Abbé, Timothy Kelly, osb., Président de la Congrégation Americano-Cassinaise
Il y a de nombreuses années, je me suis demandé dans quel passage de la Règle Saint-Benoît indique avec précision ce qu’un moine se doit d’être. Bien sûr j’ai trouvé toutes sortes de réponses ici et là, tant dans le Prologue que dans les soixante-treize chapitres. Il m’est alors clairement apparu que la meilleure définition se trouvait dans deux chapitres consacrés à l’abbé : chapitre 2 et 64. Les qualités présentées chez l’abbé sont précisément celles qu’il attend aussi du moine. De toute évidence, il a écrit la Règle pour les monastères, et non pour les abbés (bien que ces derniers ne soient pas exclus).
Mais il m’apparaît que si les moines partagent les mêmes caractéristiques de qualité et de vertu, cela vient du fait que, si l’abbé doit tenir la place du Christ dans la communauté, chaque membre de la communauté doit être modèle du Christ pour les autres, pour l’Eglise tout entière, et pour tous les hommes pour lesquels le Christ est venu dans le monde apporter le pardon et la réconciliation. La communauté monastique elle-même doit être signe de réconciliation, par le mode de vie communautaire des moines avec leur abbé pour ne former qu’un seul corps, le Corps du Christ.
Le modèle de l’Eglise, Corps du Christ, est la Sainte Trinité. Le Christ priait en ces termes : « Qu’ils soient UN, comme nous sommes un. » C’est ce qui lui permit d’accomplir sa mission jusqu’au bout dans un total don de soi ; sa résurrection en est la preuve manifeste, signe de sa victoire sur la mort et sur la corruption due au péché. Durant sa vie terrestre, il a accueilli les pécheurs, parce que la conversion de ces pécheurs représentait la victoire sur le péché qui avait détruit l’unité entre les hommes et Dieu, et entre les hommes eux-mêmes.
La grandeur de Jésus se manifesta tout particulièrement lors de la venue de l’Esprit Saint qui rassembla tous les membres en un seul corps, sans gommer la diversité des fonctions au sein de la communauté sacramentelle. Tel est le modèle de l’Eglise car les membres du peuple de Dieu, unis à Dieu et entre eux, nous révèlent quelque chose de la Sainte Trinité elle-même.
La vie monastique révèle la mission de l’Eglise tout entière en incarnant la diversité-dans-l’unité qui présente comme référence à toute l’Eglise une communauté de foi. La vie monastique révèle la mission de l’Eglise tout entière en incarnant la diversité-dans-l’unité qui présente comme modèle à toute l’Eglise une communauté de foi. A la tête d’une communauté monastique, il y a un chef qui forme, qui enseigne et développe les potentialités de la communauté pour façonner un modèle de direction en Eglise. Diriger participe de la propre mission d’unité du Christ et travaille à cet accomplissement par un total don de soi. Comme disait souvent l’abbé Primat Jérôme Theisen, le chef de la communauté c’est l’œil de cette communauté. Il a une vision globale de la communauté et favorise en son sein l’éclosion de principes directeurs afin que la communauté continue d’être un exemple de gouvernement collectif pour l’Eglise. Saint Benoît a mis l’accent sur l’hospitalité, parce qu’aucun chef, que ce soit un individu ou une communauté, ne sert son intérêt personnel. La communauté monastique ne peut durer dans la stabilité que si elle reconnaît ses responsabilités à l’extérieur vis-à-vis de l’Eglise tout entière et de toute l’humanité.
Permettez-moi d’évoquer ici le souvenir de l’abbé Jérôme Theisen. C’était un grand contemplatif, aimant la recherche et l’écriture, la solitude autant que la vie communautaire. Lorsqu’il fut élu abbé de Collegeville, les premiers mots qu’il adressa à la communauté furent pour rendre grâce de tout ce qu’elle lui avait apporté dans son apprentissage de la prière, de la lectio, des études et du savoir. De toute évidence, il acceptait de servir comme abbé en remerciement de ce qu’il avait reçu. Il avait conscience qu’il était temps désormais pour lui d’accepter ce nouvel office comme un service dû à la communauté. Quand il fut élu Primat en 1992, il s’exprima en termes tout à fait comparables. Il dit combien il était redevable et reconnaissant à la Confédération de lui avoir permis, des années auparavant, d’étudier la théologie à Saint Anselme et de devenir l’érudit qu’il était incontestablement. Une nouvelle fois, il lui sembla que le temps était venu d’accepter ce rôle comme un service dû à l’Ordre tout entier. Jusqu’à sa disparition subite, trois ans plus tard, il remplit admirablement cette mission. Lui qui aimait séjourner au monastère, il n’hésita pas à partir aux quatre coins du monde, là où l’on avait besoin de ses conseils. Lorsqu’il était abbé de Collegeville, il fut autant attentif aux besoins des missions lointaines qu’à ceux de son propre monastère. Comme Primat il se déplaça beaucoup pour soutenir les communautés qui avaient besoin de l’encouragement de l’Ordre tout entier. Par là il suivait la tradition séculaire des moines qui portaient et encourageaient la foi, loin de la sécurité et de la stabilité de leurs pays.
L’Abbé Jérôme Theisen nous a appris à reconnaître que l’Eglise est missionnaire, que même les plus contemplatifs dans l’Eglise ont leur rôle à jouer pour attester que l’Eglise, communauté dirigeante, a sa vision de l’avenir et favorise en son sein l’émergence d’un gouvernement pour l’avenir, de telle sorte qu’une communauté monastique puisse continuer à être un exemple de gouvernement communautaire pour l’Eglise.
Au début de cet article je remarquais que les chapitres de la Règle consacrés à l’abbé nous disent en fait ce que le moine se doit d’être. Cela laisse à penser que la communauté elle-même doit reconnaître son propre rôle en tant que communauté sacramentelle en marche. Diriger n’est pas le fait du seul abbé. A lui seul, l’abbé ne pourra jamais diriger une communauté sacramentelle qui ne se considère comme une communauté référentielle.
La sagesse de saint Benoît lui fit écrire une Règle pour une espèce de moines particulièrement forts, les cénobites, qui vivent dans un monastère où ils militent sous une Règle et un abbé. Témoigner aujourd’hui, pour des moines, c’est s’aimer, au sein de la communauté, et aimer tous ceux aux yeux desquels nous formons une communauté : chez nous, dans le voisinage, au loin dans les missions, en fait l’humanité tout entière. C’est un directoire sacrificiel car il procède de l’amour même du Christ. Voilà une communauté reconnaissante de ce qu’elle a gracieusement reçu, et qui souhaite redonner gracieusement en remerciement de ce qu’elle a reçu. La communauté ainsi menée n’est pas repliée sur elle-même, mais au contraire elle donne de son nécessaire, pas seulement de ce qu’elle a en abondance ni même de ce qu’elle a en quantité suffisante. C’est une co-direction qui nous dévoile le sens de la Parole faite chair, qui a dispensé la lumière pour que tous voient, qui a donné la vie pour que tous vivent.
Original américain, traduction Madame Claude Souesme
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