C’est depuis mon affectation à l’AIM en 1997 que les 3 fondations bénédictines de la région amazonienne me tiennent particulièrement à coeur. Cette vaste région fascine, non seulement par son étendue, sa forêt et son climat toujours chaud et humide, mais aussi par sa richesse qu’elle sait encore soustraire au regard des hommes.
Le monachisme existe depuis très peu de temps dans cette région. Au Brésil, les monastères se sont d’abord établis dans ou près des grandes villes, surtout Rio de Janeiro et São Paulo, là où la population est plus dense et les communications plus faciles. Encore aujourd’hui, la région amazonienne, sauf celle de Manaus, est très peu peuplée et, encore maintenant, pour une grande partie de son territoire, il faut une âme d’aventurier pour y pénétrer. Il fallait, surtout chez des personnes étrangères à son climat et à la culture de ces peuples, une bonne dose de courage et une grande foi pour venir établir un type de vie religieuse caractérisée par la stabilité.
C’est en 1989 que le monastère des moniales bénédictines de Curitiba, situé au sud-ouest de São Paulo, répondait à l’appel de l’ordinaire de la prélature territoriale d’Itacoatiara de venir fonder dans son territoire. Itacoatiara, qui signifie “Pierre-qui-Chante”, est situé à 260 kilomètres à l’est de Manaus, la ville au coeur de l’Amazonie, sur le fleuve Amazone. Quatre ans plus tard, c’était au tour des moniales bénédictines de Juiz de Fora, situé au nord de Rio de Janeiro, de venir s’établir à Rio Branco. Enfin, en 1997, les moniales, aussi bénédictines, de Petrópolis envoyaient, d’un seul coup, un groupe de 9 moniales à Guajará-Mirim en réponse à la demande de l’évêque qui avait désiré leur présence dans son diocèse. J’ai pu constater que ces 3 monastères, malgré leur jeune âge, sont déjà bien enracinés. La vie monastique a un avenir dans la région amazonienne[1].
Rio Branco[2] a été le premier monastère visité. J’ai été aimablement accueilli à l’aéroport par Mère Prieure Cecilia à une heure du matin. La communauté compte actuellement 4 moniales professes, dont une, entrée à Juiz de Fora l’année de la fondation, a fait profession pour la nouvelle maison. Une postulante est aussi là depuis 2 ans. Le monastère est situé à l’extérieur de la ville en bordure d’une route devenue, depuis peu, très achalandée en raison d’un fort développement résidentiel un peu au-delà, mais qui ne débouche nulle part. Il y a seulement quelques décennies c’était, ici, la forêt amazonienne. Les moniales, qui ne peuvent encore subvenir à leurs besoins, ont une petite basse-cour. Elles désirent cependant remettre quelques hectares en forêt, ce qui leur permettrait d’obtenir des fruits et des plantes médicinales qu’elles pourraient mettre sur le marché. La chose est possible, même si, comme partout où la forêt a été détruite, la terre est d’une extrême pauvreté, ravagée par l’érosion en saison des pluies et cuite au soleil en saison sèche. Le taux d’alphabétisation est encore peu élevé et la culture des gens est toujours celle des peuples de la forêt, habitués à vivre au jour le jour. Les moniales doivent pratiquer l’hospitalité gratuitement.
Au sud de Rio Branco, à Xapuri près de la frontière avec la Bolivie, les touristes visitent la résidence de Chico Mendes, célèbre opposant à la destruction de la forêt tropicale humide, assassiné dans sa propriété. La route qui y conduit, très peu fréquentée, traverse d’immenses étendues d’anciennes forêts où se pratique désormais l’élevage intensif des bovins. Il est facile de traverser la frontière pour se rendre en Bolivie. Beaucoup en profitent, car les produits sont moins chers qu’au Brésil.
Durant mon séjour à Rio Branco, j’ai fait une visite, trop brève et la Mère Prieure me l’a reproché avec raison, aux moniales de Guajará-Mirim. Une distance d’environ 400 kilomètres sépare ces 2 villes. Il faut bien compter 8 heures de voyage en autocar car il est toujours nécessaire de traverser en bac le fleuve Madeira et la route, même la fameuse BR 364 qui a permis l’exploitation indue de la forêt de cette région, n’est pas une voie rapide.
La communauté de Guajará-Mirim habite toujours dans une ancienne école, partie d’un complexe de bâtiments que possède le diocèse au centre de la ville. Des 10 moniales fondatrices, 6 ont demandé de revenir à Petrópolis, ce qui dit la difficulté de s’adapter au climat pour des personnes qui ne sont pas nées dans la région. Une jeune moniale est professe temporaire, 5 sont novices et il y a 4 postulantes, ce qui donne une communauté jeune, dynamique et joyeuse. La communauté a tissé des liens très fraternels avec la population locale. Beaucoup de laïcs apportent de la nourriture aux moniales. La construction de leur monastère, qui se fera sans doute prochainement, ne les éloignera pas trop de la ville de sorte qu’elles espèrent conserver ces liens de fraternité. Un louable effort est fourni du côté de la formation monastique. Les moniales peuvent aussi bénéficier de cours offerts aux laïcs par le diocèse. La ville est située sur la frontière avec la Bolivie : il suffit de traverser le fleuve Mamoré pour se trouver dans ce pays, ce qui se fait avec grande facilité, sans contrôle de douane ni d’immigration, facilitant ainsi toutes sortes d’échanges, pas toujours très bons. La communauté bénédictine est connue sur l’autre rive du fleuve. Deux de ses membres sont d’ailleurs Boliviennes.
Le monastère est dédié à Notre-Dame du Seringueiro. Ce personnage était l’humble récolteur du latex que distillent certains arbres de la région – les hévéas, seringueiras en portugais - et qui permet de faire de la borraccha, c’est-à-dire du caoutchouc. Depuis que l’arbre est cultivé en Asie, le marché du caoutchouc a chuté en région amazonienne.
De Guajará-Mirim ou de Rio Branco, il est possible de se rendre à Manaus, et donc aussi à Itacoatiara, par voie fluviale à condition, bien sûr, de disposer de plusieurs semaines, d’une bonne dose de patience et d’un intérêt pour ce type de voyage. Sur les bateaux, on peut louer soit une cabine soit un emplacement pour son hamac, de préférence sur le pont supérieur pour profiter d’un peu de fraîcheur. Manaus et Itacoatiara sont 2 villes situées sur le fleuve Amazone. C’est près de Manaus que les eaux brunes du Rio Solimões rencontrent, dans un premier temps sans se mélanger, les eaux noires du Rio Negro, ce qui constitue un véritable spectacle, original de surcroît. Arrivées à Itacoatiara, les eaux, désormais unifiées, sont bien celles de l’Amazone. Situé à 10 kilomètres à l’est de la ville, le monastère des moniales n’est pas suffisamment éloigné du grand fleuve pour le faire oublier. C’est pourquoi le monastère est dédié à l’Eau vive : “Agua Viva”.
Comme il a été dit plus haut, ce monastère est le premier fondé dans la région amazonienne. Contrairement aux 2 autres, il est situé “en forêt” mais tout près de la route qui unit Itacoatiara à la capitale de l’état d’Amazonas, Manaus[3]. Les bâtiments, constitués de pavillons, sont simples et ouverts, réunis par des passages qui protègent de la pluie. Le souci de la propreté est un trait de la communauté. Le petit ermitage où les moniales m’ont logé avait un charme qui a contribué à me faire regretter la brièveté de mon séjour. Les moniales peuvent accueillir des groupes de 30 personnes. Lors de mon passage, la communauté était composée de 6 membres dont 2 professes, entrées ici, une novice et une postulante. A cause du nombre réduit de prêtres dans la région, elles ne peuvent avoir la messe tous les jours. Même le dimanche, elles doivent se rendrent à la paroisse pour l’eucharistie.
Aller fonder en région amazonienne, même pour des Brésiliennes, c’est un peu aller fonder à l’étranger . Le pays et la langue sont les mêmes, mais la culture des peuples, façonnée par une histoire différente, n’est plus la même. La région est aussi très éloignée des grands centres populeux du sud et les relations avec les maisons fondatrices, si essentielles pour les jeunes fondations, peuvent ne pas être aussi fréquentes qu’elles le devraient. La chaleur, surtout à la fin de la saison sèche, doit aussi être prise en considération surtout par des personnes qui n’y sont pas habituées.
Mais c’est une joie de savoir que 3 communautés vivent là-bas la vie monastique bénédictine, dans sa simplicité, en contact avec la population locale. Il ne reste qu’à souhaiter que, dans un avenir prochain, des moines suivent le bon exemple que leur ont donné les moniales.
[1] Géographiquement, seul Itacoatiara est situé en Amazonas, l’un des 27 états brésiliens, et le plus vaste 1.578.000 km2. Rio Branco est situé dans l’état d’Acre et Guajará-Mirim au Rondônia. Ces deux petits états, coincés entre l’Amazonas et les frontières du Pérou et de la Bolivie peuvent être considérés comme faisant partie de la région amazonienne. Le fleuve Amazone baigne d’ailleurs aussi le deuxième plus grand état du Brésil, le Para 1.253.000 km2.
[2] Le nom vient d’un homme politique, non du fleuve du même nom qui se jette dans l’Amazone.
[3] Cette ville, située à 3 degrés de latitude sud, est l’une des villes les plus chaudes du monde.
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