Martin Neyt, osb., Président de l’AIM
L’art de gouverner
« Au début de mon service comme successeur de Pierre, je demande à saint Benoît de nous aider à maintenir fermement la place centrale du Christ dans notre vie. Qu’il ait toujours la première place dans nos pensées et dans toutes nos activités » Pape Benoît XVI
Les moines et les moniales se joignent à toute l’Eglise dans l’action de grâce pour l’élection du Pape Benoît XVI et nous l’assurons, à notre tour, de notre humble et indéfectible prière pour le grand ministère qui lui est confié.
L’art de gouverner…une communauté monastique ! Tant de supérieurs se voient confier cette mission et l’AIM a ce privilège de pouvoir partager les expériences de vie de plusieurs d’entre eux, dans des contextes si divers. Le journal de bord de saint Brendan, datant du VIème siècle relate la vie des moines partis naviguer avec leur abbé à la recherche du Paradis[1]. En voici un extrait ouvrant merveilleusement notre propos : « En sortant de la baie, nous faisons route poussés par une bonne brise et douze jours passent ainsi. Mais le treizième jour la brise disparaît et sur la mer plate comme un miroir, aucune risée ne vient bleuir les eaux qui ressemblent à un métal fondu renvoyant l’éclat du soleil. Alors nous prenons les avirons et longtemps, longtemps, nous les manoeuvrons jusqu’au moment où, les mains en sang, le corps exténué de fatigue, nous sommes incapables de fournir le moindre effort…Nous voyant incapables d’agir, Brendan fait lever les avirons et nous commande de hisser à nouveau la voile. Je n’ose me risquer à faire remarquer à notre abbé qu’il est inutile d’agir ainsi puisque nous nous trouvons au cœur d’un calme plat, mais Brendan, devinant mes pensées, nous dit : « Nous n’avons pas de meilleur vent, de meilleur pilote que Dieu lui-même. Abandonnons-nous à Sa Volonté. Lui seul nous conduira là où il veut que nous allions ». Alors durant de nombreux jours, sur la mer immobile, ardents de soif et de fièvre, nous dérivons ainsi, ignorant vers quelles aires du monde nous voguons…Et voici qu’un Souffle mystérieux gonfle notre voile et sous ce vent mystérieux, le curragh fend rapidement le miroir de la mer… ».[2]
La communauté, l’abbé, les moyens de navigation (la Règle et les traditions bénédictines), l’état de la mer et du vent (l’environnement), le Souffle divin guidant l’orientation fondamentale de la communauté, voilà les données essentielles qui se conjuguent suivant l’histoire et la vitalité d’une communauté monastique. L’art de naviguer dans la foi appelle la mobilisation de tous, du capitaine au dernier moussaillon et demande au responsable d’être à l’écoute de chacun, et surtout du plus jeune. Il invite le pilote à faire preuve de discernement et d’équilibre pour développer la cohésion de son équipage, sans être « ni craintif, ni maniaque, ni soupçonneux », encore moins à se retirer déçu d’avoir à conduire des êtres libres et autonomes.
Dès lors, l’abbé peut être comparé à Moïse, en marche avec son peuple à la recherche de la Terre promise - explicite longuement l’Abbé Primat Notker Wolf, osb.
De son côté, dom Bernardo Olivera, ocso., Abbé Général, tel un pilote expérimenté et empli de sagesse, s’adresse à chacun et à chacune avec le cœur. Sa simplicité désarmante, empreinte de prière et d’humilité, se présente comme un partage sur le service de l’autorité. Les nombreuses perspectives et interrogations soulevées débouchent sur cinq volets adressés, en termes directs, à celui qui est appelé au poste de pilotage. Adages et maximes sont habités par l’expérience de la vie, appels toujours concrets à une manière d’être et d’agir. « Comme la vigie du bateau, plus tu es haut, plus tu dois regarder vers l’horizon du futur… ».
Le P. Victor Bourdeau, ocso., abbé de Tamié appelle à se libérer d’une lecture fondamentaliste de l’Ecriture, de la Règle ou de la liturgie ; autant de propositions qui permettent de retrouver les chemins de la navigation donnant accès au Mystère.
Il est encore un autre façon de naviguer, féminine, subtile, nous ouvrant les mers asiatiques : « Connaître le cœur, c’est connaître la matière et connaître la matière, c’est connaître la voie » commente la Prieure de Thu-Duc au Vietnam.
Mère Rosaria, ocso., de Rome s’oppose à la fragmentation des projets et des comportements pour redécouvrir une cohésion qui rassemble, source de communion et de joie. C’est le dialogue qui fait davantage avancer le navire. Ce dialogue, conjugué aux différentes étapes de la formation, engendre une participation au gouvernement de l’abbé dans un esprit de foi. Navigation vers le grand large...
Si les embarcations modernes ont leurs objectifs de navigation bien définis, souligne Sr Joan Chittister, osb., les Bénédictins, animés par le cœur, s’orientent sous le Souffle divin. Ils mènent par conséquent leur voilier avec un art qui vient d’ailleurs : ce modèle propose un autre mode de comportement à l’égard des personnes, du travail ; il développe une autre vision de la sagesse, de l’autorité, des relations, sans cette recherche du succès et de la production propre à l’homme contemporain. Tant de réalités sont inversées sous le regard divin : communauté, leadership et humilité, sens du travail, ouverture aux idées, interrogations, consensus. Bref, « le leadership est grâce et don de Dieu qui fait vivre les talents d’une communauté tout entière ».
Les Sœurs bénédictines de Lubumbashi de leur côté viennent de jeter l’ancre au Tchad, à Moundou. Que le vent de l’Esprit leur apporte rafraîchissement et courage dans ces nouveaux commencements toujours bénis de Dieu.
Chants et danses ont accompagné la profession solennelle de Sœur Marie-Liesse à Bouaké en Côte d’Ivoire. En ce lieu environné des tensions entre le Nord et le Sud du pays, 800 personnes venaient participer à la fête et oublier quelques instants leurs détresses et leurs souffrances.
Quelles sont les qualités requises pour le pilote du navire dans la Règle bénédictine, s’interroge le P. Timothy Kelly, osb. ? Ce sont celles-là même que saint Benoît aime aussi trouver chez les moines ! Il n’a manifestement pas écrit sa Règle pour les supérieurs, mais bien pour les communautés. Une relecture des chapitres 2 et 64 nourrit une réflexion nouvelle : la communauté devient signe de réconciliation et d’unité « Que tous soient Un en nous, comme Toi et Moi sommes Un », constituant avec leur abbé le Corps même du Christ. La stabilité de la communauté monastique ne peut survivre qu’en reconnaissant ses responsabilités à l’égard de toute l’Eglise et de l’humanité entière.
D’autres questions sont soulevées par le P. Jacques Côté, osb., s’adressant à de nouveaux supérieurs en session à Tre Fontane, Rome.
Le P. John Kurichianil, osb., nouvel abbé de Kappadu, trace les lignes directrices du Prologue de la Règle en suivant celles de la première communauté des Actes des Apôtres.
Le Prieur général des Camaldules, le P. Emanuele Bargellini, décrit succinctement la renaissance de son Ordre et le P. de Arruda Zamith, osb., abbé brésilien, évoque les souvenirs d’un Ancien… Tant de perspectives qui s’articulent selon les lieux et les temps, de l’Inde à Rome.[3]
Depuis le premier voyage de Brendan, des centaines de communautés monastiques ont pris le large et naviguent sur les mers. Grands paquebots, petits navires, frêles esquifs, dans un monde sans repères, en proie à tant d’aléas, ce sont des signes fragiles et durables de réconciliation et d’unité, de paix de joie, de prière et de silence. Quel est-il le secret qui anime ces vies et ces institutions, sinon ce merveilleux trésor, magnifique livre de bord, dans lequel saint Benoît revêt toutes les dispositions communautaires de modération et d’un immense respect mutuel. Toujours, avec sa vigie chargée de signaler la Terre promise, le cap est mis sur l’Evangile et, comme le souligne le Pape Benoît XVI, rien n’est préféré à l’amour du Christ.
[1] Beaucoup pensent de nos jours qu’ils sont les premiers occidentaux à avoir mis le pied en Amérique du Nord.
[2] Journal de bord de Saint Brendan, à la recherche du Paradis, présenté et commenté par Robert-Yves Creston, Paris, 1957, p.80 sv.passim.
[3] Voir plus loin, la rubrique sur « les monastères dans l’Eglise et dans la société ».
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