Voyage en Terre Sainte
avril-mai 2023

Dom Jean-Pierre Longeat, osb,
Président de l’AIM

 

Lundi 24 avril 2023

Mieux vaut tard que jamais ! C’est la première fois que je me rends en Terre Sainte alors même que j’ai accompli tant de voyages à travers le monde. Mais finalement, n’est-ce pas préférable de bénéficier d’un peu de maturité pour aborder une telle aventure ? En tout cas, je suis dans une disposition de cœur totalement ouverte pour vivre cette étape cruciale.

Je pars avec le père Andrea Serafino, de Novalesa (Italie), membre de l’Équipe internationale de l’AIM, et Olivier Dumont, trésorier de l’association des Amis des Monastères à Travers le Monde (AMTM).

Le voyage se déroule sans difficulté et nous sommes attendus à Tel Aviv par le père Christian-Marie, de l’abbaye de Latroun. Ce monastère vient de vivre un moment important : la communauté a récemment changé d’abbé, dom René a remis sa charge et c’est dom Guillaume Jedrzejczak, abbé émérite du Monts-des-Cats, par ailleurs, président de la Fondation des Monastères et depuis peu administrateur de l’abbaye de Sept-Fons (France), qui vient d’être nommé abbé de la communauté par l’Ordre des Trappistes. Car en effet, nous sommes là dans une communauté trappiste. Dom Guillaume n’est pas présent au monastère en permanence et c’est le père Christian-Marie, comme prieur, qui assure la responsabilité du quotidien de la communauté.

LatrouncloîtreL’abbaye de Latroun se situe à 15 kilomètres à l’ouest de Jérusalem, à la frontière entre la Cisjordanie et Israël. Elle est réputée pour son vin ! L’abbaye fut fondée en 1890 par des moines trappistes venant de l’abbaye de Sept-Fons, en France. Ils plantèrent le premier vignoble en 1898, suivi rapidement par des travaux de défrichements et des plantations d’oliviers, de vignes, de céréales et d’agrumes. Les religieux furent expulsés pendant la Première guerre mondiale. L’endroit fut l’objet de vifs combats pendant la bataille de Latroun en 1948, et passa sous le pouvoir jordanien après la guerre ; actuellement le monastère est en territoire israélien. À moins d’un kilomètre à l’est de l’abbaye se trouve le site d’Emmaüs Nicopolis, un des sites souvent cité comme l’emplacement de l’Emmaüs de l’Évangile.

Arrivés au monastère dans la fin de l’après-midi, nous avons juste eu le temps de dîner et nous nous sommes aussitôt rendus à la salle du Chapitre pour une rencontre avec la communauté sur l’actualité de l’AIM. Pour insister sur le sens de notre voyage, j’ai redit l’intérêt qu’il y avait pour les monastères de se rapprocher les uns des autres et de s’entraider. Sur cette terre d’Israël, il y a six communautés de la famille bénédictine. Il serait vraiment utile qu’elles puissent proposer régulièrement des rencontres de concertation, de formation et de dialogue, comme cela existe dans d’autres régions du monde.

 

Mardi 25 avril

LatrounEgliseLe mardi 25 avril, lever pour les vigiles à 4 h 15 puis messe et laudes à 6 h 30. Dans la matinée nous visitons le monastère. Les bâtiments construits dans la première moitié du 20e siècle sont imposants. Ils sont bâtis en pierre. Malheureusement, le sol argileux ne permet pas une grande stabilité de l’ensemble. Les murs présentent des fissures évolutives de toutes parts. Cela entraîne des travaux importants et coûteux.

Les moines sont une vingtaine. Ils sont attachés à ce lieu et souhaitent y rester, même si certains trouvent que les frais d’entretien sont disproportionnés. En tout cas, la gestion du monastère est aujourd’hui très bien conduite, en espérant que cela permettra de faire face aux besoins à venir.

La propriété se compose d’une centaine d’hectares dont une partie cultivée avec des vignes et des oliviers. Le monastère produit donc de l’huile d’olive et un vin très remarquable. La cave est située dans les bâtiments de l’ancienne ferme préexistante au monastère, autour d’un bâtiment primitif qui était une auberge pour les pèlerins.

Après la visite des lieux et l’office de Sexte, nous partageons le déjeuner avec les moines. La table est bien fournie même si, comme il se doit, elle ne comporte pas de viande ; le vin ne manque pas et un gâteau de noix est servi en notre honneur comme dessert.

AbuGoshEgliseAprès avoir rencontré longuement le père Christian-Marie, dans l’après-midi, nous partons vers l’abbaye d’Abu Gosh. À notre arrivée, nous sommes accueillis fraternellement par le père Louis-Marie Coudray, actuel supérieur. Nous passons un long moment avec lui et le père Christian-Marie pour évoquer les différents aspects de notre voyage et le contexte des monastères de la Famille bénédictine en Terre Sainte. Il serait intéressant de renforcer la relation entre les différentes communautés pour imaginer, notamment, des actions communes, des soutiens mutuels, des concertations ou simplement des échanges de nouvelles en direct. De ce point de vue, notre venue peut être un encouragement.

La sonnerie des Vêpres nous appellent à rejoindre l’église romane où nous rencontrons les sœurs de la communauté unie à celle des moines : chant des Vêpres en deux chœurs (hommes et femmes) ; bref échange avec l’une ou l’autre des sœurs. Nous prévoyons avec Mère Prieure notre expédition, demain matin, pour Bethléem.

 

Mercredi 26 avril

Nous partons à 9 heures vers Bethléem avec une sœur de la communauté d’Abu Gosh qui doit faire une course là-bas. Elle nous conduit d’abord au Champ des Bergers. C’est en ce lieu présumé que les Bergers de l’Évangile ont entendu, par le message des anges, l’annonce de la naissance de Jésus. Le village arabe de Beit-Sahour, situé au milieu des champs de Booz, comme le rapporte le livre de Ruth (Rt 3, 5), a été identifié selon la tradition au Champ des bergers. Il n’y a pas trop de pèlerins sur place, nous pouvons nous recueillir dans une grotte et admirer le paysage de montagnes et de prairies en bordure de la ville de Bethléem.

Nous nous rendons ensuite à la basilique qui est déjà envahie de touristes. Nous contemplons à l’intérieur les fresques de toute beauté récemment restaurées. La basilique de la Nativité est l’une des plus vieilles églises du monde, bâtie selon la tradition, sur le lieu présumé de la naissance de Jésus de Nazareth. Elle a été érigée au 4e siècle par l’empereur Constantin Ier et restaurée sous Justinien au 6e siècle. Elle a fait l’objet par la suite de nombreux aménagements. Elle est administrée aujourd’hui par les orthodoxes, les Arméniens et les Latins.

Nous prions un moment à l’écart de la foule dans l’église paroissiale Sainte-Catherine. En ce jour de mon anniversaire, je demande de pouvoir renaître d’en-haut tel que Jésus y invite le vieux Nicodème. C’est un moment particulièrement intense.

Nous nous rendons ensuite chez un commerçant d’objets religieux que la sœur d’Abu Gosh nous a fait connaître et qui, finalement, propose de nous conduire lui-même chez les bénédictines de l’Emmanuel. Elles sont établies près du mur de séparation entre Israël et la Palestine ; le check-point n’est pas loin, et personne n’aime vraiment venir dans ce quartier où les indésirables peuvent être menacés par les policiers chargés des contrôles. Mais finalement, tout se déroule bien et nous pénétrons dans la cour du monastère un peu avant midi.

BethleemOrient1Il y a là une toute petite communauté de quatre sœurs appartenant à la congrégation de Marie, Reine des Apôtres (Rixensart, Belgique). La communauté est de rite oriental. L’histoire du monastère débute en Algérie à la fin de la Seconde guerre mondiale, à deux pas de celui de Tibhirine. L’entourage étant à majorité arabo-musulman, les sœurs bénédictines priaient les offices en arabe. À la demande du patriarche Maximos V, elles acceptent de s’installer en Terre Sainte, où la vie monastique melkite est en train de disparaître, malgré la présence d’une importante communauté. Une famille de Bethléem leur ayant fait don d’un grand terrain sur une des collines entourant celle de la grotte de la Nativité, avec un superbe panorama sur la vallée du Jourdain et les Monts de Moab, elles ont pu poser la première pierre, soutenues par leur Congrégation. Au nombre de trois, les sœurs vont célébrer la première liturgie orientale dans la petite chapelle en 1963.

Sur les quatre sœurs de la communauté actuelle, une est en études en France dans le cadre du STIM. Les sœurs ne sont donc plus que trois sur place et bénéficie aussi de la présence d’une laïque, familière dans la communauté.

Mère Marthe, la prieure, nous accueille à bras ouverts. Elle nous entraîne directement à l’église où va avoir lieu l’office de Sexte. La chapelle est recouverte de fresques peintes par sœur Marie-Paul, du monastère du Calvaire, au Mont-des-Oliviers. L’effet est saisissant. L’office est chanté très simplement dans une atmosphère extrêmement priante. Nous sortons de là le cœur rempli d’espérance.

Mère Marthe a préparé elle-même le déjeuner et nous allons prendre le temps de parler avec elle et sœur Anna-Maria ainsi que la personne laïque présente au monastère durant le temps du repas.

Il manque sœur Bénédicte qui accompagne un groupe de pèlerins français. Ce sont des jeunes étudiants. Comme beaucoup d’autres groupes accueillis, ils sont hébergés sur place et couchent dans une grande salle, à même le sol. L’accueil occupe une place importante dans la vie du monastère, en plus de l’atelier d’icônes et de la fabrication de confitures ou d’autres produits d’alimentation.

La présence près du mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens donne une couleur particulière à cette communauté. Les sœurs ne sont ni d’un côté ni de l’autre, elles restent en territoire intermédiaire et elles prient pour tous. Elles ont des liens des deux côtés et tentent toujours de travailler à la réconciliation coûte que coûte.

Mère Marthe nous explique le sens de l’appartenance de la communauté au rit grécocatholique pour la beauté et le sens du sacré. Nous partageons le fait que leur fragilité même est un témoignage incontestable.

Sœur Anna-Maria vient de Roumanie. Elle a eu une vie très abondante : elle a été moniale orthodoxe dans son pays et finalement a été touchée par le message des sœurs de Bethléem lors d’un voyage qu’elles accomplissaient dans les monastères roumains. Sœur Anna-Maria a fini par les rejoindre.

Nous sortons très marqués par ce moment de grâce. Mère Marthe nous fait visiter les lieux et nous sommes heureux de constater que le jardin est aussi beau que les bâtiments du monastère, l’un et l’autre dans une grande simplicité d’agencement.

Mère Marthe a prévu pour nous un chauffeur ami qui va nous reconduire à Abu Gosh. C’est un chrétien palestinien. Il ne parle pas couramment le français et nous avons un peu de mal à engager une vraie conversation. Nous sommes frappés par sa bienveillance et sa disponibilité.

Le soir après Vêpres, nous partageons un repas festif avec les frères d’Abu Gosh au cours duquel nous parlerons un peu de l’AIM. À la fin du repas, je suis surpris par l’arrivée d’un gâteau en l’honneur de mon anniversaire. L’atmosphère est plus que fraternelle. Nous échangeons longuement, nous sommes heureux !

 

Jeudi 27 avril

Le matin de ce jour nous visitons la maison des Frères. À l’origine il y avait là une auberge, un caravansérail construit sur les vestiges du camp romain abandonné au 9e siècle, à l’époque arabe. Il servait alors de point de surveillance sur la route menant à Jérusalem. C’est à cette époque que le village prend le nom de Karyat el-Anab. Au 12e siècle, les Croisés, identifiant le lieu à l’Emmaüs des Évangiles, construisent à cet emplacement une église et un monastère. Ces derniers sont à plusieurs reprises détruits par les armées musulmanes, turque et caucasienne. À la suite des négociations entreprises par l’empereur Napoléon III, le terrain est offert à la France en 1875. Le site est progressivement restauré par les autorités françaises et le monastère confié successivement aux franciscains, aux lazaristes puis aux moines bénédictins olivétains. Ces derniers sont envoyés en 1976 par la communauté du Bec-Hellouin et bientôt rejoints par les sœurs oblates de Sainte-Françoise-Romaine. Jusqu’aujourd’hui, la source de Eïn-Marzouk sert de crypte à l’édifice religieux. Pendant la guerre israélo-arabe, le monastère a été utilisé comme infirmerie improvisée par l’unité Harel.

Le village d’Abu Gosh abrite une des mosquées modernes les plus grandes de la région. Elle se trouve en bordure du monastère.

En fin de matinée, nous rejoignons la communauté des sœurs pour partager le déjeuner avec elles dans leur réfectoire. Puis nous avons une rencontre avec toute la communauté. Très bon échange avec de nombreuses questions qui nous laissent entrevoir la diversité des membres de la communauté.

JerusalemVers 16 heures, nous sommes conduits à Jérusalem sur le Mont-des-Oliviers pour rejoindre la communauté des sœurs du Calvaire. Nous sommes accueillis très fraternellement et, presque aussitôt, nous participons aux Vêpres. La communauté est réduite mais bien fervente. Dès l’arrivée, j’ai été saisi par l’invitation à l’intimité en ce lieu où le Christ se retirait avec ses disciples. C’est un endroit à part, réservé, qu’il y a lieu de protéger.

Nous dînons à l’hôtellerie en compagnie de deux jeunes bénévoles dont l’un, un jeune garçon, est là depuis plusieurs mois et l’autre, une jeune fille, vient de passer deux mois sur place et s’apprête à repartir en France. La communauté pratique volontiers ce genre d’hospitalité qui permet à des personnes de faire une expérience humaine et spirituelle tout à fait unique, tout en collaborant à la vie du lieu.

Le soir, nous admirons en surplomb du jardin des sœurs le panorama sur la vieille ville avec l’esplanade du Temple, le dôme de la grande Mosquée et les différents clochers qui pointent à l’horizon. Sur la droite en contre-bas, il y a le cimetière juif où les morts attendent la venue du Messie dans cette vallée du Cédron.

 

Vendredi 28 avril

Nous passons la matinée à découvrir les alentours du monastère. Nous allons chez les sœurs russes proches du lieu présumé de l’Ascension. Elles sont une quarantaine. Leur style est très différent de celui des moines et moniales occidentaux. Elles habitent dans des petites maisons réparties sur l’ensemble de leur terrain et les pèlerins et touristes peuvent aller et venir à leur guise. Nous sommes ici comme dans un petit village. Nous croisons une sœur ukrainienne qui s’occupe du jardin et prend soin de son père en fauteuil roulant, très âgé et complètement sourd et aveugle ; il est prêtre, nous dit-on. Il ressemble à un vieux staretz. Ils ont fui l’Ukraine et se sont réfugiés dans ce monastère de Jérusalem. Nous rencontrons aussi la sœur chantre de la communauté qui est jordanienne et sœur Myriam qui est française. Beaux échanges fraternels qui montrent la qualité de leur vie profonde.

Nous passons à la mosquée qui abrite l’empreinte du pas de Jésus (au moment de l’Ascension). Nous arpentons les rues du village arabe qui entourent le monastère des sœurs du Calvaire.

Après le déjeuner, nous prenons un très long moment d’échange avec les bénédictines. Elles nous expliquent leur situation et les enjeux de leur présence en ce lieu. Elles détaillent leurs projets. Lors de leur dernier Chapitre général, elles se sont donné jusqu’en 2024 pour trouver une solution de viabilité sur place. Il faut attendre de voir si d’ici quelques mois des pistes concrètes se seront ouvertes ou non qui puissent leur permettre de présenter positivement leur situation lors de leur prochain Chapitre de 2024. Il semble difficile que l’aide ou la collaboration viennent d’autres congrégations ou communautés bénédictines ; il faudrait plutôt se tourner vers des laïcs qui accepteraient de s’engager en communion avec les sœurs, pour relever le défi d’une présence active en ce lieu. Sinon d’autres sœurs prendront le relais, s’il est possible d’en trouver. En tout cas, ce serait important de maintenir une présence chrétienne dans ce lieu protégé sur le Mont-des-Oliviers.

MaisonAbrahamNous partons ensuite vers la Maison d’Abraham pour une rencontre des responsables des communautés féminines contemplatives de Terre Sainte. Nous nous y rendons à pied en passant au milieu des tombes du cimetière juif avec une vue incroyable sur la vallée, sur la Cité de David et sur le vieux Jérusalem.
La Maison d’Abraham est l’ancien monastère qu’avait fondé les moines de Belloc au 19e siècle. L’édifice est entièrement restauré. C’est une belle réussite au service de l’accueil des pèlerins qui ne peuvent envisager de loger à l’hôtel, toutes confessions et religions confondues.

Il y a là deux couples de laïcs dont celui qui dirige la maison, et une quinzaine de sœurs bénédictines, carmélites, des Béatitudes et de Bethléem. Elles se retrouvent régulièrement avec une thématique et des questions pratiques concernant leur vie (administration, travaux, financement…). Je présente l’AIM, aidé par mes deux compagnons, et de nombreuses questions surgissent. Nous abordons le thème de la mixité dans le groupe formé par les sœurs, mais cela reste en suspens. Ce genre de réunion est un encouragement à envisager par ailleurs une réunion des supérieurs et supérieures bénédictins une fois ou deux par an. C’est la proposition que je formule.

 

Samedi 29 avril

Aujourd’hui, après le déjeuner, nous partons vers l’abbaye de la Dormition. Nous y allons à pied et nous traversons à nouveau la vallée de la Géhenne, nous allons à Saint-Pierre-d’Alicante, puis nous nous arrêtons au Mur des Lamentations où, de loin, le front posé sur la grille extérieure, je prie intensément pour la paix ; nous passons par le Cénacle qui, évidemment, a tout une histoire architecturale. Nous nous recueillons un moment avec émotion. Puis nous descendons au tombeau de David. Je suis touché à cet endroit, tant saint David reste pour moi l’un de mes personnage bibliques auquel j’aime tant me référer. Enfin, nous rejoignons l’imposant monastère de la Dormition.

DormitionNous trouvons le Père Abbé qui vient juste de terminer la visite d’un groupe. Il nous accorde près de deux heures. Nous abordons toutes sortes de sujet : l’histoire et la vie du monastère, l’importance pour eux de la langue et de la culture allemandes qui les rend un peu différents des autres monastères plutôt de culture française ; l’œuvre éducatrice avec la faculté de théologie dans une perspective monastique, avec une vingtaine d’étudiants ; les travaux de rénovation du monastère entièrement pris en charge par l’Allemagne, le propriétaire étant une association de la ville de Cologne ; la complémentarité de leur fondation de Tabgha qui est un véritable centre spirituel près du Lac de Tibériade, au lieu de la multiplication des pains, et mille autres choses.

Nous visitons les travaux de rénovation du monastère qui concernent la totalité des bâtiments ; c’est une réalisation ambitieuse qui se terminera dans quelques mois. Il est prévu que L’église soit prête pour la bénédiction abbatiale du père Nikodemus Schnabel, le jour de la Pentecôte.

Nous participons aux Vêpres. Les moines présents ne sont que trois car sur les neuf autres, quelques-uns sont dans le monastère de Tabgha et d’autres remplissent ici ou là des ministères. L’office se déroule dans la crypte dédiée à la Dormition de la Vierge. Une représentation de celle-ci trône au centre de la salle d’une manière impressionnante. Durant le temps des travaux, c’est là que sont dits les offices. Bien sûr, tout est chanté en allemand, d’une manière très agréable dans une acoustique généreuse.

Nous déjeunons ensuite avec les trois frères et la sœur Gabriele du Mont-des-Oliviers qui nous a servi de guide cet après-midi. Nous nous quittons immédiatement après, le Père Abbé devant se préparer à un départ pour l’Allemagne, tôt le lendemain matin.

SaintSepulcreSur le chemin du retour, nous traversons la vieille ville et nous nous rendons au Saint-Sépulcre qui, par chance, est ouvert. Il y a beaucoup de monde à l’intérieur. Je vénère la pierre de l’onction, à l’entrée, qui est bien accessible. Nous prions devant le tombeau, moment toujours impressionnant dont on aimerait qu’il ne cesse pas. Mais il y a beaucoup de monde et le recueillement est un peu difficile. Nous nous rendons alors à la chapelle Sainte-Hélène où est en train de chanter le groupe Harpa Dei dont les réalisations musicales m’intéressent. Il chante les Vêpres, je m’unis à leur prière, ravi. Les sœurs connaissent ce groupe et nous pourrons les rencontrer demain matin. Nous marchons encore un peu et nous rentrons en taxi, épuisés.

 

Dimanche 30 avril

Après avoir célébré la messe du Bon Pasteur, nous partons dans Jérusalem afin de rejoindre dans l’après-midi la réunion que nous avons programmée avec les Supérieur(e)s des monastères. Cette réunion aura lieu à Abu Gosh. Nous devons y aller en bus et pour cela traverser d’abord la vieille ville de Jérusalem et en profiter pour nous arrêter dans quelques lieux saints.

Tout d’abord, nous faisons une station au lieu de la trahison de Judas et de l’arrestation. Il y a là une petite basilique au pied du Mont-des-Oliviers. Je suis impressionné par l’intensité de l’émotion qui me saisit en ce lieu : je ressens comme un immense vertige. J’ai envie de me prosterner à terre et d’implorer le pardon de Dieu pour toutes nos (mes) trahisons. Puis c’est le jardin de Gethsémani et la basilique style art-déco qui le jouxte.

Nous nous arrêtons ensuite à Sainte-Anne, lieu présumé de la naissance de la Vierge Marie. Cette église et les bâtiments autour sont tenus par les Pères Blancs. Nous sommes reçus par l’un d’eux dont l’attention et la simplicité sont particulièrement impressionnantes.

Nous marchons ensuite vers le Saint-Sépulcre, et d’abord chez les Éthiopiens dans la partie haute. Nous avons rendez-vous avec deux membres du groupe Harpa Dei. La discussion est très stimulante. Le groupe sillonne le monde, avec un aspect missionnaire par la musique. Ils doivent venir bientôt en France dans la région normande. Je pense les faire venir à Ligugé. Ils ont beaucoup à dire pour inspirer la prière monastique. L’office chanté par eux prend des allures de révélation et même ceux qui ne sont pas chrétiens sont happés par sa beauté.

CopteNous descendons ensuite dans la partie inférieure et passons chez les Coptes où l’on peut voir des tombes creusées à même la pierre, semblables à celle où le Christ a été enseveli. Impressionnant. En sortant, nous tombons sur le père Stéphane, un franciscain français qui, « par hasard », a fait une retraite à Ligugé avant de rejoindre les franciscains. Il fait partie de la communauté affectée au Saint-Sépulcre. Il nous explique avec enthousiasme comment ce lieu montre la densité du Corps du Christ à travers toutes les personnes qui viennent le visiter. Elles sont de toutes sortes, ne savent pas toujours ce qu’elles viennent chercher ou faire, mais elles représentent le fourmillement du corps de l’humanité sauvée par le Christ. Autant le désert révèle le Père, la Galilée, le Fils, autant ici, c’est l’Esprit Saint qui se manifeste en une Pentecôte permanente !

Nous prenons une pizza dans un restaurant de la ville nouvelle et nous montons ensuite dans le bus qui doit nous conduire à Abu Gosh où vont se réunir les supérieur(e)s des monastères de la famille bénédictine de Terre Sainte. La réunion se conclut par quelques points d’attention :

– il est bon que, au moins, les supérieur(e)s se réunissent de temps en temps, ne serait-ce que pour échanger les dernières nouvelles concernant les différentes communautés, l’approfondissement en commun de certaines questions liées à la vie de l’Église, du monde, de la situation en Terre Sainte et d’autres encore…

– Le soutien mutuel dans les projets respectifs.

– L’entraide dans la formation à tous les niveaux.

– La proposition d’organiser des séjours pour des profès-professes ayant déjà un peu d’expérience. Ils pourraient passer deux ou trois mois en profitant d’enseignements, de visites et surtout de l’expérience concrète des lieux, sur place. Les participants viendraient d’Europe mais aussi d’Asie, d’Afrique francophone et d’Amérique latine.

La réunion a semblé ouvrir une voie : c’était le but.

Nous rentrons ensuite à Jérusalem par le bus, et au monastère du Mont-des-Oliviers par le Tram et par un autre bus. Longue expédition.

 

Lundi 1er mai

Ce matin, nous devons rencontrer le Patriarche latin de Jérusalem. Nous traversons la ville en bus et nous rejoignons le patriarcat. Le rendez- vous était fixé à 9 heures, mais par mail, le secrétaire du Patriarche avait demandé que nous soyons là à 8 h 30 et nous avions oublié. Nous sommes donc en retard si bien que Mgr Pizaballa ne peut nous recevoir. Le chancelier du diocèse se met à notre disposition et nous pouvons débattre avec lui quelques instants. Il nous dresse un tableau du développement de la vie religieuse depuis le Moyen Âge. C’est surtout au 19e siècle, après une longue période d’interruption, que les fondations se multiplièrent, principalement dans la vie religieuse apostolique. Les congrégations ainsi fondées étaient alimentées par un recrutement étranger. Seules deux congrégations autochtones se développèrent et restent bien vivantes. Les monastères, quant à eux, ont connu leurs heures de prospérité en rapport avec les succès de la vie religieuse en Europe (surtout en France et en Allemagne). Mais aujourd’hui où la vie religieuse est moins facile dans le continent européen, les communautés contemplatives de Terre Sainte sont plus fragiles et les questions d’avenir sont nombreuses.

Finalement, le Patriarche peut nous rejoindre un moment. Nous lui expliquons le but de notre voyage en Terre Sainte. Il se montre attentif mais résume sa position en deux phrases : « la Terre Sainte n’est pas l’Europe, c’est un lieu de fragilité, nous avons besoin de communautés religieuses fortes et stables. Tout ce qui se cherche en matière d’avenir de la vie religieuse en France, notamment dans la collaboration avec les laïcs, n’est pas d’actualité ici, c’est trop aléatoire ». La discussion ne peut guère aller plus loin. Nous terminons assez vite la conversation.

Tabgha2Nous nous rendons ensuite à Tabgha sur le lieu saint de la multiplication des pains, en bordure de la mer de Tibériade. Il y a là des moines de la Dormition et des sœurs de la congrégation des bénédictines du Roi eucharistique (BSEK, Philippines). Elles nous reçoivent à leur table pour le déjeuner. Nous passons un moment extrêmement fraternel avec ces cinq sœurs qui vivent là au service des pèlerins, en coordination avec les moines. Le site est particulièrement fort. Comme beaucoup, nous sommes touchés de marcher au bord du Lac. On a l’impression qu’à tout moment le Christ pourrait se présenter avec ses disciples, là sur la mer. Souvent, dans tous ces lieux saints, c’est l’impression que j’ai eue : le Christ est là, je le vois, je voudrais être avec lui, rester avec lui, l’entendre, vivre avec ses disciples et ne plus le quitter.

Après le déjeuner, nous rejoignons le centre de pèlerinage et rencontrons le père Joseph qui nous explique la mission des moines sur place, en communion avec la communauté de la Dormition, à Jérusalem, dont ils dépendent. Le lieu est vraiment bien aménagé. L’église contient des mosaïques anciennes qui illustrent l’épisode de la multiplication des pains. Nous sommes impressionnés par la fraternité de notre interlocuteur qui nous fait visiter l’ensemble de la maison. C’est une réalisation de quelques dix années, en parfait état, harmonieusement insérée dans l’espace. Nous sommes conscients du rôle important que jouent ses deux communautés sur ce lieu si visité. Plus notre séjour avance et plus nous mesurons la nécessité de soutenir ces communautés monastiques de Terre Sainte. Ce serait grave de ne pas se montrer solidaires.

Nous rentrons vers Jérusalem en traversant les paysages impressionnants du désert de Juda, de Jéricho et de bien d’autres lieux.

 

Mardi 2 mai

Ce mardi matin, nous avons rendez-vous au carmel du Mont-des-Oliviers. Celui-ci est tout près du monastère des bénédictines dans lequel nous logeons. Nous célébrons la messe, puis nous visitons le site dit du Pater qui jouxte le monastère. C’est le lieu dédié à l’enseignement que le Christ a donné aux apôtres sur la prière et où il leur a transmis le « Notre Père ». Cette prière est inscrite sur les murs en 170 langues ! La chapelle du monastère est dédiée à cette « dévotion ». Le site se déploie sur une surface importante, il est propriété de l’État français qui en a la charge en matière d’entretien, y compris pour la chapelle qui nécessiterait des travaux et un réaménagement intérieur minimal. Mais les décisions tardent à venir du côté de l’État et tout reste en plan. Le couvent quant à lui est indépendant ; ce sont les sœurs qui en ont la charge et le gèrent au mieux.

Nous rencontrons la communauté qui est assez nombreuse avec quelques jeunes sœurs. Je présente l’AIM et ses enjeux. Le débat est très ouvert et les questions vont bon train. Je ressors impressionné du beau témoignage de cette communauté qui tient bien sa place dans le paysage local.
Après le déjeuner, nous nous rendons à l’aéroport. Dernier check-point : nous sommes contrôlés. L’un de nous veut descendre de la voiture, mais aussitôt, attirant l’attention, les mitraillettes se pointent sur lui. Il ne tarde pas à rentrer dans la voiture et à attendre patiemment que le feu vert nous soit donné. C’est ce qui arrive quelques minutes plus tard.

Nous sommes prêts pour l’embarquement, la tête et le cœur encore remplis des témoignages de vérité que nous avons reçus ici ou là dans les communautés visitées. Nous avons essayé d’encourager les liens mutuels entre communautés, nous avons été à l’écoute de tous et de toutes autant qu’il était possible. C’était le but de notre voyage : mission accomplie !

 

TabgaEglise

Tabgha1