Cisterciens trappistes en RDC :
Où en est le monastère de Mokoto aujourd’hui ?

Frère Bernard Oberlin, moine de Mokoto

 

Pour bien comprendre la situation de la communauté Notre-Dame de Mokoto aujourd’hui, il faut distinguer trois périodes et deux lieux. Les trois périodes sont : de 1954 à 1996, de 1996 à 2011, et à partir de 2011.

Les lieux sont Mokoto et Keshero :

- 1954-1996 : à Mokoto.

- 1996-2011 : exil, regroupement à Keshero, près de la ville de Goma.

- À partir de 2011, retour à Mokoto, réfection du monastère.

 

Goma1. De la fondation à l’exil (1954-1996)

Notre-Dame de Mokoto (monastère cistercien-trappiste) est fondé en 1954 par l’abbaye de Scourmont (Belgique). La fondation est située à 90 kilomètres de la ville de Goma (province actuelle du Nord-Kivu, en RDCongo), à 1 degré au sud de l’équateur. Aujourd’hui, au départ de Goma, il faut plus de 4 heures d’une très mauvaise route pour y arriver. C’est à 1800 mètres d’altitude. On y fait paître des vaches sur les collines couvertes de pâturages. Prieuré majeur en 1988, la communauté s’accroît régulièrement, dépasse vingt moines. En 1996, il y a douze profès solennels africains.

Mais, depuis déjà quelques années, la région des Grands Lacs est de plus en plus troublée. Les 10 et 12 mai 1996, la communauté est menacée par des rebelles et doit fuir. Le monastère est pillé : meubles, fenêtres et portes, sanitaires, tuyaux et câbles, réservoirs et machines, tôles des toits et une partie du carrelage… le tabernacle et l’autel … même les deux cloches de l’église, tout a été pillé ou détruit. Au sommet de la colline, il ne restera, quelques années après, que les énormes murs de pierres, avec les trous des fenêtres, comme un bâtiment sombre et aveugle.

 

2. Le temps de l’exil (1996-2011)

Mokoto2009Une partie des moines se disperse dans d’autres monastères et maisons religieuses : à Scourmont, San Isidro (Espagne), Rome et Frattocchie (Italie), Latroun (Israël), Koutaba et Obout (Cameroun) ; d’autres restent dans la petite maison de Keshero, près de Goma. C’est là qu’à partir de 1999 on se regroupe. Comme monastère provisoire, on ajoute, sur ce terrain de deux hectares, un dortoir, puis un réfectoire et une cuisine, un scriptorium-bibliothèque. Avec les postulants qui arrivent, la communauté dépasse une vingtaine de frères. L’exil va durer quinze ans (1996-2011).

Quinze années pendant lesquelles tout de suite une question se pose et commence à évoluer :  Faut-il retourner à Mokoto, et quand ? Faut-il acheter un terrain, plus proche de Goma, pour y construire un nouveau monastère ? Faut-il rester à Keshero ? La troisième possibilité peu à peu s’estompe : car, en 2002, le volcan Nyiragongo laisse échapper une importante coulée de lave qui détruit le tiers de la ville. En une nuit, 600 000 habitants ont passé la frontière rwandaise. Ils reviennent et plusieurs reconstruisent du côté de Keshero. Notre petite banlieue est maintenant noyée dans la grande ville. Il est donc de moins en moins question de rester en ville, pour des trappistes voués à la solitude.

La deuxième possibilité, acheter un autre terrain, n’a jamais trouvé de vraie réponse, d’une part parce qu’un nouveau commencement à zéro était plus difficile, d’autre part parce qu’entre temps, Mokoto et sa région devenait plus calme. Et l’on n’avait jamais cessé de regarder vers notre lieu de fondation. On recommence à en exploiter les champs. En 2003, on y replace un troupeau de bovins. On fabrique de nouveau du fromage qu’on vend en ville chaque semaine.

KesheroEt la décision est prise de remonter à Mokoto. Tandis que les frères sont encore à Keshero (Goma), une entreprise commence par refaire les toits de Mokoto, où il pleut tous les jours. Puis le scriptorium-bibliothèque. Il y avait autrefois 12 000 volumes. 4000 livres ont été sauvés du pillage en 1996. 2000 s’y ajoutent, en grande partie un don des dominicains de Paris. Deux côtés du cloître sont refaits : l’un pour le dortoir qui devient une suite de cellules, l’autre pour les bureaux.

 

3. Le retour (2011 jusqu’aujourd’hui)

Le 18 janvier 2011 est une date importante pour notre communauté : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve. Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie ». Les moines remontent à Mokoto, accompagnés par beaucoup d’amis qui ont tenu à être présents pour ce jour et à participer à l’eucharistie et au repas de fête. Nous réintégrons notre monastère, vide depuis quinze ans. Dans les bâtiments rénovés, on installe provisoirement une petite chapelle, une cuisine et un réfectoire. Les travaux de l’église avancent. Elle est terminée en août 2012. Notre évêque, Monseigneur Théophile Kaboy, la bénit solennellement le 20 août. L’office monastique est chanté de nouveau dans ce lieu, délaissé depuis tant d’années ! Et pour la première fois, c’est dans des stalles que les moines psalmodient.

Où en sont les travaux de réfection à la fin de 2013 ? Ils se déploient autour du second cloître, avec la salle du chapitre, le réfectoire, la cuisine, l’hôtellerie. De leur côté, les frères de la communauté ne manquent pas de travail. On agrandit le troupeau de vaches et on fabrique le fromage tous les jours. On replante la bananeraie (anéantie par une épidémie qui a touché toute la région). On cultive un jardin potager. Autrefois, chacun avait sa charge, et le noviciat s’occupait du jardin ou des champs. Aujourd’hui, deux fois par semaine, il y a le travail communautaire toute la matinée, où presque tous travaillent aux cultures : maïs, manioc, arbres fruitiers et maraîchage, pelouses. Les frères plus faibles restent à la cuisine pour trier les haricots ou écailler les poissons. Car le lac Ndalaga, qui s’étend sur 7 km devant le monastère, permet la pêche des tilapias. La guerre n’a pas épargné les hippopotames qui ont tous disparus.

Le rythme de vie reste à peu près le même qu’avant l’exil. On célèbre toujours les vigiles à 3 h 30 du matin, la journée se termine avec la réunion (ou « chapitre ») qui précède complies. Les postulants ne manquent pas, il y a un novice et quatre jeunes profès, vingt et un profès solennels, dont deux étudient au grand séminaire du diocèse, deux sont aumôniers de trappistines, six autres sont absents pour diverses raisons. On pourrait ajouter que trois autres ont fait stabilité à Scourmont et deux sont supérieurs d’autres communautés (Koutaba au Cameroun et Victoria en Ouganda).

Certes, la sécurité de la région n’est pas garantie. Dans notre diocèse, il y a plus de trente-cinq groupes rebelles différents. En mai 2012, la rébellion du M23 s’affrontait avec l’armée régulière sur les collines proches du monastère. En février 2013, la petite ville de Kichanga, visible à l’horizon, de l’autre côté de notre petit lac, connaissait un bombardement sévère : c’était l’armée régulière qui délogeait une faction armée, faisant un certain nombre de morts dans la population.

Mais il faut bien que la vie continue. L’essentiel, pour les frères de Mokoto, est encore de bien vivre leur vie monastique, continuant à chercher le Seigneur. Ils ont conscience de ne pas être parfaits, mais ils s’efforcent de mener une vie vraiment fraternelle, dans la prière, la lecture et le travail. Ils voudraient suivre le Christ qui dit : « Qui perd sa vie à cause de moi et de l’Évangile la gagnera ».