Une page d'histoire :
Les bénédictines de Kaunas (Lituanie)[1]
Le monastère des bénédictines de Kaunas est situé dans la partie nord de la vieille ville de Kaunas. L’ensemble comprend le monastère, l’église Saint-Nicolas et un patronage. L’église gothique de Saint-Nicolas a été construite au 15e siècle. Les bâtiments de la communauté de Kaunas furent construits en 1829.
Les premières sœurs bénédictines arrivèrent à Kaunas de Nesvyžiaus[2] (maintenant en Biélorussie) en 1624. Durant la première moitié du 17e siècle, la communauté bénédictine de Nesvyžiaus fonda des monastères à Vilnius, Kaunas, Kražiai, Minsk, Orša[3] et Smolensk[4]. À l’initiative d’un aristocrate lituanien, Andries Skorulskis, le grand-duc de Lituanie et roi de Pologne Sigismond III donna aux sœurs installées à Kaunas l’église Saint-Nicolas jouxtant le monastère. En peu de temps les bénédictines (elles étaient à peu près deux fois plus nombreuses que les moines en Lituanie, soit environ 110-120) devinrent les religieuses les plus importantes en Lituanie. Leurs monastères se distinguaient par leurs bibliothèques bien pourvues, leurs activités dans les domaines de l’édition et de l’éducation ; elles accueillaient et formaient les jeunes filles issues de la haute société et admirent plus tard des pauvres.
Au milieu du 17e siècle, la guerre de la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie) contre les russes fut l’une des plus terribles de l’histoire du Grand-Duché de Lituanie ; le 18 août 1655, l’armée russe occupait la ville. Les monastères et les églises furent détruits. Cinq sœurs du monastère de Vilnius furent tuées, les autres s’enfuirent au monastère de Kaunas. Il semble que les sœurs qui ont fui ont passé les années de guerre dans les Palivarkas (domaines agricoles ou manufacturiers). En 1657, mourait la première abbesse de Kaunas, Mère Ona Eufemija Skorulskyté.
Les Russes ont quitté Kaunas seulement le 2 décembre 1661. Cette occupation a fortement touché tous les citoyens de Kaunas. En plus de la dévastation de l’armée, une épidémie de peste et la famine ont commencé.
En raison de la guerre, les bénédictines quittèrent Smolensk et Orša. On ne sait pas ce qui est arrivé aux bénédictines de Minsk envahie par les cosaques en 1655. Les bénédictines de Nesvyžiaus s’enfuirent à Gdansk, où elles passèrent les années de guerre. Vilnius fut prise par les russes fin juillet 1655. Les religieuses qui ont survécu au massacre ont été autorisées à porter des croix rouges brodées sur leur vêtement, ainsi que les sœurs de Kaunas.
La même année, la partie ouest du Grand-Duché de Lituanie était attaquée par un autre ennemi : la Suède (Première guerre du Nord, 1655-1660). Les désastres militaires de cette époque sont connus en Pologne-Lituanie sous le nom de Déluge.
Après cette terrible période, la communauté de Kaunas récupéra et reprit ses traditions, bien qu’elle fut de taille moyenne en comparaison avec les autres monastères de la région.
En 1793 et 1795 ont eu lieu les 2e et 3e partages de la Pologne et des régions baltes, la Lituanie actuelle tomba sous la domination russe. Les tsars ont considéré de tout temps cette région comme « le pays russe acquis depuis toujours » et ont tenté de la coloniser dans tous les domaines. Le gouvernement russe ferma l’université de Vilnius, interdit de parler le lituanien dans des lieux publics, de publier des livres et des journaux en écriture latine : les non russes n’ont plus eu le droit d’acheter des terres, etc. Le nom de Lituanie a été effacé de la carte et remplacé par « Pays du Nord-Ouest ». Le catholicisme, enraciné dans les mentalités et les usages, a été le plus grand obstacle à la russification ; l’Église catholique était depuis bien longtemps considérée comme le plus grand ennemi par les slavophiles et le gouvernement russe.
Après la première révolte de 1831 contre l’occupation russe, des représailles s’abattirent sur l’Église et les ecclésiastiques. Des décrets du tsar pour la sécularisation des terres ont alors privé l’Église de 260 domaines pour affaiblir ainsi sa base matérielle de telle manière qu’elle ne puisse entretenir des séminaires, publier des livres et secourir les pauvres.
Après la révolte de 1863, les persécutions redoublèrent d’intensité : plusieurs prêtres furent fusillés ou pendus, beaucoup furent déportés en Sibérie. En 1864, le gouvernement tsariste interdit l’entrée de nouvelles recrues dans les monastères. Les sœurs de Kaunas tentèrent de cacher aux autorités le nombre réel de moniales, mais elles ne purent résister aux exigences du tsar. 352 monastères furent fermés, des églises furent transformées en lieux de culte orthodoxe, en casernes, en hôpitaux ou en écoles. Les croix sur les monuments furent interdites.
En plus de tous les interdits concernant les habitudes et rites catholiques, bien des moyens furent employés pour renforcer l’influence de l’orthodoxie. La construction d’églises orthodoxes fut intensive et des avantages furent donnés aux colons russes pour leur installation en Lituanie. Tous les orphelins ont alors été baptisés dans l’orthodoxie et des familles ont été forcées de pratiquer l’orthodoxie sous peine d’exil en Russie. Des écoles paroissiales furent fermées et les écoles d’État surveillées. Des terres furent promises aux paysans qui se convertiraient. À partir de 1880, à chaque fête de la dynastie russe, les élèves catholiques étaient forcés de prier dans des églises orthodoxes.
L’ordre du tsar, le 24 décembre 1891, de fermer le monastère et l’église des bénédictines à Kražiai fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres : les humiliations subies depuis tant d’années débouchèrent sur une opposition d’un autre type : la révolte ! Les vieilles moniales, malgré leur santé déficiente et leurs supplications, furent expulsées de leur monastère qui fut fermé. Comme les paroissiens se voyaient interdire la reconstruction de leur vieille église, tous leurs efforts se reportèrent sur celle du monastère afin qu’ils puissent en avoir l’usage. Malgré leurs demandes aux différentes institutions d’État, les paroissiens ne purent rien obtenir.
Le 22 juin 1893, un ordre du tsar imposa la destruction du monastère et de l’église. Les habitants de Kražiai envoyèrent alors des délégués à Saint-Pétersbourg, Vilnius et Kaunas. À partir de septembre, les paroissiens investirent leur église, y veillant jour et nuit et sonnant les cloches à chaque approche de la police. Environ 400 fidèles firent front au déploiement des forces de l’État. Le 21 novembre 1893, aidé de 300 cosaques et de 70 policiers et gendarmes, le gouverneur de Kaunas ferma l’édifice par la force. Cet épisode est appelé « le massacre de Kražiai » ; il produisit l’indignation internationale et la mise à nu de la politique du tsar en Lituanie.
Les bénédictines de Vilnius et de Kaunas qui avaient pu garder leurs monastères pendant la persécution tsariste connurent entre les deux guerres une période de renouveau.
Cependant, après la première guerre mondiale et durant plusieurs années, l’abbesse de Kaunas promut la culture polonaise dans le monastère, et des rivalités s’introduisirent entre les sœurs polonaises et les sœurs lituaniennes. Le Saint-Siège fut averti. Il fut décidé que la communauté serait scindée en deux. Dix sœurs polonaises – dont l’abbesse – allèrent vivre dans le monastère de Kolainiai.
La communauté de Kaunas commença une période de prospérité et de rétablissement ; les sœurs étant pleines d’enthousiasme et désirant vivre dans un nouvel esprit, tout en gardant le charisme bénédictin. En 1926, le bienheureux Jurgis Matulaitis (1871-1927), alors visiteur apostolique pour la Lituanie, aida au renouvellement de la vie bénédictine des sœurs. Il choisit pour elles les constitutions de sœurs bénédictines aux États-Unis. Les bénédictines contemplatives adoptèrent alors un mode vie unissant prière et apostolat. Elles travaillaient dans les jardins d’enfants, les orphelinats, les maisons de retraite pour personnes âgées, les écoles. Leur nombre augmentant les bénédictines fondèrent d’autres maisons en Lituanie.
En 1940, l’adoration perpétuelle fut instaurée dans l’église des bénédictines.
Après la deuxième guerre mondiale, le gouvernement soviétique interdit la vie monastique. En 1948, les sœurs de Kaunas durent quitter leur maison dans les 24 heures. L’église fut fermée et donnée à la Bibliothèque nationale de Kaunas. Une partie des bénédictines de Vilnius rentra en Pologne, en emportant les archives du monastère. Les sœurs restées en Lituanie eurent alors à souffrir les persécutions du régime soviétique : interrogatoires sur leurs activités religieuses, privation de travail. Pendant les plus sombres années de l’histoire de la Lituanie, les sœurs restèrent cependant fidèles à leur vie monastique, en secret. Elles continuèrent en cachette à se réunir, à faire profession, à prier ensemble. Elles soutinrent les fidèles grâce à leur présence discrète dans quelques lieux : jardins d’enfants, écoles, hôpitaux...
En 1990, l’église fut rendue aux fidèles. Elle fut restaurée et consacrée en 1992. Ce fut la première étape du retour des sœurs et du renouveau de la vie de la communauté. Depuis 2009, l’église Saint-Nicolas appartient aux sœurs bénédictines ; c’est leur église conventuelle. La communauté connaît actuellement une période de prospérité.
Le monastère Saint-Benoît à Kaunas est « une école du service du Seigneur » (RB, Prol. 45) dans laquelle, sous la conduite de l’évangile, les sœurs sont au service les unes des autres (cf. RB 35, 1). « Les anciennes sont honorées et les jeunes sont aimées » (cf. RB 4, 70-71). Les sœurs sont invitées à ne rien préférer au Christ, lequel les conduit toutes ensembles à la vie éternelle (cf. RB 72, 11-12). Leur vie se partage entre la liturgie, la prière personnelle, la lectio divina, l’adoration, la catéchèse des enfants et des adultes, l’accompagnement spirituel, l’enseignement.
Les hôtes qui surviennent sont reçus comme le Christ ; à tous est rendu le même honneur avec une attention plus grande pour les pauvres et les pèlerins parce qu’en eux, on reçoit davantage le Christ (RB 53, 1-15).
Les bénédictines sont présentes en Lituanie depuis 400 ans sans interruption.
[1] Cet article est la synthèse de présentations trouvées sur différents sites internet : le site de la communauté bénédictine de Kaunas (https://kaunobenediktines.wordpress.com/), des bénédictins de Palendriai (http://www.palendriai.lt/)... L’histoire de Kražiai provient d’un article de M. Vladas Terleckas, Massacres de défenseurs de l’Église catholique en Lituanie : les événements de Kraziai, accessible sur le site Cahiers lituaniens : http://www.cahiers-lituaniens.org/documents/index.htm. L’article a été relu par les sœurs de Kaunas.
[2] Nesvyžiaus est le nom lituanien pour la ville de Nesvizh, ou Niasviž en Biélorussie.
[3] Orša est le nom lituanien pour la ville d’Orsha en Biélorussie.
[4] Dans la première moitié du 17e siècle, toutes ces villes faisaient partie du Grand-Duché de Lituanie puis de la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie) jusqu’à l’expansion vers l’ouest de la Moscovie dans la deuxième moitié du 17e siècle. Nesvyžiaus, Minsk et Orša sont aujourd’hui en Biélorussie ; Smolensk en Russie ; Vilnius, Kaunas et Kražiai en Lituanie.