Homélie pour la Mémoire de saint Aelred
à l’abbaye d’Ampleforth


Père Henry Wansbrough, moine d’Ampleforth (Royaume-Uni)

 

RievaulxAujourd’hui, nous célébrons la Mémoire de saint Aelred. Nous avons tous, je suppose, une affection particulière pour Aelred à cause de Rievaulx que nous connaissons si bien. Sa plus grande réalisation architecturale est la salle capitulaire de Rievaulx où l’on peut l’imaginer prononçant ses homélies tant appréciées. Je veux donc dire quelques mots sur le travail qui est souvent considéré comme sa réalisation écrite spéciale, « De l’amitié spirituelle ». Au tout début de son œuvre, Aelred admet qu’il est fortement dépendant du traité de Cicéron sur l’amitié adressé à Hortensius, mais l’œuvre d’Aelred est spécifiquement chrétienne. Il commence : « Nous y sommes, vous et moi, et j'espère qu'un troisième, le Christ, est parmi nous », et on sent la présence du Christ tout au long du livre. Il y a des différences fascinantes avec Cicéron – ou en fait avec n’importe quel dialogue ancien que j’ai lu – en ce que l’interlocuteur, le partenaire de dialogue n’est pas fait pour passer pour un imbécile que le chef corrige, ce qui est la norme dans les dialogues de Platon sur Socrate : Ivo, dans le premier dialogue, Walter (plus tard son biographe) et Gratien dans les deuxième et troisième respectivement, ont leurs propres bons points à faire valoir. On sent que le Christ est vraiment présent partout, regardant par-dessus l’épaule d’Aelred. Il y a bien des touches d’humour chaleureux et amical (2. 17 ou 3. 1), mais surtout une merveilleuse douceur dans tout le livre, et une appréciation non seulement de la Bible, de Cicéron et d’Augustin, qu’il lit depuis sa jeunesse, mais de d’autres avis aussi.

Il insiste constamment sur le fait que le véritable amour humain est une image de l’amour éternel de Dieu. Il va même jusqu’à adapter le « Dieu est amour » de saint Jean en « Dieu est amitié ». Il pense par lui-même ; il ajuste donc la déclaration de Cicéron selon laquelle les amis doivent être d’accord sur toutes les questions, en supprimant le « tout » : il est important que les amis soient d’accord, mais pas nécessairement sur toutes les questions.

Il n’y a pas de peur de l’amitié comme il y a dans tant d’écritures monastiques une peur de « l’amitié particulière », et en effet on sent que pour Aelred, l’amitié est une partie vitale de la vie monastique. Il dit : « Un homme doit être comparé à une bête s’il n’a personne avec qui se réjouir dans l’adversité, personne à qui décharger son esprit si une gêne croise son chemin ou avec qui partager une inspiration exceptionnellement sublime ou éclairante. » Il appelle l’amitié « la médecine de la vie » (comme Ben Sira 6, 16 – et une série de citations en 3. 14), et considère qu’elle améliorerait de nombreux aspects du comportement fraternel : « Qu’y a-t-il donc de plus agréable que d’unir à soi l’esprit de l’autre, et de deux pour n’en former qu’un, qu’aucune vantardise n’est ensuite à craindre, aucun soupçon à redouter, aucune correction de l’un par l’autre pour causer de la douleur, aucune louange de la part de l’un pour porter une accusation d’adulation de la part de l’autre ? » (2. 12). Aelred résume ainsi les avantages spirituels de l’amitié, « un homme, étant l’ami de son prochain devient l’ami de Dieu ». Il y a trois sortes de baisers, le baiser corporel par l’impression des lèvres, le baiser spirituel par l’union des esprits, et le baiser du Christ quand « l’âme prend plaisir au baiser du Christ seul et se repose dans son étreinte » (2. 27).

J’espère qu’on me pardonnera d’avoir tant cité Aelred, même le jour de sa fête, mais la chaleur et la sagesse de sa conversation sur l’amitié augmentent l’admiration pour lui et rapprochent le lecteur de Dieu.