La maturation de la personne dans la vie monastique
Père Martin Neyt, Président de l’AIM
La croissance et la maturité de la personne suivent le rythme des âges de la vie. L’enfance, la jeunesse, l’adolescence, l’âge mûr et la vieillesse, chaque étape de l’existence appelle à un dépouillement et à une approche nouvelle de la vie. À chaque stade de la croissance humaine correspondent des constats et des défis que l’être humain aborde avec sa formation, son histoire, son environnement. Il en va de même dans la vie monastique. Le novice, le jeune profès, le moine adulte et l’ancien, chacune et chacun est appelé à grandir avec une approche neuve qui faisait s’écrier un Ancien face à la mort : « Aujourd’hui, je commence ».
La tradition monastique a généralement intégré l’importance du devenir et la nécessité d’une formation permanente, bien que celle-ci se soit enrichie depuis le Concile Vatican II. L’interaction entre les rythmes du temps et les structures nécessaires à toute maturation humaine passe nécessairement dans la vie monastique par la notion de liberté et d’amour. Les processus de rencontre, d’écoute, de différenciation, de transformation, de naissance à un monde nouveau s’inscrivent dans le courant des générations et des contextes culturels qui transforment si rapidement et si profondément le monde actuel.
Benoît apporte au monachisme une foi profonde dans la présence miséricordieuse du Christ. La Règle dévoile le secret de l’extraordinaire trésor de modération et de respect qui marque toutes les dispositions communautaires. Un cœur jeune dans un être empreint de sagesse et de discernement, l’enfant-vieillard (paidiogeron), tel était le surnom d’Abba Macaire dans les déserts de Basse-Egypte. Le chemin et l’horizon se perçoivent différemment à chaque génération, mais le cœur de la tradition monastique demeure le même. La question posée peut s’exprimer avec ses mots : que pouvons-nous apporter à autrui quand l’essentiel consiste à ce qu’il soit lui-même ? Qu’il puisse grandir, se développer, traverser des épreuves, être émondé, devenir lui-même dans la lumière du Christ.
Dans ce bulletin, ce sont les grandes articulations de la maturation humaine dans la vie monastique qui sont présentées. L’apport des sciences contemporaines n’est pas oublié. Nicole Jeammet, psychanalyste, met en évidence la façon dont l’être humain se construit dans une interaction constante avec l’environnement. Dans cette perspective analytique, tout sujet se construit à partir d’une relation avec un autre qui, au début de sa vie, est vécu comme identique à soi. La question jaillit d’elle-même : Comment transformer ce lien ? Comment assumer cette différenciation nécessaire, sinon par le passage à travers des sentiments de frustration, d’absence, de séparation. « Le renoncement à la mainmise sur l’autre, permis par une certitude d’être aimé, laisse lui seul se déployer entre soi et l’autre un espace de séparation qui devient paradoxalement l’unique lieu possible de réunion… »1
Dom Bernardo Olivera, Abbé général des Trappistes avait déjà développé, dans un numéro précédent, l’importance de la formation monastique dans une perspective anthropologique.2 Enzo Bianchi, le Prieur et le fondateur de la communauté de Bose en Italie, pose des jalons fondamentaux dans les défis propres aux âges de la vie. Il balise les étapes du combat spirituel, différent ou semblable à chaque étape de la vie : nécessité de penser, dimension si négligée à notre époque ; combat intérieur en vue de prendre une décision ; lutte pour tenir bon et persévérer. Il écarte la tentation de la léthargie spirituelle, les pièges du cynisme qui corrompt tout enthousiasme, la peur de vieillesse, de la maladie et de la mort qui peut conduire à cet amour de soi particulier (philautia), le narcissisme. La personne consacrée est conduite peu à peu à accepter le lâcher prise final qu’est la mort. Dans les processus d’initiation à parcourir, Enzo Bianchi mesure les passages de l’information du noviciat à l’intégration dans la vie d’une communauté, car les pôles essentiels dans les enjeux monastiques demeurent les mêmes : la personne, la communauté, Dieu.
D’autres contributions enrichissent les chemins du discernement pour notre temps. L’apprentissage de l’ouverture du cœur est une constante de la grande tradition monastique. C’est la découverte que l’autre, véritable sacrement pascal, sera toujours pour nous un mystère de foi. « Je sais que c’est Pâques, puisque j’ai mérité de te voir ». Comme l’exprime une sentence antique : « Ta clé ouvre ma porte, ma clé ouvre ta porte. Ensemble, nous sommes à l’écoute d’un Autre qui parle et agit en nous, à travers nous ». L’eros, l’agressivité, l’angoisse, les questions essentielles sont révélées et le dialogue ouvre à la croissance, à la liberté, à l’amour vrai. Les failles, les blessures, les fautes mêmes peuvent devenir dans ce contexte source de croissance et de vie.
Les chroniques concernant les communautés monastiques du Sud-est asiatique n’ont pas été écrites dans la perspective d’une maturation humaine. Mais in fine, toutes nos vies personnelles et communautaires ne sont-elles pas en croissance dans l’histoire sainte que constitue la vie de nos communautés monastiques et celle de l’Église ? Chaque continent, chaque monastère apporte sa contribution unique inscrite dans le temps et dans l’espace. Ce sont autant d’approches culturelles qui enrichissent la foi chrétienne et les traditions monastiques issues de saint Benoît.
La rencontre des autres religions peut elle aussi devenir source de croissance et de maturation dans la vie des moniales et des moines de notre époque. Elle impose aussi sa discipline propre à toute vraie rencontre dans l’hospitalité et le respect d’autrui. Si chaque étape de notre maturation a ses constantes, il est une démarche ultime dans les étapes de l’existence : celle de la mort. Le témoignage des moines de Tibhérine, en ce dixième anniversaire de leur mort si tragique, ouvre pleinement le mystère de la Croix et de la Résurrection. Et ce n’est pas sans émotion et recueillement que leur souvenir reste vivant en nous, sang versé par amour, démarche ultime de la croissance de l’être en Jésus-Christ.
1 Cette contribution rejoint une dimension de l’ascèse chrétienne invitant au lâcher-prise et au renoncement pour mieux être et mieux découvrir le Visage divin, toujours inconnu et tout-autre à travers Celui qui est l’icône du Dieu invisible.
2 Cf Bulletin de l’AIM n°77, p 15-35
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