’écris avec un peu de recul, il me semble évident que le but est d’élever les fonctions les plus élémentaires de l’existence humaine, telles que la respiration, la marche, et les repas, à un niveau plus haut. Dans la même ligne, il y a toute la spiritualité de purification accompagnant le bain et l’usage des petits coins. Cela m’a rappelé la spiritualité juive, où tout se passe sous le regard de Dieu, ce qui fait qu’il y a une prière pour chaque occasion, même les plus terre à terre.
Notre deuxième soir, nos anges gardiens, nous sentant un peu fatigués par l’effort de manger comme il faut, nous apportent le souper sur de grands plateaux qu’ils posent dans un coin du « réfectoire.» Ils nous disent qu’ils vont nous laisser tout seuls, pour nous permettre de nous détendre, nous reposer et manger sans nous soucier du rituel. Leur surveillant, un petit moine à l’air bien sévère, ajoute : « Quand vous aurez fini, vous ferez votre vaisselle. Je vous montrerai où. » Une fois qu’ils sont partis, nous commençons avec un fou rire contagieux et salubre qui dure pendant tout le repas et continue pendant la vaisselle.
Le dernier soir, par contre, nos anges gardiens apportent un vrai banquet. La cuisine japonaise est un véritable art : chaque plat est si beau qu’il semble dommage de le manger. Ils sont obligés de nous regarder apprécier ce repas exquis, sans pouvoir se joindre à nous, à notre grand regret, surtout que nous connaissons un peu mieux maintenant leur régime spartiate.
Méditation; sutras dans le Hatto; la messe
Notre premier soir, Chuzi-san nous montre la façon correcte de s’asseoir pour le Zazen et nous aide à choisir nos coussins. Le F. Martin est capable de se plier dans la position lotus comme un bretzel, mais les autres frères ont pas mal de douleurs dans les jambes, et il paraît que cela aide d’avoir un coussin de bonne hauteur. Comme à Aichi Nissodo, il y a un rituel bien précis pour entrer dans le Sodo et pour gagner sa place, et comme à Aichi Nissodo également, on médite face au mur. Avant le départ, nous demandons à nos hôtes de nous montrer la marche méditative selon l’observance Sodo. Elle est aussi lente que la marche Rinzaï est rapide, et très apaisante.
Après le Zazen matinal, nos anges gardiens nous accompagnent dans un long trajet à travers des bâtiments, en passant devant des fontaines et des statues, et en finissant par une montée de deux cents marches jusqu’au Hatto, pour l’office des sutras. Non seulement les moines, mais aussi les visiteurs sont trop nombreux pour que tout le monde y soit à la fois, donc, une fois arrivés dans les alentours du Hatto, nous attendons notre tour, « déchaussonnés », face au mur extérieur de l’escalier, où les fenêtres donnant sur un jardin nous permettent de regarder un jeune moine en train de nettoyer des gouttières autour du temple. Nous restons ainsi pendant un quart d'heure environ, pendant lequel je m’inquiète pour les pieds de Sr Lucie, toujours enflés. Ensuite, nous nous mettons face à un autre mur, où nous restons encore quelques minutes. Finalement, une centaine d’écoliers en uniformes blancs et bleus marine sort du Hatto, et nous y entrons, avec d’autres adultes. Nos anges gardiens sont plus attentifs que ceux et celles qui se sont occupés de nous à Sogen-ji et à Aichi Nissodo. Sans eux, j’aurais fermé les yeux pour me reposer dans le Seigneur, mais ils étaient derrière nous à tout instant, nous mettant à la bonne page et nous disant quand et comment il fallait s’incliner.
Il y avait eu un projet de nous faire faire une entrée solennelle en tant que délégation d’une autre religion, mais pour cela, il aurait fallu que tout le monde soit en habit. Les dominicains avaient laissé les leurs à Kyoto, parce qu’on nous avait dit d’apporter un minimum de bagage, donc, pas d’entrée solennelle. Le dernier matin, par contre, nous sommes conduits à l’autel principal pour vénérer la dépouille de Dogen Zenji, en mettant de l’encens dans un brasier au cours d’un cérémonial très complexe, dans lequel ils nous guident pas à pas. Des chaussettes blanches sont de rigueur, et ils en fournissent des toutes neuves pour ceux d’entre nous qui n’en ont pas.
Nos hôtes, toujours très respectueux de notre « pratique », ont prévu du temps pour la messe tous les jours. Une des petites tables rouges laquées de notre « réfectoire » nous sert d’autel, et le célébrant du jour revêt l’habit du F. Andrew, puisqu’ils n’ont ni leurs habits ni ornements. Nos anges gardiens se joignent à nos célébrations, et le dernier jour, Chuzi-san y assiste aussi. Nous sommes surpris et touchés par leur façon d’imiter nos gestes : ils font le signe de croix, se mettent à genoux ou debout avec nous, et partagent le signe de paix.
Avant notre première messe à Eihei-ji, je leur raconte ce qui s’est passé une fois (avant mon entrée à Maumont) chez les frères de Saint Jean l’Évangéliste à Cambridge, qui avaient à l’époque une fondation au Japon. Je me suis trouvée à côté d’un moine japonais (chrétien), et quand je lui ai tendu la main au moment de la paix, je croyais qu’il allait s’évanouir d’horreur1. Il s’est ressaisi rapidement, m’a fait une inclination, les mains jointes, et j’ai fait pareil. J’explique à nos anges gardiens qu’il y a tout un éventail de gestes acceptables : on peut se serrer dans les bras, comme les Américains, ou s’embrasser sur les deux joues, comme les Français, on peut se donner la main, faire gassho, ou tout simplement faire une inclination de tête avec un sourire, ad libitum. Le moment venu, nos frères japonais ont ri et nous ont serrés dans les bras affectueusement, à l’américaine.
Comme à Sogen-ji, nous faisons un partage d’Evangile au lieu d’une homélie. C’est le P. Scott qui pense au fait que nos amis japonais ne connaissent pas du tout ces récits bibliques, donc les conclusions que nous en tirons pourraient leur être incompréhensibles. Il se montre très habile pour leur donner le contexte et les explications pertinentes.
Malheureusement, personne ne pense à leur expliquer à l’avance qu’ils ne pourront pas communier et pourquoi, mais leur déception est mitigée par la bénédiction que donne le P. Scott en leur posant les mains sur la tête. Après, le F. Martin dit que c’est par respect pour leurs croyances bouddhistes que nous ne leur proposons pas la communion : « Votre aspiration est de devenir le Bouddha dans vos corps, alors que nous croyons que nous recevons le Christ. »
Nos messes à Eihei-ji sont particulièrement intenses et émouvantes. Une fois, au cours de la Consécration, les mains du célébrant commencent à trembler, et il est si ému qu’il doit s’arrêter un instant avant de pouvoir reprendre la parole. Chuzi-san, le dernier jour, a les larmes aux yeux à la fin. Il dit qu’il n’a jamais vécu quelque chose de pareil, et qu’il a senti que nous n’étions pas seuls, qu’il y avait Quelqu’un là avec nous.
Visite du monastère
Puisque nous sommes une délégation officielle, Chuzi-san peut nous emmener dans les lieux qui ne se visitent pas d’habitude. Nous allons dire notre respect au grand prêtre (qui est absent) par une visite de ses appartements, où il paraît dans une photo grandeur nature, et nous y reviendrons juste avant notre départ définitif. Nous visitons la cuisine, où nous faisons la connaissance du Tenzo Roshi, le maître cuisinier, qui doit fournir des repas pour plus de trois cents personnes tous les jours, et qui, malgré cela, a trouvé le temps de nous préparer le banquet d’adieu dont j’ai déjà parlé. Il a un beau visage, tout rayonnant de bonté, et nous ressentons un lien d’affection réciproque. Pour le remercier du banquet, nous lui écrivons une carte qu’avait faite le P. Scott avec une de ses photos : des oisillons dans un nid avec les becs grands ouverts. Au moment de notre départ, il sort de sa cuisine pour nous dire au revoir.
Un autre endroit inoubliable est le hall de réception, dont le plafond est recouvert de 230 peintures exquises d’oiseaux et de fleurs, oeuvre de 144 artistes japonais. Tout au long de cette visite, nous découvrons le niveau d’érudition du P. Thierry-Marie. Il n’arrête pas de poser à Chuzi-san une multitude de questions qui nous passent complètement par-dessus la tête. De ce fait, la visite dure beaucoup plus longtemps que d’habitude, mais Chuzi-san en est très content (et nous aussi). Il dit que d’habitude quand il fait visiter le monastère, il parle, les gens écoutent, mais il ne sait jamais s’ils s’intéressent vraiment ou s’ils ont l’esprit ailleurs. Parfois, les questions et réponses durent si longtemps que nous autres, nous avons du mal à rester debout, et nous nous asseyons sur le tatami, malgré notre regret de nous comporter d’une façon pas tout à fait bien élevée. Le P. Thierry-Marie s’excuse de nous ennuyer, mais nous ne le sommes pas ; c’est une question de fatigue physique. Le P. Scott est content que le P. Thierry-Marie entretienne la conversation, ce qui nous libère de l’obligation de poser des questions intelligentes. À la fin, le P. Thierry-Marie dit : « Maintenant j’espère que je dirai moins de bêtises dans mes cours. » Pour lui, ce voyage est une véritable mine d’or de renseignements dont il pourra se servir dans sa vie professionnelle.
Au cours de notre visite, Chuzi-san nous montre (de l’extérieur seulement) le tosu, bâtiment contenant des lieux dont on parle avec plus de naturel au Japon que chez nous. Il y a même un paragraphe là-dessus dans le guide pour les hôtes :
Dans les temples Zen, il y a trois lieux de pratique importante où il faut garder le silence : le hall du Zazen, le bain, et les toilettes. Dans le Shobogenzo de Dogen Zenji, il y a un chapitre intitulé « Senjo », qui décrit les manières appropriées pour les toilettes. La plupart de ces consignes sont observées encore aujourd’hui.
À l’origine, il y avait à l’intérieur de ce bâtiment une sorte de feuillée, remplacée éventuellement par les toilettes japonaises traditionnelles où l’on s’accroupit. Seigaku-san et Juko-san nous avaient déjà montré comment prendre nos bols dans les mains en utilisant le pouce et les deux premiers doigts seulement. Maintenant, nous apprenons que cet usage vient du fait que les deux autres doigts avaient des fonctions à remplir dans le tosu : avec les deux derniers doigts de la main droite, on se stabilisait à l’aide d’une barre sur le mur, et avec les doigts correspondants de la main gauche.....
KYOTO : du 24 au 27 juin
Dans le train de retour vers Kyoto, nous préparons les rapports que nous aurons à présenter le lendemain au Symposium. En arrivant, nous retrouvons le P. Lino, le F. Cyprian, Thomas (notre interprète) et des dignitaires divers à l’Université Hanazono, où nous déjeunons et tapons nos récits. Comme je n’avais pas de rapport à présenter, on m’apprend que je ferai un petit speech en l’honneur de Jean-Paul II au cours des célébrations de mémorial le lendemain. Il fallait trouver de l’inspiration sans avoir beaucoup de temps pour réfléchir. Derrière l’ordinateur où je tape, il y a des étudiants en train de faire du tir à l’arc zen. C’est très beau à voir, un exercice tout à fait concentré et recueilli.
Pendant ce retour à Kyoto, nous faisons la connaissance du P. Pierre de Béthune de Clerlande, qui a organisé le voyage du côté de l’Europe, et du P. David Lavich, un trappiste américain qui est aumônier d’une communauté de trappistines près de Tokyo. Le P. David a été longtemps missionnaire au Japon avant d’entrer chez les trappistes de Spencer, dans le Massachusetts. Il m’a dit que c’était un vrai appel : il avait beaucoup aimé sa vie de missionnaire au Japon, mais il se sentait appelé à la vie monastique. Une fois entré chez les trappistes, il s’est dit : « La porte est fermée. Je suis ici pour toujours. » Et voilà que juste après sa profession solennelle, son Père Abbé lui annonce qu’il va partir comme aumônier des trappistines au Japon ! Il parle si bien le japonais qu’il est parfois pris pour un Japonais au téléphone.
La communauté dont il est aumônier est très vivante. Elles ont reçu cinq postulantes pour le 29 juin dernier, toutes vietnamiennes, je crois. La plupart des Japonaises sont enfants uniques, dit le P. David, ce qui fait qu’elles ont beaucoup de mal à s’adapter à une vie en communauté. Les Vietnamiennes, par contre, viennent de familles nombreuses, donc elles s’adaptent mieux à une vie communautaire, sauf qu’elles sont angoissées au début par le fait de dormir isolées en cellule, car elles n’ont jamais eu de chambre particulière.
Le P. David va de temps en temps au Vietnam rencontrer les filles qui demandent à entrer dans ce monastère. Il leur fait faire d’abord un stage chez les dominicaines au Vietnam, pour qu’elles aient une petite idée de ce que c’est que la vie religieuse. Au monastère, il donne des cours sur les bases de la foi chrétienne, qu’il prépare en japonais, pas une mince affaire, même pour lui, qui parle si bien le japonais. Comme travail manuel et de détente, il fait un élevage de poissons.
Nous demandons au P. David si les moines et moniales chrétiens japonais s’intéressent au dialogue interreligieux. Il nous répond qu’une structure existe au Japon pour le dialogue, mais que la plupart des chrétiens japonais voient ce genre d’échange comme quelque chose pour les occidentaux. Eux, ils ont grandi au milieu des bouddhistes, ils sont déjà au courant, et ils n’ont pas besoin de ce genre de programme.
LE SYMPOSIUM : samedi et dimanche, 25 - 26 juin
Le Symposium a lieu à l’Université Hanazono, dans le Kyodo Hall, un espace qui fait penser aux églises protestantes. Il y a des rangés de bancs, comme dans une église, et devant, une estrade avec un énorme roc, vert foncé, qui sert d’autel, avec une photo de Jean-Paul II entre deux candélabres. Placé assez haut sur le mur derrière l’autel il y a une grande sculpture en forme de cercle, signifiant le vide. Pendant que tout le monde se rassemble, le haut-parleur joue du grégorien, un enregistrement d’En Calcat je crois, j’avais le même chez moi à Boston. Nous écoutons l’hymne des vêpres pour plusieurs martyrs, l’introït pour le dimanche de Quasimodo, puis le Salve, festa dies.
Le révérend Nishimura Eshin, ancien président le l’Université Hanazono, donne la première conférence, en s’arrêtant de temps en temps pour que Tom traduise en anglais. (Tom est un maître traducteur, faisant toutes les traductions dans les deux sens – japonais-anglais et anglais-japonais - pendant le Symposium.) Le révérend Nishimura dit qu’après trois semaines, nos visages commencent à avoir une allure japonaise. Ensuite, il raconte comment il est allé au monastère de Marialaach en Allemagne, pendant l’année de l’élection de Jean-Paul II. Vingt cinq ans se sont écoulés depuis, et il a maintenant 70 ans. Il est de plus en plus convaincu que la religion est un moyen de se connaître dans la vérité la plus profonde. Dans une communauté, il y a tout un travail de clarification de la personne, et ce travail est en lien avec la culture ; il y a aussi une interdépendance entre la culture et la religion. Le dialogue interreligieux ne perd jamais de vue la question de cette recherche de la personne dans sa vérité la plus profonde. On peut dire que l’expérience religieuse est universelle, mais il y a différentes approches. Ce genre d’échange peut aider chacun à approfondir son propre chemin ; le dialogue devient ainsi une expérience très enrichissante pour tous les participants. Il serait important de continuer le dialogue. Le Symposium est une occasion de se demander comment le rendre plus significatif à l’avenir.
Le P. Pierre de Béthune continue avec des remerciements pour nos hôtes japonais. Il dit que le dialogue est essentiel pour l’avenir de l’humanité. Ce genre d’échange est un des meilleurs moyens de purifier notre motivation d’être moines ou moniales. Pourquoi sommes-nous moines ou moniales aujourd’hui ? Nous sommes heureux d’être au Japon, mais nous serons heureux aussi de retrouver la vie quotidienne dans nos monastères. Il donne en plus un assez long résumé de l’histoire de l’échange.
Ensuite, les représentants de notre groupe donnent leurs rapports sur nos expériences monastiques. Je n’ai pas le rapport du P. Lino et du F. Cyprian, parce qu’il n’était pas enregistré dans l’ordinateur du P. Scott. Les textes des autres rapports sont dessous, avec quelques notes que j’ai prises sur les réponses des Japonais.
AICHI NISSODO, presenté par Sr Lucy
AVANT. Nos attentes : Sr Lucy et Sr Gilchrist avaient certaines attentes basées sur ce qu’elles avaient lu et entendu. Sr Sheila n’avait pas d’information a priori. Sr Sheila a vu beaucoup de ressemblances avec sa communauté, et nous étions toutes étonnées par l’hospitalité généreuse que nous avons reçue. Sr Lucy et Sr Gilchrist s’attendaient à une communauté très austère mais compatissante, et à un genre de vie qui serait difficile à suivre. En fait, nous avons découvert des personnes jeunes et vieilles, très humaines et pleines de compassion. Nous étions toutes surprises de voir à quel point nous nous sentions « chez nous ».
LES ÉCHANGES PRECEDENTS. Le fait que Shoé-san et Wako-san avaient déjà participé aux échanges nous a aidées. Au début nous n’étions pas du tout au courant. Quand nous sommes arrivées, nous ne savions pas qu’il y avait des personnes au monastère qui connaissaient un peu notre foi chrétienne. Une fois que nous avons découvert que Shoé-san et Wako-san avaient fait partie de l’échange dans les années précédentes, nos échanges se sont approfondis. Nous nous sentions comprises. Ce lien dans le dialogue interreligieux nous a permis d’aborder des questions plus profondes et d’apprécier le genre d’hospitalité qui nous a été accordée.
LES FEMMES DANS LE BOUDDHISME. Nous nous sentions facilement chez nous dans un monastère de femmes. Elles ont accepté notre aide à la cuisine et partout. La barrière de la langue n’était pas un problème, même avec notre manque de japonais. Il y avait beaucoup de communication non verbale et beaucoup de rires. Leurs attitudes détendues envers nos fautes dans le temple, à table, et dans d’autres domaines de la vie nous ont aidées à nous détendre aussi. En plus, cela nous a permis d’entrer avec elles dans la prière au lieu de nous crisper sur nos fautes.
Le fait de voir une femme grand prêtre, une Roshi accomplie, de réputation internationale comme célébrant principal dans une cérémonie importante, assistée par des hommes prêtres de rang moins élevé que le sien, plus le fait de voir d’autres femmes chargées de temples, tout cela nous a profondément inspirées et impressionnées en tant que femmes catholiques romaines.
INTERACTION AVEC AOYAMA ROSHI. Nous avons trouvé aussi que les relations entre Aoyama Roshi et sa communauté avaient des points communs avec le rôle de l’Abbesse en tant qu’enseignant dans certaines de nos communautés : il y avait le même genre d’interaction de confiance et d’amour.
QUESTIONS QUE NOUS VOUDRIONS POSER :
Puisque les responsables de la communauté sont tellement occupées, est-ce que leurs absences sont difficiles pour la communauté ? Comment arrivent-elles à donner suffisamment de temps à la formation des jeunes ? Deuxièmement, est-ce que l’Abbesse et les autres responsables trouvent qu’il est difficile d’avoir des responsabilités si variées et prenantes ? Où trouvent-elles le temps pour s’occuper de leurs propres besoins spirituels ?
Réponse :
Shoé-san répond qu’elles ne sont pas aussi occupées d’habitude, mais qu’elles avaient prévu une semaine archi-pleine pour nous, afin de nous donner l’expérience d’une grande variété d’évènements. Elle a l’air un peu blessé, et j’ai l’impression qu’elle a peut-être pris des questions pour des critiques. (Le P. David nous a dit que les Japonais sont très sensibles aux critiques). Je lève le doigt pour la remercier d’avoir éclairci un malentendu. Nous avions pensé que notre présence devait être encombrante dans une semaine où elles avaient déjà beaucoup de choses à faire, et nous sommes soulagées d’apprendre que ce n’était pas le cas. Nous leur sommes très reconnaissantes d’avoir organisé l’emploi du temps de la communauté en sorte de nous donner tant d’expériences peu habituelles. Shoé-san et Wako-san sourient, avec un air soulagé.
TENRYU-JI, présenté par le P. Scott
Programme de formation
Il y a tout un monde d’hôtes, de bienfaiteurs, de cloches que nous ne voyions pas.
Nous étions dans le Sodo, là où les visiteurs ne viennent pas, donc nous avons pu voir la vie du Sodo. Il y a aussi un cimetière, un jardin célèbre, beaucoup de touristes, beaucoup d’hôtes qui viennent au temple, et avec qui nous n’avions pas de contact.
La plupart des jeunes en formation sont des fils ou neveux de prêtres qui sont destinés à prendre la suite dans le temple de leur père ou de leur oncle. Ils ont entre 22 et 26 ans. Il y a une exception : le père de Shoshan est venu se former il y a Cinq ans, à l’âge de 48 ans, après la mort de son père.
En général, pour les jeunes la vie au monastère est plus dure qu’elle n’a été chez eux, et qu’elle ne sera à l’avenir, tel qu’ils le projettent. Ils viennent pour un temps limité, d’habitude pour trois à cinq ans, pour avoir les « lettres de créance » d’un prêtre d’un temple.
Nous remarquons l’importance d’embrasser les vieilles traditions et de se conformer aux attentes des formateurs dans les domaines suivantes : les repas, le Zazen, le chant, les vêtements, la façon de s’asseoir, de dormir, de courir, de se baigner, le takohatsu (la quête rituelle), le jardinage, le ménage. Il y a aussi des jours de repos.
On fait le ménage du Hatto, puis on va prier pour les dirigeants du pays (deux fois par mois, le premier et le 15e du mois). Il y a aussi un culte pour le fondateur, Muso Soseki, une fois par mois.
Emploi du temps : il y a à la fois une fidélité à l’horaire et une souplesse quand il le faut.
Organisation
Le Roshi en tête de la communauté.
~Trois moines séniors qui sont là depuis quatre à six ans. Ils assument les différentes charges à tour de rôle : jiu-jitsu (responsable de la salle de méditation), tenzo (cuisinier), chikariu (prieur), secrétaire du Roshi.
~Cinq jeunes moines assument à tour de rôle les fonctions de joueur de tambour, chantre, servant de table, etc.
L’harmonie et le rituel sont très importants : il faut que j’assume mon rôle dans le groupe et que j’accomplisse mes fonctions parfaitement.
La structure est très hiérarchique, basée sur l’ancienneté, la date d’entrée au monastère. Les anciens sont responsables des plus jeunes.
Les jeunes ne se sentent pas libres de se plaindre auprès du Roshi ou de qui que ce soit si cela ne va pas. Ils pensent qu’ils doivent tout simplement supporter la situation.
Il y a le Roshi, puis les moines. Le chikariu tient le Roshi au courant de ce qui se passe dans la vie du Sodo, et tous les moines rencontrent le Roshi régulièrement pour qu’il se rende compte de leurs états d’âme et de leur santé.
Le Roshi a d’autres responsabilités ; il est marié, il a une famille.
Présence des laïcs
Deux hommes plus âgés sont venus pour l’Osesshin entier, et deux autres pour le week-end seulement. Ils faisaient un travail à long terme sur les koans avec le Roshi, et ils sont venus à l’osesshin pour travailler les koans particulièrement difficiles.
C’était encourageant de voir des anciens qui souffraient autant que nous.
C’était bon de voir des laïcs retraités engagés dans une telle démarche.
Conclusions et questions :
Le côté intellectuel semble avoir peu d’importance :
« Que veut dire ce sutra ? » « Je ne sais pas. »
« Qui est ce Bodhisattva devant qui nous nous inclinons ? » « Je ne sais pas. »
L’important est de chanter et de faire des inclinations. Pourquoi ?
Une explication : Le chant stimule le tanden (centre énergétique au niveau du nombril) ; quand on s’unit aux mots des sutras on est connecté à l’ultime réalité sans avoir besoin d’une médiation conceptuelle.
Une autre explication, peut-être meilleure, à travers une histoire racontée par le Père Abbé du monastère Eihei-ji : « Quand on met de l’or à l’extérieur, il y a une transformation qui s’opère à l’intérieur. » Autrement dit, les pratiques monastiques (l’or) changent l’intérieur de la personne et le rendent apte à être un prêtre Zen.
Question : Quelle est l’importance de la réflexion sur la pratique par rapport à la pratique en elle-même ?
L’harmonie du groupe et l’ancienneté semblent être les facteurs les plus importants qui agissent sur le comportement des moines.
Il ne semble pas y avoir de forum pour la médiation des problèmes. Si un prêtre en formation voit que quelqu’un de plus jeune que lui a des problèmes ou qu’il est en train de subir une injustice, lui est-il possible d’en parler avec ses supérieurs ?
De façon plus générale, s’il y a des problèmes dans la communauté, entre anciens et jeunes, entre les jeunes eux-mêmes ou entre les moines et le Roshi, comment s’y prendre? Y a-t-il des structures en place ou bien, faut-il compter simplement sur la conscience et la bonne volonté de tous ?
(Nous pensons, mais nous ne le disons pas : Pour nous, l’harmonie et l’ancienneté ne sont pas nos valeurs ultimes. En tant que chrétiens (ou peut-être en tant que dominicains) les valeurs les plus hautes pour nous sont la justice, la solidarité et la compassion : « Ce qui est fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à Dieu qu’on le fait. » Il nous semble que parfois il faut briser l’harmonie pour que ces valeurs supérieures se réalisent.)
Nous avons eu l’impression d’avoir été dans une école, un séminaire, un endroit où l’on acquiert les compétences
requises pour s’occuper d’un temple, au lieu d’être avec des anciens pratiquants qui ont consacré leurs vies au Zazen et à d’autres pratiques Zen, et qui sont bien avancés dans leur chemin spirituel.
Aucun des étudiants n’a comme projet de continuer la pratique du Zazen pour le reste de sa vie. C’est quelque chose qu’ils font maintenant, mais qu’ils n’aiment pas, et qu’ils ne vont pas continuer à faire, une fois leur formation finie.
En Occident, il y a de nombreuses personnes qui cherchent à intégrer le Zazen dans leurs vies quotidiennes. Nous nous imaginons que chaque prêtre Zen est un expert du Zazen et de la pratique spirituelle du Zen, qu’ils sont des modèles de l’intégration de la pratique dans la plénitude de la vie. Il est donc surprenant de constater que pour ces étudiants le Zen est tout simplement quelque chose à endurer. Peut-être qu’avec le temps, leurs attitudes vont–elles changer.
Question : La formation que nous avons vue, est-ce qu’elle correspond aux attentes du Japon et du peuple japonais ? Le Zazen, comment est-il vu au Japon ? Est-ce que les Japonais attendent de leur prêtre qu’il soit adepte dans cette pratique ?
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