Création d’une nouvelle école bénédictine

José Manuel Eguiguren Guzmán



1. Introduction

Il m’a été demandé de partager avec vous un peu de l’expérience du Mouvement Manquehue dans le domaine de l’éducation. Je commencerai par dire un mot de notre mouvement et de ses origines, puis je parlerai de l’éducation chrétienne et plus spécifiquement bénédictine.

2. Les origines du mouvement et son travail dans le domaine de l’éducation

Si je suis dans l’éducation c’est à cause d’une expérience que j’ai eue alors que j’étais étudiant à l’université à Santiago dans les années ’70. J’avais 25 ans et je passais par une crise que l’on pourrait qualifier d’existentielle. A une époque où rien ne semblait avoir de sens pour moi, un moine bénédictin me donna une Bible et m’enseigna à lire les Ecritures Saintes de telle manière qu’il semblait que Jésus Christ (dont j’avais entendu parler grâce à mon éducation catholique traditionnelle) se révélait lui-même à moi, ressuscité et vivant, illuminant ma vie et la remplissant de sens. Bien que je me rappelle distinctement le jour de ma première visite au monastère, cette nouvelle prise de conscience fut quelque chose de progressif. J’arrivais au monastère presque quotidiennement et le P. Gabriel, avec une patience infinie, me consacrait son temps, répondait à mes questions, partageait mes angoisses et m’aidait à écouter les réponses que Dieu me donnait par sa Parole. Tout ceci dura trois ans et le plus extraordinaire c’est que précisément ce n’est pas ce que disait le P. Gabriel qui comptait le plus, mais plutôt celui qu’il m’apprit à écouter. Petit à petit je commençai à comprendre que c’était Jésus Christ à qui j’étais confronté et j’en vins à voir que Dieu n’était pas une force impersonnelle mais une personne qui m’aimait et pour qui j’avais du prix.

A la fin de cette période, je ne sais trop comment, je me retrouvai chargé d’un groupe de confirmation de dernière année à mon ancienne école. Tout ce que je fis avec eux fut ce que le P. Gabriel avait fait avec moi : prendre la Bible et nous mettre en quête de ce que le Parole de Dieu disait à chacun de nous individuellement. Leur réponse fut remarquable. Bientôt nous étions débordants d’idéal. Nous voulions faire quelque chose, changer le monde. Nous devînmes amis, très bons amis. Nous décidâmes de nous organiser et nous prîmes le nom de Mouvement apostolique Manquehue en référence à l’école à laquelle nous appartenions tous, Ecole Manquehue. Manquehue est le nom d’une montagne voisine et signifie ‘lieu des condors’ dans la langue des Indiens aborigènes.

L’une de nos activités les plus importantes fut notre travail avec les jeunes enfants. Nous sentions que nous devions être avec eux et leur dire notre expérience de Jésus christ. Une relation tout à fait spéciale s’instaura entre plusieurs des étudiants plus âgés et les plus jeunes. Ils aidaient à l’entraînement sportif des équipes de jeunes, les aidaient dans leurs études ou simplement jouaient avec eux durant leurs temps libres. Nous commençâmes à découvrir comment cette relation spéciale, que nous dénommions tutoría, était en fait un moyen précieux pour parler aux enfants de ce Dieu vivant qui avait tant à voir avec leur vie et tout ce qui leur arrivait, qui s’adressait à eux par sa Parole et qui entendait leurs prières ;

Il faut signaler que la tutoría, cette relation privilégiée entre étudiants jeunes et aînés est très vivante aujourd’hui dans nos écoles. En fait nos trois écoles cesseraient d’exister si elles n’avaient pas ce système. On peut vraiment dire que la tutoría est l’âme de chacune de nos écoles. Sans les tuteurs l’ensemble de notre projet éducatif s’effondrerait. Comme la majorité de nos tuteurs sont des élèves, il en résulte que les élèves eux-mêmes ont un rôle fondamental dans note projet éducatif.

Pour en revenir aux débuts : finalement, il a fallu que nous quittions Manquehue pour diverses raisons et nous avons commencé à travailler dans une paroisse après un temps où nous avons eu une base dans une petite maison louée. L’objectif qui sous-tendait notre communauté dans ces premières années était d’être des amis, d’être attentifs à la Parole et désireux de répondre à Son appel. Et quand nous avons fondé le Collège San Benito en 1982 ce nouveau projet nous a permis de faire grandir cette amitié, cette écoute et cette réponse.

3. Le mouvement apostolique Manquehue

Depuis, le mouvement a grandi en nombres et en activités. Cependant, ses membres ont en commun une expérience essentielle : quelqu’un, dans un esprit d’accueil aimant, leur a appris à utiliser la Bible de telle sorte qu’ils y rencontrent personnellement Jésus Christ. Cette rencontre les amène à se faire baptiser ou à mieux comprendre ce que cela a signifié et signifie encore l’avoir été baptisé dans leur enfance. Il comprennent que les fruits de leur baptême ne sont pas immédiatement apparents, que leur baptême est comme une graine dans le sol destinée à pousser durant leur vie, comme une aptitude en attente de développement. La tâche qui les attend est de faire tout leur possible pour cultiver cette graine afin qu’elle atteigne sa pleine maturité.

Au fil des années le Saint Esprit a dirigé le Mouvement Manquehue vers la Règle de St Benoît comme une manière d’aider les membres dans cette tâche. Dans la Règle les membres ont découvert une façon très pratique de s’organiser afin de vivre leur baptême. Ils ont constaté que ce que St Benoît avait écrit voici plus de 15 siècles, dans le but d’organiser la vie d’une communauté spécifique composée de ce qu’il appelle lui-même des gens tièdes, paresseux, désorganisés et négligents, afin qu’ils puissent ‘ne rien préférer à l’amour du Christ’, le servir comme leur vrai roi et cheminer ensemble vers la vie éternelle, convient parfaitement à leur vie d’aujourd’hui. Le mouvement constitue donc une extension de Communauté Bénédictine, c’est à dire une communauté d’hommes et de femmes qui vivent, travaillent et prient ensemble sous une Règle et un supérieur. Nous employons le mot ‘extension’ parce que, bien qu’elle ait certains lieux spécifiques à elle, contrairement à un monastère, le Mouvement n’a pas de limites territoriales fixes et comprend les lieux très divers où ses membres habitent, travaillent et prient.

Actuellement le Mouvement a environ neuf cents membres : hommes et femmes, riches, moyennement riches et pauvres, mariés et célibataires, jeunes et vieux. Plus du tiers ont moins de 25 ans. Certains se sentent davantage intégrés au Mouvement que d’autres, mais au cœur sont les ‘oblats’ qui forment une petite communauté interne vers laquelle convergent le reste des membres à des degrés variables d’engagement. Ces ‘oblats’ sont des laïcs qui ont fait un engagement stable dans le Mouvement. Ils sont vingt-deux maintenant : treize sont mariés et neuf célibataires, sept femmes et quinze hommes.

Le principal travail du Mouvement, outre la célébration au chœur de l’Office Divin, est dans le domaine de l’éducation. Le Collège San Benito a quinze cents élèves. Le Collège San Lorenzo fondé en 1986 compte actuellement six cents élèves dans un quartier pauvre de Santiago. Le Collège San Anselmo a été fondé en 1995 et il a cinq cents élèves en ce moment, le total prévu pour l’avenir étant de dix-huit cents lorsque le projet est achevé complètement. Elles sont toutes trois des externats mixtes. Les internats sont très rares au Chili. Les garçons et les filles commencent à quatre ans et vont jusqu’à l’âge de dix-huit ans.

4. Éducation chrétienne

L’une des choses les plus remarquables de la Règle de Saint Benoit est sa faculté d’adaptation :la manière dont elle n’a cessé de se montrer capable d’assurer un certain mode de vie et un message et un objectif immuable à des époques et en des lieux variés. Nous savons que ceci est dû en grande partie à l’humanité de la règle, à sa capacité de comprendre le sens de ce que c’est d’être humain, combiné avec cette équilibre et cet esprit indomptable dont elle est imprégnée du début à la fin. Lorsque nous essayons de définir l’éducation chrétienne nous devons prendre la faculté de l’adaptation de la Règle comme étalon conçu pour nous empêcher d’être perdu en cette époque de changement. L’éducation chrétienne comme la Règle doit s’adapter sans perdre son message et son objectif essentiels. La technologie et les média progressent, les forces économiques dérivent, les outils les instruments et les structures sociales changent, tous à une vitesse vertigineuse, mais l’homme demeure le même. Ses questions fondamentales demeurent les mêmes et les réponses qui lui sont proposées dans l’Evangile continuent à être les seules qui puissent lui offrir la vie, le sens véritables, et le combler. En tout temps et en tout lieu, l’éducation chrétienne doit toujours être une question d’évangélisation.

Eduquer c’est donc créer l’espace par lequel les hommes et les femmes de demain peuvent faire l’expérience de l’existence de Dieu et ainsi reconnaître qu’Il ne nous a pas laissés seuls pour nous débrouiller. Il doivent en fait savoir qu’Il a envoyé Son fils pour nous révéler Son amour et qu’il a déversé Son Esprit dans nos cœurs par lequel nous crions ‘Abba Père !’ Eduquer c’est attirer les gens vers une rencontre personnelle avec Jésus Christ. C’est leur enseigner comment écouter ce Dieu qui parle, et les accompagner pour qu’ils puissent répondre à la Parole que Dieu leur adresse.
 
 

Nous ne devons pas confondre les techniques et la connaissance avec l’éducation. en tant qu’éducateurs nous devons, bien sûr, faire attention à ne pas rester éloignés de ce qui se passe dans le monde, ni cesser notre effort pour transmettre à nos étudiants les outils dont ils ont besoin pour progresser dans la vie moderne. Toutefois, nous ne leur rendrons pas du tout service si, à force de nous préoccuper de leur formation, nous ne sommes pas capables de leur communiquer un sens à la vie, de leur dire à quoi servent les outils que nous leur avons donnés.

Nous ne pouvons pas non plus réduire l’évangélisation à une simple instruction religieuse ou l’apprentissage de valeurs, qui, tout en faisant partie de l’éducation chrétienne, qui s’avérerait stérile à moins qu’en même temps nous n’insistions sur la proclamation de Jésus Christ ressuscité et la création d’un espace pour cette rencontre capital ave Lui.

On me demande souvent quel type de jeunes nous voulons produire en fin d’études. Ma seule réponse est de dire que ce que nous voulons ce sont des hommes et des femmes capables d’écouter la vocation de Dieu pour eux et d’y répondre. Il faut remarquer que bien souvent cette vocation n’est ni ce que le jeune attend ni crédible aux yeux de sa famille ou de la ‘société’, ni même aux yeux de l’école. Notre vocation est la Parole que Dieu adresse à chacun de nous. Elle vient de Dieu, pas de nous ni de quelqu’un d’autre. Il en résulte qu’éduquer n’est pas seulement enseigner à être attentif à écouter, mais aussi accompagner la personne dans sa réponse à la Parole. Dans ce compagnonnage il s’agit d’aider, corriger, encourager plutôt que de diriger avec des idées et des conseils tout faits.

Vus sous cet angle le motif et la finalité de l’éducation chrétienne doivent être l’amour. J’aimerais citer une des pensées du Cardinal Hume. Il dit dans son livre ‘Eloge de St Benoît’ que ‘au cœur de l’Evangile, la Bonne Nouvelle donnée à vous et à moi, est le double commandement de l’amour de Dieu et de notre prochain. Nous n’aimons pas automatiquement Dieu et notre prochain à la façon dont Notre Seigneur entend que nous les aimions. Cet amour doit être appris et pratiqué. Cela demande du temps et de l’effort. Le monastère est une école pour apprendre cet amour.’ Il poursuit : ‘chaque famille ordinaire devrait être une ‘école de l’amour’. C’est dan notre famille que nous apprenons d’abord ce que signifie cet amour. Lorsque nous commençons à comprendre ce qu’est l’amour humain, alors nous commençons à comprendre à quoi doit ressembler l’amour en Dieu – tellement plus grand, plus chaleureux, plus fort et intime que n’importe quelle manière dont nous pouvons nous aimer les ns les autres’. Nos écoles, comme les monastères, sont des lieux où nous apprenons et pratiquons l’amour. En outre si une école est conçue comme ne extension de la famille, elle est comme une famille, un lieu où nous pouvons comprendre par notre expérience de l’amour humain à quoi ressemble l’amour de Dieu. Nous ne devons pas perdre de vue l’amour lorsque nous parlons d’éducation chrétienne.

L’Education dans le Mouvement apostolique Manquehue

Pratiquement n’importe quelle organisation humaine peut trouver dans les pages de la Règle de bons conseils sur la meilleure manière de s’y prendre dans les relations et avec les personnes en vue de réaliser ses objectifs quels qu’ils soient. Pour être vraiment bénédictin, toutefois, cet objectif doit être de prendre l’Evangile pour guide (cf RB Pr 21). Etre bénédictin ce n’est ni plus ni moins qu’une façon d’être chrétien. Dans le Mouvement Manquehue nous avons compris comment la Règle de St Benoît est une manière particulière de vivre un baptême que nous avons en commun avec tout le peuple de Dieu.

De même, l’éducation bénédictine est simplement one manière particulière d’éduquer les gens à l’Evangile. Ce qui la rend différente d’autres manières c’est l’inspiration qu’elle tire de la Règle de St Benoît. Il y a essentiellement deux façon de laisser cette inspiration imprégner notre vie à l’école. L’une consiste à aller directement au texte de la Règle et à nous demander quel conseil nous pensons que St Benoît nous donnerait à propos d’une situation donnée à laquelle nous sommes confrontés, s’il était parmi nous. La seconde est indirecte et consiste à simplement laisser une manière bénédictine de voir et agir imprégner la vie et l’exemple de ceux à l’école qui vivent la Règle jour après jour. Je ne suis pas historien, mais j’ai l’impression que la seconde manière a été plus courante dans les siècles passés. A mon avis, les deux manières de ‘bénédictiniser’ la vie de l’école sont indispensables, en fait complémentaires, mais je crois qu’en ces temps où nous vivons il y a de bonnes raisons pour rendre plus explicites dans nos écoles l’influence et la présence de la Règle. Ceci implique un travail laborieux et signifie faire bien attention à ne pas étouffer ce que j’appellerais ‘l’instinct bénédictin’. Surtout, ceci requiert une profonde conviction que St Benoît a quelque chose d’important à nous dire au sujet de l’éducation.

Il y a quelques années nous avons publier une édition de poche de la Règle qui a été très utilisée dans nos écoles. Elle contient les éléments suivants :

   1. La division habituelle de la Règle en 122 parties qui peuvent être lues chaque jour, ce qui permet de la lire la Règle dans sa totalité trois fois par an.
   2. Un grand nombre de références bibliques (toutes choisies en vue d’un usage plus pastoral qu’intellectuel) qui permettent à la Parole d’éclairer autant que faire se peut le texte de la Règle.
   3. Des références parallèles aux autres parties de la Règle où St Benoît aborde le même sujet ou exprime un point de vue similaire.
   4. Un index des mots importants avec les références correspondantes dans le texte.

Ce texte d’un usage facile nous a permis de rester constamment en contact avec la Règle et de progresser dans notre compréhension de l’esprit et du point de vue du saint, même grâce aux passages les moins vraisemblables et apparemment les plus dépassés. Et en associant ce type de contact avec la Règle, avec l’exemple que l’on peut rencontrer dans de nombreux monastères, ainsi qu’une fervente prière à St Benoît lui-même (qui est vivant au ciel, ne l’oublions pas), nous avons réussi à découvrir comment la Règle a tellement à nous dire. En fait nous avons compris comment chacune des parties de la Règle peur être appliquée à la vie des laïcs et donc à notre travail éducatif. L’usage de la Règle dans nos écoles n’est pas limité simplement aux membre du Mouvement Manquehue. Nous faisons en sorte que chaque professeur connaisse la Règle et sache l’utiliser pour certains jours de formation spéciale. Nos élèves apprennent à utiliser la Règle aux cours de religion et par des devoirs à la maison. De plus nous faisons en sorte que les parents se familiarisent avec la Règle et tirent une nourriture de sa sagesse par des ateliers organisés en week-end.