L’avenir de nos monastères
Un point de vue africain / Nigeria

Père Peter Eghwrudjakpor, prieur d’Ewu-Ishan

 

Une lecture de la situation au Nigeria tel qu’elle apparaît aujourd’hui

Le champ nigérian est un terrain fertile pour les vocations religieuses et sacerdotales. Le phénomène est souvent décrit au Nigeria comme une « vocation Boom » qui dure depuis plusieurs dizaines d’années. Si l’image ne vaut sans doute pas pour tous les pays du continent africain, elle convient tout à fait au Nigeria.

Il y a quelque temps, un groupe semi-monastique est venu de l’étranger pour démarrer une communauté au Nigeria. À son arrivée, il y avait déjà cent-soixante candidats qui attendaient d’être interrogés dès le premier jour. Cela n’est ni exagéré ni vraiment rare.

Dans notre petite communauté à Ewu-Ishan, nous recevons en moyenne cent demandes d’entrée par an. Sur ce nombre, nous tentons de procéder à une sélection radicale puisque nous ne prenons que trois ou quatre candidats sur ce nombre. Les quatre-vingt seize autres devront tenter leur chance ailleurs !

 

Le phénomène « Vocation Boom »

Voici quelques-unes des raisons invoquées, parmi les plus populaires, pour expliquer ce phénomène du « boom des vocations » :

EwuIshanChapelle1. Les facteurs économiques : La pauvreté est l’une des raisons fréquemment invoquées pour justifier le taux élevé d’entrées dans la vie religieuse et sacerdotale au Nigeria. Ce point de vue est plus commun chez les visiteurs et les missionnaires occidentaux. On croit que cette poussée de la vie religieuse est motivée par l’instinct de survie qui se manifeste face au désir d’échapper à la pauvreté abjecte et endémique d’une grande partie du continent africain, ainsi qu’à la famine et à l’insécurité. Même si cela peut être très juste, il est vrai aussi que, aujourd’hui, un pourcentage très élevé de candidats à la vie religieuse ainsi qu’au sacerdoce provient de milieux cultivés. D’après les statistiques, le nombre de candidats issus de ces milieux considérés comme souffrant gravement de la pauvreté matérielle n’est pas aussi important qu’on pourrait l’imaginer.

Il faut noter ici que de nombreuses communautés religieuses, en particulier les communautés monastiques, souffrent elles-mêmes de pauvreté matérielle, quelquefois même en dessous du seuil minimal, luttant pour ne pas être victimes d’un manque important de moyens matériels ! Pourtant, ces communautés sont parmi les plus florissantes quant au nombre croissant de nouveaux candidats.

2. La vie religieuse est perçue comme une opportunité pour des études supérieures et une meilleure éducation, qui pourraient autrement ne pas être possible pour beaucoup. Au Nigeria, le niveau d’alphabétisation est très lié à l’impact qu’a eu la campagne d’alphabétisation du gouvernement. Le niveau d’éducation est en constante augmentation. On trouve souvent des jeunes hommes ou femmes qui font une demande d’entrée en vie religieuse alors qu’ils ont déjà un niveau d’enseignement supérieur et il y a quelques congrégations religieuses dont les exigences d’admission vont jusqu’à insister sur un acquis minimal d’études supérieures. Et ces communautés ne manquent pas de vocations. Peut-être que le chômage – qui jusqu’à présent n’était pas considéré comme un facteur de refuge dans les communautés religieuses – devrait aussi être considéré comme une éventuelle raison d’essor des vocations.

La plupart des monastères au Nigeria n’ont pas les moyens et ne peuvent donc pas prétendre à des études supérieures pour leurs membres. Bien sûr, les besoins de base doivent être satisfaits avant d’envisager un investissement dans l’éducation. Les besoins de base sont nombreux ; il s’ensuit qu’un programme systématique d’éducation/formation, laïque ou religieuse, pour les moines et les moniales fait souvent défaut. Il y a des cas où ce manque est spiritualisé et où l’éducation monastique est jugée comme une perte de temps ou tout simplement une distraction tout à fait vaine ou encore une tentation qui pourrait conduire à la perte des vocations. Malgré l’attitude négative qui prévaut au sujet de l’éducation, des jeunes hommes et femmes affluent encore dans nos monastères.

3. La vie religieuse est considérée comme une opportunité pour un meilleur niveau de vie que l’homme ou la femme de la rue. Certes, la plupart des monastères sont assurés de leur pain quotidien (manioc, igname ou riz), néanmoins, dans de nombreuses communautés du Nigeria, la vie est concrètement très rude ; de réelles difficultés prévalent, et le niveau de vie est terrible dans certains cas. Plusieurs monastères sont en dessous de la moyenne sociale, beaucoup sont au niveau de la base par rapport à la société dans son ensemble.

Et l’on trouve souvent des moniales accomplissant plus que ce qui serait raisonnable en matière de travail. Outre les lourdes tâches habituelles, elles vont parfois bien au-delà en faisant des travaux encore plus pénibles tels que mélanger le ciment, transporter de pesantes charges de mortier sur la tête, fendre des pierres et poser des briques. Pourtant, ceci ne dissuade pas les vocations.

4. La vie religieuse est considérée comme un statut et une forme de prestige dans une société qui valorise le niveau de représentativité et les réalisations plus que la personne. C’est particulièrement le cas pour le sacerdoce. Cependant pour la vie monastique c’est un peu différent car les familles n’attendent pas vraiment une contribution de la part de leurs membres devenu moine ou moniale. Malgré cela, le jeune n’en est pas moins attiré par la vie monastique.

EwuIshanMoineEn Afrique, comme ailleurs, les motivations pour la vie religieuse abondent et varient. Il serait trop simpliste cependant de les limiter à des facteurs socio-économiques ou même politiques. Il est important de considérer la quatrième dimension qui ne se rapporte pas facilement à nos perspectives régulières, et qui est parfois au-delà de l’empirique et du vérifiable. C’est la dimension mystérieuse que l’on trouve dans chaque véritable vocation, qui ne se manifeste pas toujours clairement au regard de nos investigations ; elle ne peut être exactement le produit de nos mathématiques spéculatives. Cela n’exclut pas que la religion, dans le contexte africain, est un remède efficace et un outil puissant pour affronter et dominer le monde maléfique et les esprits malveillants pouvant causer la malchance et empêcher le progrès et le succès.

Mais quoi qu’il en soit de ces positions, il reste certain que l’Église du Nigeria est très dynamique, la population catholique importante, de l’ordre de vingt-cinq millions de membres, et que la vie monastique se développe rapidement.

En résumé, la réalité monastique nigérienne d’aujourd’hui est la suivante :

– grand nombre de moines et moniales : boom des vocations ;

– infrastructures insuffisantes pour faire face à l’afflux ;

– manque de formation et de personnel compétent pour l’assurer ;

– formation inadéquate (initiale et permanente) dans certains cas ;

– pas assez de projets générateurs de revenus ;

– manque des produits de première nécessité dans certains cas.

Voici donc les effets résultants de la situation actuelle :

• trop peu de recherches pour la viabilité des projets avec une mauvaise planification, une mauvaise exécution et un mauvais suivi ;

• mauvais système de comptabilité ;

• insécurité créée par une mauvaise culture de l’épargne, ou l’absence totale de celui-ci ;

• absence de gestion des fonds due à l’incompétence, la mauvaise connaissance de la comptabilité et la tendance à faire des compromis résultant de pressions externes (famille, etc.) ;

• politique malsaine conduisant à la polarisation dans certaines communautés ;

• importance des instances de tribalisme, de l’occultisme et des pratiques fétichistes.

 

Suggestions qui pourraient aider à un meilleur avenir pour nos monastères

• une sélection plus rigoureuse et un processus de sélection plus intense pour les candidats à la vie monastique sera vitaux.

• Il n’est pas nécessaire de promouvoir les vocations mais :

• les formateurs devrait être bons dans le discernement, et, en tant que guides, être des hommes et des femmes qualifiés dans la transmission de la vie monastique.

• Il faudrait mette l’accent sur les valeurs chrétiennes / de l’Évangile, et sur les valeurs humaines à la fois dans la formation initiale et continue, avant même d’insister sur les valeurs monastiques.

• Il faudrait développer les efforts pour rendre plus effective la réalité évangélique dans la vie du moine : en particulier la lectio devrait devenir pratique et vécue et les communautés monastiques être de véritables écoles de charité.

• La formation humaine doit être un élément essentiel des programmes de formation, ce qui, si elle est bien faite, pourrait aider à la gestion du stress, réduire le malheur et les tendances dépressives, et stimuler l’amabilité, l’esprit de fraternité et d’amitié dans nos communautés.

• La sécurité et la disponibilité des produits de première nécessité en matière de nourriture, de logement, de soins de santé, d’habillement décent et un environnement favorable aideront à un accès honnête à une certaine pauvreté et simplicité de la vie.

• Chaque communauté devrait avoir un programme de formation / éducation en interne. Mais pour réduire les coûts, la solidarité monastique pourrait poursuivre un travail de création d’instituts de formation locaux (instituts monastiques) pour actualiser et promouvoir le niveau d’éducation des moines et des moniales de manière abordable économiquement.

• Les projets significatifs et durables devraient être encouragés, précédés par une bonne planification et une étude de marché.

• Les supérieurs monastiques devraient avoir des programmes organisés pour eux-mêmes sur des sujets tels que la gestion, la communication, la tenue des livres de compte et la planification stratégique.