Dom Bernardus Peeters

Abbé général de l’Ordre cistercien
de la stricte observance (OCSO)

 

Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO

Assise, 2 septembre 2022

 

 

À la suite de la première partie du Chapitre général OCSO, le nouvel Abbé général avait sollicité les abbés et abbesses de l’Ordre pour exprimer leurs rêves de vie monastique tel que le Pape y appelle. En réponse, 138 rêves de supérieurs et de communautés sont revenus à la Maison généralice sur 157 monastères de l’Ordre. Cela représente donc une participation de 87 %, ce qui est très remarquable. En ouverture de la deuxième partie du Chapitre général, dom Bernadus faisait une présentation de ces réponses. Nous en donnons ici un large extrait. Cela concerne en premier lieu l’Ordre trappiste mais plus largement peut s’appliquer à la famille bénédictine en général.

 

[…]

DomBernardusAprès avoir lu tous vos rêves, je me suis senti comme saint Benoît dans la tour du Mont-Cassin, cherchant et attendant ce que la voix de Dieu dans sa bonté a à nous dire : le chemin de la vie ! (RB Prol 19-20). En regardant tous les coins du monde, le Seigneur, je pense, a ouvert quatre fenêtres pour nous. Ces quatre fenêtres nous aideront à réaliser nos rêves.

J’ai essayé de relire vos rêves à partir des trois mots du prochain Synode des évêques : communion, participation et mission. J’en ai ajouté un quatrième : formation. Ce dernier, je l’expliquerai plus tard mais pour l’instant il montre simplement que la synodalité appartient à l’essence de la vie religieuse et que cette obéissance à la Parole de Dieu et les uns aux autres non seulement fonde la communion, appelle la participation et conduit à la mission mais qu’elle exige aussi une conversion continue qui nécessite une solide formation permanente. Ces rêves ont été un petit commencement de processus synodal dans notre Ordre. La synodalité, cependant, n'est pas un événement ponctuel mais un style de vie.

L’un d’entre vous a rêvé, « sans trop d’illusions », que lors de la prochaine partie du Chapitre général le mot “synodalité” ne reviendra pas à chaque détour de phrase dans les rapports et les interventions. « Une question me semble importante : dans la vie concrète de nos communautés, la soi-disante “synodalité” ne va-t-elle pas étouffer ce qui peut rester d’obéissance bénédictine ? » En effet, faisons attention à ce que la synodalité ne devienne pas un mot à la mode, dépourvu de toute substance.

« Parler d’un style synodal, c’est donc prendre conscience que le renouveau ecclésial dont on parle tant... touche les profondeurs de l’expérience de l’Église et ne se limite pas à des interventions se résumant à un simple maquillage ecclésiastique. [...] C’est, après tout, l’expression du besoin de l’Église d’une réforme profonde de notre manière d’être et de vivre en tant qu’Église face à un véritable changement d’époque pour le christianisme et pour le monde entier. »1

Cette réforme profonde ne peut se faire sans une conversion permanente fondée sur notre obéissance à Dieu et les uns aux autres.
Avant de regarder par les fenêtres de ces quatre rêves, je tiens à souligner qu’aucune tour ne peut être construite sans une bonne fondation. Sur cette fondation, heureusement, nous sommes tous d’accord. Aucun d’entre nous ne rêve d’une autre fondation ! Cela mérite en soi des félicitations ! Un supérieur a exprimé avec justesse ce fondement de la manière suivante :

« Je rêve d’un Ordre christocentrique, passionné par l’absolu du Christ. Un Ordre qui bouge et se désinstalle en suivant le Christ » (Amérique Latine).

La tour de notre Ordre est construite sur ce fondement et quatre fenêtres s’ouvrent par lesquelles rayonne la lumière, dans laquelle nous pouvons voir irradier la lumière de Dieu. Sur ce fondement reposent quatre rêves que je résume brièvement ici et que je développerai ensuite :

1. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel moines et moniales, de cultures diverses, partagent une vision commune de l’identité contemplative, « coopèrent entre eux et s’apportent une aide réciproque de bien des manières, en respectant leurs saines différences et la complémentarité de leurs dons » (Cst. 72). L’unité dans la diversité y est chérie.

2. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel tous sont capables et désireux de participer ; un Ordre qui est flexible dans sa structure, avec une communication ouverte et transparente à tous les niveaux et avec un grand respect de la vocation baptismale des frères et sœurs, des communautés locales et des Régions, sans perdre de vue l’ensemble.

3. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel tous ses membres et toutes ses communautés sont des personnes et des lieux à l’engagement généreux envers Dieu, l’Église et le monde, qui rend justice à sa « secrète fécondité apostolique » (Cst 3.4). Il s’exprime dans un humble respect de tous les dons de la création de Dieu. Ainsi, en tout, Dieu sera glorifié (1 P 4, 11).

4. Nous rêvons d’un Ordre qui sache former avec enthousiasme ses membres à la « philosophie du Christ » (Ratio Institutionis) et au langage du Christ, et les doter des moyens adéquats pour atteindre le but ultime de leur vocation.


Rêve de communion

« La forme de vie cistercienne est cénobitique » (Cst. 3, 1). Appelés ensemble par la voix de Dieu, nous vivons cette communion dans une forme concrète de vie commune, dans laquelle la recherche de l’unité avec Dieu et avec tout ce qui vit et respire est centrale. Chaque membre de l’Ordre est important ! Chaque frère ou sœur est porteur du même sceau baptismal reçu et confirmé dans la profession monastique. En vertu de ce don, nous sommes tous, sans exception, coresponsables de la communion avec Dieu et entre nous. En regardant par cette fenêtre, nous entendons des rêves sur les relations mutuelles dans les communautés, dans les Régions, entre les hommes et les femmes de notre Ordre mais aussi entre les anciens et les jeunes et entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest.

* Je rêve d’une communauté où personne ne condamne l’autre mais où tous sont écoutés. Je rêve d’une communauté où nous nous estimons les uns les autres pour ce que nous sommes – enfants de Dieu – plutôt que de nous utiliser les uns les autres pour nous-mêmes ou pour la survie des structures. (Europe)

* Nous rêvons qu’il y ait davantage de relations entre nos monastères afin que l’Ordre ressemble davantage à une grande famille. Depuis quelques années, nous faisons l’expérience d’envoyer l’un d’entre nous à tour de rôle dans la maison fondatrice et nous aimerions poursuivre cette expérience, avec d’autres communautés peut-être ? et sous forme d’échanges : l’un d’entre nous part pendant un an et un aîné vient chez nous pendant plusieurs mois et nous aide à la formation. (Afrique)

* La question est de savoir comment transmettre ce désir personnel à la communauté, à l’Ordre. Je reconnais que c’est un défi car nous sommes des personnes de cultures diverses et de formations très différentes. Mais nous avons une force commune, notre identité cistercienne ou charisme, qui n’est pas une pierre de musée, mais une réalité vivante. Une réalité qui nous interpelle de plusieurs côtés pour n’en citer que quelques-uns : vieillissement, diminution des vocations, fermeture de communautés.

Le rêve nous dépasse, nous surprend et, sans tomber dans de fausses illusions, nous sommes appelés à créer des communautés où la simplicité, la joyeuse fraternité, la joie de la prière vivante, la rencontre avec le Seigneur dans sa Parole et les sacrements nous font sentir et vivre en plénitude la miséricorde de Dieu, à la manière de Marie, reine et mère de la miséricorde. (Amérique Latine).

* Un Ordre : J’ai été impressionné dès le début par la façon dont les moines et les moniales collaboraient, et maintenant, avec un seul Chapitre, le mode de fonctionnement de notre Ordre est unique. C’est quelque chose dont il faut être reconnaissant, qu’il faut maintenir et développer pour nous-mêmes et peut-être pour l’Église. (Amérique du Nord)

* Mon rêve : « Relations évangéliques ». Au niveau du ministère de l’Abbé général pour l’Ordre, il y aurait un comité d'anciens (sempectae, RB 27) qui serait nommé par l’Abbé général pour le conseiller sur les questions pastorales plus compliquées qui atterrissent sur son bureau. Ce comité ne résiderait pas à Rome mais se réunirait régulièrement par le biais d’une salle de communication informatique sophistiquée à la Maison généralice. Ils seraient choisis pour leur long ministère et leur réponse créative à de nombreuses questions pastorales ; ils pourraient être supérieurs actifs ou retraités. Le but principal du Généralat serait de faciliter et d’offrir des ressources aux commissions pastorales des Régions. Dans les cas plus difficiles, ces commissions pourraient faire appel au Comité des Anciens. Le mouvement de consultation, d’autorité et de responsabilité deviendrait moins linéaire et plus circulaire (obéissance mutuelle, RB 71) en faisant appel à davantage de membres de l’Ordre pour la pastorale des communautés ayant des besoins particuliers. (Amérique du Nord)

* Je rêve d’une plus grande attention pastorale mutuelle. Nous réagissons trop comme des maisons autonomes. Nous ne pouvons pas nous aider ou nous ne sommes pas disposés à nous aider mutuellement. Nous ne demandons pas d’aide. S’il y a un vrai problème, il nous est difficile d’aider. (Asie)


Rêve de participation

Nous avons tous le droit et le devoir de participer à la vie de nos communautés, des Régions et à la vie de l’Ordre avec ses diverses structures (Cf. Cst. 16, 1). Une participation enracinée dans notre tradition bénédictine dans le vœu d’obéissance. Les structures nous ont été données au fil de la tradition non pas comme des pièces de musée mais pour permettre à chaque fois d’être au service de la vie du peuple de Dieu (cf. Evangelii gaudium, 95). Nous devons donc avoir le courage de nous écouter réellement les uns les autres afin de discerner ce que l’Esprit a à nous dire. Ce n’est que de cette manière que peut naître le courage d’agir à partir de l’Esprit.

En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves sur le fonctionnement des communautés, des Régions et du Chapitre général. Parfois des rêves créatifs sur de nouvelles façons de faire qui essaient néanmoins de rester fidèles à l’ancien et en même temps sont entièrement nouvelles.

* Je pense qu’au niveau du Chapitre, une discussion plus réfléchie des sujets s’ensuivrait, car chaque participant aurait écouté les opinions de beaucoup d’autres au préalable, pour avoir « écouté ce que l’Esprit dit aux Églises », pour ainsi dire (Ap 2, 7). (Asie)

* Je rêve que le Chapitre général devienne un forum à dominante pastorale et théologique. (Europe)

* Peut-on confier l’approbation des lois aux Régions plutôt que de passer autant de temps à le faire au Chapitre général ? Est-ce qu’un synode de représentants des Régions pourrait approuver des choses après que les Régions les ont mises au point ? Les décisions importantes qui affectent les maisons de la Région peuvent-elles être traitées au niveau local ? (Afrique)

* J’aimerais que nos réunions Régionales et nos Chapitres généraux soient un peu moins axés sur les questions législatives et pratiques, et davantage sur le partage de nos expériences, de nos luttes, de nos espoirs, de notre vision et de nos rêves – tout cela en essayant de lire les signes des temps. (Amérique latine)

* Je rêve qu’il soit possible de revoir le fonctionnement du Chapitre général afin qu’il devienne vraiment un saint aqueduc pour l’Esprit Saint et un véhicule vivifiant pour revitaliser notre Ordre cistercien et lui permettre de remplir sa vocation et sa fonction données par Dieu au sein de l’Église et, simultanément, offrir de l’espoir à notre monde en lutte et en souffrance. (Amérique latine)

* Je rêve d’un Ordre qui s’inscrive dans une telle image de l’Église et qui opte radicalement pour l’égalité entre les moines et les moniales et qui, de manière cohérente, aille dans ce sens et cherche de nouvelles formes (Matres immediatae), dénonce l’inégalité (qu’arrivera-t-il à la législation des moines si aucune exemption de Cor Orans n’est obtenue, seront-ils solidaires ?) et que cela devienne un point d’attention permanent au Chapitre général...

Je rêve de rencontres Régionales comme sanctuaires pour partager ensemble, pour penser, pour rêver à la vie monastique, en toute honnêteté et vulnérabilité... Avec beaucoup d'attention et de temps pour ce processus... (Europe)


Rêve de mission

La mission de notre vie cistercienne est décrite dans les Constitutions comme « une fécondité apostolique cachée ». « Leur façon de participer à la mission du Christ et de son Église, ainsi que de s’insérer dans une Église locale, est leur vie contemplative elle-même » (Cst. 31).

En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves d’un sens renouvelé de nos vies pour l’Église et le monde. Des rêves qui sont centrés sur le souci de la maison commune (Laudato Si’) et de tous les frères et sœurs, « voyageurs partageant la même chair » (Fratelli tutti, 8).

* Je rêve que les abbayes deviennent des pionnières dans le domaine de la durabilité et de la vie écologique et que des choix audacieux soient faits dans ce domaine. (Europe)

* Au niveau écologique, l’environnement rural dans lequel nous vivons nous offre un cadre propice à ce processus de conversion écologique, qui devient urgent, et pour lequel nous devons trouver des moyens très concrets de le réaliser dans nos comportements. Des encouragements et des suggestions pratiques seraient les bienvenus, maintenant que la pandémie semble (?) derrière nous, ce qui nous permettra de revoir les détails dans les pratiques communautaires et dans l’hôtellerie, où les hôtes sont aussi très motivés pour cette démarche. Reste à s’impliquer personnellement, et aussi sans doute avec le service diocésain d’écologie intégrale, dans cette ouverture au risque, au changement, au dérangement, à la nouveauté, c’est-à-dire tout simplement à plus de confiance dans l’œuvre de l’Esprit Saint dans le « oui » de chaque jour. (Europe)

* L’« Église en sortie » dont nous parle le pape François, en évitant « l’auto-référentialité ». Je pense que, pour nous cisterciens, nous pouvons traduire cela de cette manière : avoir d’abord notre regard, notre attention, notre pensée, tournés vers Dieu, vers le mystère pascal du Christ et tout ce qu’il implique (lectio, prière, contemplation) et ensuite vers les gens, vers l’humanité (désir, intercession). Ne pas être non plus auto-référentiels en tant que communauté. Nous avons tendance à trop nous concentrer sur notre propre communauté, à consacrer trop de temps et d’énergie à « nous regarder dans le miroir », et cela est parfois encouragé par certaines structures, par exemple, les visites régulières tous les deux ans. (Amérique latine)

L’écologie, cependant, est plus que le soin de la création. C’est aussi le soin que nous apportons à un écosystème entièrement distinct qui est notre vie cistercienne. Le silence et la solitude sont une caractéristique importante de cet écosystème, et beaucoup ressentent la pression que les moyens de communication modernes exercent sur cet écosystème. Ils rêvent de devenir plus conscients et de mieux manier ces moyens afin de protéger et de préserver l’écosystème de la maison commune qu’est notre vie cistercienne.

* Je rêve d’un monastère éco-digital ; un monastère où il y a un équilibre entre l’ouverture et la solitude ; un écosystème de silence, d’images et de mots équilibrés ; un monastère d’ambiance monastique exempt des mauvaises influences de l’excès de sons, de mots et d’images. Je rêve d’une réflexion sincère dans l’Ordre sur l’influence d’internet sur nos vies. Que nous soyons d’accord pour faire face à la dépendance. Je rêve d’une vie contemplative dans ce monde mais pas de ce monde. (Europe)


Rêve de formation

Bien que la formation ne soit pas un mot clé du prochain Synode des évêques, j’ajoute ce mot ici. De nombreux rêves ont abordé ce sujet et aussi dans les rapports de synthèse de la phase diocésaine du processus synodal, que les conférences épiscopales du monde entier ont envoyés au secrétariat du Synode, il est frappant de constater que le désir de formation au sein du peuple de Dieu est grand. La transmission de la foi entre générations dans une famille ou dans une communauté religieuse n’est plus évidente. Nous manquons de discernement, de langage, de formation et même de foi pour transmettre la vie. Cela affecte également la transmission du charisme cistercien.

Le rôle de la communauté, de la Région et de l’Ordre dans le processus de formation est d’aider chaque frère et sœur « à intégrer les éléments essentiels de la voie cistercienne » (Cst. 45.3). Nous devons être désireux d’offrir une aide mutuelle généreuse pour faire de cette formation une réalité pour tous (cf. St. 45.3.B).

En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves d’une bonne formation pour tous dans l’Ordre, pas seulement des personnes en formation initiale mais pour tous, supérieurs compris. Une formation qui soit plus que de la philosophie et de la théologie mais qui aide aussi les communautés à vivre sur le plan matériel et économique.

* Une bonne formation monastique se déroule dans la où les communautés qui valorisent la tradition et le dialogue avec notre société actuelle. Cela peut certainement se produire dans le cadre d’une coopération entre les communautés, dans l’Ordre ou avec d’autres institutions, religieuses ou non. (Europe)

* Je me souviens d’un programme de formation commun entre une communauté de moniales et une de moines. Je rêve que cela puisse se reproduire. Partage de nos expériences – comme le programme Experientia. Deux ou plusieurs communautés peuvent s’envoyer leurs partages par courrier ou par mail. Je désire un programme commun de formation pour toutes les communautés de l’Ordre. Je désire approfondir ma connaissance du charisme cistercien. (Asie)

* Nous avons accès à l’histoire et au patrimoine de l’Ordre comme aucune génération précédente. Une grande partie du travail de base qui rend cela possible est le résultat d'une collaboration au sein de la famille cistercienne et avec des experts laïcs. La richesse du matériel disponible aujourd’hui pour l’éducation/la formation est stupéfiante. Une certaine attitude anti-intellectuelle que j’ai rencontrée lorsque j’ai rejoint l’Ordre pour la première fois a diminué. Néanmoins, il existe toujours une tendance à considérer l’intérêt pour ce domaine comme secondaire par rapport aux nécessités de la vie quotidienne. (Amérique du Nord)

* Nous parlons souvent d’une crise de leadership dans l’Ordre. Mon rêve est que nous continuions à explorer les moyens de développer les qualités du leadership par le biais de nos programmes de formation, les qualités de conscience de soi, de coresponsabilité, de suivi, de bon zèle, de sacrifice de soi et de compétence en communication qui donnent la vie. Les pères du désert semblaient doués pour cela.

Mon rêve est que chaque membre de l’Ordre soit enthousiaste et désireux d’une formation initiale et continue dynamique pour renforcer notre vision commune afin de donner vie à nos communautés et à l’Église. (Amérique du Nord)

* Dans notre Ordre cistercien, nous connaissons aujourd’hui deux formes majeures de précarité : l’une est le manque de vocation et de vieillissement en Occident et l’autre est le manque de personnel bien formé à notre racine cistercienne en Afrique où la vocation à la vie monastique est actuellement en plein essor. Ces deux réalités menacent l’existence et la fidélité de notre Ordre ; en d’autres termes, elles favorisent respectivement l’extinction et l’affadissement de notre Ordre. La solution à cette précarité est la formation d’une synergie entre l’Occident et l’Afrique. (...) Je reconnais donc l’importance de la synergie pour la survie et la croissance de notre Ordre dans le processus synodal au sein de chaque communauté, dans les communautés inter-monastiques et entre l’Occident et l’Afrique.

L’Occident devrait pouvoir aider à la formation personnelle en Afrique et les Africains devraient pouvoir alimenter les vocations en Occident malgré les déceptions de certains Africains qui ont été envoyés pour des études ou pour combler les lacunes des vocations dans le passé. Nous ne devons pas pour autant nous décourager. La formation de la synergie ... présuppose ce que Luke Timothy Johnson appelle la « communication » par opposition à la « fermeture » lorsqu’un monde symbolique interagit avec un autre dans une société pluraliste, où l’identité propre de chaque groupe est respectée. La communauté monastique qui se referme mourra. (Afrique)

* Aider les communautés d’Afrique. Formation continue et initiale : obtenir des enseignants locaux d’autres congrégations qui stimuleront notre vie chrétienne, donc intégrer notre vie monastique.
Pouvons-nous obtenir une école (Pères cisterciens, Pères bénédictins, et autres études) ? Cela permettra le processus synodal. (Afrique)

* Que les cours et les conférences et autres ressources de formation dans l’Ordre soient traduits en différentes langues et offerts aux différentes Régions. (Amérique latine)

* Je rêve de la création d’une même mentalité favorisant les cours et l’échange de professeurs et de personnes en formation dans les différentes communautés. Je rêve de la création d’une école monastique – en ligne – accessible à tous les moines et moniales, pour renforcer notre formation permanente. (Amérique latine)


Conclusions

Encore une fois, ceci n’est qu’un petit échantillon de tous vos rêves ! Il ne rend pas justice à la richesse du contenu, mais il me montre personnellement où la voix de Dieu se fait entendre. Au terme de cette conférence, permettez-moi de tracer quelques lignes vers l’avenir. Après tout, le rêve était nécessaire pour entendre la voix de Dieu, pour expérimenter où Dieu veut nous conduire. Après tout, après avoir vu, discerné, vient le temps de l’action.

Vos rêves me mettent au défi dans le temps à venir de :

– Donner la priorité à la revitalisation de la dimension contemplative de notre charisme. Tout, dans nos vies, devrait être une expression de cette dimension, y compris même, une structure comme le Chapitre général. Cette dimension contemplative devrait entraîner des conséquences dans la communion, la participation, la mission et la formation. (J’examinerai les propositions concernant le fonctionnement du Chapitre général, entre autres. Une discussion renouvelée sur la séparation du monde, l’usage privé des moyens de communication, le maniement de l’argent et des biens, etc.)

– Donner la priorité à la promotion de la communion entre nous par une communication ouverte et transparente à tous les niveaux et en utilisant les moyens de communication modernes. (Propositions relatives au partage [en ligne] d’informations, à la vie spirituelle, au travail, à l’entraide, à l’écologie, etc.)

– Donner la priorité à la promotion de la participation de tous les membres de l’Ordre. Trouver, avec une fidélité créative à la Tradition, de nouvelles voies qui rendront les structures de gouvernance de l’Ordre plus ouvertes et flexibles, en recherchant une représentation meilleure et égale de toutes les parties du monde et entre moines et moniales. (Propositions relatives à l’Abbé général et à son conseil, aux Mères Immédiates, au statut pour l’accompagnement des communautés fragiles, au fonctionnement des réunions régionales, à la commission centrale, au conseil des anciens, etc.)

- Donner la priorité à une meilleure compréhension de notre mission dans l’Église et dans le monde. (Propositions de partage d’informations sur les meilleures pratiques ; promouvoir l’étude de notre tradition cistercienne et sa signification pour aujourd’hui ; rechercher le lien avec l’Église locale et universelle.)

– Donner la priorité à l’approfondissement de la formation intégrale de l’ensemble de l’Ordre, de raviver la flamme de notre premier amour, et d’accorder plus d’attention aux besoins des différentes Régions. Une coopération plus étroite entre l’Abbé général, son Conseil et le Secrétaire général pour la formation est d’une grande importance à cet égard (propositions pour une école [en ligne] de la vie cistercienne offrant des cours en ligne, une formation spécifique pour les supérieurs, les cellériers, les maîtres des novices, les aumôniers ; plus d’attention à la formation concernant les abus, les dépendances, etc.)

Là, dans cette tour, avec saint Benoît, profitant de cet unique rayon de lumière dans lequel convergeaient tous les rêves du monde, j'ai soupiré : « la moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux ». Pourtant, je ne me laisserai pas décourager par cela et je vous demande à tous de travailler avec moi pour réaliser ces priorités. Comme je l’ai dit, il est temps d’agir et de voir comment nous pouvons transformer les priorités en actions concrètes. Je compte sur votre aide pour cela, dans la prière et dans les actes.

Le rêve entre vous en tant que supérieurs a été un petit commencement de chemin synodal dans l’Ordre. Le processus se poursuit et il doit devenir un style de vie à tous les niveaux. Certains d’entre vous ont également répondu à ma demande de rêver dans leurs propres communautés. J’espère que beaucoup suivront. Laissez vos frères et sœurs rêver ! Rêvez de leur propre vie, de la vie de leur communauté et de la vie de l’Ordre. Osez rêver pour entendre la voix de Dieu afin de pouvoir discerner ce qui compte et ce qu’on vous demande de faire.
Mais ce qui est encore plus important – et c’est finalement le but du processus synodal – ce sont ces paroles de saint Bernard :

« Nous avons formé, chers frères, un rassemblement ou synode des corps (synodum corporum), mais il nous reste à former un plus grand synode : l’union des âmes (coniunctio animarum). En effet, il n’est pas louable d’être unis de corps, si nous sommes divisés d’esprit ; il est inutile de se réunir en un lieu si nous sommes en désaccord dans nos âmes. (…) “Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” (Mt 18, 20), s’ils sont bien réunis au nom de Jésus, c’est-à-dire avec l’amour de Dieu et du prochain : avec eux il est bon d’habiter ensemble (Ps 132, 1) »2.

Puissions-nous le faire sous la protection de Marie, reine de Cîteaux !

 

1. Mario Cardinal Grech, La synodalité comme style. In : Sequela Christi, XLVII 2021/02, p. 72-73.

2. Bernard de Clairvaux, Sententiae III, 108 (pour cette citation je suis reconnaissant à dom Yvon-Joseph du Val Notre Dame qui l’a portée à mon attention !).