Jubilé d’or de fondation de Notre-Dame de Koubri
Mère Henriette Kalmogo, prieure
« Sur tes remparts, Jérusalem, j’ai placé des veilleurs,
ni de jour ni de nuit ils ne doivent se taire. » (Isaïe 62, 6)
Parmi les vingt-deux monastères de moines et de moniales vivant sous la règle de saint Benoît dont notre Afrique de l’Ouest a été gratifiée, huit ont déjà célébré les cinquante ans de leur existence ! C’est dire que les fondations ont eu lieu dans la période que nous appelons « des Indépendances » ; en effet leurs pays d’implantation accédaient les uns après les autres à l’indépendance socio-politique et administrative, ce qui n’a pas été sans influence sur ces communautés naissantes. Les fondateurs et fondatrices ont dû se soumettre à une double adaptation, tout comme les jeunes gens et jeunes filles qui frappaient à leur porte ont dû y aller courageusement et résolument, malgré l’interrogation devant l’inconnu.
Oui, c’est une grâce pour nous en Afrique de l’Ouest, comme pour beaucoup d’autres régions de notre continent africain, de compter, parmi les porteurs de la Bonne Nouvelle du salut, des communautés contemplatives veillant sur les remparts de nos cités et de nos campagnes, et chantant nuit et jour la fidélité du Seigneur, témoignant par leur présence de l’amour de Jésus Christ pour tous.
Il est beau ce symbolisme qui représente la vie monastique comme une marmite reposant sur un foyer fait de trois pierres stables – la quête de Dieu dans la prière et la lectio divina, le travail et la communauté fraternelle autour de l’abbé ! Si dans le cœur profond il en est toujours ainsi, nous devons reconnaître que, aujourd’hui, dans un contexte miné par les fléaux de tous genres, tous plus ou moins fragilisants depuis les cris de guerres fratricides, Boco Aram et les islamistes de tous bords, les courses au pouvoir, à l’argent, jusqu’à la recherche effrénée d’une indépendance qui est parfois un autre esclavage dans la mesure où le respect du prochain est ignoré ou sacrifié, nous-mêmes dans nos monastères sommes fouettés par les vents insidieux de l’individualisme en même temps que d’une soif d’efficacité au point de voir notre identité monastique menacée. Si ce ne sont pas les retours surprenants des non-valeurs auxquelles nous avions renoncé en accueillant à plein cœur la règle de saint Benoît : comment expliquer par exemple que dans nos communautés, l’obéissance responsable et adulte soit si souvent mise à mal et bafouée, comment tolérer dans nos communautés, au moment du choix de responsables les mêmes courses que dans le monde profane ou politique ? Allons-nous supporter ces relents de paganisme qui sont comme une trahison de notre foi baptismale lorsqu’il nous semble que nos intérêts personnels produits par la volonté propre sont menacés par l’autorité ou la communauté qui pourtant nous donnent d’exister comme moines et moniales ? Voici que les défis d’hier autour du discernement des vocations, de la formation et du gagne-pain ont grossi et poussé des rejetons.
Allons-nous plus longtemps faire la sourde oreille à l’appel à l’unité fraternelle face au problème des ethnies, au comment être signe et témoin de communion dans une Afrique fragmentée ?
Il y aurait encore d’autres défis à relever tels que la relation avec la famille et la clôture ; l’appui apporté aux personnes dans le besoin autour de nos monastères sans perdre notre identité de moines contemplatifs ou de moniales cloîtrées…
Certes, le péché est là qui « nous entrave si bien », mais « c’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés » et que saint Benoît nous a proposé sa règle. C’est par conséquent le moment de « tenir bon pour ne pas nous remettre sous le joug de l’esclavage » (Ga 5, 1).
Après cinquante ans, reprenons de plus belle la lutte, afin de « rejeter toute malice, hypocrisie, jalousie et toute sorte de médisances et, comme des enfants nouveau-nés, de désirer le lait spirituel, non frelaté qui fait croître pour le salut », puisque nous avons goûté « combien le Seigneur est excellent » (1 P 2, 1-3) !