Compte rendu sur la session Ananie 2022
à partir des chroniques d’Ananie


(cf. site web des bénédictines de Vanves)

 

 

Du 7 septembre 2022 (arrivée) au 1er décembre (départ), s’est déroulée Ananie IV. La session avait été prévue pour 2021, mais la situation sanitaire en avait nécessité le report.

Nous sommes touchés de constater que ces sessions sont désormais connues et rendent service aux communautés : les retours que nous avons sont très positifs.

L’épisode Ananie IV, très attendu, fut une grande réussite : les bilans, tant des participants que des membres du Bureau, le montrent avec évidence.

Les participants sont appelés à créer entre eux une vraie fraternité durant leurs trois mois de vie commune : c’est la base nécessaire pour tout ce qui sera vécu. Les sessions sont de vie, et pas seulement d’information. Cette année, dès les premiers jours, traditionnellement consacrés aux présentations, le groupe s’est soudé rapidement : le fait que beaucoup arrivaient, chargés des difficultés, parfois lourdes, liées à leurs communautés, leurs pays… n’est sans aucun doute pas étranger à la qualité de l’esprit fraternel, très fort durant les trois mois.

L’accueil dans les monastères est choisi dans un double but : garder un cadre monastique durant ces trois mois et permettre de découvrir différents visages de la vie monastique en Europe. Les Ananistes sont allés d’abord à la Pierre-qui-Vire (c’est devenu une habitude de commencer avec nos frères du Morvan, qu’il n’est pas inutile de remercier ici encore), puis à Pradines, Tamié et Aiguebelle. Lors du bilan, les frères et sœurs ont unanimement regretté que l’alternance habituelle (monastères de moines/moniales, bénédictins/cisterciens) n’ait pu être respectée. Une série de contingences l’a empêchée. L’accueil de chaque communauté a grandement compensé ce regret.

Un mot du programme : au fil des sessions, il s’affine. Les piliers restent les mêmes :

- Vie monastique et Évangile (le disciple du Christ vit avec la Parole).
- La liturgie, expérience monastique.
- Saint Benoît.
- Histoire du monachisme.
- Accompagnement spirituel.
- Développement humain. Psychologie et vie spirituelle, etc.
- Vie communautaire.
- Pour conclure : reprise des fondamentaux monastiques.

De plus, le souci d’une réflexion sur l’écologie intégrale a coloré ces mois.

Les intervenants sont surtout des moines et moniales ; depuis le début (2013), quelques professeurs laïques, pas toujours les mêmes, participent à la formation. Quant à l’accompagnement du groupe, frère Cyprien, de la Pierre-qui-Vire, l’a assuré cette année encore ; pour la prochaine édition Ananie, nous réfléchissons à un binôme moine/moniale, demandé avec sagesse par nos Ananistes eux-mêmes.

La participation du pasteur Pierre-Yves Brandt, qui intervient trois fois au cours de la session, a de nouveau été appréciée. « Il nous apprend à transmettre et à être libre en appuyant nos choix sur la Parole. »

 

Extraits des chroniques

La session Ananie 2022, quatrième édition (après 2013, 2015, 2018) a eu lieu du 8 septembre au 29 novembre 2022. Elle s’est déroulée en quatre abbayes : La Pierre-Qui-Vire ; Pradines, Tamié et Aiguebelle, sous la responsabilité ordinaire de frère Cyprien (PQV), sœur Marie (Martigné) et Mère Scholastique (Pradines). Elle a accueilli 24 participants (Ananistes) (16 moniales, 8 moines) : de divers pays (Afrique du sud 1, Bénin 3, Burundi 2, Burkina Faso 2, Côte d’Ivoire 1, Madagascar 4, Rwanda 1, Vietnam 4, France 6). Le frère Albéric (Maromby, Madagascar) qui aurait dû participer à cette session est décédé le 21 août dernier. Sœur Elisabeth-Marie, clarisse, s’est jointe au groupe.

 

La Pierre-qui-Vire (8–29 septembre 2022)

AnaniepresentationChacun a apporté des productions de son monastère : cartes, porte-clés, dizainiers, foulards ou petites trousses, miel, liqueur (de la montagne d’Ambre, framboise de Madagascar), gari, mangues ou bananes séchées, galettes aux graines de sésame, cacahuètes, batik de sœur Beata Winkler… Couleurs locales assurées !

Les attentes étaient variées, elles suscitaient l’enthousiasme au-delà des charges et fardeaux portés par chacun. Au début de la session, la projection du documentaire sur les « 40 martyrs de la fraternité » de Buta (Burundi), en raison de la présence de deux frères du Burundi, fut saisissante et fut suivie d’un partage fort.

Dans chaque monastère, des temps de détente (musique, danse, visites de Vézelay, Cluny, Taizé, Autun, Paray-le-Monial, Hautecombe…, projection de films) et de partages ont été préparés, et ont réjoui et enrichi tous les participants. Comme aussi la vie commune du groupe, qui est un des éléments de la formation.

Mais bien sûr, ce sont les exposés et les groupes de travail qui ont eu la plus grande importance. Sœur Marie (Martigné) a présenté les Pères de Cappadoce, sur les traces de Basile le Grand, pour aider à comprendre ce que veut dire « plaire à Dieu » : terme important s’il en fut dans la vie monastique pour tous mais spécialement pour ceux qui en sont au commencement et pour ceux qui sont en charge de la formation dans leur communauté.

Puis le frère Patrick (PqV) balaya la panoplie d’outils bibliographiques pour se former en liturgie et débuta par : Qu’est-ce que la liturgie pour moi ? Les réponses riches des participants recueillaient bien des trésors. En lisant des passages d’articles de la PGMR (Présentation Générale du Missel Romain), cela a permis de percevoir que la liturgie est une « épiphanie de l’Église en prière » (pape Jean-Paul II), ou en se référant au tympan de Vézelay où la tête du Christ se trouve dans une échancrure : « Notre tête, le Christ, est déjà dans les cieux, en attendant que le corps y passe tout entier » (saint Léon le Grand, SC 62).

C’est ensuite au tour de Pierre-Yves Brandt, pasteur protestant réformé, de donner quelques enseignements. À partir des Institutions cénobitiques de Cassien, comparées au chapitre 58 de la règle de saint Benoît, ou à partir de situations concrètes, il a été question de : l’accueil réservé au nouveau-venu pour affermir son désir et préserver sa liberté, être obéissant : avoir pour repère le regard de Dieu sur chacun et chercher à construire tant la personne que la communauté, ou encore : susciter une véritable autonomie de décision. Il pointa invariablement comment, dans la RB, l’adaptation à la diversité des personnes n'est pas une option mais offre un cadre d’apprentissage et de processus de transmission à la fois sécurisant et responsable.

« Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient » (proverbe africain). Frère Jean-Louis (PqV) commença par évoquer la légitimité de l’étude de l’histoire du monachisme et en parcourut des aspects majeurs.

Le Père Abbé Luc (PqV) guida le groupe sur la route de la lectio, chemin de vie, de joie… et chemin ardu comportant ses écueils, et ses balises. La Parole saisit la vie tout entière du disciple. Par la rumination savoureuse s’établit une relation de cœur à cœur. « Là où est notre trésor, là est notre cœur » (Mt 6, 21). « Les fruits de demain sont dans les plants d’aujourd’hui » (proverbe africain).

La sortie prévue pour cette étape a fait découvrir Taizé aux Ananistes : frère Alois prit son temps pour les recevoir dans la chambre même de frère Roger. Tout au long des deux jours, le groupe participa aux célébrations de la vénération de la Croix le vendredi soir, de la lumière de la Résurrection le samedi soir, et de la messe de Pâques. L’esprit prophétique de frère Roger, le souci de simplification de la liturgie pour « élargir », accueillir tous les jeunes et moins jeunes, là où ils en sont, se perpétue depuis 1957-58.


Pradines (29 septembre – 20 octobre 2022)

Mère Pierre-Marie, abbesse de Pradines, parla de la désappropriation dans l’Écriture Sainte et la Tradition : la pauvreté monastique dans la mise en commun et le travail. Elle a approfondit la question de la « sobriété heureuse » selon Cassien, le pape François et la RB.

Frère Bruno, d’Acey, montra comment s’approprier les outils nécessaires pour aborder un texte et naviguer dans le monde numérique. Il assura que cela n’éloigne pas de la vie spirituelle, en s’appuyant sur des auteurs variés.

Mère Hannah, du prieuré de Loppem (Belgique), lança la question de la relation que chacun entretient avec la RB. Elle proposa une étude claire, ordonnée, vécue, vivante et interactive. Et en la confrontant à la règle du Maître et aux Écritures, comment entendre à nouveau : « Choisis la vie » (Dt 30, 19). L’exégèse de RB 72 oriente le regard vers le respect mutuel, la patience, la « conversatio », vue comme « un processus dynamique qui implique la disponibilité à se convertir continuellement ». Cela comprend toutes les phases et tous les aspects concrets de la vie monastique où seule l’humilité permet d’accueillir la grâce donnée à tout instant.

Une visite à l’Institut des Sources Chrétiennes, qui fête son 80e anniversaire, a permis aux participants de découvrir cette réalité : Laurence Mellerin leur a fait découvrir l’histoire et l’actualité de l’Institut. Marie-Laure Chaieb a poursuivit avec une présentation de saint Irénée de Lyon, déclaré Docteur de l’unité le 21 janvier 2022 par le pape François.

Sœur David et sœur Bertille-Pacôme sont intervenues sur : « Comment transmettre au novice sans chavirer et boire la tasse avec lui ? ». Le maître des novices se tient sur la berge, il tient ferme, encourage avec sollicitude, conscient de sa propre faiblesse et confiant dans l’agir divin et la grâce de l’Esprit. En communauté, « le chemin de Dieu passe par la mer » mais nul n’en connaît la trace (Ps 76) et chaque être est unique.

Sœur Maria-Jose Arandia et frère Jean-Chrysostome ont abordé le thème de l’inculturation de la foi. « Toute culture est appelée à un passage de mort et de résurrection dans le Christ » qui, par son incarnation, s’incultura le premier. Aucune culture n’épuise à elle seule le mystère de la Rédemption (Evangelii Gaudium 118). Toute culture évolue et est appelée à être transfigurée jusqu’à devenir « apéritif du ciel » ! selon l’expression de frère Jean-Chrysostome.

Mère Marie-Madeleine consacra son intervention à l’accompagnement spirituel : toujours repartir du Christ, dans la liberté et la confiance. Premier accompagnateur, Dieu s’est incarné, englobant toute notre vie dans une marche dynamique de retournement. Tout accompagnement s’inscrit dans le mystère pascal. Dieu nous rejoint par des médiations : sa Parole, la RB, la communauté et l’abbé… les anges Gabriel, Raphaël, icônes de l’accompagnement.


Tamié (20 octobre - 9 novembre 2022)

AnanieTamie3Julie Saint-Bris, sœur Siong et frère Michael Davide, de Novalesa, ont introduit les participants dans les profondeurs de la persona, du moi, de l’ombre (inconscient) et du soi. Accueillir les émotions, en prendre conscience, discerner le besoin sous-jacent et reconnaître les différents mécanismes de défense. La conversion consiste à renoncer à la perfection pour être en vérité. « Soyez parfaits » (en grec : « Soyez complets ») signifie que nous avons à incarner notre vie spirituelle.

Que dire du bonheur de la vie monastique ? Il est dans la solitude partagée en communauté, dans des relations chastes, dans l’espérance d’une plénitude de vie. Ceci passe par le renoncement pour recevoir le centuple, que nous ne pouvons ni contrôler ni imaginer. Plusieurs termes ont été clarifiés : fonction maternelle et paternelle ; initiation et formation ; emprise, abus ; pouvoir et service de l’autorité (du latin augere : faire grandir) ; immortalité et éternité… Dans la confiance que Dieu est notre Accompagnateur permanent par son Esprit, qui seul vient combler notre incomplétude.

À partir de sa vaste expérience, le père Victor, abbé émérite de Tamié, a évoqué ce qui construit ou divise une communauté. Frère Didier a partagé ensuite la vie et l’œuvre de frère Christophe, Bienheureux martyr de Tibhirine, dont il était particulièrement proche.

Père Abbé Luc (PqV) a proposé de suivre Évagre le Pontique (346-399) : frère aîné dans la foi qui participa en 381, avec Grégoire de Nazianze, au concile de Nicée-Constantinople et transmit, par son labeur de copiste, de nombreuses œuvres.

Avec sœur Claire (Martigné-Briand), c’est Maxime le Confesseur (580-662), digne descendant d’Évagre (346-399) qui a reçu les honneurs.

Pierre-Yves Brandt aida à relire une situation de transmission, en analyser le problème, les difficultés, voir ce que l’on peut attendre d’un formateur dont l’intention est de vivre selon l’esprit évangélique et la règle de saint Benoît.

AnanieHautecombeLa sortie a conduit le groupe à l’abbaye royale de Hautecombe, contemporaine de celle de Tamié (12e siècle) : depuis 1992, elle est prise en charge par la Communauté du Chemin Neuf, communauté catholique à vocation œcuménique. Le repas a été pris avec les membres de la communauté et les jeunes de tous pays en formation biblique et spirituelle partageant leur vie quelques semaines ou mois. Les Ananistes ont été impressionnés par leur disponibilité dans l’accueil, la simplicité de leur vie mêlant modernité et respect du patrimoine architectural et spirituel.


Aiguebelle (10 novembre - 1er décembre 2022)

L’étape a fait une large place à la vie fraternelle, sous différents aspects. Frère Cyprien a fait part des joies, difficultés ou attraits liés à la vie fraternelle, telle la valeur du silence. Voltaire († 1788) n’avait pas forcément raison quand il disait : « Les moines se rassemblent sans se connaître, vivent sans s’aimer et meurent sans se regretter ».

Frère Columba (En-Calcat), en passant par Denis Vasse, a précisé comment passer de la peur à la foi et à la confiance (son antidote), et de la jalousie (possession du don) à la louange (lieu de rencontre et d’unité). Bannir la comparaison, reconnaître nos failles, pardonner, garder le lien, sortir de soi, persévérer : tels sont les moyens pour approcher de la Trinité de Dieu. Pour Christian de Chergé, « La joie secrète de l’Esprit sera toujours d’établir l’unité et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences ».

AnanieAiguebelleDom Mauro-Giuseppe Lepori (Abbé général des cisterciens) est intervenu autour du thème des vœux ; il nous réunit par-delà nos différences : par un regard vers le Christ, par la présence sacrée de Dieu exprimée dans le rite de profession.

Avec dynamisme et clarté, père Pierre-André (abbé de Cîteaux) a exposé le délicat équilibre entre autorité et obéissance. L’autorité (du latin : autoritas > augere : faire grandir) est un service de la croissance de l’obéissant. Une authentique autorité se vit dans un climat de charité et motive une vraie liberté et autonomie du disciple : elle autorise autrui à être acteur de sa vie, libérant son potentiel. L’obéissance (latin : ob-audire : écouter, tendre l’oreille) est tout un art de l’écoute.

L’écologie intégrale a été comme un fil rouge de ces trois mois. En fin de parcours, il a été bon de chercher à approfondir le lien avec une théologie de la vie monastique : Elena Lasida, Mère Marie-Madeleine, père Luc et frère Cyprien s’y sont employés. Elena Lasida a présenté la nouveauté de l’encyclique Laudato Si’ (juin 2015), prélude à la COP 21 (Paris, décembre 2015) : son impact au-delà des chrétiens ; sa notion centrale : l’écologie intégrale ; son enjeu environnemental, humain, sociétal et spirituel. Deux expériences de « conversion écologique » ont été proposées : les dominicaines de Taulignan et les sœurs orthodoxes de Solan.

Tels furent les principaux ingrédients de l’enseignement de cette session. L’essentiel reste caché aux yeux des témoins, il se vit dans le cœur de chacun.