Professeurs Günter Müller-Stewens[1],
Markus Muff[2],
Thomas S. Eberle[3]

 

Monastères et management[4]

 

Cet article initialement publié dans une revue allemande de sociologie a été repris ici en raison de l’intervention de Monsieur Thomas S. Eberle au dernier conseil de l’AIM. Il donne un écho de l’expérience des sessions de Leadership organisées à Saint-Anselme depuis 2013. La prochaine de ces sessions aura lieu du 13 au 27 juillet 2016 (cf. : http://www.lrb-rome.com). Ces sessions organisées en commun par l’université de Saint-Gall et l’Athénée de Saint-Anselme permettent une approche ouverte du phénomène actuel du management d’entreprise dont certains aspects peuvent être appliqués à la vie monastique.

 

À l’université bénédictine de Saint-Anselme, de Rome, une première a eu lieu en septembre 2013 : trente-cinq abbesses et abbés, prieur(e)s, cellériers, moniales et moines bénédictins, venant de tous les continents, se sont réunis pour aborder la question de la gestion des monastères et suivre un cours intitulé : « Leadership et règle de saint Benoît », donné en collaboration avec l’université de Saint-Gall.

 

Le contexte : la communauté monastique

La vie monastique consiste fondamentalement à chercher Dieu ; la louange, l’action de grâce et la glorification de Dieu ne s’arrêtent pas à la liturgie mais constituent un engagement permanent qui détermine l’ensemble du mode de vie. Le culte divin et la prière sont normalement prioritaires dans un monastère. La prière ouvre des hommes et des femmes à la volonté de Dieu, avec toutes les forces et aptitudes qui sont les leurs[5]. Ceci signifie qu’en principe, les moines et moniales ne se focalisent pas sur leurs propres besoins, désirs et/ou intentions, mais les subordonnent à la volonté de Dieu. D’après les Écritures, Dieu veut le bien-être et une vie bonne pour tous ! Se conformant à ce principe, les moines et moniales bénédictins prennent en considération l’intérêt commun ; ils entendent se garder des intérêts particuliers ou de l’égoïsme de groupe, et évitent de poursuivre des avantages personnels. Idéalement, les organisations monastiques ne se veulent pas centrées sur elles-mêmes mais s’efforcent plutôt d’associer la louange de Dieu à la constitution d’un ordre mondial, particulièrement à travers le service des pauvres.

 

La raison d’être des monastères est le culte divin et le service des pauvres

Conséquences de cette mission monastique au niveau du fonctionnement et des affaires

Dans le cadre de cette mission de service des pauvres, les monastères ont, pendant des centaines d’années, non seulement construit des églises mais fait progresser tout aussi intensément l’agriculture et l’artisanat, soutenu la science et l’enseignement, et bâti des hôpitaux et des orphelinats. Un large éventail d’activités, aussi bien culturelles, sociales et caritatives qu’économiques, s’est ainsi déployé. Les moines et moniales bénédictins ont dirigé différents types d’écoles, d’entreprises artisanales et artistiques, de fermes, d’hôtelleries et auberges, d’imprimeries, de centres piscicoles, etc.

La mission de servir les pauvres a conduit les monastères à créer divers types d’entreprises

Le nombre d’employés des établissements monastiques dépasse souvent de beaucoup celui des moines ou moniales. Ces entreprises non négligeables ont besoin d’être organisées et administrées efficacement pour être rentables. Un monastère n’est pas censé faire un maximum de bénéfices, mais la survie de l’entreprise, tout comme celle du monastère, doit être financièrement assurée. Chaque génération a le devoir de transmettre son monastère à la suivante dans de bonnes conditions (y compris financières). Ceci n’est pourtant pas simple pour bien des monastères. La hausse des coûts salariaux (due, par exemple, au fait qu’il y ait moins de moines capables d’assurer les tâches d’enseignement et qu’il faille donc les remplacer par des enseignants extérieurs), ainsi que les frais d’entretien de monuments classés, rendent cet objectif difficile à atteindre. Et si un monastère se trouve en déficit, cela peut, par exemple, l’amener à perdre un terrain et/ou une propriété.

 

Tensions entre vie monastique et liberté des marchés

La tension ne cesse de s’accroître entre les idéaux de la vie monastique et les lois sur la liberté des marchés auxquelles les entreprises des communautés religieuses sont tenues de se conformer. Il y a souvent des incompréhensions et conflits d’intérêts entre la manière dont le monastère conçoit le monde et la réalité économique qui ne peut s’accorder à cette perception[6].

Mieux vaudrait, bien entendu, que les activités séculières d’un monastère ne soient pas complètement déconnectées du monde monastique ; le service rendu au genre humain par le monastère devrait au contraire s’inspirer des idéaux chrétiens et des règles bénédictines[7]. Selon ces règles, l’activité économique, son organisation et les objectifs poursuivis ne devraient pas avoir pour but premier d’accroître la propriété monastique mais être avant tout destinées au service du genre humain. Il faut donc que la priorité soit donnée à ceux qui fréquentent le monastère (les élèves de l’école monastique, les clients du magasin, le soin pastoral des fidèles, etc.) et non au bien-être des monastères eux-mêmes. Bien que la réalité économique soit souvent dure, le monastère doit s’assurer que ses relations avec elle sont fondamentalement ordonnées à la charité et à l’amour chrétien.

 

L’histoire bénédictine

Cette histoire commence avec Benoît de Nursie (480-547 de notre ère). À travers sa Règle, saint Benoît a établi une base de vie communautaire toujours en vigueur. On dénombre actuellement environ 7 500 moines bénédictins et 16 500 moniales bénédictines, répartis en environ 800 communautés distinctes, implantées sur tous les continents ; il faut leur ajouter des maisons et communautés plus petites qui dépendent des premières. Au cours de ces dernières années, le nombre de bénédictins et bénédictines a sensiblement diminué en Europe, alors qu’en d’autres parties du monde leurs communautés ont grandi. Quoi qu’il en soit, les apports de ces communautés et de l’institution monastique ont souvent duré pendant des siècles[8]. C’est là en même temps un succès historique qui mériterait d’être approfondi.

Une communauté monastique est, par définition, une communauté religieuse. Dans ce type de communauté, le travail joue un rôle important. Travailler, c’est participer à la création de Dieu. Le travail est un service rendu aux pauvres et un remède à l’indolence. Les monastères bénédictins doivent être largement auto-suffisants au plan économique. Les activités économiques d’une communauté monastique sont censées lui permettre de pourvoir à ses besoins. Il faudrait qu’en plus ses recettes de travail lui permettent de prendre soin des pauvres et des indigents. Les activités bénédictines ne sont donc pas seulement spirituelles et pastorales, mais aussi culturelles, caritatives et économiques. Les monastères n’ont toutefois pas été fondés comme des entreprises industrielles. Les bénédictins ne doivent rien préférer au culte divin, pas même le travail. La recherche de Dieu intervient aussi bien dans la prière que dans le travail, et la lecture de l’Écriture Sainte nourrit cette recherche (ora et labora et lege).

 

La dure réalité du monde des affaires et l’idéal de la charité chrétienne ne sont pas toujours aisément conciliables

Il n’est pas facile de se situer positivement face à ces domaines de conflit. Cela requiert du discernement, de la perspicacité et de l’honnêteté, dans un monde contemporain qu’il s’agit de réconcilier avec l’obéissance à Dieu, et dans l’ordre mondial émergeant qui doit servir le genre humain. Comme on peut le comprendre, bien des communautés monastiques éprouvent des difficultés à ce niveau. Cela transparaît dans les résultats de gestion, la perception que le monastère a de lui-même, et son organisation.

Beaucoup d’établissements monastiques ne sont pas administrés rentablement. La gestion monastique a de plus en plus de mal à se maintenir dans les activités quotidiennes des entreprises. Et plus l’autosuffisance économique d’un monastère est menacée, plus la communauté risque de trop s’attarder à ses activités économiques.

Mais le problème est souvent plus profond. Beaucoup de moines et de moniales se sentent écartelés entre deux mondes manifestement de plus en plus opposés, et sont incapables de trouver une approche équilibrée entre ces domaines en conflit. Si une réflexion orientée sur l’éthique et l’efficacité – plutôt que sur la prière et le culte divin – devait en venir à déterminer les activités monastiques quotidiennes, cela pourrait conduire à l’aliénation de la vie monastique.

 

Beaucoup de moines et de moniales souffrent du conflit entre les activités quotidiennes d’ordre spirituel et celles d’ordre économique

C’est volontairement, en un sens, que les règles d’activités monastiques quotidiennes éloignent les moines et moniales de l’agitation habituelle du monde. Mais il faut en même temps que ces activités leur permettent de vivre économiquement en ce monde sans qu’il leur faille abandonner le désir de « rendre un service chrétien charitable ». Cette tension, c’est-à-dire la difficulté de maintenir l’équilibre entre les diverses exigences, peut aboutir à des conflits, à la démotivation et à la dépression. En certains cas, elle pourrait même conduire à des addictions ou au retrait de la communauté monastique.

 

Le défi de contribuer à la constitution d’un ordre mondial

Une communauté monastique a particulièrement besoin qu’on lui montre comment exploiter son monastère et ses entreprises de façon rentable. Cette rentabilité doit se fonder sur la longue tradition monastique et sur une façon de maintenir son identité spirituelle particulière.

Beaucoup de communautés monastiques sont tellement préoccupées par leurs problèmes quotidiens qu’elles sont dans l’incapacité de transformer leur système de valeurs chrétien et bénédictin en concept opérationnel. Or, les moines et moniales pourraient apporter une aide constructive et positive à la constitution du monde, du fait des perspectives qu’ils offrent et de leurs convictions chrétiennes. Il arrive malheureusement trop souvent que l’on maintienne telle ou telle organisation trop fortement fondée sur des principes hiérarchiques, mais que l’on évite ainsi d’aborder cette question de la constitution du monde d’une manière suffisamment développée et responsable. Comme on le vérifie parfois, les processus de prises de décisions compliqués sont souvent suivis d’une confiance unilatérale en l’autorité, et de la délégation de l’ensemble de la responsabilité personnelle à l’abbé. La concentration des pouvoirs qui en résulte peut – en fonction de la personnalité de l’abbé – faire courir des risques au monastère. Il faudrait que les aptitudes et compétences de chacun, ainsi que celles de la communauté tout entière soient sérieusement prises en compte.

 

La structure organisationnelle très hiérarchique des monastères crée un risque financier

Pour aborder les domaines de conflits évoqués précédemment, un cours pour moines et moniales devait comporter la question de cette participation à la constitution de l’ordre mondial. De plus, il fallait éviter de se montrer naïfs par rapport à la situation actuelle et aux possibilités d’action qu’elle offre. Ainsi, dans le monde occidental, on est plutôt confronté à un déclin du nombre de nouvelles entrées, ce qui fait que le travail se trouve réparti sur un moindre nombre de membres. Par ailleurs, en certains monastères, les nouveaux membres ne manifestent guère d’intérêt pour travailler dans le contexte de la communauté monastique. Beaucoup semblent vouloir prendre leurs distances à l’égard de la société pour pouvoir se consacrer prioritairement à une vie de contemplation.

 

Il faudrait donner plus de moyens aux responsables de monastères et faciliter la participation de tous

Le but du cours était de donner plus de moyens à ces responsables, et de les exercer à concentrer leur attention sur l’avenir de leur monastère, puisqu’ils sont convaincus de son héritage historique. La mélancolie et les doutes n’ont pas leur place ici[9]. Il faudrait aussi que ce genre de responsables puisse apporter de l’espérance en des circonstances difficiles. Lorsqu’on se sent écrasé par les tâches à entreprendre, il est capital de renforcer sa certitude qu’on n’est pas seul. Les communautés monastiques ont aussi de plus en plus à être autocritiques, ouvertes et dynamiques. Les traditions les plus précieuses ne parviennent habituellement à se maintenir que si elles trouvent les moyens de se transformer et de se moderniser.

 

Au plan pratique

Bien qu’il n’y ait pas de panacée dans le domaine de la gestion des monastères, la plupart d’entre eux vont probablement affronter un certain nombre de défis :

• Il faudrait favoriser les aspects communautaires, afin que tout le monde partage la même compréhension des aspects fondamentaux de l’évolution future.

• Il y aurait lieu de professionnaliser les systèmes et procédures des entreprises monastiques, ce qui − en contrepartie et en fonction des lieux − pourrait laisser plus de temps libre à la contemplation.

• Les règles monastiques servent souvent à justifier la résistance au changement. Mais, à y regarder de plus près, ces règles laissent souvent plus de latitudes qu’on ne le reconnaît parfois. Il est capital de faire bon usage de cet espace de liberté.

• Il faudrait que, plus que jamais, le système de valeurs, l’identité et l’histoire d’un monastère lui permettent de se distinguer positivement sur les marchés où il est actif.

 

Conceptions de l’enseignement : objectifs et structure

Chacune des parties a estimé qu’entreprendre un tel cours allait être une expérience, puisque cela soulevait bien des questions. Une collaboration avec une école de commerce peut-elle vraiment avoir un sens ? Les concepts utilisés dans ce genre d’école peuvent-ils contribuer utilement à la gestion du monastère ? Les systèmes de valeurs d’une école de commerce et d’un ordre religieux ne sont-ils pas diamétralement opposés ? N’est-il pas dangereux qu’un ordre religieux, qui se caractérise par la doctrine sociale de l’Église, soit influencé par une théorie de management fondée sur des valeurs de marchés ? Une université de philosophie et de théologie est-elle bien le lieu adéquat pour une formation supposant avoir recours à des outils de management ? Parviendrait-on à trouver un langage commun, compte tenu des divergences de vocabulaires des deux parties ? Étant donné les diversités de contextes dans lesquels ils se situent habituellement, des participants venant de toute la terre ont-ils suffisamment de points communs entre eux ?

Les participants se situaient de façon très critique et avec des défis spécifiques à l’égard de l’entreprise. Mais au vu des évolutions en cours en beaucoup de monastères, on a eu néanmoins le sentiment qu’il fallait absolument tenter quelque chose et que quelqu’un en prenne bien entendu le risque. Dès le départ, l’Abbé Primat a soutenu le projet sans réserve.

Les conférenciers de l’université de Saint-Gall n’avaient pas d’expérience particulière en matière de fonctionnement de monastère. Les moines et moniales bénédictins ont bien vite fait comprendre aux enseignants que la littérature clairsemée pouvant exister sur le sujet dans les manuels de sciences du management ne pouvait guère s’avérer utile. On dispose, bien sûr, d’innombrables observations d’auteurs bénédictins sur les applications possibles de la règle de saint Benoît au domaine des affaires. Mais, dans le cas présent, une autre orientation a été choisie. Il s’agissait de se poser la question suivante : Comment la science contemporaine du management peut-elle rendre service aux monastères, si on la met en rapport avec le savoir monastique de la règle de saint Benoît et avec la doctrine sociale de l’Église ?

Pour permettre une interdisciplinarité de ces domaines de savoirs, les modules du cours étaient organisés en binôme : un représentant des bénédictins et un représentant de l’université de Saint-Gall dirigeaient et modéraient ensemble les quatre modules : stratégie, leadership, organisation, et gestion de projet. Hormis le contenu que le cours entendait transmettre, un de ses objectifs principaux était de mettre à la disposition des participants une plateforme leur permettant de présenter leurs propres expériences et défis en matière de gestion, et de les proposer au débat. Les responsables pourraient ainsi échanger de façon bien préparée, ce qui pourrait aussi fournir des idées à leur communauté habituelle.

 

Hypothèses

Les sciences du management ne sont pas sans valeur. Les systèmes de référence qu’elles utilisent peuvent s’appliquer à divers systèmes normatifs. Il fallait oser en faire l’expérience en mettant en rapport les sciences du management, la doctrine sociale de l’Église et la règle de saint Benoît.

 

Il fallait mettre en rapport un management tourné vers les marchés et le système de valeur monastique

On partait aussi de l’hypothèse selon laquelle la majorité des défis rencontrés par toutes les organisations, quelles qu’elles soient, étaient probablement assez similaires. Les monastères ont, eux aussi, des conflits à gérer, des tabous à interroger, des projets à faire aboutir, etc. Se posait aussi la question du mode de management approprié : fallait-il, par exemple, que ce point soit débattu par la hiérarchie monastique ou bien que cela se traduise par une forte implication des membres ? Et comment responsabiliser la plus jeune génération ? Etc.

L’hypothèse et l’intention fondamentales de tous les organisateurs et initiateurs étaient que les activités de la communauté monastique pourraient devenir progressivement plus habituelles, systématiques et prévisibles, ce qui laisserait plus de tranquillité et de temps pour la vie monastique véritable. La communauté et ses membres auraient toujours un meilleur équilibre interne à trouver. Il faudrait rechercher les voies et les moyens permettant aux valeurs et aux normes chrétiennes d’imprégner mieux encore les activités économiques.

 

Rallumer la flamme

Lors des nombreux ateliers visant à mettre en application les contenus théoriques, ce sont les monastères représentés au cours qui ont constitué le sujet habituel. C’est là qu’ils ont pu vérifier l’utilité de ce qu’ils avaient appris, en fonction de leurs contextes particuliers, ainsi que réunir et évaluer des observations sur l’utilisation éventuelle de connaissances en management, compte tenu de cette variété de contextes. Il y avait une grande diversité de monastères représentés au cours. Essayons néanmoins d’en déduire quelques défis-clés pour les communautés religieuses de l’Ordre.

1. Rallumer la flamme bénédictine

Du fait de leur situation difficile, bien des monastères éprouvent partiellement un sentiment d’échec. Il faut une certaine imagination pour repérer cette humeur dominante. Les communautés monastiques doivent générer une dynamique positive afin de déployer les ressources qui leur restent avec créativité, en se tournant vers l’avenir et en restant fidèles à leur mission. Les jeunes religieux de l’Ordre, qui se montrent particulièrement positifs, ont besoin d’encouragement.

2. Surmonter l’individualisme

Indépendamment des temps de prière des monastères, il faudrait trouver comment nourrir leurs aspects communautaires. On pourrait commencer, par exemple, par élaborer une vision et une stratégie communes, bien adaptées au contexte. Avoir plus de vie communautaire peut également permettre de partager davantage d’informations importantes et d’avoir plus de transparence.

3. Utiliser les degrés de liberté existants

Dans une communauté religieuse, il y a beaucoup de règles, de normes et de tabous qui dissimulent partiellement les évolutions nécessaires. Il est toutefois frappant de constater que bon nombre de limitations sont interprétées plus étroitement qu’il ne le faudrait. La règle de saint Benoît laisse probablement plus de degrés de liberté qu’on ne le laisse entendre. Par exemple, un monastère a perdu des novices parce qu’il leur était interdit de porter des survêtements pour faire du sport. Il faut du courage et de la détermination pour remettre en cause les règles qui ne sont pas fondamentales, et les dépasser.

4. Se soucier plus visiblement du monde extérieur

Les échanges ont principalement porté sur le monde interne propre à chacun. On a parlé, par exemple, des confrères et consœurs récalcitrants, des diversités d’intérêts, etc. Mais les principales évolutions intervenues récemment dans la vie monastique, et ayant eu des influences en ce domaine, ont été à peine abordées. Quelles sont les conséquences attendues de certaines tendances comme le « vieillissement de la société », « l’évolution des valeurs » et la croissance rapide des technologies d’information et de communication, et quelles réponses peut-on leur apporter ? La spiritualité ne devrait pas être aveugle à la réalité de notre monde.

5. Aborder les questions non résolues en pensant à l’avenir

Bien des défis, comme le rôle des moniales au sein de l’Ordre ou la responsabilisation de la prochaine génération, ont été laissés en suspens pendant longtemps. Avec une patience et une foi en Dieu infinies, les ordres monastiques ont régulièrement remis ces sujets à plus tard. Et si on ne prête pas attention à ce genre de questions pendant trop longtemps, elles risquent d’empêcher que l’ensemble de la communauté évolue comme elle le devrait.

6. Professionnaliser les systèmes et procédures

Les échanges sur les problèmes de management se limitent souvent à la question du « mode de management ». Et pourtant, l’efficacité des systèmes et des procédures est non moins importante. Ceci touche, par exemple, au fait de disposer d’un système de comptes rendus vraiment significatif sur la situation financière d’un monastère, ce qui est nécessaire au contrôle interne mais aussi à la collaboration avec les bienfaiteurs dont les fondations requièrent habituellement un haut degré de professionnalisme. Des structures et méthodes d’organisation fiables constitueraient un autre exemple, car elles peuvent soulager ceux qui y sont impliqués.

7. Utiliser la différenciation potentielle

Le système de valeur, l’identité et l’histoire partagés par une même communauté religieuse lui procurent une capacité de différenciation unique. Ceci est vrai non seulement au plan spirituel, où l’on insiste sur la connaissance de la volonté de Dieu et la mise à sa suite, mais aussi dans les lieux où le monastère est en relation avec les personnes extérieures qui le fréquentent. L’amour des frères humains, qui confère à ces relations un caractère naturel et humble, est un bien précieux et contribue à différencier les services monastiques.
Les monastères diffèrent bien entendu les uns des autres, et il n’existe pas de recette générale qui permettrait de relever la variété des défis auxquels ils sont affrontés. Chaque cas doit être analysé avec soin avant qu’une action soit entreprise. Les communautés religieuses sont actuellement placées face à des défis majeurs qui dépendent de la capacité de leurs membres à évoluer. Il leur faut les compétences pour le faire mais aussi la ferme espérance qu’elles peuvent y parvenir. Les monastères doivent transmettre cette espérance.

 

 

[1] Professeur Günter Müller-Stewens, directeur de l’institut de Management d’Entreprise de l’université de Saint-Gall.
[2]Professeur Markus Muff, docteur en théologie, directeur de « Développement pour l’Europe », université bénédictine Saint-Anselme de Rome.
[3]Professeur Thomas S. Eberle, co-responsable du Séminaire de sociologie de l’université de Saint-Gall.
[4] Article déjà paru dans : Günter Müller-Stewens, Markus Muff, Thomas Eberle (2014) : « Management von Klöstern: Ein Erfahrungsbericht », [« Management de monastères : compte rendu d’expérience »], in Zeitschrift Führung + Organisation [Revue de direction et d’organisation], 83 (3), S. 184-189. Traduit ici à partir de la version anglaise de l’article.
[5] Prier, c’est écouter Dieu (obsculta o fili), comme le dit la règle de saint Benoît.
[6] Voir A. Kieser : « De l’ascétisme à l’administration des richesses. Les monastères médiévaux et les pièges de la rationalisation », in Organisation Studies [Études d’Organisations], vol. 8, 1987, chapitre 2, pp. 103-123.
[7] Pour se reporter à un débat récent sur la règle de saint Benoît, voir M. Casey, D. Tomlins, Introduction à la Règle de saint Benoît, Saint-Ottilien, 2006.
[8] Voir K. Rost, E. Inauen, M. Osterloh, B.S. Frey, « La gouvernance d’entreprise dans les abbayes bénédictines : qu’est-ce que les sociétés d’actions peuvent apprendre des monastères ? », in Journal of Management History [Journal d’histoire du management], vol. 16, 2010, chapitre 1, pp. 90-105.
[5] Le livre de Mitschke-Collande, Schafft sich die katholische Kirche ab ? Analysen und Fakten eines Unternehmensberaters [L’Église catholique se supprime-t-elle ? Analyse et point de vue d’un expert d’entreprise ], est un exemple d’analyse précise et critique de la situation actuelle au sein de l’Église catholique, sans cynisme ni polémique, mais qui s’associe à une attitude positive et fait quelques suggestions utiles.