Quels sont les grands principes qu’un supérieur doit suivre ?

Mère Agnès Lê-Thi-Tô-Huong, osb, Prieure de Thu-Dúc, Vietnam

« N’ayez pas peur, ouvrez, ouvrez grand les portes au Christ ». Voilà le message prononcé par le Pape Jean Paul II au début de son pontificat ; il l’a répété sans se lasser au cours des 26 années au service de l’Eglise. Ce message nous pousse à ouvrir notre coeur au Christ et à tout homme avec un amour sans exclusive, toujours plus grand, plus large et plus profond.

Peut-on dire que l’Asiatique en général et le Vietnamien en particulier sont inclinés vers le cœur ? Comme disait Vöông Döông Minh : « Connaître le coeur c’est connaître la matière et connaître la matière c’est connaître la voie ». Pour le Vietnamien le coeur est le chemin conduisant à la voie. D’ailleurs Antoine de Saint Exupéry disait aussi : « l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur ».

« Demeurez en mon Amour » nous dit le Christ (Jn 15,9). Cette parole résonne minute après minute en moi comme le grand ou le premier principe que je dois suivre. On dit que l’Asie est le berceau des grandes religions du monde et de bien d’autres traditions spirituelles. Au sein du peuple vietnamien notre vie monastique est un don de l’Esprit Saint, un don de Dieu à l’Eglise pour son oeuvre dans le monde. Je suis tout d’abord convaincue que notre vie monastique est toute entière vécue pour le Christ et son Evangile (cf. Mc10,29[1]). Nous sommes en communauté de foi à la suite de saint Benoît et de notre Mère Fondatrice. Ainsi les principes que je dois avoir m’aident à construire notre communauté. Que je devienne servante du Christ et de mes soeurs ainsi que de l’Eglise ; que je devienne témoin de l’appel adressé dans les Béatitudes à tout homme : devenir artisan de paix et d’unité ; que je sois entièrement vouée à la contemplation pour rencontrer le Christ mort et ressuscité et demeurer dans son Amour. A travers tout cela je dois avoir une vie de prière, de silence, d’humilité, de patience, de pauvreté… Que j’accueille surtout la parole de Dieu dans le silence du coeur car « Dieu a parlé par son Fils et c’est dans le silence du coeur qu’Il se fait entendre » (St Jean de la Croix) Tout cela me laisse dans une confiance toujours renouvelée et un abandon total à Dieu pour garder la sérénité face aux difficultés. Mais pour garder un bon contact avec la parole du Christ il me faut prier, prier pour vivre la vie contemplative, prier pour m’aider à regarder en face les choses et pouvoir les analyser d’une manière juste, claire, concrète et précise.

Par exemple : les vietnamiens sont très respectueux des relations fraternelles et le caractère communautaire est un trait fort de notre culture. Ce caractère est encore plus marqué dans les rapports avec les Confucianistes les Taoïstes, les Bouddhistes. Petit à petit nous y découvrons des germes évangéliques, mais ces trois religions ne sont pas chrétiennes. Alors il me faut être très vigilante pour discerner ce que je dois faire pour rester ce que je suis : une moniale chrétienne ! Le Vietnamien est aussi très attaché aux traditions culturelles. Sachant que la beauté est le reflet de la Gloire de Dieu, que l’art est aussi un chemin conduisant à Dieu, il me faut, là aussi, bien discerner et choisir dans le travail d’inculturation en tous ces domaines. Le monachisme vietnamien est très jeune mais nous avons déjà bien avancé dans l’inculturation, malgré les événements politiques dans notre pays. On peut voir des églises de style vietnamien et réciter la prière de l’Office dans notre langue... Ce qui compte encore plus dans ces résultats visibles, c’est qu’on peut rencontrer des moines bouddhistes et dialoguer avec eux. Tout cela nous demande un bon enracinement dans la foi chrétienne, c’est fondamental pour moi.

Ma communauté m’est très précieuse puisque c’est le lieu où j’apprends les premières notions de vie spirituelle, et j’apprends par là que nous sommes tous UN dans le Christ, là où nous vivons le Mystère d’Amour de la Trinité, en nous aidant mutuellement sur la voie du Salut. Nous partageons les mêmes joies et difficultés, nous commençons par nous respecter mutuellement, c’est important, car nous croyons fermement que la Sainte Trinité habite en chacune de nous.

Je suis convaincue que ce sont les personnes qui donnent vie aux bâtiments. Mais la vie commune restera toujours un mystère du Christ. Pour bien vivre ce mystère, une fois de plus, je dois me mettre dans l’Amour du Christ et son exemple, c’est le meilleur protecteur contre l’accaparement des soucis temporels ou l’envahissement des valeurs profanes. Je vois aussi comment, le plus souvent, au sein de notre petite communauté, la plupart des jeunes découvrent le sens de l’Eucharistie, la foi, la prière et la valeur de la vie fraternelle.

Un autre principe qui n’est pas moins important c’est le silence du coeur. Quand les choses ne vont pas bien, je dois prier davantage bien sûr, mais aussi je dois faire silence pour que l’Esprit Saint travaille, en moi et en chaque domaine que je dois affronter ! Oui, j’ai fait l’expérience que le silence monastique est une manière de dialoguer avec Dieu, avec soi-même et avec le monde. Et la prière en silence enlève petit à petit en moi la crainte de la souffrance et de la mort et me fait entrer ainsi dans le Mystère Pascal du Christ.
Un autre principe qui m’aide beaucoup, c’est l’Office Divin. J’y puise ma force et ma joie. J’ai lu quelque part cette phrase : « je suis entrée dans la vie monastique pour toutes sortes de mauvaises raisons, mais l’une des bonnes raisons qui me font rester c’est que je voudrais que les psaumes pénètrent dans mes os ». Oui, grâce à la prière des psaumes je peux me comprendre et comprendre les autres dans le Seigneur et les aimer, à condition de réciter les psaumes ‘avec l’oreille du cœur’. De plus les psaumes me font entendre chaque jour la voix de Dieu qui m’apprend à l’écouter, à écouter le Christ et nos proches, pour discerner la volonté du Père. Etre à la tête d’une communauté est toujours une tâche difficile qui demande une grande générosité. Jamais mon coeur n’a été loin du coeur de Jésus, du coeur de Dieu ni du coeur de Marie, la Mère bien aimée de Jésus. J’espère avoir bien mis l’accent sur la dimension intérieure du ‘cœur profond’. Nous espérons n’être pas devenues trop superficielles pour pouvoir espérer avoir une foi qui aime le monde d’un coeur purifié qui se convertit de jour en jour.... Que Dieu soit en tous !

[1] Marc 10, 29-30 Jésus déclara : " En vérité, je vous le dis, nul n'aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l'Évangile, qui ne reçoive le centuple dès maintenant, au temps présent, en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.