Le point de synthèse de la mission et de la culture :
la communion qui se fait hospitalité

Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO

 

MgrFolloDepuis 2002, Mgr Francesco Follo est observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine. Il est aussi délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites) et membre du comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Il nourrit un intérêt pour le lien existant entre l’annonce de l’Évangile et les milieux monastiques. Dans cet article, il montre comment peut se caractériser un tel lien, se développer concrètement une telle perspective.

 

Nombreux sont ceux qui savent qu’une des valeurs parmi les plus caractéristiques de la tradition bénédictine est l’hospitalité. Dans toute abbaye, l’« hôtellerie » (l’hospice) accueille fraternellement les visiteurs et leur fournit le gîte et le couvert. Cependant, d’autres savent que les monastères, en Orient comme en Occident, furent et sont encore aujourd’hui des oasis spirituelles et des centres de rayonnement missionnaire et culturel. C’est pour cette raison, que j’ai pensé utile de les présenter comme un modèle clair de lieux où la synthèse entre foi et culture s’est réalisée de façon admirable, ayant comme référant l’histoire et l’hospitalité.

En outre, le monachisme est un fait pluri-religieux. Il est présent dans le christianisme, comme dans le bouddhisme et le taoïsme, mais également dans les fraternités du soufisme. Un tel fait est important pour une raison particulière : on a affaire à des communautés monastiques qui n’ignorent pas l’autorité. Dans ce cas, il s’agit d’autorité non violente exercée au service des hommes qui sont plus qu’égaux : ils sont frères. Il faut reconnaître que le monastère quel qu’il soit peut abriter des violences. Il est toutefois organisé selon des « règles » et le respect de ces règles, quand il est accepté (il faut avouer que ce serait un cas étrange que celui d’un bénédictin qui n’accepterait pas la règle de saint Benoît), est une forte garantie de paix. La communauté monacale, même s’il en existe dans le monde entier et dans toutes les religions, est toujours de petite dimension et n’a pas la prétention d’incarner le seul mode de vie véritablement humain, c’est-à-dire véritablement cultivé (au sens d’instruit). Toutefois, lui prêter attention ne sera pas inutile, bien qu’il soit un modèle et non pas l’unique[1].

À l’époque de saint Ephrem le Syrien (4e siècle) les moines syriaques allèrent évangéliser les Bédouins et construisirent des monastères dans les oasis comme centres missionnaires. La légende raconte que le monastère de Mar Elian, dans l’oasis de Qaryatayn sur la route de Palmyre, fut fondé à l’endroit où les bœufs qui tiraient le char du sarcophage de saint Elian, maître d’Ephrem, s’immobilisèrent. Ce lieu, confié à la communauté de Deir Mar Musa, est resté sacré pour les chrétiens arabes dans le désert et pour les Bédouins musulmans jusqu’aujourd’hui. Les expressions du poète théologien montrent que les populations de langue araméenne de la Haute-Mésopotamie voyaient dans les Arabes des descendants d’Ismaël, des rebelles que même les deux empires, persan et romain d’Orient, ne purent  soumettre. Les Arabes chrétiens pré-islamiques ne disposaient pas encore d’une langue littéraire écrite et donc dépendaient, pour les Saintes Écritures et pour la liturgie, des langues littéraires de zones limitrophes au désert : le grec au sud (actuelle Syrie méridionale et Jordanie) et le syriaque en Syrie, en Mésopotamie et en Perse. Des royaumes arabes chrétiens se formèrent sur les bords du désert créant des protections stratégiques entre les nomades indomptables et les régions pacifiées des deux empires. Jusqu’aujourd’hui, les Arabes chrétiens du sud de la Syrie et de la Jordanie sont pour la majorité de rite byzantin, et ceux de la Syrie et de la Mésopotamie appartiennent aux rites syriaque, assyrien et chaldéen.

On ne peut que rappeler l’œuvre missionnaire et culturelle des saints moines Cyrille et Méthode. Dans le cadre de leur mission évangélisatrice, les deux apôtres slaves

« se dédièrent à la tâche difficile de traduire les textes de l’Écriture sainte, qu’ils connaissaient en grec, dans la langue du peuple slave qui s’était établie jusqu’aux confins de leur région et de leur ville natale. En se prévalant de leur maîtrise de la langue grecque et de leur culture pour cette entreprise ardue et singulière, ils se fixèrent comme objectif de comprendre et d’assimiler la langue, les us et coutumes typiques des peuples slaves, en essayant d’en interpréter fidèlement les aspirations et les valeurs humaines qui subsistaient en elles et qu’elles exprimaient. Pour traduire les vérités évangéliques dans une langue nouvelle, il leur fallut se préoccuper de bien connaître le monde intérieur de ceux à qui ils avaient l’intention d’annoncer la Parole de Dieu avec des images et des concepts qui leur seraient familiers. Instaurer correctement les notions de la Bible et les concepts de la théologie grecque dans un contexte d’expérience historique et de pensées très différentes leur apparut une condition indispensable pour la réussite de l’activité missionnaire. Il s’agit d’une nouvelle méthode de catéchèse. Pour en défendre la légitimité et en montrer la bonté, saint Méthode n’hésita point, tout d’abord avec son frère et ensuite tout seul, à accueillir humblement les invitations à Rome, en 867 par le pape Nicolas Ier et en 879 par le pape Jean VIII, qui voulaient comparer la doctrine enseignée dans la Grande Moravie avec celle transmise par les saints Pierre et Paul à la première chaire épiscopale de l’Église, comme trophée glorieux de leurs reliques.

« Auparavant, ils se préoccupèrent de créer un nouvel alphabet pour que les vérités qu’il fallait annoncer et expliquer puissent être écrites en langue slave et soient totalement compréhensibles et assimilées par leurs destinataires. Ce fut un effort vraiment digne de l’esprit missionnaire que celui d’apprendre la langue et de comprendre la mentalité des peuples nouveaux, auxquels apporter la foi, comme fut exemplaire la détermination à assimiler en assumant, comme si elles leur appartenaient, toutes les exigences et les attentes des peuples slaves. Le choix généreux de s’identifier à leur façon de vivre et à leurs traditions, après les avoir purifiées et illuminées avec la Révélation, font de Cyrille et de Méthode de vrais modèles pour tous les missionnaires qui à différentes époques ont accueilli l’invitation de saint Paul de se faire tout à tous pour racheter tous, et en particulier, pour les missionnaires  qui, depuis l’Antiquité jusqu’aux Temps modernes – de l’Europe à l’Asie et aujourd’hui sur tous les continents – ont travaillé pour traduire dans les langues vivantes des différents peuples la Bible et les textes liturgiques, pour faire retentir en elles la parole unique de Dieu, rendue accessible selon les formes expressives, typiques de chaque civilisation. »[2]

MadagascarSi ensuite on regarde l’Occident chrétien et son histoire, on constate que, dans cet esprit, des monastères de toute sorte d’appartenance, et non seulement bénédictins, naquirent et restèrent des centres missionnaires et des écoles de haute culture. Comment ne pas rappeler les moines irlandais qui avec saint Colomban ré-évangélisèrent l’Europe en quittant l’Irlande. Le pape saint Grégoire le Grand (6e siècle) « utilisa  » des moines pour son œuvre. On peut citer aussi le moine anglais dont le pape changea le nom en Boniface (né à Crediton dans le Devonshire au sud-ouest de l’Angleterre, en 680 ; mort à Dokkum en Frise en Allemagne, en 754). On lui doit la construction de nombreux diocèses et monastères, parmi lesquels celui de Ohrdruf (près de Gotha), centre missionnaire pour la Thuringe, et l’abbaye de Fulda en Allemagne.

Cependant, je me servirai de l’hospitalité bénédictine pour illustrer le travail culturel et la ferveur missionnaire typique du monachisme.

L’attitude à la fois prudente et accueillante dans la pratique de l’hospitalité est aussi significative d’une ouverture au dialogue et aux relations humaines.

« Tous les hôtes sont accueillis à leur arrivée comme s’ils étaient le Christ. […] Le supérieur ou les frères vont à leur rencontre avec toutes les attentions dictées par la charité. Tout d’abord, ils prient ensemble et après ils échangent un baiser de paix. Mais que ce baiser de paix soit donné seulement après avoir prié, pour éviter les pièges du Malin. […] Il faut adorer le Christ qui est accueilli dans les hôtes. […] Il faut encore lire à l’hôte un passage des Saintes Écritures. […] Et donc il faut lui prodiguer toute attention et soin. […] Il faut montrer le plus grand soin et de la sollicitude en accueillant les pauvres et les pèlerins, puisque en eux se retrouve encore plus intensément le Christ… »[3]

Le chapitre 61 de la règle de saint Benoît titré : « Comment accueillir les moines étrangers » est encore plus digne d’attention. Il est évident qu’un moine qui vient de loin n’est pas connu personnellement, comme ne peut être connue la communauté à laquelle il appartient, ni ses croyances. Malgré cela, on n’adopte pas une attitude douteuse, on ne se préoccupe pas de la pratique de la foi et de l’orthodoxie du pèlerin. Si l’on fait la comparaison entre la règle de saint Benoît et celle du Maître sur le sujet de l’hospitalité, on s’aperçoit tout de suite que dans la deuxième, il y a une préoccupation stricte à vérifier l’honnêteté de celui qui se présente, toujours suspecté d’être un voleur, un parasite ou une personne qui puisse nuire à la communauté à cause de ses croyances et de sa conduite.

Au contraire saint Benoît s’exprime ainsi :

« Si de pays lointains arrive un moine étranger pour demander de demeurer au monastère en tant qu’hôte et qu’il est heureux des habitudes qu’il y trouve et ne crée pas de désordre dans la communauté avec des prétentions excessives, mais se contente tout simplement de ce qu’il y a, qu’il soit accueilli pour tout le temps qu’il souhaite. En outre, si avec un esprit d’humilité et de charité, il avance quelques observations ou il suggère quelques propositions raisonnables, que l’abbé réfléchisse si ce n’est pas Dieu qui l’aurait envoyé pour accomplir exactement cette tâche ».

Les moines ne demandent aucun document, ni profession de foi orthodoxe : la vocation monastique commune suggère un accueil prompt et fraternel. La prière pourra dévoiler l’identité spirituelle de l’hôte, plutôt qu’une enquête suspicieuse sur lui. C’est encore l’expression d’une admirable magnanimité que de considérer le moine étranger comme un maître spirituel, écoutant humblement ses avis, et le considérant comme un instrument du Saint-Esprit.

Suivant l’enseignement de saint Benoît, l’attention que les moines ont pour l’hôte ne s’intéresse pas seulement aux aspects matériels. Elle tient compte aussi des attentes de chacun, respectant ses idées, son chemin humain et spirituel, sa recherche religieuse. Les moines accueillent et écoutent ceux qui vont prier avec eux, mais n’imposent à personne ni la foi, ni leur choix, ni leur façon de vivre.

Cette hospitalité spirituelle trouve sa source et son modèle dans le message évangélique même : pendant toute sa vie sur terre, le Christ a accueilli tous ceux qui venaient chez lui. Il les a accueillis comme ils étaient, riches ou pauvres, juifs ou païens, fidèles ou pécheurs. D’ailleurs, l’Évangile nous montre que Jésus fut particulièrement attentif aux « brebis égarées », à ceux qui étaient regardés d’un mauvais œil ou rejetés par l’opinion publique de l’époque : les Samaritains, les publicains, les lépreux, les païens, etc.

Tout au long des siècles, l’Église a annoncé et vécu ce message. D’un côté, elle est humaine, et certains de ses représentants ne sont pas toujours fidèles aux enseignements et à l’exemple du Seigneur ; mais, d’un autre côté, elle est aussi divine et, sous le guide du Saint-Esprit, pratique toujours l’hospitalité à l’égard de tous, notamment à l’égard de ceux qui souffrent, comme le témoignent la vie des saints et les nombreuses institutions catholiques d’hier et d’aujourd’hui : écoles, hôpitaux, dispensaires, hospices et monastères. Ainsi, en adoptant cet esprit, les missionnaires vont dans le monde entier et diffusent le message du Christ. Ils construisent des écoles, des hôpitaux, des dispensaires, des hospices, des monastères et des églises, des lieux habités par la présence de Dieu, qui en est l’Hôte suprême. T. S. Eliot synthétisa ceci avec cette phrase : « Il n’y a pas de maisons sans églises »4. De tout cela émerge clairement que la circularité entre la foi et la culture est constante.

 

La mission d’hospitalité est compassion

Accueillir l’autre c’est être attentif à ce qu’il est, à ce qu’il vit au plus profond de lui ; c’est respecter son chemin personnel et familier, sa culture, ses convictions philosophiques et religieuses. C’est dans cette perspective et dans ce sens-là que le concile Vatican II nous a appelés au dialogue : dialoguer avec les croyants des autres religions et aussi avec les non-croyants ce n’est pas du tout renoncer à notre fidélité au mystère du Christ et à la tradition de l’Église. C’est au contraire vivre cette fidélité en respectant les valeurs des autres cultures et des autres religions.

Si l’hospitalité a sa source en Dieu qui est amour, l’Amant et l’Aimé (cf. saint Augustin), cette hospitalité est donc le principe sacré de toute amitié et de chaque communauté humaine, comme de toute mystique.

L’autre, dans cette lumière, n’est pas seulement quelque chose d’autre que soi, différent, mais il est un peu « nous-mêmes », icône du Christ, reflet du Père, don de l’Esprit Saint.

 

IndeLa mission est l’hospitalité qui réconcilie tous les peuples entre eux

L’Église n’est pas seulement la gardienne des traditions, même si elles sont très vénérables ; elle a le devoir de réassumer toutes les valeurs dans leurs différentes réalisations ; valeurs religieuses, culturelles, humaines, d’ordre universel, ce qui n’est pas seulement possible, mais aussi souhaitable et nécessaire pour les assumer au nom même de notre foi et de notre fidélité à la vie et à l’enseignement du Christ et des apôtres, toujours suivant la phrase de saint Paul : « Examinez l’ensemble, et gardez l’essentiel »[5]. Accueillir et assimiler en nous la diversité des habitudes et des valeurs nous font participer à la réconciliation dans le Christ de chaque homme. De cette manière, l’Église pourra encore et toujours tendre à plus d’universalité, fécondée de l’intérieur par l’Esprit Saint de Dieu, qui la guide. À travers l’Église, l’homme, chaque homme, est amené à se confronter progressivement au Christ pour réaliser ce que saint Paul a appelé le « Christ total ».

La vraie hospitalité nous aide à réaliser en profondeur ce que nous n’arrivons pas à faire progresser en surface. Hospitalité signifie réaliser le fiat de Marie, son abandon et sa disponibilité en l’Hôte divin.

 

La mission comme hospitalité qui aboutit à un enrichissement réciproque

Il ne s’agit pas seulement de témoigner l’amour de Dieu pour tous les hommes, mais aussi et surtout de partager avec les hommes cet amour. Accueillir l’autre signifie le comprendre, l’aimer pour ce qu’il est.

Ceci implique un approfondissement de notre foi, mais aussi une découverte de celle vécue par les autres hommes et la façon dont ils la vivent, la manière avec laquelle ils la ressentent. Ainsi, nous pourrons nous-mêmes rendre compte de notre espoir.

Cet amour seulement peut nous délivrer de nous-mêmes, de tous nos instincts de domination, de toute idéologie et de tout dogmatisme. Mais il ne peut pas y avoir une vraie compréhension entre les hommes sans un sens aigu de la Vérité qui nous transcende tous.

Comment l’homme, quiconque soit-il, cet être fini et limité, peut-il prétendre à posséder la vérité d’une Réalité infinie ? Il faut plutôt se laisser ravir, posséder et capturer par elle, pour la vivre dans nos vies à travers un amour partagé. L’essentiel pour tous est d’aller au-delà de nous-mêmes, à la rencontre de cette vérité et de cet amour, à l’image desquels nous avons été créés et vers qui nous revenons inexorablement. « Quiconque met en œuvre la vérité aboutit à la lumière. »[6] C’est quand on l’accueille en nous, qu’on la vit en nous, que la vérité devient réelle.

 

Le signe de Dieu dans l’histoire de la mission comme hospitalité

TableauFace à l’idolâtrie, au naturalisme et au spiritisme diffus, face aux faux mystiques, nous devons agir ensemble pour témoigner de la transcendance divine, comme unique garantie valable de la grandeur de l’homme sur cette terre. Nous devons nous efforcer de répondre ensemble, au regard de la foi, aux nombreux problèmes et aux différents défis que le monde contemporain nous lance. Dans l’hospitalité, nous devons travailler ensemble. D’un commun accord et chacun selon ses propres dons, forts de nos différences, nous devons construire un monde plus juste et plus fraternel, une civilisation de l’amour qui a découvert que la vérité est une symphonie.

Au-delà d’une foi faite de formulations conceptuelles souvent opposées, lui seul est la lumière de la vérité qui illumine notre route ; lui seul est la voie qui nous mène à lui ; lui seul est la vraie vie, car lui seul est Dieu : ce Dieu Un, qui pour nous, les chrétiens, est Unique et Trine, est amour, hospitalité, qui s’est fait homme en Jésus fils de Marie, hôte et hébergé, pour réconcilier à travers lui et en lui tous les êtres.

Ainsi, quand nous nous ouvrons réellement à Dieu, dialoguant les uns avec les autres, l’Esprit Saint se charge de cette rencontre et en devient le guide. S’il y a dialogue, s’il y a hospitalité, personne ne peut affirmer être comme avant.

Pour utiliser une expression proverbiale, qui est aussi le titre d’un livre de Louis Massignon, je poursuis en disant : « L’hospitalité est sacrée » ; en effet, celle-ci à sa source même en Dieu. Elle est essentielle pour la recherche de la vérité parmi les hommes ; elle est à la base du jugement dernier. Elle devient, ou doit devenir, pour tous et non seulement pour les bénédictins ou les bénédictines une règle de vie, la quintessence des Béatitudes.

Je m’aide de la notion d’hospitalité comme l’a perçue et vécue Louis Massignon. C’est dans la « Visitation de l’Étranger », de l’« Hôte divin sans visage », comme dans l’hospitalité de ses amis arabes musulmans, qu’il a retrouvé le sens du sacré et du transcendant.

Cette hospitalité reçue et donnée est devenue le pilier de sa vie, de sa pensée et de son action. Pour Louis Massignon elle a son fondement en Dieu même, dans le sens de la vie trinitaire « où Dieu est en même temps l’hôte, l’invité et le foyer ». L’Étranger, le « totalement Autre », pour l’éternité, se fait hôte de notre humanité en cette vraie terre sainte qui est le sein de la Vierge Marie. Celle-ci est la figure de l’humanité sauvée où se célèbre le repas de l’hospitalité, servi entre Dieu et les hommes et les hommes entre eux.

Cette hospitalité est en même temps spirituelle et matérielle. Elle montre l’accueil de Dieu et de sa Parole, mais aussi l’accueil de Dieu dans nos frères, en commençant par les plus pauvres, les plus déshérités.

L’hospitalité n’a pas de difficulté à rencontrer en les accueillant de manière critique (dans le sens étymologique de juger = kr„nw [kríno]) aussi bien les races et les nations que les religions et les cultures. Elle est pour tous une obligation primordiale, qui doit être accomplie dans la vérité, dans le respect et dans la réciprocité. Elle est essentielle pour la recherche de la vérité parmi les hommes. « Le premier contact entre deux civilisations, primitives et hostiles, est le principe de l’hospitalité, qui implique que l’étranger, l’ennemi ait, de toute façon, quelque chose de bon à nous donner. » Louis Massignon écrit encore : « Le repas de l’hospitalité est la préfiguration de l’extension à toute l’humanité de la Cène, pendant laquelle un certain hors-la-loi condamné à notre place a offert le pain et le vin de l’hospitalité divine ».

 

[1] Naturellement, je me référerai uniquement aux moines chrétiens, aussi bien pour ne pas trop me disperser que pour ne pas dire des banalités sur la réalité monacale non chrétienne qui nécessiterait une connaissance que je ne prétends pas avoir.

[2] Jean-Paul II, Lett. Enc. Slavorum Apostoli, nos 10 et 11.

[3] Règle de saint Benoît 53, 1.3-5.7.9.15.

[4] T. S. Eliot, I Cori della Rocca.

[5] 1 Th 5, 20-21.

[6] Jean 3, 21.