Franco Lever et Fabio Pasqualetti,
Salésiens de Dom Bosco,
professeurs à la faculté des sciences de la communication sociale
de l’université pontificale salésienne (Rome)


Médias, internet, communication... et le silence du trappiste

 


LeverPasqualettiRépondant à une invitation du Chapitre général ocso, les auteurs de cette conférence dressent un état des lieux concernant les rapports entre internet et la vie monastique. Dans une première partie que nous ne reproduisons pas ici, ils présentaient le développement d’internet en général. Dans les pages qui suivent, ils montrent les liens plus spécifiques qui existent entre ce moyen de communication, l’Église et tout particulièrement les communautés monastiques.

 

Le sujet dont traite cette intervention est un véritable défi ; les questions qui nous ont été posées portent sur des thèmes qui sont en partie inexplorés. Nous ne nous présentons pas avec des solutions pour ainsi dire « clés en main » ; mais nous allons tenter de collaborer avec le travail des moines et des moniales pour identifier des lignes directrices pour l’utilisation du réseau internet.

 

Comment être présents ?

Nous aimerions souligner quelles « opportunités » offre internet et ce que l’on a besoin de connaître pour en faire un bon usage. Le professeur Knut Lundby déclare que la présence de l’Église sur le réseau internet ne constitue pas un événement extraordinaire. Il dit que « la communication par internet fait à présent partie de la vie quotidienne »[1], et il indique trois caractéristiques qui sont pour l’Église les plus significatives car liées au style utilisé par Jésus dans sa mission : «... La mission sur les traces de Jésus signifie aujourd’hui le dialogue, le partage, et la présence »[2].

La connectivité comme dialogue : la possibilité de contacts stables, de liens entre les personnes (« bien que d’importantes parties du monde ne soient pas encore connectées ») ;
le partage culturel : le partage et la collaboration (« C’est facile, et sur le Net vous êtes encouragés à partager des idées »[3]) ;
l’immédiateté comme présence : le contact peut être direct, en continuité avec ceux réalisés dans la vie « réelle » (« Vous pouvez interagir avec les autres comme si vous étiez l’un à côté de l’autre »).

Ces trois caractéristiques – le dialogue, le partage, et la présence – se retrouvent aussi dans les instructions proposées par la Conférence des Évêques des États-Unis dans son document de 2014 : « Lignes directrices pour les médias sociaux »[4], avec la mention d’une recommandation très importante pour une présence effective sur le réseau, la responsabilité.

Les différentes formes de présence sur le Net offrent à l’Église une visibilité (« Ils offrent d’excellents forums pour la visibilité de l’Église et l’évangélisation »), des moyens efficaces pour bâtir et soutenir la communauté (« Des outils puissants pour renforcer la communauté » : « en reliant les gens qui ont des intérêts similaires, en partageant des informations sur les événements réels, en fournissant des moyens pour que les personnes puissent s’engager dans un dialogue, etc. »).

Afin de garantir l’efficacité de sa présence, l’Église doit cependant se positionner comme un point de référence fiable, qui assume la responsabilité de ses actions : « L’appartenance à des communautés exige aussi le devoir de rendre des comptes et le principe de responsabilité... “L’explosion” de la masse d’informations disponibles pour les utilisateurs des médias sociaux a fait que, souvent, ils n’utilisent que des informations à partir de sites de confiance ou recommandés par ceux en qui ils ont confiance ».

Formes de présence

L’Église peut jouer des différentes manières d’être présent sur internet : sites web institutionnels ; sites spécifiques : consultation des documents officiels, musique religieuse, liturgie, prière, conseil, information religieuse, etc. ; les blogs, les réseaux sociaux ; les plates-formes sociales comme Youtube, Facebook, Twitter, Godtube et bien d’autres.
Pour avoir visité les sites web d’un grand nombre de monastères, il semble que les communautés aient choisi le modèle institutionnel pour présenter leur vie et leurs activités. Il était impossible de les consulter tous, mais parmi ceux que nous avons vus, il y en a beaucoup d’intéressants et quelques-uns sont même excellents[5].

 

Impact des outils numériques dans l’apprentissage

Sur cette question, il y a un large débat en cours et on ne peut pas fournir de lignes d’interprétation que nous pourrions dire convaincantes et définitives. Nous vous présentons les points de vue de trois auteurs, les deux premiers sont plutôt négatifs (gardez à l’esprit qu’ils répondent à une croyance largement répandue qu’internet va démultiplier la capacité de connaissance de ceux qui utilisent le Net), tandis que le troisième montre la façon de naviguer pour tirer le meilleur profit d’internet.

Manfred Spitzer[6] :

« Les médias numériques permettent de diminuer l’utilisation du cerveau et, par conséquent, réduit les progrès. Chez les jeunes, les médias empêchent également le développement du cerveau, la performance mentale reste bien inférieure à la moyenne depuis le début. Cela concerne non seulement notre façon de penser, mais aussi notre force de volonté, nos sentiments, et surtout, notre comportement en société. »[7]

Le souci de Spitzer concerne principalement les enfants d’âge préscolaire, parce que – dit-il – à ce stade de la vie, l’apprentissage direct, sans la médiation d’écrans, est beaucoup plus efficace pour la croissance du cerveau et la compréhension du monde qui les entoure.

Nicholas Carr dans son livre The shallows: what the Internet is doing to our Brains? (trad. : « Les bas-fonds : qu’est-ce qu’internet est en train de faire de nos cerveaux ? ») présente internet comme un problème en soi parce que nous sommes confrontés non pas à un texte mais à un hypertexte. Pendant longtemps, on a pensé que l’ensemble de ce phénomène multimédias allait enrichir nos connaissances et développer une approche élargie pour les études. Les recherches effectuées démentent cette hypothèse, montrant qu’une surcharge d’apprentissage sur des multimédias fatigue les facultés cognitives, du fait que le cerveau est constamment sollicité par des changements d’activités rapides, empêchant ainsi la concentration et affaiblissant la compréhension[8].

Howard Rheingold[9] dans son livre Mind Amplifier : Can our digital tools make us smarter? (trad. : « Agrandir le cerveau : nos outils numériques peuvent-ils nous rendre plus intelligents ? ») exprime un désaccord substantiel avec les auteurs précédents car il est convaincu que tout dépend d’un usage responsable ou non d’internet ; il fait dans son ouvrage une analyse globale du concept de « responsabilité ». C’est là une proposition substantielle qui met l’accent sur l’engagement éducatif : l’éducation à la responsabilité n’est pas une tâche facile, surtout quand le climat culturel général promeut d’autres valeurs qui sont plutôt hédonistes et individualistes[10].

 

Être aujourd’hui des communicateurs conscients

En proclamant la Parole, on ne peut échapper à la complexité et l’ambiguïté de l’acte de communication[11]. Il s’agit d’un acte complexe, puisque la réalité, la vie et l’expérience de chacun de nous se traduisent toujours dans sa capacité à interpréter, faire la synthèse, et à la représenter symboliquement par des mots. Et c’est là un acte qui est potentiellement ambigu, parce que dans l’échange communicationnel il y a toujours un autre acteur qui déchiffre à sa manière ce qu’il a reçu, parce qu’il ou elle ne peut le faire qu’à partir de sa propre expérience et de ses précompréhensions.

EcranDans le cas de la communication de la part d’un Ordre ou d’une Congrégation, il faudrait garder à l’esprit que ce n’est jamais l’acte d’un individu, ni un acte isolé ; c’est un acte de communauté. Notre communication est comprise et vérifiée par des partenaires potentiels, sur la base du témoignage de la communauté, de la qualité de sa prière, de l’engagement à accueillir les plus pauvres et les plus faibles, de son niveau de vie, de l’architecture de sa maison (sensibilité à l’écologie, attention à la consommation d’énergie, choix technologiques). Tout parle de nous, et pas seulement nos mots.

Nous ne devons pas oublier que nous vivons dans une société et une culture qui n’est pas spécialement chrétienne. Par conséquent, le message de l’Évangile sera toujours à contre-courant. En examinant avec soin le contexte actuel de notre communication, on comprend que tous les moyens mis à disposition par le développement et la science ont trouvé leur usage le plus courant en conformité avec les lignes de conduites édictées par les pouvoirs qui font autorité, sur la base du modèle néolibéral. Le communisme a abdiqué en raison de la faillite patente de son projet économique et humain. Après cela, beaucoup et beaucoup trop de personnes ont afflué pour se joindre à la cause de l’autre bord, comme si la proposition capitaliste pouvait réellement offrir le salut à l’humanité. À quoi ressemble notre communication, la communication chrétienne, dans ce contexte ? Ici il semble que nous voyons deux options :

– il y a ceux d’entre nous qui remarquent l’énorme potentiel que les technologies nouvelles peuvent offrir à l’Église pour sa communication et qui les utilisent sans aucun doute au meilleur de leur capacité, avec les outils disponibles, sans se poser plus de questions.

– Au contraire, certains perçoivent l’ambiguïté de la situation actuelle : les technologies de la communication aujourd’hui relèvent d’un fonctionnement associé à un projet humain dans lequel la communauté chrétienne ne peut pas se reconnaître. Pour cette raison, ils considèrent qu’il faudrait donner la priorité à une posture critique de témoignage, de manière à pouvoir promouvoir un autre modèle d’existence humaine. Dans la vie réelle, nous devons témoigner que l’on peut expérimenter des formes authentiques de communication là où l’on est, dans la vie de tous les jours, avec la conviction que :

– aucune technologie ne remplace la rencontre directe et personnelle ;
– si je construis une relation vraie, la technologie s’avère très utile pour la proposition chrétienne ;
– mais si je ne construis pas ce genre de relations, tout est simplement une illusion.

Dans cette optique, nous devons faire un choix : notre investissement le plus important devrait concerner les formes de communication directe qui reconnaissent dans l’interlocuteur un ami, un frère. Tout investissement autre sera alors pleinement justifié, s’il sert à mieux réaliser ce but.

 

Éléments de discernement pour établir des lignes de conduite

1) De quelle manière les nouveaux médias influencent-ils et façonnent-ils la personne dans ses relations interpersonnelles ?

1.a Communication directe versus communication par médias

ClaviersLa communication interpersonnelle – lorsqu’elle se fait directement, en présence les uns des autres – est riche, complexe, pluri-sensorielle, multimédia, et elle est située dans un temps et un espace donnés, partagés par les deux personnes qui communiquent. Les personnes impliquées ont la possibilité de vérifier la consistance des propos à travers les gestes, l’expression du visage et le contexte. Le pouvoir de contrôle est a priori le même pour les deux parties en présence. Toute action de l’un ou l’autre est susceptible d’un contrôle réciproque.

La communication par médias interposés : elle peut être synchronique (au téléphone) ou non synchronique (lettre, email). Puisqu’il y a un média, elle est plus facile à gérer. Elle ne peut utiliser que la voix (téléphone), la messagerie (sms), l’écriture rapide (email), l’image et le son (vidéo-conférence), etc. L’expéditeur exerce un contrôle sur le langage utilisé. Comme il ne s’agit pas d’une communication en vis-à-vis, elle n’a pas la complexité d’une communication interpersonnelle. Par exemple : si « je dois » dire un mensonge, le support le plus approprié est un message texte ou un email ou une note tapée à la machine ; le téléphone est moins recommandé et la communication directe est encore plus compliquée (excepté pour les personnes qui maîtrisent l’art de feindre, mais pas pour trop longtemps !).
Remarque au point de vue psychologique : dès lors que l’on a perçu la différence entre les deux types de communications, il est compréhensible que certaines personnes développent une tendance à préférer une communication médiatisée plutôt qu’une communication interpersonnelle.

1.b L’attirance pour les médias numériques et internet

Il existe des technologies qui nous donnent la capacité d’accomplir diverses actions, quel que soit le lieu où l’on se trouve et le temps réel dans lequel on opère.
Grâce à la numérisation des langages de communication et la disponibilité d’appareils qui sont en mesure de les décoder, nous sommes capables d’accomplir une vaste série de tâches complexes. Nous pouvons écrire, lire, écouter de la musique, regarder des films ou la télévision, lire des livres, parcourir les journaux, visiter un musée ou une église, suivre une célébration, prier notre bréviaire seul ou participer à une prière en groupes, parcourir un blog, ouvrir un profil sur un réseau social, accéder à des archives ou des banques de données, faire des achats, chercher un emploi ou travailler, faire du commerce en ligne, faire des opérations bancaires, prendre des photos, réaliser de petits films, avoir une surveillance de notre maison depuis notre lieu de travail et encore bien d’autres choses…
En réalité nous pouvons faire des choses qui auparavant exigeaient de se déplacer ou d’être présent physiquement, alors qu’aujourd’hui, nous pouvons le faire simplement en allumant notre smartphone. Cela nous procure un sentiment de puissance.

1.c Les médias peuvent générer des dépendances

Une des formes les plus communes est appelée le « syndrome F5 » ou encore « boulimie de nouveauté ». La touche de clavier F5 est utilisée pour demander à l’ordinateur d’actualiser les pages que vous êtes en train de consulter ; nous parlons du « syndrome F5 » pour désigner l’état d’esprit de ceux qui vivent toujours dans l’angoisse de ne pas être « à la page », ou de ne pas être capables de recevoir les toutes dernières nouvelles.
D’autres formes sont : la peur d’être déconnecté, l’insécurité ressentie en se rendant dans un lieu quelconque sans le gadget qui permettra de rester connecté ; l’incapacité à développer un jugement critique par excès du flot d’information, une sorte de stupeur liée à l’hyper-information ; une dépendance excessive du jugement des autres (sur les réseaux sociaux nous avons eu des cas extrêmes de suicides d’adolescents).

1.d Les médias peuvent favoriser la qualité

La nature d’internet permet également :

– le partage de pensées, idées, opinions, documents, expériences ;
– un travail de groupe ou collectif sur un sujet entre des personnes différentes qu’il serait impossible de rassembler à moins de voyager ;
– comme le temps et l’espace sont comprimés, les personnes peuvent se rassembler de toutes les parties du monde. Il n’y a plus de centre ni de périphéries ;
– l’engagement social, la solidarité, la prise de conscience ;
– la collaboration artistique.

 

2) Les médias et la communication dans les communautés religieuses

Dans une communauté religieuse, la qualité de la communication interpersonnelle dépend de l’existence ou non de relations profondes, de l’attention mutuelle, du respect et de l’amitié. Il doit y avoir un lien fort entre les personnes, un lien qui provient du partage d’idéaux, du fait de vivre ensemble, du travail commun, de la prière commune… qui permet de savoir comment dire les choses.

– Si la communication interpersonnelle est de ce genre, la communication via les médias aide à entretenir les relations, à les renforcer, à les enrichir. Malgré la distance en termes de temps ou d’espace.

– Si la qualité de la communication interpersonnelle fait défaut, la communication via les médias va prolonger ou accentuer la séparation et la méfiance entre les personnes. Ils seront connectés mais distants, souvent plus agressifs ou durs que dans une relation directe. Un simple exemple : le frère dans la chambre voisine qui m’envoie des emails disant qu’il veut m’emprunter un livre – cela n’a pas de sens : vous vous levez, et vous allez frapper à la porte.

 

3) Quels sont les effets des médias numériques sur l’esprit humain ?

Les effets seront proportionnels à la richesse de l’esprit de la personne.
Une personne de grande richesse intérieure est capable de faire des choix, de savoir maintenir une discipline dans le temps qu’elle consacre à ces médias. Sa richesse et son bonheur dans la vie constituent un antidote important à l’addiction. Cela ne signifie pas qu’une personne de ce type soit totalement libre à l’égard de la fascination technologique, mais elle aura une plus grande marge d’autonomie.

mediaUne personne spirituellement plus pauvre ou qui connaît une frustration ou du mécontentement aura tendance à être fascinée par la technologie numérique et internet, peut-être parce que le réseau offre des sollicitations plus attrayantes et exotiques ; la technique est « capable » de calmer et remplir un vide existentiel. Cependant ces « substituts » ne résolvent pas le problème réel et finalement les personnes succombent à une forme d’addiction aux technologies numériques.

Lorsqu’un religieux a tendance à abuser de la nourriture, de l’alcool, des médias ou d’autres choses comme le travail, c’est qu’il cherche une compensation, c’est un signe que quelque chose chez lui réclame une attention, qu’il doit être accompagné de manière plus attentive.

La richesse intérieure est le résultat d’un chemin personnel. Dans le cas d’une vocation religieuse, la capacité de s’ancrer dans le charisme de l’Ordre auquel on appartient est très importante.
Ce charisme doit être renouvelé en tenant compte des signes des temps et en étant capable de les lire. Cela signifie une compréhension de la réalité de la société dans laquelle nous sommes immergés, et des valeurs que cette culture dominante définit comme prioritaires. Aujourd’hui la culture dominante a ses propres valeurs : richesse, pouvoir, succès, santé, mobilité, amusement, reconnaissance sociale. Les médias ont toujours été au service des forces dominantes au pouvoir.

Les médias numériques offrent un espace à la liberté et à la créativité plus que les médias traditionnels et ainsi ils offrent un espace pour agir même contre les forces qui ne partagent pas les valeurs dominantes. Ils peuvent fournir des espaces pour un enrichissement spirituel, intérieur, pour ceux qui ont la « volonté » et la « capacité » de ne pas céder aux sirènes des premières sollicitations qu’offre internet.
Le réseau fournit de quoi alimenter toutes les perversions mais aussi toutes les vertus. Pour cette raison, la formation, l’éducation et la maîtrise de soi sont essentielles.

 

4) Comment les médias influencent-ils les jeunes ?

Les plus jeunes, qui sont nés et ont grandi dans un environnement culturel dominé par les valeurs du pouvoir et de l’argent, ont pour modèles ce que la culture a à leur offrir, souvent sans bénéficier de la protection des divers acteurs éducatifs en crises (famille, école, Église…).

Dans la culture occidentale qui cherche toujours le profit économique, tout vieillit très vite, appelant à un renouvellement permanent comme une nécessité. Nous sommes soumis à l’urgence d’innover, de changer, d’accélérer, de faire un tournant, etc., cela conduit les jeunes à aspirer toujours au dernier modèle, à développer une attitude de consommation de toutes choses, une tendance qui se transpose facilement dans la relation aux personnes, aux traditions, aux valeurs, à la mémoire du passé, etc., ce qui est « nouveau » est perçu comme plus précieux, meilleur, simplement parce que c’est « nouveau ».
Les jeunes ne sont pas meilleurs ni moins bons que ceux qui les ont précédés. Même si vous vivez et si vous respirez l’air de la culture ambiante, cela ne signifie pas que vous soyez insensibles à d’autres valeurs.

La complexité de la société, le manque de dimension communautaire, la brisure des relations familiales, la pression du culte de l’image, l’idée que le bonheur consiste à posséder des choses, etc., apportent déception et amertume parmi les jeunes générations.

Les jeunes utilisent les médias comme un système de survie interposé, comme une sorte de bouclier, par rapport au moment où ils sont en contact avec la réalité, comme à distance de sécurité. Si c’est bien ainsi qu’ils le perçoivent, pourtant, beaucoup sont victimes d’escroqueries.
Cependant, ils courent le risque de croire que tout dans la vie est accessible au bout d’un « clic » sur une souris ou comme une touche sur un écran, que tout semble facile.
Internet permet un contact anonyme durant l’adolescence, et c’est là une stratégie pour se donner un aperçu de la réalité environnante.

 

5) Comment former à la vie monastique des personnes qui viennent du « monde numérique » ?

On pourrait poser la question différemment : qu’est-ce que nous avons d’intéressant à offrir dans la vie monastique qui puisse éveiller le désir chez un jeune d’embrasser cette vie ?
En termes de marketing (technique commerciale) on pourrait demander : quelle est la proposition décisive qui fait qu’une personne abandonne un vieux système pour un nouveau ?
En termes plus évangéliques la question serait : où est la « perle précieuse » pour laquelle un jeune donnerait tout ce qu’il a afin de la trouver ? Vu sous cet angle, la qualité de la vie humaine et religieuse de la communauté joue un rôle crucial.

Toute aventure implique un cheminement et le cheminement est plein de surprises. C’est pour cela que faire l’ascension de l’Everest ne s’improvise pas. Pour être capable de changer de mode de vie, il doit y avoir des moyens, des exercices qui aident à faire la transition. Le problème fondamental est la décolonisation / la vidange de l’imagination du jeune qui a respiré, vécu selon cette idée que, sans un certain nombre de choses, on ne peut être heureux.

Un jeune, qui a grandi avec l’idée que, sans ses gadgets (smartphone ou tablette ou ordinateur…) et sans être connecté au réseau internet on ne peut pas vivre, devra s’engager dans une démarche qui lui permette de donner sens à sa vie ici et maintenant, pour lui et avec les personnes qui l’entourent, sans cet usage continu des technologies numériques. Il pourra se rendre compte qu’il est une créature parmi d’autres créatures, dans un monde qui est fascinant même pour Dieu. Il pourra apprendre à regarder avec un regard neuf, avec une attention nouvelle et se sentir vivant et heureux, même s’il ne dispose que des choses essentielles à la mission.

Les critères d’un usage sain des technologies numériques :

– Qu’est-ce que je fais ?
– Quels résultats je désire atteindre ?
– Quelles sont les conséquences de l’utilisation de ces technologies ?
– Est-ce que les mêmes résultats peuvent être atteints sans l’usage de ces technologies ?

 

6) L’internet et le silence

Dans le réseau, il n’y a pas de silence[12]. C’est un flux continu de tout et du reste. Il n’y a jamais d’interruption, excepté quand le signal disparaît par défectuosité d’un système.
L’éducation au silence  est aujourd’hui un vrai défi pour cette raison qu’il n’y pas de lieux de silence au niveau de la société. Les villes, les quartiers, les maisons sont constamment inondés par la pollution sonore. Le silence est quelque chose d’étranger à la vie des jeunes, ils ne savent pas ce qu’il signifie, ne le pratiquent pas. Souvent, ils créent leur propre espace (pour s’isoler des autres) en mettant sur leurs oreilles leur casque audio, ou en augmentant le volume sonore à « plein tube » ; ils aiment la musique écoutée à un volume assourdissant pour être plongés dans les vibrations et oublier, se perdre dans le rythme… Pour eux, le silence est quelque chose d’inédit.
Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient incapables de saisir quelque chose de nouveau, de comprendre sa valeur et de vouloir en faire l’expérience.

 

 

[1] Knut Lundby, Dreams of Church in cyberspace, 31.
[2] Knut Lundby, Dreams of Church in cyberspace, 34.
[3] Knut Lundby, Dreams of Church in cyberspace, 33.
[4] www.usccb.org/about/communications/social-media-guidelines.cfm (25/08/2014).
[5] Il est peut-être utile de garder en mémoire quelques points clés pour créer et gérer un site web.
– Tout d’abord du côté des visiteurs – ce qu’ils désirent voir : une formule de bienvenue : elle doit être brève, concise et utiliser un langage chargé d’empathie qui s’adresse directement à la personne qui entre sur le site.
– Utilisation d’images choisies pour leur fort impact : avoir quelque chose qui attire l’œil, vidéo, audio, photos…
– Énoncé de la mission : centré sur la foi – rappeler de qui il s’agit.
– Maintenir le site à jour : pas d’information périmée sur la page d’accueil.
– Le garder simple pour une bonne navigation.
– Ne pas utiliser de jargon.
– Un outil pour enseigner et des forums de discussion ou d’apprentissage.
– Élargir l’accueil virtuel en direction d’un accueil réel.
– Liens vers d’autres ressources catholiques.
– Inscription d’adresses email pour recevoir une circulaire de nouvelles ou des informations spéciales (newsletter, etc.).
– Créer quelque chose de différent.
Sources : http://www.churchwebsitedesign.org.uk/churchwebsites.html ; http://discawards.drupalgardens.com/content/2013-diocesan-achievement-award.
[6]Manfred Spitzer, diplômé en médecine et psychiatrie est un des chercheurs en neurosciences allemands les plus reconnus. Le livre cité ici est : Manfred Spitzer, Demenza digitale. Come la nuova tecnologie ci rende stupidi, Milano, Corbaccio, 2013, e-book. (Trad. : Démence digitale. Comment les nouvelles technologies nous rendent stupides.)
[7] Spitzer, Demenza digitale, posizione 4348.
[8] Cfr. N. Carr, Internet ci rende stupidi? Come la rete sta cambiando il nostro cervello (trad. : Internet rend-il stupide ? Comment les réseaux sont en train de modifier nos cerveaux), Milano, Raffaello Cortina, 2011, p. 158.
[9] Howard Rheingold, des États-Unis, est un critique littéraire et sociologue, qui étudie avec passion les technologies et les conséquences au niveau social, culturel et politique induites par les réseaux et la technologie numérique. Comme il le raconte, il a été happé par les réseaux en 1983 ; en vivant cette expérience il a cherché à comprendre les conséquences de ce nouveau modèle de vivre ensemble dans la société, au niveau culturel et politique, et il a forgé l’expression de communauté virtuelle. Il a assumé différentes fonctions et engagements, toujours dans le domaine de l’étude et de l’expérimentation lié aux nouvelles technologies. Son site internet est riche de documentations variées : http://rheingold.com/
[10] Cette problématique est affrontée dans l’article suivant : Fabio Pasqualetti, La rete e le tecnologie digitali. Potenzialità e sfide per l’educazione (trad. : Les réseaux et la technologie numérique, potentialité et défis), in Orientamenti Pedagogici, 61 (2014) 3, 557-583. L’auteur retient trois dimensions importantes à prendre en compte dans l’usage des instruments numériques : la connaissance des instruments, la connaissance du langage, la richesse culturelle de la personne.
[11] Franco Lever - Fabio Pasqualetti - Valentín A. Presern, Dai loro frutti li riconoscerete (Mt 7,15-16). Comunicazione, Coerenza, Azione (trad. : C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez [Mt 7,15-16]. Communication, Cohérence, Action), Roma, LAS 2011. (Texte en quatre langues : italien, anglais, français, espagnol ; disponible aussi sous la forme de e-book.)
[12] Franco Lever, Cos’è il silenzio?, in F. Lever – M. Mantovani (Edd.), Tra silenzio e parola. Percorsi di comunicazione, LAS, Roma 2013, 19-52.