Sœur Marie-Paule Bart, ocbe
Cistercienne Bernardine d’Esquermes
Sœur Josephine Mary Miller
(1948-2022)
Josephine Miller naît le 16 avril 1948 à Exeter, dans le Devon. Alors qu’elle est encore très jeune, ses parents rejoignent la côte Est et s’installent à Southend-on-Sea, en Essex. C’est cette ville, sur l’embouchure de la Tamise, qu’elle considèrera comme sa terre natale. Toute sa vie, elle lui gardera un profond attachement.
Trois filles composeront la famille : Josephine est la seconde ; elle a été précédée d’Elizabeth et sera suivie par Anne. Toutes les trois fréquentent St Bernard’s Convent High School à Westcliff-on-Sea. Cette école est tenue par les Cisterciennes Bernardines d’Esquermes.
Le premier contact de Josephine avec les Bernardines a eu lieu dès ses quatre ans, lorsqu’elle devient élève à Lindisfarne Preparatory School, petite école primaire également dirigée par les Bernardines. Selon ses dires, c’est très jeune qu’elle a commencé à désirer être religieuse. À 18 ans, en septembre 1966, elle entre au noviciat chez les Bernardines, au monastère Notre-Dame de La Plaine, en France. Expérience fondatrice qu’elle relit ainsi :
« Je suis entrée au noviciat en France juste après le Concile alors que l’on commençait à peine à parler d’aggiornamento, encore moins d’inculturation. Étant anglaise et très jeune, j’étais incapable de discerner ce qui était monastique et cistercien, ce qui était style de vie français, ce qui pouvait et devait changer, j’étais perdue ; avec une maîtresse des novices très sage et très sainte, mais qui avait plus de trois fois mon âge. Nos conversations étaient plutôt brèves ! Et pourtant, le Seigneur a pris les affaires en main ; il m’a fait découvrir les antiennes de l’Avent puis les antiennes “O”, puis les répons des Vigiles de Noël, en latin, et j’étais en route. Mon amour de la liturgie, puis de la Bible, puis de la vie monastique date de cette expérience-là.
« À mon avis, ce que je vous ai décrit était une expérience très cistercienne, même si je ne m’en rendais absolument pas compte à ce moment-là. Le Seigneur a pris l’initiative, il a ravivé une foi qui commençait à chanceler, il a donné une première expérience de joie spirituelle, il m’a appris à goûter, à savourer la Parole de Dieu sans négliger l’intelligence, même si celle-ci n’était que le point de départ. C’était une expérience cistercienne : humaine, spirituelle et très simple. »[1]
Expérience sur laquelle elle va bâtir toute sa vie, creusant ce sillon patiemment, avec persévérance, en toute simplicité.
Effectivement, sœur Josephine Mary aimait la vie monastique qu’elle vivait avec cœur, simplement et authentiquement. Elle aimait la liturgie dont elle se nourrissait quotidiennement : les lectures, les antiennes et les oraisons étaient fermement ancrées dans sa mémoire et façonnaient sa vie quotidienne. Elle participait à cette liturgie communautaire comme chantre (elle était dotée d’une belle voix) et comme responsable. C’est pourquoi elle a joué un rôle déterminant dans le renouvellement de la liturgie des Bernardines anglaises dans les années qui ont suivi le concile Vatican II. Sa foi était profonde et sa vie spirituelle nourrie par sa passion pour les écrits de saint Bernard.
Si elle gardait une certaine réserve en communauté, sœur Josephine Mary possédait une autorité morale naturelle, à la fois appréciée et respectée par ses sœurs. Elle portait une grande attention aux personnes, et savait écouter. Aussi, sœurs, oblats, amis, autres supérieurs monastiques, clercs d'autres confessions recherchaient ses conseils, appréciaient son accompagnement et valorisaient son soutien. Elle voulait le meilleur pour chacun, les encourageant dans leur cheminement spirituel et humain.
Très douée pour les langues, elle a d’abord enseigné à Saint Bernard’s Convent, Westcliff-on-Sea, puis à Slough, jusqu’à son élection comme Prieure générale en 1990. Grande pédagogue, bon professeur, bon guide, elle savait tirer le meilleur des autres, leur faisant confiance tout en étant exigeante à leur égard. Dès 1978 elle a servi l’Ordre comme maîtresse des novices à Slough de 1978 à 1990, prieure générale de 1990 à 2008 et prieure à Hyning de 2008 à 2020.
Comme prieure générale, elle a porté le délicat fardeau de la restructuration en France, suite à la diminution des vocations : fermeture d’un lycée professionnel, retrait de la communauté de Cambrai et passage de l’école sous tutelle diocésaine. En Angleterre aussi, il a fallu accompagner le discernement qui aboutira au retrait de la communauté de St Bernard’s Convent Grammar School à Slough, transférée au diocèse, et à l’implantation d’une communauté à Brownshill dans le Gloucestershire. De même au Japon, la communauté vieillissant, le temps était venu de transmettre les écoles à une autre congrégation, et établir la communauté dans un autre lieu.
Plus difficile encore : le souci des communautés de Goma et Buhimba lors des événements de 1994 au Rwanda, puis dans la foulée de ces événements, en 1996, la fuite des sœurs de Buhimba, dont quelques-unes impossibles à localiser pendant de longues semaines, si loin de la Maison générale… Elle a aussi accompagné, soutenu la recherche d’un nouveau lieu en Afrique et la fondation du monastère Notre-Dame de Bafor, au Burkina Faso.
En fin de mandat, elle a accueilli le désir des sœurs du Japon : que l’Ordre fonde un autre monastère en Asie pour que le charisme des Cisterciennes Bernardines demeure sur ce continent et que le monastère du Japon, en disparaissant, donne encore vie à un nouveau germe. C’est la Prieure générale suivante qui le mettra totalement en œuvre.
Sœur Josephine Mary écrivait, en relisant ces années :
« Elles ont été une période très mouvementée… Notre foi et notre espérance ont été mises à l’épreuve, parfois très rude, et nous avons la quasi-certitude que cela va continuer ainsi… Nous avons à chercher, à découvrir progressivement et ensemble les chemins que nous aurons à prendre. Nous pourrions facilement baisser les bras et nous décourager ; il me semble que le Seigneur nous invite plutôt à tenir bon, à prier davantage, à purifier notre foi, à faire confiance, à construire ensemble quelque chose de très modeste mais qui soit authentique »[2].
Les différents services qui lui ont été demandés, d’abord en communauté et dans l’Ordre, ensuite à l’extérieur, au-delà des frontières, lui ont permis de partager largement et fraternellement les fruits de son expérience au monde monastique : intervenante lors de conférences et de sessions, animatrice de discernement communautaire, accompagnatrice au cours de nombreuses visites régulières tant chez les Cisterciens que chez les Bénédictins, membre de plusieurs « commissions d’aide », conférencière à la session des formateurs OSB et cisterciens à Rome, dix ans au Conseil de l’AIM, dont cinq ans au Comité exécutif…
Pour elle, les communautés devaient vivre ouvertes sur le diocèse, l’Église universelle, attentives aux transformations du monde : femme de foi, bien enracinée dans le Christ, elle regardait lucidement les changements de notre époque, sans défaitisme. Voici ce qu’elle disait en 2003 aux supérieurs monastiques de la Région des Iles :
« Cette situation en pleine évolution qui nous semble menaçante est, en fait, une grande grâce[3], si seulement nous avons suffisamment de foi pour la regarder de cette façon. Nous sommes obligés de redéfinir nos priorités et de nous demander comment, concrètement, nous allons mettre notre recherche de Dieu à la première place dans nos vies quotidiennes.
« En d'autres termes, ce serait reconnaître que, à travers ce que nous expérimentons comme “amoindrissements”, Dieu nous invite à rendre compte de façon plus explicite des valeurs du Royaume, valeurs que notre monde a besoin de voir. »[4]
Après dix-huit ans de priorat général, elle a été nommée prieure de Hyning, en Angleterre. Là, elle a continué le même genre de services : responsable de la Commission chargée de la révision des Constitutions de l’Ordre, présidente de l’Union des supérieurs monastiques du Royaume-Uni et d’Irlande (UMS), accompagnatrice de plusieurs communautés en chemin de discernement d’un nouvel avenir, visiteur apostolique d’une communauté belge, etc.
En 2018, alors qu’elle était encore prieure, comme toujours bien active au service de sa communauté, de l’Ordre et de l’Église, un cancer lui a été diagnostiqué. D’emblée, on lui a précisé qu’il n’était pas guérissable. Elle l’a affronté avec lucidité ses quatre dernières années de vie. Courageuse et solidement appuyée sur le Seigneur lorsqu’elle portait de lourdes responsabilités, elle a été la même durant la maladie. Sa forte foi en la Résurrection et une acceptation paisible de la volonté de Dieu au long de sa vie l’ont aidée dans les dernières semaines. Sa riche et forte personnalité s’est adoucie, simplifiée durant son dernier priorat, point culminant d'une vie donnée si généreusement à l’école du service du Seigneur. Elle est morte paisiblement le 16 février 2022 à l’hospice St John, à Lancaster, prête à rencontrer le Seigneur qu'elle avait aimé, désiré et servi si fidèlement.
1. Conférence donnée en mai 2000 à Lérins sur le thème : « La formation ».
2. Introduction du Rapport fait au Chapitre en 2002.
3. C’est nous qui soulignons.
4. « Chaos et paix » Conférence donnée à la réunion des supérieurs monastiques de la Région des Iles Hawkstone Hall – Angleterre, octobre 2003.