Sœur Scholastika Häring, osb
moniale de l’abbaye de Dinklage (Allemagne)
Rechercher la face de Dieu
À propos de la Constitution apostolique Vultum Dei quaerere :
la vie contemplative dans les ordres religieux féminins, par le pape François
« Vultum Dei quaerere - Rechercher la face de Dieu », tel est le titre de la Constitution apostolique du pape François, publiée le 22 juillet 2016, sur la vie contemplative dans les congrégations féminines. La législation pour les ordres féminins contemplatifs reçoit ainsi de nouvelles bases. Il convient donc de revisiter les perspectives canoniques données par ce document, nonobstant d’autres aspects exprimant le prix de ce genre de vie pour l’Église. Le titre de cette Constitution apostolique est naturellement déjà tout un programme : « Rechercher la face de Dieu » ; cette quête, selon les mots qui ouvrent le premier chapitre, s’est déployée tout au long de l’histoire de l’humanité, trouvant son expression particulière dans la vie religieuse, et plus précisément dans la vie monastique. L’ensemble du document, et notamment la nouvelle législation spécifiée dans la partie normative, est à lire dans cette perspective : être un moyen et une aide pour cette « quête du visage du Seigneur ».
Il faut dire aussi pour commencer, qu’une Instruction, provenant de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique doit suivre et compléter cette Constitution apostolique Vultum Dei quaerere. C’est seulement à l’issue de cette publication, attendue dans les mois qui viennent, qu’on sera en mesure de donner une image définitive des nouvelles normes.
Arrière-plan
Signalons d’abord que Vultum Dei quaerere répond à une demande urgente. La législation en vigueur pour les ordres féminins contemplatifs remontait en effet à la Constitution apostolique Sponsa Christi de Pie XII, et à l’Instruction Inter Praeclara pour les congrégations religieuses de 1950. Pour la clôture papale, les normes actuellement en vigueur, d’une importance majeure pour les monastères concernés, ont été données en 1999 dans l’Instruction Verbi Sponsa. D’autre part, on peut supposer que le Vatican se préoccupe d’un certain rétrécissement dans des communautés vieillissantes en Europe et en Amérique du Nord, tandis qu’il est attentif à « l’implantation » de la vie contemplative dans les jeunes Églises, en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Destinataires
La Constitution apostolique est adressée aux monastères de sœurs contemplatives, qu’ils soient intégralement ordonnés à la contemplation ou non, qu’ils soient fédérés ou non. Ainsi, ce document est adressé à plus de 43 000 religieuses réparties dans le monde entier. À considérer les sœurs qui vivent selon la règle de saint Benoît, on dénombre 6 627 bénédictines, 1 158 cisterciennes de commune observance et 1 464 cisterciennes de la stricte observance ou trappistines. Ces chiffres sont ceux de l’annuaire pontifical de 2016.
Dans la Constitution apostolique, les termes « vie contemplative » et « vie monastique » sont utilisés indifféremment pour les ordres féminins. Une distinction est faite entre la « vie contemplative » qui permet une certaine forme d’apostolat (l’accueil dans une hôtellerie monastique par exemple), et une « vie purement contemplative », c’est-à-dire une forme de vie excluant absolument tout ministère apostolique. Les différents charismes dans lesquels « l’esprit contemplatif » s’est développé au cours des siècles sont toutefois mentionnés ; ils devront être considérés dans la future législation, mais cela n’a aucune influence sur les principes fondamentaux. C’est une véritable lacune dont se plaignent depuis des décennies les monastères vivant selon la tradition bénédictine. Le « charisme monastique », partagé par des hommes et des femmes qui vivent selon la même règle de saint Benoît, est encore trop souvent différemment borné, selon les dispositions canoniques arrêtées pour les femmes et pour les hommes. L’ordre cistercien de la stricte observance est précisément l’exemple attestant qu’il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi.
Questionnaire
En préparation de Vultum Dei quaerere, le Vatican avait envoyé un questionnaire à un grand nombre de monastères contemplatifs féminins, à propos d’autonomie, de formation et de clôture. Cela correspond tout à fait à la manière de prendre des décisions, de préparer des synodes ou même des documents sous le pontificat du pape François. On y reconnaît l’effort visant à obtenir un vaste éventail d’opinions émanant des personnes concernées. Le document est ensuite rédigé par un petit groupe de personnes dont l’identité n’est pas divulguée. Ce texte est présenté au Pape qui se l’approprie avant de le signer et de le publier. Il serait bien sûr intéressant de connaître les différentes réponses au questionnaire, mais cette publication n’est malheureusement pas prévue. La personnalité du pape actuel se reconnaît aussi à un autre point : à chaque fois qu’on fait référence à la vie contemplative, il est signifié que la vie des moniales contemplatives a un impact sur le monde extérieur et qu’elles doivent s’en préoccuper. Par exemple, dans la prière, la lectio ou le travail, il ne s’agit pas d’être replié sur soi, mais au contraire d’inclure toujours le monde entier, les gens avec leurs soucis, leurs détresses, et de s’en rendre solidaire. L’Église que le pape François appelle de ses vœux est une Église qui se porte au devant des gens – et cela vaut pour tous ses membres.
Le contenu
Vultum Dei quaerere est construit en deux parties : une première partie doctrinale, descriptive, déclinant sur trois paragraphes l’essentiel sur la vie des ordres féminins contemplatifs ; viennent ensuite les normes proprement dites, énoncées dans le quatrième et dernier paragraphe. Au milieu se trouvent les douze points, aux numéros 12 à 35, qui – comme l’indique le titre de la deuxième partie – nécessitent « discernement et révision ». La Constitution apostolique leur attribue ainsi une place centrale pour que la vie contemplative puisse s’adapter à l’avenir des communautés. Les douze thèmes sont : 1) la formation, 2) la prière, 3) la place centrale de la Parole de Dieu (lectio divina), 4) les sacrements de l’eucharistie et de la réconciliation, 5) la vie fraternelle en communauté, 6) l’autonomie des monastères, 7) les fédérations, 8) la clôture, 9) le travail, 10) le silence, 11) les moyens de communication, 12) l’ascèse. Excepté le numéro 11, chacun de ces sujets est repris dans les dispositions finales.
Si les communautés vivant selon la règle de saint Benoît analysent ces sujets et la manière dont ils sont présentés, elles trouveront beaucoup d’éléments déjà vécus en leur sein, appartenant de fait fondamentalement à leur spiritualité :
– La prière comme un « label » de vie, avec le précepte de saint Benoît : rien ne doit être préféré à l’office divin (RB 43, 3) ;
– la Parole de Dieu, centrale, avec le précepte de saint Benoît : écouter volontiers les saintes Lectures (RB 4, 55) ;
– la vie commune en communauté, avec le principe : « Honorer les anciens, aimer les jeunes » (RB 63, 10) ;
– l’importance du travail comme contribution à la création de Dieu, et la recherche du juste équilibre entre Ora et Labora ;
– le silence, pour faire place à l’écoute et à la ruminatio de la Parole de Dieu ;
– l’ascèse, qui se manifeste déjà (mais pas seulement) dans une vie rattachée à un lieu et/ou à une communauté, donc signe de fidélité dans notre monde globalisé ;
– l’eucharistie comme le sacrement de la rencontre avec la personne de Jésus et la participation au Mystère pascal de mort et de résurrection du Christ, et le sacrement de réconciliation comme l’expérience du Père miséricordieux et pardonnant dont il faut transmettre la miséricorde.
La Constitution apostolique peut et doit offrir l’opportunité de relever le défi, pour nous pencher sur nos pratiques respectives (Vultum Dei quaerere invite en plusieurs endroits à examiner nos manières de faire quotidiennes). Nous sommes invitées à nous demander si ces exercices ont vraiment une place centrale dans notre vie, s’ils sont menés de manière à permettre une véritable rencontre avec le Seigneur, et s’ils nous permettent d’échapper au danger de nous occuper uniquement de nous-mêmes, en laissant les autres gens, le monde extérieur au-dehors. Les prières d’intercession, le partage de la Parole de Dieu avec des hôtes (prêtres, religieux, laïcs) et le travail, en solidarité avec tous ceux qui doivent travailler pour subvenir à leurs dépenses quotidiennes, sont présentés comme autant de moyens de nous empêcher de rester rivées sur nous-mêmes. Les « temps opportuns d’adoration eucharistique » requis devraient néanmoins être nuancés selon les différentes traditions ; l’accueil des fidèles des environs est toutefois précisé à bon escient. En outre, un paragraphe original, intelligent et sage sur les moyens de communication modernes est formulé, sans qu’une norme s’ensuive.
Les quatre sujets présentés par Vultum Dei quaerere : formation, autonomie, fédérations et clôture, sont certainement les plus importants quant aux conséquences (juridiques) ; il convient donc de présenter les normes correspondantes plus en détail.
Autonomie
En ce qui concerne l’autonomie, principe bien traditionnel, considéré comme le moyen de protéger et de soutenir la vie contemplative, il est stipulé : à l’autonomie juridique doit correspondre une réelle autonomie de vie (Art. 8 § 1). Les critères suivants sont établis :
– un nombre (minimum) de sœurs, pourvu que la majeure partie ne soit pas d’âge trop avancé ;
– la vitalité nécessaire dans le vécu et la transmission du charisme ;
– une réelle capacité de formation et de gouvernement ;
– la dignité et la qualité de la vie liturgique, fraternelle et spirituelle ;
– la pertinence et l’insertion dans l’Église locale ;
– l’assurance de pouvoir subvenir à ses besoins ;
– les bâtiments du monastère doivent être adaptés.
Si les exigences ne sont pas remplies (il convient de les évaluer dans leur intégralité et ensemble), en vertu de l’article 8 § 2, le Vatican (c’est-à-dire ici à chaque fois la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique) devra étudier l’opportunité de constituer une Commission ad hoc ayant pour but soit de mettre en route un processus d’accompagnement pour une revitalisation du monastère, soit pour introduire, lancer le processus de la fermeture de la communauté. Cette Commission ad hoc réunit l’Ordinaire du lieu (l’évêque ou le supérieur immédiat [= le supérieur de la branche masculine de l’Ordre]), la présidente de la fédération, « l’assistant fédéral » et l’abbesse ou la prieure dudit monastère. Est également prévu, en vertu de l’article 8 § 3, l’alternative d’une affiliation à un autre monastère, ou, dans le cas d’un monastère fédéré, le rattachement direct du monastère à la présidente de la fédération avec son Conseil. Dans tous les cas, la décision ultime revient au Vatican.
L’ensemble des critères ici présentés pour définir une « réelle autonomie de vie » est sans aucun doute un instrument utile et performant pour les communautés elles-mêmes, et pour les personnes qui s’interrogent, de l’extérieur, sur leur viabilité dans le temps. La Commission ad hoc à constituer oblige un certain groupe de personnes à prendre en charge une communauté qui ne peut plus s’en sortir seule, ou qui est dépassée par sa situation. L’abbesse ou la prieure de la communauté est membre de cette Commission. Toutefois, la Commission ad hoc présuppose que le monastère appartient à une fédération. Qu’en est-il pour les communautés qui n’appartiennent encore à aucune fédération et qui ne remplissent plus les conditions d’une véritable autonomie de vie ? Et qui représentera la communauté au sein de la Commission, si personne n’est plus en mesure de rendre le service de direction ?
Fédérations
Les fédérations, qui étaient jusqu’à présent des associations libres de monastères juridiquement indépendants, sont régies désormais par la présente Constitution apostolique (article 9 § 1) ; des exceptions seront accordées uniquement sous certaines conditions. L’article 2 de l’article 9 prévoit que les fédérations ne seront plus – comme avant – établies en raison d’une proximité géographique, mais aussi en fonction d’une certaine proximité d’esprit et de traditions. L’article 9 § 3 prévoit que les fédérations seront structurées de manière que les objectifs précédemment cités (entraide dans la formation, échange de moniales, partage de biens matériels) soient facilités. Il faudra en outre établir les compétences de la présidente et du Conseil de la fédération. Pour finir, l’article 9 § 4 stipule qu’on favorisera une association ou des liens, également de nature juridique, avec l’ordre masculin correspondant ; toutefois, pour bien comprendre la mesure de cette assertion, de plus amples explicitations seront nécessaires. De plus, des confédérations et la constitution de Commissions internationales des différents Ordres seront à promouvoir.
Comment former ces fédérations et quelles compétences juridiques aura la présidente de la fédération ? Nous le saurons seulement lors de la publication de l’Instruction de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique. Ce qui est certain à ce jour est ceci :
1) Les fédérations existantes à ce jour doivent réajuster leurs statuts.
2) Les monastères qui ne sont pas fédérés à ce jour ont diverses possibilités :
– Plusieurs monastères peuvent se réunir pour former une nouvelle fédération ou bien une congrégation monastique [1] ;
– un monastère peut adhérer à une fédération ;
– un monastère peut adhérer à l’une des rares congrégations monastiques féminines existantes [2] ;
– un monastère peut adhérer à un autre monastère ou à un groupe de monastères masculins, de sorte que le supérieur de ces monastères devienne supérieur général, selon le canon 620 CIC.
Du point de vue des monastères vivant selon la règle de saint Benoît, de nombreux monastères de bénédictines sont concernés et devront promouvoir des changements. Chez les cisterciennes et les trappistines, ce lien est en général déjà bien instauré.
Formation
Vultum Dei quaerere distingue trois types de formation : la formation initiale, la formation permanente, et la formation des formatrices. Ces trois types de formation sont soulignés comme essentiels, tant au niveau de la qualité que de la quantité. Relevons juste un point qui suscite des irritations : l’article 3 § 5 de la conclusion dispositive prévoit de réserver « beaucoup de temps » à la formation ; dans la partie introductive, au numéro 15, il était notifié : « Étant bien entendu que, pour la formation initiale et celle après la profession temporaire, on doit ménager un laps de temps suffisamment long, autant que possible non inférieur à neuf ans ni supérieur à douze ans ». Dans une perspective européenne occidentale, cela semble difficile, compte-tenu de l’âge des candidates à leur entrée au monastère, de leur formation antécédente et de leur expérience de la vie. En revanche, dans les pays où les possibilités de formation, en particulier pour les jeunes filles et les femmes, sont restreintes, et là où la formation commence dès avant le postulat par l’achèvement des études secondaires, on a vite fait de compter neuf à douze ans de formation jusqu’à la profession perpétuelle. Dans les différents commentaires sur Vultum Dei quaerere, on a souligné que le pape François est jésuite ; par conséquent, ce nombre d’années reste à expliciter. Dans les normes, comme nous l’avons relevé, le nombre d’années n’est pas fixé. D’un point de vue occidental et européen, une note sérieuse du législateur mérite de retenir l’attention, à l’article 3 § 6 : d’une part le législateur souligne avec satisfaction la constitution de communautés internationales et multiculturelles, mais d’autre part il signale : « On doit absolument éviter le recrutement de candidates venant d’autres pays dans le seul but de préserver la survie du monastère ».
La clôture
Remarquons déjà avec satisfaction que, pour la vie des moniales contemplatives, la valeur de la clôture a été synthétisée de manière brève et succincte, franchement agréable, avec sobriété. Elle est reconnue comme l’expression particulière de la séparation du monde pour celles qui suivent le Christ dans la vie religieuse. La clôture est – c’est une citation de l’Exhortation apostolique postsynodale Vita consecrata – « signe de l’union exclusive de l’Église épouse avec son Seigneur suprêmement aimé » (Vita consecrata, no 59). Il est précisé également que la clôture doit être considérée comme un atout et non un obstacle à la communion, lorsque, au sein d’un même Ordre, sont vécues différentes formes de clôture.
Vultum Dei quaerere donne ensuite une modification importante par rapport aux réglementations précédentes sur la clôture (can. 667 CIC). Outre la clôture générale commune à tous les instituts religieux, trois différents types de clôture sont prévus pour les communautés de vie contemplative, à savoir :
– la clôture papale qui, « selon les règles données par le Siège Apostolique exclut des engagements extérieurs d’apostolat » ;
– la clôture constitutionnelle définie par les normes des Constitutions propres ;
– la clôture monastique, qui, d’une part, conserve le caractère d’une discipline plus stricte, et permet d’autre part d’associer à la fonction première du culte divin des formes plus larges d’accueil et d’hospitalité. Puisque cette clôture est aussi « selon les Constitutions propres », il s’agit bien ici juridiquement d’une forme spéciale de clôture constitutionnelle.
L’article 10 de la conclusion dispositive décrète désormais que chaque monastère a la possibilité, après un sérieux discernement et en respectant sa tradition propre et ce qu’exigent les Constitutions, de choisir la forme de clôture qu’il veut adopter. S’il choisit une forme différente de celle qu’il avait auparavant, il devra en demander l’autorisation au Saint-Siège. Ainsi, les communautés estimant que leur forme actuelle de clôture n’est plus en adéquation avec la réalité de leur vie et/ou de leurs tâches pourront en adopter une autre. Si tel n’est pas le cas, il n’y a aucune raison de changer.
Conclusion
Vultum Dei quaerere aura donc un impact sur différents secteurs de la vie des communautés contemplatives féminines. C’est peut-être à la fois une exigence et une opportunité à saisir pour rendre témoignage à la « quête du visage de Dieu », ici et maintenant, en tant que communautés féminines vivant selon la règle de saint Benoît.
[1] À vrai dire, la Constitution apostolique ne le mentionne pas, mais comme le Vatican a vivement encouragé ces dernières années la formation de congrégations monastiques et la transformation des fédérations en congrégations, on peut penser que cette possibilité sera offerte.
[2] Sont connues de l’auteur pour l’ordre bénédictin quatre Congrégations, à savoir : la congrégation Regina Apostolorum, la congrégation polonaise Immaculatae Conceptionis BMV, la congrégation Vita et Pax et la congrégation Domino Nostrae a Calvario.