Extrait du rapport de Sr Mary Marguaret FUNK, osb, Notre-Dame de Grâce, Beech Grove, USA, au conseil du MID. MID : bureau du Dialogue Interreligieux Monastique DIM aux Etats Unis.
Un point de vue est une tranche de vérité que l’on a et que l’on chérit, mais qui reste rarement figée ou rigide. Les points de vue évoluent, se développent et s’approfondissent à travers la discussion, l’étude et la méditation. Le problème de tout point de vue, c’est qu’il est limité, pas suffisamment mûr pour s’élever au stade de la sagesse. Les points de vue deviennent souvent divergents, créant un climat d’opposition, au lieu de faire tendre la conversation vers l’harmonie, la paix et l’unité. Il existe un autre plan sur lequel doit travailler chacun, c’est celui d’un message. Qu’il soit clair, irréfutable, authentique, adéquat et opportun. Exprimer un message invite à une remise en question. À quoi ressemblerait le message monastique ? Il s’exprimerait à la première personne. Sont exclus du dialogue monastique les mots pouvoir et contrôle, compétition et domination, séduction et intrusion, ou encore moralisme et dogmatisme qui suscitent des querelles et invitent chacun à marquer des points. Dialoguer ne signifie pas débattre ni faire de la rhétorique. La forme, aussi élaborée soit-elle, ne compense pas le fond. Le message est humble et ouvre un espace. Le message monastique est ouvert aux différences parce que les distinctions ne sont pas source de divisions, mais au contraire mettent en valeur la beauté, le contraste et l’unité. On pourrait disserter sans fin sur la question du « et si » on n’est pas d’accord, ou si « l’autre » vous ignore ou même devient dangereux s’il tire ses propres conclusions. La négativité, quels que soient ses nombreux masques, n’a pas place à la table des discussions. Ne niez rien, disaient les anciens. Ce qui est est.
Voici quelques points de vue de Merton sur l’utilisation de la guerre comme moyen de paix : Merton refusait la théorie augustinienne de la guerre juste, selon laquelle tuer est moralement acceptable à condition que cela ne constitue pas la seule et unique fin et si la guerre apparaît comme ultime moyen. Selon lui, le divorce entre l’intention et le comportement crée une schizophrénie morale dans laquelle nos motivations sont distinctes de nos actions, et en l’occurrence il s’agit de tuer un être humain. C’est la pensée augustinienne qui permit les Croisades et l’Inquisition. Merton fit sienne la théorie de la non-violence de Gandhi, théorie qui vise à libérer l’adversaire de la fascination pour la violence et l’oppression. Puisqu’il n’y a pas de différence entre oppresseur et opprimé, il n’y a pas non plus d’ennemi. Merton soulignait l’impératif de la non-violence dans l’Église primitive. Pour Clément d’Alexandrie, un disciple du Christ est un soldat de la paix dans une armée qui ne verse pas le sang. Pour saint Justin, un chrétien ne prend pas la vie d’un autre mais donne la sienne pour le Christ. Pour Tertullien, tous les soldats chrétiens ont déposé les armes lorsque Jésus a dit à Pierre de remettre son épée au fourreau. Avec la non-violence s’impose la nécessité d’éradiquer notre fascination pour les solutions définitives face aux problèmes, et les approches totalitaires face à la vie. Nous devenons violents parce que nous sommes persuadés que nous sommes seuls à détenir les réponses et la vérité. Nous en concluons que toute position divergente ne peut qu’aggraver les choses et qu’elle est nécessairement fausse. Quelle arrogance ! La vérité est plus grande que nous. Nous n’en sommes pas les détenteurs mais les serviteurs. La vérité est supérieure à nous, supérieure à l’Église. L’Église est ministre de la vérité, elle en est le témoin, pas le maître. Si nous croyons la vérité invincible, alors nous n’avons pas à attaquer les autres pour la préserver. Ceux qui servent sincèrement la vérité la considèrent avec délicatesse et font preuve d’humilité. Quand nous défendons la soi-disant vérité par la violence, nous ne sommes pas au service de la vérité mais de nous-mêmes. Nous devenons violents parce que nous avons plus ou moins conscience de ne pas détenir la vérité, et en conséquence, nous ne sommes pas assurés de la vérité de nos propos. Ceux que nous considérons comme nos ennemis sont parfois tout simplement des gens que nous ne pouvons pas contrôler, qui font d’autres choix de vie, qui voient un aspect de la vérité que nous n’avons pas vu. Beaucoup de gens que nous qualifions de pervers ne le sont pas, ils sont différents. La peur est la cause profonde de la guerre. Avec des armements de plus en plus lourds, nous continuerons à dominer et à être dominés. La non-violence requiert la maturité spirituelle. C’est la raison pour laquelle la prière est un élément si important dans l’avènement de la non-violence. Si la non-violence est inefficace dans bien des cas, c’est parce que les autres comprennent à juste titre que sous l’apparence de la non-violence se cache l’envie de faire la guerre, le désir de dominer ou, à tout le moins, une prétendue suprématie morale doublée d’autosatisfaction. La non-violence est une approche humble de la vie, cherchant à nous débarrasser de l’orgueil et de l’appât du gain. La violence paraît tourner à l’avantage personnel : si je ne défends pas mes droits, un autre les usurpera. C’est le sentiment de manque qui justifie le besoin profond de protéger les intérêts américains.
La vocation fait de ce dialogue particulier un message monastique. Comment un moine peut-il prendre part au dialogue ? Je suis persuadée que nous apportons d’autres contributions, mais pour ce modeste article, je n’en citerai que trois :
1- nous faisons observer le silence, et nous proposonsun lieu garantissant à chacun l’assurance de faire entendre son point de vue ;
2- nous ne sommes pas les maîtres du contenu et n’avons rien à gagner ni à perdre du point de vue matériel puisque nous avons renoncé à tout cela, et
3- nous sommes porteurs d’un message, celui du contemplatif qui transcende les divergences et s’exprime à cœur ouvert.
Le bureau du MID exprima son propre message le 15 Octobre 2002, lors de notre réunion annuelle à Kalamazoo lorsque nous avons voté la résolution suivante : que chaque membre du bureau du dialogue monastique consacre son exercice contemplatif quotidien à la paix par l’intermédiaire de la discussion plutôt que de la guerre. Cette résolution a été suscitée par notre désir d’utiliser notre pratique contemplative comme moyen intelligent de réduire la violence. Cela traduisait aussi la ferme volonté de commencer par nous-mêmes, plutôt que de faire une déclaration au monde entier. Nous partagions la conviction sincère que notre temps de silence matinal après Vigiles faisait plus de bruit que toutes les marches pour la paix dans toutes les capitales du monde.
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