Le Groupe de Chevetogne. 1992 - 2002

ORIGINES

Le Congrès des Abbés Bénédictins de 1992 a coïncidé avec des événements importants en Europe.  La Guerre Froide était à peu près terminée.  Les pays du Pacte de Varsovie commençaient à être perçus, à nouveau, comme faisant partie de la famille Européenne, et la décennie suivante verrait leur intégration progressive dans la Communauté Européenne.

 

L'année précédente, le Pape Jean Paul II avait choisi l'Europe comme thème pour le Synode les deux Europe dans la restauration ensemble d'un héritage commun, sous le patronage conjoint de St. Benoît et des Sts Cyril et Méthode. La tradition monastique demeurait, en effet, le lien le plus concret entre les traditions religieuses de l'Est et de l'Ouest.

 

L'impact de ces événements fut ressenti par bon nombre d'Abbés présents au Congrès.  Les Abbés de Chevetogne et de Kergonan eurent tôt fait de trouver une base d'entente commune avec des confrères de toute l'Europe pour discuter de ce que pourrait être la contribution monastique à la nouvelle évangélisation de l'Europe.  La décision fut prise de se retrouver de manière informelle au mois de février suivant.  Le Groupe n'était pas seulement informel.  Il n'avait aucune reconnaissance officielle. Il avait la bénédiction de l'Abbé Primat, mais n'était en rien représentatif du Congrès et il n'avait aucune tâche spécifique.

 

Il avait, par contre, un objectif très clair.  Le même Synode avait incité les Ordres Religieux à "donner un vivant témoignage des exigences radicales de l'Evangile", et les communautés monastiques en particulier à être "une micro-réalisation pascale " de ce qu'une Communauté Européenne élargie pourrait être.  C'était une noble vision, mais ce n'était pas évident à première vue comment la concrétiser en pratique..  La principale difficulté venait de la nature même, non seulement de la Confédération Bénédictine, mais de l Ordre Monastique dans son ensemble.

 

Les communautés monastiques sont autonomes, et n'ont pas l'habitude (ni en général le désir) d'agir de manière collégiale.  Leurs priorités varient selon la tradition locale.  Ni le Primat ni les Présidents des Congrégations particulières ne sont à même d'imposer des changements de politique.  Le "Groupe de Chevetogne " (ainsi qu'il fut désigné après sa première réunion en Belgique) avait le sentiment  que les rapides changements en Europe représentaient un défi qui pouvait être le mieux relevé si plusieurs monastères essayaient de 'réfléchir ensemble' plutôt que séparément.  Ce qu'ils voulaient faire c'était de développer une compréhension commune de ce qui se passait pour la Culture Européenne (au sens le plus large) et une vision commune de ce que pourrait être la contribution des monastères à l'Ordre Nouveau.

 

Il était évident que le Groupe serait enrichi en s'élargissant au-delà de la Confédération Bénédictine elle-même, ainsi que par l'inclusion de moniales.  Il était essentiel qu'il y ait une présence de la tradition Orthodoxe monastique.

En même temps, il y avait une détermination que le Groupe reste assez petit pour conserver une certaine intimité.  Un membre laïc, qui avait l'expérience d'une participation à des Groupes similaires, fut inclus  dans le Groupe dès le début.  L'intention principale était humble : apprendre à être levain dans la pâte, et avancer à petits pas plutôt que de proposer des programmes grandioses.

 

LA PREMIERE RENCONTRE

 

Elle eut lieu à Chevetogne en février 1993.  Le Groupe lui-même se composait de douze membres, dont deux Abbesses.  Huit pays Européens étaient représentés : Belgique, France, Allemagne, Grande Bretagne, Hollande, Hongrie, Italie et Espagne.

 

Le ton de la réunion était exploratoire.  Comment les monastères pouvaient-ils devenir plus conscients de leur rôle dans une société élargie ? Comment pouvaient-ils apprendre à rendre les valeurs monastiques plus accessibles au monde contemporain ? Comment susciter une rencontre vécue avec d'autres traditions monastiques et religieuses, spécialement celles de l'Est ?  Comment  contribuer à un réveil des valeurs Chrétiennes et monastiques qui sous-tendent l'expérience Européenne ?  Comment explorer l'interface entre l'expérience monastique et l'expérience séculière des aspirations et problèmes contemporains ?

 

La réunion était composée de deux sessions, une 'interne' (le Groupe 'en recherche de son identité'), l'autre 'ouverte' (un dialogue avec des participants invités).  La Session Ouverte à cette première réunion consistait en contributions par d'autres personnes déjà impliquées dans des initiatives semblables, tant cléricales que laïques.  Ces discussions ont aidé le Groupe à commencer à définir ce que pourrait être le caractère monastique spécial de son futur travail.

 

La division de la réunion en deux sessions devait devenir un trait régulier des réunions suivantes en de multiples manières.  Chaque réunion du Groupe allait devenir une double rencontre ­un échange et une fécondation mutuelle à l'intérieur du Groupe lui-même, et un dialogue entre le monde monastique et son contexte séculier

 

A la fin de la première réunion, une décision fut prise de prévoir un programme pour deux années, avec deux réunions par an.  A la fin de cette période, le Groupe déciderait de continuer ou non.  Il n'était pas encore clair si le thème européen serait assez riche pour soutenir une plus longue série. Il n'était pas non plus évident encore comment la dynamique interne du Groupe lui-même allait se développer.  Ceci devait s'avérer un facteur décisif.

 

DEVELOPPEMENT DU GROUPE 1993 - 1995

 

Lorsque le programme proposé pour deux années eut touché à sa fin, une précieuse expérience avait été acquise, et de nouvelles perspectives s'ouvraient.  La seconde réunion eut également lieu à Chevetogne, mais à cette réunion la décision importante fut prise que, dorénavant, les réunions se tiendraient dans des monastères différents du Groupe, et que l'Abbé local aurait la responsabilité (en consultation avec un comité de coordination) de programmer la Session Ouverte.

 

Le résultat fut que le Groupe fit l'expérience de quatre réunions très différentes dans des contextes monastiques très variés.  La première, encore à Chevetogne, fut d'une importance particulière à cause des contributions majeures faites pour la première fois par les membres Orthodoxes du Groupe, qui devaient devenir progressivement absorbés dans sa vie.  La seconde, à Kergonan (Bretagne) fut consacrée à passer en revue de manière intensive et détaillée les objectifs du Groupe.  La troisième. (organisée par l'Abbé de Silos) faisait partie du Cours de l'Université d'été à Valle de los Caidos (Espagne).  La quatrième, à Praglia (Italie). eut une Session Ouverte qui engagea le Groupe dans un dialogue actif avec un Groupe de professionnels laïcs, sur un thème d'importance pratique majeure pour le développement des institutions de la nouvelle Europe.

 

Il y eut trois aspects marquants de cette période (1993 ­1995).  Le premier fut le développement de la Session Ouverte en une rencontre flexible et stimulante avec divers Groupes de participants laïcs.  L'Abbé Clemente Serna (Silos) avait arrangé que la réunion se tienne à Valle de los Caidos afin de coïncider avec les cours d'été organisés par l'Université Complutense de Madrid, à laquelle des membres du Groupe made firent une intervention formelle sur le thème du rôle des monastères dans l'histoire et la culture de l'Europe.  A la réunion suivante, à Praglia, l'Abbé Bruno Marin avait réuni un Groupe impressionnant de laïcs professionnels, avec une expérience spécialisée en Politique, en Affaires et dans les Arts, pour participer à la Session Ouverte.  Le thème était 'L'exercice de l'autorité'.

 

La discussion fut d'une importance capitale pour l'avenir du Groupe.  Le concept d'autorité contenu dans la Règle de St. Benoît (et dans de nombreux siècles consacrés à l'évolution de son interprétation) s'est trouvé interpellé et enrichi par une confrontation avec une large gamme de styles modernes et pragmatiques de leadership et de prise de décision.  Jusqu'à quel point un Abbé doit-il adopter le style d'un PDG, d'un homme de consensus, de chef d'orchestre ?  La comparaison entre une communauté religieuse et un orchestre s'est montrée très éclairante : l'orateur (une femme), chef d'une grande expérience s'est comparée à une 'fenêtre' entre la partition et les joueurs plutôt qu'à une figure dictatoriale de grand 'maestro' imposant sa volonté - une comparaison d'une pertinence évidente pour les supérieurs monastiques modernes.

 

Ce que cette réunion a donné à penser c'est que l'interface entre expérience monastique et séculière est riche et complexe, elle ne se limite nullement aux thèmes 'spirituels'.  Les monastères sont vraiment des microcosmes de la société humaine, et les défis et les problèmes auxquels ils sont confrontés trouvent leur écho à tous les niveaux de réalité séculière.  Les discussions précédentes dans le Groupe avaient eu tendance à souligner le rôle du moine dans l'enseignement des valeurs; il y avait maintenant une conscience grandissante que les monastères eux aussi ont à apprendre..  Ceci eut des conséquences important, particulièrement pour le choix des thèmes des réunions suivantes.  L'Autorité n'était que l'un des nombreux domaines dans lesquels la rencontre entre les mondes monastique et séculier pouvait mener à un enrichissement réciproque plutôt qu'unilatéral.

 

LA DYNAMIQUE INTERNE DU GROUPE

 

Cependant, le Groupe avait augmenté et les membres commençaient à se connaître.  A la première réunion ils avaient été douze; à Praglia ils étaient dix-sept.  Les pays représentés maintenant comprenait la Pologne, la Biélorussie et la Russie. On était toujours d'avis que l'une des forces principales du Groupe résidait dans sa taille limitée.  Dans les réunions, il était facile pour tous de s'exprimer, et durant les deux ou trois jours de ‘convivenza' informelle de chaque réunion, un sens réel de l'amitié et de la communauté allait grandissant.

 

Il n'est pas courant, dans le contexte monastique, que des moines et des moniales, de traditions et de cultures différentes, aient cette occasion de se rencontrer de manière régulière et, pour ainsi dire, de 'concélébrer' les idéaux communs qui les ont rassemblés.  Cela s'est déjà vu dans le passé que des interprétations différentes de l'idéal monastique entraînent une certaine défiance mutuelle.  Le Groupe de Chevetogne est extrêmement large dans sa culture monastique, il comprend des hommes et des femmes, certains représentant la tradition plus fermée et d'autres avec des écoles ou d'autres œuvres pastorales, et (ceci est significatif) des membres représentant le monachisme occidental et le monachisme orthodoxe.

 

La présence des Orthodoxes était, bien sûr, un 'desideratum' fort depuis le début, car la pleine identité du Groupe dépendait de sa capacité à 'incarner' l'unité de l'Europe entière, pas seulement la partie occidentale.  Ce ne fut pas, toutefois, très facile à réaliser.  Il faut se rappeler, en particulier, que l'Eglise Russe Orthodoxe émergeait de soixante-dix années d'effroyables souffrance et manquait des moyens élémentaires de survie matérielle, pour ne rien dire de moyens pour les voyages internationaux.  Il y a aussi une longue histoire de suspicion et de méfiance à l'égard des aspects plus politiques de la puissante Eglise de l'Ouest (compliquée, à notre époque, par le facteur polonais).

 

Heureusement, le lien naturel le plus fort entre Est et Ouest est le lien monastique, et le Groupe put profiter des contacts entre Chevetogne et le Patriarcat de Moscou en la personne de l'Archimandrite Joseph Poustooutov, qui est non seulement moine et bon linguiste mais aussi parfaitement bien informé quant à l'histoire récente de l'Eglise Russe et son attitude complexe vis à vis de l'Œcuménisme.

 

Le P. Joseph rejoignit le Groupe pour la seconde réunion de Chevetogne, accompagné de Mère Gabriella Glouchova, Abbesse du Couvent Orthodoxe de Grodno, Biélorussie.  Leur présence allait devenir un élément vital dans la vie du Groupe, à deux niveaux.  D'abord, ils apportaient avec eux une connaissance approfondie et détaillée de l'histoire, de la dévotion et des pratiques orthodoxes, particulièrement en relation avec la répression à partir de 1917 et le renouveau actuel du monachisme, avec toutes les difficultés que cela entraîne.  Ensuite, l'atmosphère conviviale du Groupe eut tôt fait de surmonter la méfiance initiale, et ce qui avait commencé par une rencontre fondée sur l'intérêt mutuel put évoluer en une amitié partagée dans la confiance.

 

Il existe de nombreuses rencontres œcuméniques dans lesquelles un sens exagéré du respect tend à inhiber les expressions honnêtes de désaccord.  On aurait pu s'attendre à ce que le manque de connaissance du français (la 'lingua franca' du Groupe) soit pour Mère Gabriella un obstacle à sa pleine participation aux réunions, mais, de façon mystérieuse il n'en fut rien.  L'affinité créée par une expérience monastique commune, ainsi qu'un plaisir simple de l'amitié et de l'hospitalité partagées, s'est avérée beaucoup plus forte qu'aucune barrière de théologie ou de langue.  La présence du P. Joseph et de Mère Gabriella dans le Groupe est complexe mais elle est une preuve vivante que, dans les rencontres œcuméniques authentiques, la ‘convivenza' compte plus que les paroles.

 

Ceci est vrai du Groupe dans son ensemble.  Après deux années d'expérience et d'auto-examen, le Groupe était devenu très heureux, remarquablement libre de tension et d'incertitude, et il était possédé d'un sens accru de son but.  La décision fut prise de continuer, et une grande attention fut accordée, après les expériences de Madrid et de Praglia, au choix des Thèmes.

 

 

LE CHOIX DES THEMES POUR LES RÉUNIONS OUVERTES

 

Une des leçons de la réunion de Praglia, en février 1995, fut que le thème choisi (L'exercice de l'autorité) s'avéra aussi intéressant pour les participants laïcs que pour le Groupe.  L'interface entre expérience monastique et séculière était frappante, complexe et utile, et les deux parties avaient beaucoup à apprendre et beaucoup à offrir.  Les deux institutions monastique et séculière sont, après tout, soumises aux mêmes pressions culturelles et anthropologiques.

 

Il fut donc accordé grande attention au choix des thèmes pour les réunions suivantes.  Ils ne furent pas difficiles à trouver : quelle que fût la direction où l'on regardait, les défis auxquels étaient confrontés les communautés monastiques et leurs supérieurs, et les préoccupations des religieux individuels, avaient beaucoup en commun avec ceux de leurs homologues dans la société séculière.  Beaucoup de ces questions venaient d'une tension généralisée entre Tradition et Modernité, tandis que d'autres reflétaient de profonds changements sociologiques dans l'organisation du Travail, les niveaux de vie attendus et les attitudes à l'égard de l'épanouissement personnel. Certaines concernaient directement les changements actuels en Europe : les nouvelles frontières, le mouvement vers l'unité économique, l'immigration et le chômage.

 

Les thèmes choisis pour les réunions suivantes parlent d'eux-mêmes.  Comment gérer les conflits (Lérins); Economie et éthique (Bruges); Hospitalité (Scheyern) ; L'impact de la technologie de l'information (Bruges - une réunion conjointe avec le Collège de l'Europe) ; l'évangélisation par la Beauté (Ampleforth); Continuité et Changement (Pannonhalma); La quête du bonheur (Praglia); Travail et Loisir (Plankstetten).  Pour la réunion la plus récente, en Octobre 2002 à Lérins, le thème était L'héritage culturel des moines européens.

 

A chacune de ces réunions, des exposés ont été donnés par les deux côtés.  Il n'est guère besoin de dire qu'il y a maintenant une documentation considérable érudite et pratique pour illustrer la pertinence de la tradition monastique pour les situations modernes.  Cette pertinence est bien plus étendue et complexe que la plupart (y compris assez souvent les participants) ne s'y seraient attendus.  Il n'y a pas de place ici pour résumer les échanges dont les titres ont été donnés ci-dessus. La section finale de cet article essaiera de communiquer quelque chose de leur message central.

 

Il y a eu une réunion qui fut tout à fait différente de toutes les autres, et qui n'entre dans aucune catégorie.  Ce fut lorsque le Groupe se réunit au monastère de Mère Gabriella à Grodno.  Le monastère n'avait été récupéré par elle que récemment au nom de l'Eglise, Il était possible de sentir l'espérance d'une tradition monastique qui renaissait, et l'impuissance d'un système soviétique à bout de souffle en retraite devant la présence tranquille d'une moniale.  Personne n'oubliera avec quel style elle fit retarder un vol Aeroflot pour que le Groupe puisse poursuivre en toute sécurité pour rendre visite au Patriarche à Moscou, ni le banquet auquel elle avait convié un groupe apeuré de hauts fonctionnaires.  Ce fut, en bien des manières, le sommet de la première décennie du Groupe.

 

LES RÉUNIONS INTERNES DU GROUPE

 

Cela a toujours été l'intention du Groupe de consacrer à peu près la moitié de chaque réunion aux affaires internes du Groupe.  Le Groupe a été constitué afin de réfléchir à la contribution monastique à la "nouvelle évangélisation de l'Europe".  Il y a un sentiment commun que ceci est une tâche qui demande beaucoup de réflexion.  Les monastères ont une tendance innée à être conservateurs, isolés et acharnés au travail.  Ce sont là des facteurs qui peuvent militer à l'encontre du développement d'initiatives nouvelles.  Les membres du Groupe se réunissent afin de prier et de réfléchir ensemble à l'avenir de leurs communautés et de l'Ordre Monastique dans son ensemble.  "Travaillons donc à bien penser.  Voilà le principe de la morale".  Cette phrase de Pascal pourrait bien être la devise du Groupe.

 

Chaque membre apporte au Groupe les intuitions, les préférences, la sagesse, les habitudes et les préjugés de son propre monastère.  Quand ceux-ci sont aussi divers, le Groupe peut vraiment devenir une "école du service du Seigneur", où chacun écoute attentivement les expériences des autres.  C'est là certainement le but principal des réunions, et c'est vraiment un processus qui a largement contribué à créer un esprit commun à propos de ce qui est fondamental pour l'évangélisation monastique.

 

Dans ce contexte, un second objectif important a été la rencontre des esprits et des cœurs entre les traditions monastiques de l'Est et de l'Ouest.  Dans un Groupe aussi petit, le résultat quantitatif peut paraître insignifiant - une goutte dans un océan d'ignorance et de préjugés - cependant même une petite lumière peut produire un effet disproportionné dans un lieu obscur.  Toujours est il que les membres de l'Ouest ont beaucoup appris sur les souffrances de leurs frères en Russie, et ils les prennent dans leur prière dans un amour fraternel.

 

De plusieurs manières modestes, le Groupe a également pu offrir une aide pratique - en permettant au P. Joseph et à Mère Gabriella de venir aux réunions, en participant à la restauration de l'Iconostase de Grodno et en donnant des bourses pour des étudiants orthodoxes à S. Anselmo à Rome.  Ceci a été fait sans aucun esprit de condescendance, dans l'esprit avec lequel St. Paul recommandait aux Eglises de s'entraider quand elles étaient en difficulté.

 

Du temps a été consacré dans chaque réunion, bien sûr, à évaluer les Réunions Ouvertes et le progrès général du Groupe, et à programmer l'avenir.  Il a été important de faire notre propre critique, et de reconnaître les échecs dans le programme ou son exécution, lesquels n'ont pas manqué, particulièrement en ce qui concerne l'implication appropriée des laïcs.  Le Groupe est toujours à se demander s'il devrait être élargi et plus représentatif, mais continue à apprécier les avantages de l'intimité.  Le principal souci plus récemment a été comment communiquer le travail Groupe à un public plus large, en partie à cause de l'intérêt intrinsèque des questions abordées, en partie parce que cela pourrait en encourager d'autres à s'engager dans des projets similaires.  Peut-être le monde monastique, avec sa tradition inhérente de stabilité locale, a-t-il besoin de devenir plus interactif en des manières spécifiques bien choisies et limitées.  Et surtout à une époque de changement culturel rapide, où les institutions de toute sorte sont confrontées à une diversification complexe, les diverses branches de l'Ordre Monastique devraient apprendre à se connaître un peu mieux.

 

RESUME ET REFLEXIONS

 

Le Groupe de Chevetogne a été constitué pour exprimer deux affirmations.  Premièrement, le concept historique de l'Europe est profondément lié à la présence monastique qui, dans une large mesure lui a donné sa culture et son unité (A l'Est comme à l'Ouest).  Deuxièmement, l'expérience monastique de la Communauté a beaucoup à offrir à nos contemporains qui œuvrent  à la reconstruction de la Communauté Européenne.

 

L'histoire du monachisme Européen est une histoire de paradoxes.  Dès le début, l'existence du moine représentait le rejet du "monde" et une rupture avec la culture séculière humaine.  St. Benoît lui-même abandonna la ville pour vivre l'Evangile "de manière alternative".  Mais l'expérience de la communauté qui lui fut imposée l'amena à écrire la Règle, et la Règle devint la charte pour la création d'une nouvelle sorte de cité.  Dans l'Europe qui émergeait après l'effondrement de l'Empire Romain, le monastère se trouva au centre d'une nouvelle sorte de culture civique, dans laquelle les valeurs de l'Evangile et les aspirations humaines coexistaient dans un dialogue délicat.  Cet 'holisme' fut un facteur déterminant, pour unifier la culture Européenne.

 

L'architecture du monastère médiéval typique peut servir de paradigme, à la fois pour le rôle du monachisme dans la chrétienté Européenne et pour ce que le Groupe de Chevetogne s'est efforcé d'exprimer dans la série de réunions qui est allée jusqu'à neuf.

 

En effet, le monastère. avec son cloître, son oratoire, ses bâtiments fonctionnels variés et ses terres, représentait la 'traduction' d'une ferme ordinaire en microcosme d'une cité chrétienne.  Les valeurs de l'Evangile et les principes directeurs de la Règle 's'incarnaient' dans la pierre, et de la manière particulière avec laquelle les moines les combinaient.

 

La cour centrale (qui avait commencé comme une simple cour de ferme) devint le cloître.  Celui-ci était non seulement le centre et le cœur du monastère; mais aussi la structure qui conférait son unité à l'ensemble des autres bâtiments et, indirectement, à toutes les activités qui s'y déroulaient.

 

Il est facile dans un cloître de monastère d'oublier où l'on se trouve.  C'est parce que toutes les portes (sauf peut-être celle de l'église) se ressemblent.  Les portes ont un statut égal : le Réfectoire, les Cuisines, la Bibliothèque, la Salle Capitulaire, les Ateliers, les Appartements de l'Abbé, le Verger, la Sacristie, le Dortoir, le Chauffoir - tout cela existe ensemble dans un équilibre holistique.  Si l'Oratoire a une certaine prééminence, c'est seulement parce que "rien ne doit être mis avant l'Œuvre de Dieu".  L'ensemble architectural exprime, non seulement une manière pratique d'organiser la vie d'une communauté, mais aussi une sorte particulière de vision civique, dans laquelle les activités humaines sont reliées entre elles et reçoivent un statut égal devant Dieu.  Ainsi les outils du monastère ‘doivent être traités comme s'ils étaient les vase sacrés de l'autel.'

 

Ce que le Groupe de Chevetogne a entrepris de faire c'est le tour de ce cloître, accompagné de quelques uns de ceux qui aspirent à construire une nouvelle Communauté Européenne, s'arrêtant à chacune des pièces sur lesquelles il donne, pour prendre un temps de réflexion sur ce qui se passe dans chacune et comment elle est reliée à toutes les autres, et aussi à la manière dont les choses se font en dehors du monastère.

 

L'Oratoire : Quelle est précisément sa finalité ?  Comment l'adoration, la prière personnelle et le silence sont ils supposés imprégner par l'intermédiaire du cloître les autres pièces ?  Quel sorte de rythme est-ce qu'il crée dans la journée monastique ?  Quel est sa pertinence dans la cité séculière ?  Quelle est l'importance de la beauté dans l'architecture monastique, le chant, le soin des livres et des plantes etc.?

 

Les appartements de l'Abbé et la Salle Capitulaire : Comment fonctionne l'Autorité dans un monastère?  Quels sont les processus quotidiens de Gestion, Consultation, Prise de décision ? comment une communauté gère-t-elle les désaccords et les conflits ? Comment l'Obéissance monastique est-elle reliée aux droits ordinaires de l'individu ?  Quelle est la pertinence du concept d'Humilité pour la vie dans la cité séculière ?

 

Les Ateliers et le Chauffoir : Quelle est la philosophie monastique du travail et des Loisirs ?  Quel est l'effet du rythme monastique du travail et de la Prière ?  Jusqu'à quel point les monastères sont-ils affectés par les attitudes modernes vis à vis du choix et de la diversification de la Carrière, du concept de Retraite et du Chômage ?  Les attitudes monastiques peuvent-elles contribuer à résoudre les tensions entre les exigences du travail et de la famille ?

 

Les Cuisines et le Réfectoire : Quel est leur rôle dans la vie de la communauté ?  Qu'est-ce qui sous-tend la tradition monastique de repas formels, et comment comprendre cela en comparaison avec les changements d'habitudes dans le monde séculier ?  Quelle est l'attitude monastique à l'égard de la relation entre santé et ascèse ?  Pourquoi le style du Réfectoire fait-il parfois écho à celui de l'église?  Quelle est la signification et le rôle que joue l'Hospitalité dans la vie de la communauté, pas seulement au Réfectoire mais dans l'attitude envers les vagabonds, les SDF, les immigrants ?  Comment ceci reflète-t-il l'attitude de St. Benoît envers les malades et les minorités en général ?  Quel impact exerce le tourisme sur la vie monastique, et quelle relation les communautés monastiques entretiennent-elles avec ?  Le touriste représente-t-il une menace ou une opportunité ?  Comment ces questions concernent-elles la situation de l'Europe dans son ensemble ?

 

La Bibliothèque : Pourquoi les monastères ont ils toujours attaché autant d'importance aux livres et à la Bibliothèque ?  Quelle est la relation spéciale dans la tradition monastique entre Prière, Silence, Lectio Divina et Etude ?  Qu'est ce, au juste, que la Lectio Divina, et jusqu'où est elle accessible à ceux qui ne sont pas moines ?  Comment l'attitude monastique envers la Parole de Dieu se situe-t-elle par rapport aux attitudes séculières modernes ?  Quelle sorte de livres les moines lisent-ils ?  Quelle est l'attitude des moines vis-à-vis de la culture humaine en général ?  L'étude monastique encourage-t-elle l'ouverture d'esprit à l'égard des autres cultures, traditions, religions et problèmes œcuméniques en général ?  Si oui, comment ?  Quelle est l'attitude monastique vis-à-vis de la Technologie de l'Informatique ?

 

Le Verger, les Jardins, la Ferme : Quelle est l'attitude monastique envers l'environnement humain ?  Qu'est-ce qu'il y a derrière l'insistance monastique traditionnelle sur le travail manuel ?  Comment se situe-t-il par rapport aux autres équilibres dans la vie monastique ?  A-t-il une pertinence pour les attitudes séculières ?

 

Durant ces dix dernières années, le Groupe de Chevetogne a fait cette visite guidée du cloître du monastère.  Ses membres ont été confrontés à toutes ces questions, et beaucoup d'autres, en dialogue avec des invités curieux et attentifs, certains déjà bien informés sur le monde monastique, d'autres moins. Leur intention a été en partie de dissiper l'impression que le monde monastique n'est rien d'autre qu'un musée habité par une espèce intéressante de dinosaure.  A un niveau plus profond, leur intention a été d'ouvrir des portes entre une culture ancienne et une jeune, de célébrer un héritage culturel dont l'Ordre Monastique est le gardien, et - surtout - de suggérer que l'expérience monastique est, de manière complexe et à plusieurs niveaux, profondément actuelle pour la construction d'une nouvelle Europe.  L'Europe du futur représente aussi la redécouverte de liens anciens spirituels et culturels qui s'étendent de l'Atlantique à l'Oural.  A une époque d'incertitude politique et économique, et de grande confusion culturelle, la voix monastique s'élève (discrète) pour parler d'histoire et d'espérance.

 

Ampleforth Abbey                     Dominic Milroy, O.S.B.