Frère Ezéchiel Agaté, osb, monastère d’Agbang (Togo)

La gestion d’un monastère en Afrique de l’Ouest
à l’image de celle d’une entreprise

 

FEzechielFrère Ezéchiel a soutenu brillamment, il y a quelques années, un mastère spécialisé en Gestion de Projets et Programmes à SKEMA Business School à Lille. Son apport est ici particulièrement stimulant. Sa dimension pédagogique peut permettre aux communautés d’entrer d’une manière plus approfondie dans une logique nécessaire de bonne gestion pour un heureux développement.

 

L’histoire du monachisme en Afrique occidentale, dans son chapitre allant des années soixante à nos jours, est riche d’informations sur la vie des monastères, notamment sur la croissance des vocations ayant conduit à la création de nouvelles fondations et sur leur fragilité financière ou, mieux, leur problème d’autosuffisance.

Bien que la première préoccupation d’un monastère soit plus orientée vers le spirituel que vers le matériel ou les finances, il est utile de s’interroger sur la cause de cette fragilité aussi longtemps que les monastères répondront à la définition d’une organisation dont la survie dépend, par principe, de la qualité de sa gestion. Cette réalité rend nécessaire une réflexion sur la gestion des monastères en Afrique de l’Ouest. Celle-ci se veut un rappel et une analyse des principales fonctions ou principes de gestion communément admis pour les grandes organisations et qui, pour le moins, pourraient se révéler bénéfiques à nos monastères.

Ce rappel et cette réflexion seront précédés d’une définition thématique et suivis de propositions.

 

Les diverses assertions du mot gestion

Le mot « gestion » nous est familier à tous. Pourtant, sa définition reste problématique. Il entre dans le langage courant avec des expressions comme la gestion du temps, la gestion des ressources humaines, la gestion financière, la gestion de projets, le compte de gestion, la bonne gestion ou la mauvaise gestion d’une entité, etc. Mais que signifie-t-il ?

Le mot « gestion » vient du nom latin gestio qui signifie « action de gérer ». Le concept de gestion se réfère donc à l’action et à l’effet de gérer ou d’administrer. Gérer, c’est prendre des mesures conduisant à la réalisation d’une affaire ou d’un souhait quelconque. C’est aussi l’ensemble des procédures effectuées pour résoudre un problème ou réaliser un projet. Selon Anne Pezet et Samuel Sponem, gérer signifie « administrer » une affaire pour le compte d’autrui, mais aussi prendre en charge ses biens et ses propres affaires. L’action est alors tournée vers des objets. Mais gérer signifie également « diriger ». L’action est alors résolument orientée vers la maîtrise des comportements humains. Son sens se rapproche alors de celui de manager, et l’objet sur lequel s’exerce alors la gestion est l’homme. Comme on le voit, le mot « gestion » a un sens large et tend à se confondre avec « administration, management, gouvernement, direction » à la nuance près que : « administration » renvoie à l’État et à ses services publics. Il faut dans le même sens relever que le mot Management est un mot anglais signifiant « gestion » et est beaucoup plus large. Son objet est l’être humain. Quant à la notion de gouvernement, elle fait inévitablement penser au pouvoir exécutif d’un État. Enfin, la direction est considérée comme un terme trop général et ne vise que le pilotage.

Au-delà de ces nuances mineures, ces quatre mots restent synonymes. Nous les assimilerons alors volontiers dans le cadre de cette réflexion sur les monastères. Ainsi, remarquons que la gestion n’est pas seulement une histoire de finances ou de calcul numérique, ni de comptabilité ou d’économie, comme on le pense souvent. C’est plutôt un ensemble d’actions d’un responsable, consistant à combiner toutes les ressources au mieux afin de réaliser au maximum les objectifs fixés pour piloter une organisation vers sa mission. Mieux, la gestion est, comme le relèvent Stephen P. Robbins et David A. DeCenzo, « un processus par lequel des résultats sont obtenus de façon efficace[1]  et performante[2] via et avec autrui[3]  ». Ce processus est une boucle itérative de quatre fonctions définit en phase, à savoir : la planification, l’organisation, la direction et le contrôle.

 

Agbang1. La planification

Selon Robbins et DeCenzo la planification est « la phase du processus de management englobant la définition d’objectifs, l’élaboration d’une stratégie et le développement de plans pour coordonner les activités. Elle concerne autant les fins que les moyens ». Elle peut être formelle et/ou informelle[4]. La définition d’objectifs suppose une bonne connaissance de ce que l’on veut. Il s’agit ici d’avoir une vision claire de sa mission, c’est-à-dire se faire une représentation claire d’un avenir meilleur. Pour ce faire, l’on pourrait se poser des questions comme : Quels besoins imminents ou latents voudrais-je prendre en compte pour ma société (communauté) dans un avenir plus ou moins proche qui pourraient changer le cours de la vie actuelle ? Quelle est ma mission pour la société ? De quoi ai-je besoin pour exécuter cette mission ? Les réponses à ces questions permettront de se fixer des objectifs généraux qui seront déclinés en objectifs spécifiques. Il ne s’agit pas simplement de se trouver des objectifs mais encore faut-il qu’ils soient SMART[5]. C’est dans cette phase qu’il faut faire des plans et choisir des normes. L’élaboration des prévisions budgétaires, les plans d’investissement ou des budgets de recettes sont autant de plans. La planification se charge d’indiquer quoi faire et quand le faire. Pour un nouveau projet, par exemple, c’est ici qu’il faut bien analyser ses besoins, par une étude d’opportunité et de faisabilité. La planification est, en somme, la base de toute gestion permettant de suivre une direction. Elle permet alors de montrer la direction à l’ensemble des membres de la communauté. Elle réduit le facteur d’incertitude sans le supprimer pour autant, et réduit ainsi l’impact du changement imprévu et incessant de l’environnement. Elle limite les pertes des actions superflues car les activités redondantes et superflues seront éliminées grâce à une coordination avant toute action. La planification est le moteur d’un management par objectif, orientée vers la transformation des objectifs globaux en des objectifs spécifiques, puis en des objectifs individuels[6], ce qui a l’avantage pour une communauté de créer une émulation et une concurrence saine entre les différentes unités de production ou même des individus dans leurs tâches quotidiennes.

Au-delà de ses bienfaits qui lui sont reconnus, la planification est malgré tout critiquée pour la rigidité des collaborateurs dès lors qu’un changement plausible de plan s’impose. Toute planification est accompagnée d’un processus décisionnel consistant à identifier un problème, identifier les critères de décision, prioriser ces critères, développer des options, les analyser pour en choisir une qui sera mise en place comme décision. Il vaut mieux prendre le temps de décider que de décider dans la précipitation ou sous l’effet de la colère. Une telle décision contrariera sûrement à l’avenir celui-là même qui l’a prise sans passer par ces analyses préliminaires. C’est ainsi que l’on pourra organiser au mieux toutes les ressources mises à disposition.

 

2. L’organisation

L’organisation est la fonction de management ayant pour raison d’être la structuration organisationnelle (S. Robbins & A. DeCenzo, 2008). Elle définit les rôles et les responsabilités claires de chacun des acteurs. Elle établit des règles de conduite pour tous et fixe les niveaux d’autorité et de décisions qui doivent régir tout le fonctionnement. C’est ici qu’une étude profonde de toutes les parties prenantes s’avère nécessaire (pour dire qui fait quoi et où). C’est aussi à cette phase que les responsables doivent faire preuve d’amour pour leurs communautés en confiant les responsabilités selon le principe anglo-saxon : « The right man at the right place ». C’est à eux de faire en sorte que tous les membres de leurs communautés forment une équipe plutôt qu’un groupe d’hommes ou de femmes. Il faut dans ce sens rappeler avec Richard Templar qu’« une équipe est une organisation, avec sa propre dynamique, ses qualités et ses règles » dont la connaissance permet « de façonner votre équipe pour qu’elle réalise des exploits ». Il n’est pas aussi inutile de rappeler que dans une équipe, il existe des personnes très différentes, chacune tirant la ficelle de son côté avec plus ou moins de force. Le mérite d’un responsable de communauté réside dans sa capacité de faire en sorte que la somme des tractions rapproche la vision de plus près. Comme le souligne Casey Stengel : « Il est facile de trouver de bons joueurs. La difficulté est de les faire jouer ensemble ». Pouvoir les faire jouer ensemble, c’est savoir les disposer en sorte qu’ils trouvent leurs complémentarités l’un par rapport à l’autre. Il faut alors bien connaître ses joueurs, ses frères, ou ses sœurs. Selon R. Meredith Belbin, il existe neuf rôles dans une équipe qui sont : les concepteurs, les promoteurs, les coordinateurs, les propulseurs, les priseurs, les soutiens, les organisateurs, les « perfectionneurs » et les experts. Ils doivent placer la bonne personne au bon poste. La considération des compétences et aptitudes est primordiale pour le succès de ce que l’on entreprend. Pour une réalisation d’un projet, par exemple, chacune des personnes impliquées devra clairement savoir ce qu’elle va faire, quand elle va le faire et ce que l’on attend d’elle. Ainsi chacun se « retrouvera » à sa place et se sentira utile, trouvera l’autre à une autre place où il se sent incapable, ce qui induit un sentiment de complémentarité et de respect mutuel entre les membres d’une communauté. C’est seulement quand cette organisation est bien faite que l’obéissance sera un tremplin pour la performance. Il est dans ce sens utile de rappeler que notre vœu d’obéissance (comme les deux autres d’ailleurs), est un atout pour une bonne gestion. Par contre, une mauvaise organisation peut créer la désobéissance qui n’arrange personne, en définitif. Une grande partie de la règle de saint Benoît est, en ce sens, consacrée à l’organisation de la gestion du monastère. Saint Benoît insiste pour que le second du monastère soit nommé par l’abbé, pour qu’il y ait une étroite collaboration entre les deux.

Tout ce qui est vrai pour les ressources humaines l’est aussi pour les autres ressources. Une enveloppe budgétaire destinée à un investissement ne devra pas en principe être déviée vers les dépenses courantes, ou vice versa, au risque de créer un déséquilibre financier qui entravera la vie de toute la communauté. Comme le dit en effet un proverbe africain : « On ne peint pas du noir sur du noir ni du blanc sur du blanc, chacun a besoin de l’autre pour se révéler ». De cette manière, personne ne pourra avoir uniquement en tête ses seuls objectifs personnels. Tous regarderont dans la direction commune à la mission.

 

3. La direction

En se basant toujours sur la définition de Stephen Robbins et David DeCenzo, la direction est une phase du processus de management comprenant la motivation des personnes, l’administration des activités des autres confrères, le choix du canal de communication le plus probant ainsi que la résolution des conflits. Cette phase dans le processus de management est beaucoup plus axée sur le comportement du dirigeant. Après une bonne planification et une bonne organisation, il revient au responsable d’user de toutes ses compétences et de son charme pour motiver et entraîner tous et chacun vers le but. Le responsable doit offrir à ses confrères l’opportunité d’élargir leurs capacités et d’améliorer leurs performances dans toutes leurs attributions. Il doit s’intéresser à chacun individuellement et être à son écoute. Il doit instaurer un climat stimulant en montrant combien il apprécie la contribution de chacun aux objectifs de la communauté. Il incitera les membres à changer de comportement en les laissant participer à l’identification et à la sélection des options d’amélioration, comme le recommande la règle de saint Benoît[7]. Il s’assurera évidemment que les objectifs paraissent réalisables et que les autres continuent bien de croire qu’un travail soutenu leur permettra d’atteindre les objectifs de performances proposés. Il doit aussi s’assurer l’équité de son système de gestion. Dans beaucoup de cas, la réussite d’un responsable dépend de son leadership. Ce dernier ne peut se bâtir que sur son honnêteté – qui est indispensable pour la crédibilité – sa sincérité, mais aussi sur ses connaissances et qualités techniques et spirituelles, sa loyauté, la cohérence de ses jugements, sans oublier son désir de partager librement les idées et informations nécessaires. Pour y parvenir, un responsable se doit d’être aussi transparent que possible et inspirer confiance aux collaborateurs, confrères, consœurs. Ces derniers doivent pouvoir compter sur lui, ce qui exige qu’il tienne ses promesses et protège les confidences reçues des uns et des autres. Aussi, il est important de susciter l’admiration et le respect des autres en affichant une auto-assurance et en respectant ses collaborateurs. Le responsable doit non seulement savoir communiquer, mais aussi savoir écouter et montrer l’intérêt qu’il porte à son orateur. Au-delà de tout, l’une des attributions de l’acteur de la direction est de trouver une suite heureuse aux conflits qui sont inévitables. Il doit être suffisamment impartial pour ne pas alourdir le conflit mais le traiter dans le sens du bien de la communauté.

Nous avons bien planifié, bien organisé et bien dirigé, sommes-nous à la fin de notre gestion? Non, rien ne garantit que tout se passe comme nous le voulons. Il faut le vérifier, c’est-à-dire le contrôler.

 

4. Le contrôle

Le contrôle est la dernière phase de management qui, selon S. Robbins et D. DeCenzo, désigne la fonction par laquelle s’opère le suivi des activités en visant à garantir leur conformité aux préconisations de départ et à corriger tout écart trop important. Ce n’est pas un contrôle policier, ni coercitif mais plutôt un contrôle d’assurance. Nous avons fait allusion plus haut à la confiance en relevant qu’elle était déterminante pour un leader. Elle l’est aussi pour les suiveurs. Elle n’exclut pas le contrôle, comme l’affirme la fameuse phrase de Lénine : « La confiance n’exclut pas le contrôle ». Le contrôle dont il est question ici consiste à vérifier si ce que l’on a planifié et organisé est en bonne voie de se réaliser afin qu’on puisse apporter dans le cas contraire les modifications ou les corrections nécessaires. Il permet aussi de s’assurer que l’autorité déléguée n’a pas suscité d’abus.

L’absence de contrôle conduit toujours à l’échec, et pour les communautés monastiques, ce contrôle est plus qu’indispensable, dans la mesure où l’esprit de confiance qui doit prévaloir dans les monastères peut faciliter des dérives. Il y a plusieurs manières d’effectuer un contrôle. On distingue notamment le contrôle par les procédures, qui privilégie l’autorité et s’appuie sur les normes, les règlements, procédures et politiques administratives. Une fois que les critères et les normes de performance ont été établis, le processus de contrôle comprend trois étapes distinctes :

D’abord la mesure des performances réalisées et du rendement. Richard Quinn nous rappelle ceci : « Vous ne pouvez tout simplement pas gérer quelque chose que vous ne pouvez pas mesurer ». H. Michal renchérit dans le même sens : « Vous ne pouvez pas gérer sans mesurer et seul ce qui est mesuré est mis en œuvre. La mesure est l’antidote à l’ambiguïté, elle oblige à être clair sur des concepts vagues et elle oblige à agir ».

La mesure des performances utilise quatre sources d’informations : l’observation personnelle, les rapports statistiques, les comptes rendus oraux et comptes rendus écrits. C’est pourquoi, il est impératif pour une communauté monastique de tenir la comptabilité à des fins de comptes rendus. Des comptes rendus aux autres frères, aux responsables des congrégations et surtout aux donateurs, bienfaiteurs ou autres partenaires financiers, etc. Il en va de la consolidation de la confiance souhaitée et de la survie des relations de partenariat.

Ensuite, la comparaison de ces performances réalisées par rapport aux normes de références ou des critères préétablis, et enfin l’action visant à corriger les écarts ou à revoir les critères.

Faire le contrôle, c’est aussi se rendre sur le lieu du service, discuter avec l’intéressé, faire des feedbacks par rapport aux comptes rendus ou des rapports. L’une des priorités en matière de contrôle pour toute entreprise ou organisation est le contrôle financier des stocks, des ventes, des coûts et aussi des créances. C’est pourquoi dans des monastères, un compte rendu économique régulier à l’abbé est exigé.

Le contrôle étant indispensable pour une bonne gestion, il faut éviter son dysfonctionnement car il peut réorienter le comportement des individus vers les objectifs de la communauté. Il faut donc une certaine flexibilité et prévoir des normes ou critères qui soient rationnels. Tels sont les grands points incontournables de toute gestion. Évidemment, différentes approches de gestion seront possibles suivant la nature de l’objet de gestion comme, entre autres, la gestion de projets.

 

Un mot sur la gestion de projets

La gestion de projet est l’ensemble des activités consistant en l’organisation, la planification, la coordination, le pilotage et la surveillance en vue d’un livrable[8]. Remarquons dans cette définition que la coordination et le pilotage relèvent de la direction, et la surveillance n’est que le suivi quotidien de toutes ses activités pour s’assurer de la bonne exécution. Le contrôle, lui, consiste à mesurer et à comparer les données par rapport aux prévisions et à la correction éventuelle. Il ne peut avoir de contrôle sans une mise en place préalable d’un plan.

Il appartient alors au chef de projet de planifier toutes les séquences des activités du projet. Mais il faudrait préalablement cerner le périmètre et mettre au clair les bénéfices futurs attendus du projet, car tout projet a pour vocation de changer l’état actuel en un état meilleur. En d’autres termes, il est important de savoir analyser le besoin ou le problème que le projet est sensé résoudre. La réussite de tout projet en dépend. Pour réussir, il faut prendre le temps de mener une étude de faisabilité. On ne construit pas une église pour le plaisir de construire, on n’achète pas un tracteur parce que la communauté voisine en a un, on n’installe pas une fromagerie parce que toute l’économie de l’autre abbaye repose sur la fromagerie, on n’installe pas une brasserie parce que les frères aiment la bière. L’importance d’un projet réside dans son adéquation avec l’objectif du monastère. Pour cela, il faudra répondre à une série de questions  aboutissant à une étude de faisabilité, puis l’élaboration de divers plans avec la délégation ou l’assignation des tâches à chaque partie prenante. Pour ce travail, il est indiqué de se faire aider par des experts si la communauté n’en dispose pas. Le pilotage se fera par un comité formé à cet effet et qui est responsable de  la surveillance du projet. Il est conseillé de déléguer aux experts la charge de s’assurer du suivi du projet, de la même manière que les bureaux de contrôle des grands chantiers, afin de veiller à obtenir les spécifications de départ. Après la planification, l’organisation, la coordination et le pilotage, il faut contrôler. Que faut-il contrôler ?

Le contrôle selon la méthode PRINCE2[10] est basé sur six contraintes de performance, à savoir :

Les coûts du projet ; Il y a toujours des changements et des surprises qui modifient toujours  le budget  de départ.

La durée : la question du délai d’exécution est un problème très fréquent qui mine les relations de partenariat sur les projets.

La qualité : Il ne sert à rien de réaliser, d’utiliser moins de ressources ou de vite finir si on n’obtient pas la qualité requise.

Le périmètre constitue tous les livrables ; il est très important de bien le définir au départ entre les parties concernées. Par exemple, un monastère commande la construction d’une église à un fournisseur et s’imagine que la sonorisation fait partie de l’église alors que, pour le fournisseur, l’équipement de sonorisation fait objet d’un autre contrat. Il faut s’accorder sur tous les aspects du projet avant tout.

Le risque : Les professionnels de management de projet recommandent que le risque soit pour le chef de projet un aspect de la gestion sur lequel il reste constamment éveillé. Il faut toujours s’interroger sur le risque qu’on court dans cette phase du projet vis-à-vis de la main d’œuvre ou des parties prenantes, de la matière utilisée, du matériel ou de la machine, des méthodes et du milieu même dans lequel se déroule le projet. Les ayant identifiés, on doit les éviter, diminuer leurs impacts ou même les transférer aux agences d’assurance par exemple. On court le risque, par exemple, de perdre un bienfaiteur si, après le financement d’un projet, celui-ci n’a plus aucun retour de notre part pour le tenir informé de l’évolution des activités. Souvent, on a l’impression que l’étude du risque semble négligeable pour les moines comptant sur la Providence divine. Il n’est pas mauvais de compter sur la Providence, mais l’anticipation des risques n’est pas non plus mauvaise.

Les bénéfices attendus : Il ne sert absolument à rien de multiplier les efforts pour un projet dont on sait qu’à un moment donné il ne servira à rien. Sa viabilité étant mise en cause, il vaut mieux l’arrêter et épargner les ressources non engagées. Il ne sert à rien, par exemple, de continuer à construire un monastère sis dans une zone où il se révèle impossible de trouver un point d’eau potable, quels que soient les moyens qui y seront mis.

Le cadre de cette rédaction ne nous permet pas de faire un développement plus étendu que celui-ci. La science a mis à notre disposition d’innombrables outils de gestion largement développés dans des ouvrages dédiés à la question. Je vous invite à y recourir et, au besoin, à faire appel à un expert pour des réponses plus appropriées à vos besoins et réalités.

 

Conclusion

La gestion est un domaine inhérent à toute vie et à toute activité. Toute personne gère quelque chose quotidiennement, plus ou moins bien. La qualité de cette gestion dépend de comment l’on intègre les quatre fonctions de base, à savoir la planification, l’organisation, la direction et le contrôle. Que l’on soit abbé, économe, maître de novice, chef de projet, novice, coursier, moine, enseignant, Président de la République... bref, dès lors qu’on porte un titre, on est amené à gérer quelque chose ou quelqu’un, comme le souligne la règle de saint Benoît : « Celui qui accepte le nom d’abbé doit donc gouverner ses disciples par un double enseignement… »[11]. Notre propre personne est le premier objet de notre gestion. Chacun doit donc se considérer comme un gestionnaire et avoir en tête cette boucle des quatre fonctions. Aucune économie ne peut prospérer durablement sans une saine gestion. Et pour les monastères, surtout ceux de l’Afrique de l’Ouest, un effort doit être fait au niveau de la gestion afin d’éviter de multiplier les bons projets reposant théoriquement sur de belles idées mais aux résultats souvent décevants.

Un bon projet économique bien géré peut à lui seul stabiliser l’économie, la vie spirituelle et le rayonnement d’un monastère. C’est pourquoi, nous conseillons pour tout projet de prendre le temps nécessaire à une étude de faisabilité, de bien organiser le projet avec l’implication de toutes les parties concernées depuis le début du projet jusqu’à la fin, à travers un plan de communication clair et accepté de tous. La communication claire sur la vision du projet, le bénéfice qu’il produira et son système de gestion sont importants pour son succès. Ce qui permettra ainsi d’éviter une stratégie de « me too » (« moi aussi »), pour initier des projets parce que les autres le font, ou initier des projets qui présentent une face alors qu’ils en cachent d’autres. Cela ne donnera jamais de bons fruits en matière de projets. Enfin une exhortation s’impose aux responsables de communautés: inclure, de façon sporadique, des sessions de formation sur la gestion, dans le cadre de la formation continue au sein de leurs communautés. Car au final, tout est une question de gestion !

 

[1] Efficace : mesure se référant au fait d’effectuer toutes tâches qu’on a à faire, d’atteindre tous les objectifs fixés.
[2] Performance : mesure se référant à la capacité de faire bien beaucoup de choses avec les mêmes ressources, ou faire les mêmes choses avec moins de ressource. La performance cherche à minimiser les coûts.
[3] Stephen Robbins & D. DeCenzo, Management, l’essentiel des concepts et des pratiques (6e édition), 2008.
[4] Informel ou formel, c’est-à-dire mettre le plan par écrit ou le faire sans écrit.
[5] SMART =  Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réalisable et Temporel.
[6] Les objectifs globaux se réfèrent à la vision, au but, à la stratégie ; alors que les objectifs spécifiques se réfèrent aux tâches spécifiques à réaliser pour atteindre l’objectif global. L’objectif individuel se réfère à l’objectif par individu contribuant à la réalisation de la tâche spécifique.
[7] Règle de saint Benoît, chap. 3, 1-4 : « Toutes les fois qu’il y aura dans le monastère quelque affaire importante à décider, l’Abbé convoquera toute la communauté et exposera lui-même ce dont il s’agit. Après avoir recueilli l’avis des frères, il délibérera à part soi et fera ensuite ce qu’il aura jugé le plus utile. Ce qui nous fait dire qu'il faut consulter tous les frères, c’est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur ».
[8] Livrable : C’est le produit du projet (ça peut être un service).
[9] Voulons-nous prendre en charge une paroisse, et notre église actuelle nécessite un nombre plus élevé de places assises ? Ou bien, notre église actuelle ne nous prodigue pas un climat de recueillement requis ? L’aménagement alors ne serait-il pas une solution ? Ou sera-t-il moins coûteux à construire qu’à aménager ? Aurions-nous l’espace suffisant pour le tracteur ? En somme, que voulons-nous faire ? Quels sont les objectifs de notre monastère ? En quoi le projet aidera-t-il à les réaliser ? Quel est le budget alloué au projet ? Quelles sont les ressources disponibles ? Quels sont les risques de ne pas réaliser le projet ? À quel niveau de détails le projet doit-il être défini ? À qui les informations sur l’avancement du projet devront-elles être transmises ? Quels types de rapports doit-on préparer ? Combien de temps est-il normal de consacrer à la gestion de ce projet ? Qui devra piloter le projet ? Qui fera quoi ? Quand ? Où ? Et comment ? Etc.
[10] PRINCE2 est un standard de gestion de projet. C’est une méthode anglaise de gestion de projet.
[11] Règle de saint Benoît, chap. 2, 11.