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Transition

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La vida monástica hoy

125

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“Toda la Vida como Liturgia”

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Los Capítulos Generales Cistercienses
(OCSO y OCist, Septiembre y Octubre 2022)

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Vida Monástica y Sinodalidad

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La gestión de la Casa Común

121

Bulletin

Fratelli tutti,
la fraternidad en la vida monástica

Transition

Bulletin de l'AIM n° 127, 2024

Contenido

Éditorial

Dom Bernard Lorent Tayart, osb, Président de l’AIM


Perspectives

• Intervention au Congrès des abbés 

Dom Jean-Pierre Longeat, osb, Président sortant de l’AIM


• Intervention au Congrès des abbés 

Dom Gregory Polan, osb, Abbé Primat sortant


• Dom Jeremias Schröder, Abbé Primat 

D’après un article de Vatican News


Réflexions

Autorité et liberté 

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, OCist, Abbé général


Ouverture sur le monde 

La situation actuelle de l’Inde sur la scène internationale 

Dom Jean-Pierre Longeat, osb


Témoignage

La foi chrétienne dévoilée avec une approche mystique orientale et occidentale par J. Monchanin, H. Le Saux et B. Griffiths 

Dom Dorathick Rajan, osb


Liturgie

« Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale » 

Frère Patrick Prétot, osb


Grandes figures de la vie monastique

• Abbé Notker 

Wolf Dom Cyrill Schäfer, osb


• Adieu à dom Notker Wolf 

Dom Jeremias Schröder, osb


• Sœur Lazare de Rodorel de Seilhac 

Sœur M.-Madeleine Caseau et  sœur Fabienne Hyon, osb


Nouvelles

• Voyage en Inde (4-11 février 2024)

Dom J.-P. Longeat, osb


• Voyage au Togo (17-24 février 2024)

Dom J.-P. Longeat, osb


• Compte rendu de la rencontre des supérieurs monastiques de l’Afrique de l’Ouest francophone 

Sœur Thérèse Benoît Kaboré, osb


• Chronique du 21e chapitre général de la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin 

Dom Josep-Enric Parellada, osb

Sommaire

Editorial

En juin dernier, le Père Abbé Primat Gregory Polan, après avoir consulté les autorités compétentes, m’a nommé Président de l’AIM en remplacement du Père Abbé Jean-Pierre Longeat qui termine onze années de services précieux pour toutes les familles bénédictines. L’annonce officielle de ma nomination a été faite lors du dernier Congrès des abbés tenu à Rome entre le 10 et le 20 septembre 2024. Je prendrai mes fonctions à temps plein à partir du 1er janvier 2025 puisque je reste abbé de Maredsous jusqu’à cette date.

Pour motiver cette nomination, les arguments suivants ont dû compter : je suis abbé de Maredsous depuis avril 2002 et j’ai été responsable du prieuré de Gihindamuyaga au Rwanda jusqu’à son autonomie en 2018 ; j’appartiens à la congrégation de l’Annonciation qui est internationale et présente sur plusieurs continents ; je suis coprésident avec Mgr Sayaogo, archevêque de Koupéla au Burkina, de la Fondation internationale Religions et Sociétés qui promeut en Afrique le pacte éducatif du pape François et l’accueil des prêtres et des consacrés africains en Europe ; enfin, ma perception de l’Église est universaliste et je m’étonne toujours et encore de la manière dont le Christ parle et s’exprime par des visages, des mains et des cœurs si riches et si différents.

Lors du Congrès des abbés, deux thèmes sont apparus à la fin de nos débats : les monastères présents dans les lieux de conflits et l’anniversaire de la fondation de l’abbaye de Montecassino en 529.

Plusieurs abbayes et prieurés sont en effet situés dans des zones de conflits : Terre Sainte, Ukraine, République démocratique du Congo, plusieurs pays du Sahel, Venezuela et d’autres régions encore. Nos communautés partagent l’angoisse des habitants mais organisent aussi l’accueil et les soins des réfugiés. Comment nos frères et sœurs impliqués dans ces situations de conflits peuvent-ils exprimer la voix de la paix si chère à saint Benoît ? D’autres monastères sont situés dans des zones de conflits avec la nature : l’abbaye de Valyermo en Californie a été menacée tout récemment par les incendies au point d’évacuer toute la communauté. La question environnementale restera d’actualité pour longtemps encore.

Dans cinq ans, l’abbaye de Montecassino fêtera le 1500e anniversaire de sa fondation en 2029. Il faut donc s’y préparer car cet anniversaire est symbolique à trois niveaux au moins. L’abbaye fondée par saint Benoît a connu la guerre à plusieurs reprises jusqu’à sa destruction en 1943. Elle est donc reliée à la problématique des abbayes vivant au milieu des conflits. Fondée en 529, l’abbaye reprend la mission culturelle de l’École néoplatonicienne d’Athènes supprimée la même année. C’est un symbole fort de la transmission de valeurs entre l’antiquité et la chrétienté. Notre époque vit cette même tension aujourd’hui et nous invite à réfléchir si nous voulons nous installer dans la position d’une institution qui se meurt et transmet ses valeurs ou si nous voulons « reverdir » et proposer à l’humanité le Christ qui est toujours nouveau. Enfin, l’actuelle communauté de Montecassino connaît la fragilité des trop petites communautés et le risque de ne plus pouvoir continuer. L’AIM proposera des pistes pour que toutes les communautés vivent cet événement de l’établissement de saint Benoît à Montecassino où il a écrit sa Règle.

Nous commençons aussi une réflexion sur le rôle de l’AIM, de la solidarité qu’elle incarne et exprime compte tenu de la fragilité de nombreuses communautés du Nord et de la vitalité de nombreuses communautés du Sud. L’année sainte 2025, consacrée à l’espérance et la confiance, est la meilleure motivation qui soit pour nous y aider.


Dom Bernard Lorent Tayart, osb (Maredsous)

Nouveau Président de l’AIM

Articulos

Intervention au Congrès des abbés de dom J.-P. Longeat

1

Perspectives

Dom Jean-Pierre Longeat, osb

Président sortant de l’AIM


Intervention au Congrès des abbés

lue par dom Bernard Lorent Tayart


Après onze années de service à l’Alliance InterMonastères comme Président, je suis heureux de transmettre cette belle charge à un abbé compétent et entreprenant qui va poursuivre l’effort d’ouverture et de partage qui est intrinsèquement lié au travail de cet organisme.

J’ai été particulièrement heureux de participer à cette œuvre qui met en relation les communautés bénédictines, cisterciennes et trappistes, masculines et féminines, du monde entier. Cela représente un réseau impressionnant de quelques 1 800 communautés. N’hésitez pas à aller voir le détail de cette œuvre sur le site de l’AIM récemment renouvelé (https://www.aimintl.org/).

Dans un monde aussi instable que le nôtre, des structures transversales qui permettent d’agir en réseaux sont indispensables. En ce sens, l’AIM a encouragé l’émergence et la vitalité des associations monastiques régionales sur tous les continents. Celles-ci permettent aux supérieurs, aux formateurs et aux jeunes moines et moniales de bénéficier de lieux précieux de concertation, de partage et de formation. Bien sûr les Ordres et les Congrégations s’activent depuis toujours pour cela, mais bien souvent, faute de renouvellement, en raison de problèmes structurels ou par habitude, cela ne suffit pas. C’est pourquoi l’AIM, bien que n’ayant aucune mission hiérarchique, peut favoriser avec liberté des fonctionnements autres qui sont très appréciés des jeunes communautés.

Durant les soixante dernières années, les fondations ont été nombreuses (600 environ). Depuis dix ans, le rythme des fondations est passé de dix par an dans le monde, à quelque trois par an. De ce fait, l’essentiel des aides que reçoit l’AIM concernent la formation, même s’il existe encore des demandes pour les constructions nouvelles ou à rénover, ou les activités lucratives. Il est clair que toutes les fondations sont maintenant à consolider et à faire perdurer avec des assises solides.

L’AIM aide aussi les monastères dans leurs projets de développement qui bénéficient à eux-mêmes et aux populations locales. Nous avons créé une Fondation abritée par Caritas, la Fondation Benedictus, pour accompagner tous ces projets et recevoir des dons et des legs pouvant bénéficier de déductions fiscales.

Certaines régions restent particulièrement vivantes d’un point de vue monastique, en Asie ou en Afrique, alors que d’autres, sur ces continents mêmes, commencent à connaître des difficultés de recrutement. Beaucoup de pays se trouvent confrontés au phénomène de la sécularisation – en Amérique latine notamment, ainsi qu’à la « concurrence » des communautés évangéliques qui prennent le pas sur le catholicisme. Tout cela crée de nouveaux contextes par rapport auxquels les monastères doivent réagir.

On peut constater en beaucoup d’endroits une progression du lien avec les laïcs. Ce n’est pas une réalité nouvelle pour la vie monastique puisque le phénomène des convers, des oblats, des donnés, des familiers, etc., a toujours été pris en compte sous diverses formes ; aujourd’hui, cette question se pose à nouveaux frais dans le prolongement de l’ecclésiologie de Vatican II. Ce serait une grave erreur de ne pas vouloir en tenir compte.

Durant les années de mon mandat comme président, plusieurs documents ont été mis au point par notre Équipe internationale pour aider les communautés : le Miroir monastique, le Rêve monastique et récemment les réponses à un questionnaire sur l’état de la vie monastique aujourd’hui. Cela répond à la mission que l’AIM a reçu d’être un observatoire de la vie monastique. Pour cela l’Équipe internationale a été rajeunie, le secrétariat de l’AIM s’est enrichi d’une sœur indienne et le sera bientôt d’une sœur burkinabée (merci aux sœurs Gisela, Mary-Placid et Christine qui ont animé le secrétariat durant le temps de mon mandat) ; un grand nombre de membres du Conseil et du Comité exécutif ont été renouvelés. Je suis heureux de laisser à mon successeur et à ses collaborateurs et collaboratrices une organisation bien vivante, prête à faire face à des défis toujours nouveaux.

Mes derniers mots sont à la fois ceux d’un immense remerciement pour votre contribution humaine, spirituelle et économique à cette belle entreprise, et un appel à toujours faire mieux et plus en matière de solidarité. Notre beau réseau monastique est capable de grandes choses s’il est uni. Merci de rester solidaires les uns des autres et de toujours répondre aux besoins des communautés les plus pauvres qui sont aussi souvent les plus jeunes et les plus dynamiques.

Que Dieu soit béni et qu’en toutes choses il soit glorifié.


Visite à l’abbaye de Santa Escolástica, Victoria (Argentine), durant le voyage pour la rencontre de l’EMLA en 2019. © AIM.

Intervention au Congrès des abbés de dom Gregory Polan

2

Perspectives

Dom Gregory Polan, osb

Abbé Primat sortant


Intervention au Congrès des abbés

10 septembre 2024


Huit ans se sont écoulés depuis que nous nous sommes réunis en tant que Corps des abbés bénédictins. De nombreuses questions importantes se sont posées pour notre monde, notre Église et notre Ordre bénédictin. Nous avons été confrontés, et continuons d’être confrontés, à un monde divisé à de nombreux niveaux par la guerre, la violence, la mort et par des formes d’extrémisme. De même, notre Église, dont je crois que nous sommes une partie vitale, a traversé des périodes de souffrance et de guérison, d’humiliation et d’honneur, de mort et de vie nouvelle. Et notre Église nous a indiqué de nouvelles directions pour l’avenir, dans le sens d’une consécration renouvelée au Christ et aux vérités de l’Évangile. Cette consécration sera toujours rendue plus féconde par notre capacité à vivre en relation les uns avec les autres de manière synodale. Tout comme notre Église, notre Ordre bénédictin a rencontré la difficulté de faire face à la réalité de communautés plus petites, de vocations moins nombreuses dans beaucoup de parties du monde, tout en recherchant une sagesse plus profonde pour esquisser de nouvelles orientations pour la formation dans nos communautés à tous les niveaux, y compris nous-mêmes en tant qu’abbés et moines anciens de nos communautés. Pourtant, les défis dont nous parlons ne sont-ils pas une invitation à renouveler notre vie bénédictine dans toute sa plénitude ? Nos difficultés ne sont-elles pas des voies à suivre pour chercher résolument à affronter les problèmes et à élaborer un plan pour le renouvellement continu et permanent de notre Ordre bénédictin, de notre mission dans le Christ, et de l’invitation qui nous est faite à promouvoir un esprit bénédictin vivant, positif, et sain ? Notre dévouement à la devise simple mais profonde « Ora et Labora » nous fait voir de bien des manières comment l’Ordre bénédictin peut aller de l’avant et se montrer un leader créatif et plein d’espérance dans l’Église. Nombreuses sont les manières par lesquelles nous pouvons toucher notre Église et notre monde au moyen de ces éléments qui ont distingué les bénédictins à travers les siècles : la liturgie, la prière, le silence, l’écoute, la contemplation, le dialogue, l’œcuménisme, l’équilibre, l’humilité, l’obéissance et l’hospitalité.

Eucharistie dans l’église abbatiale de Stanbrook (Angleterre) durant la réunion du Conseil de l’AIM qui a eu lieu à l’abbaye d’Ampleforth en 2023. © AIM.

Mon intention ce matin n’est pas de vous présenter une synthèse sur le monde bénédictin. Ce sera le travail des membres du Synode des abbés présidents qui ont préparé à la fois des rapports et de courtes interventions que nous entendrons au cours des prochains jours. Je voudrais plutôt vous parler davantage en tant que frère-abbé qui a assumé la tâche de rester abbé tout en vivant et en travaillant dans un lieu unique et merveilleux, ici, à Sant’Anselmo à Rome. Ce que je peux dire, et je développerai davantage demain en parlant des rôles de l’Abbé Primat, c’est que cela a été totalement différent de mon expérience précédente de service en tant qu’abbé de l’abbaye de l’Immaculée Conception, plus souvent connue sous le nom d’abbaye de Conception, au cœur des États-Unis. Je vous remercie sincèrement de m’avoir appelé à cette responsabilité actuelle à Sant’Anselmo pour représenter l’Ordre bénédictin dans tant d’endroits différents à travers le monde. En même temps, je peux dire que cela m’a mis à l’épreuve, aussi bien dans les talents que Dieu m’a donnés que dans le développement de compétences latentes en vue du bien-être de ceux qui vivent à Sant’Anselmo et en toutes sortes de situations dans les communautés monastiques à travers le monde. Cela m’a forcé à aller au bout de mes possibilités, m’a révélé mes faiblesses et m’a mis au défi de grandir de bien des manières. Cela a donné une nouvelle profondeur à ma croissance spirituelle et élargi mes horizons. J’ai pu mieux voir comment notre Ordre bénédictin, tant masculin que féminin, propose des chemins merveilleux pour que notre service des autres les attire vers le Christ par l’esprit de saint Benoît.

Au cours de ces années en tant qu’Abbé Primat et vivant à Sant’Anselmo, j’ai développé une amitié spirituelle avec les premiers fondateurs monastiques, les Pères et les Mères du désert. Ces hommes et ces femmes sont allés dans les déserts de Palestine et d’Égypte au 4e siècle, après l’Édit de Constantin. Ils sont partis en quête de la connaissance de l’âme humaine, et surtout de leur propre âme. La solitude leur offrait l’espace d’une rumination pleine de finesse qui leur permettait de répondre avec simplicité et profondeur, avec éloquence et autorité aux défis de leur époque. Ils ont ainsi laissé un héritage qui nous parle encore aujourd’hui. Bien qu’ils citent rarement de longs passages des Écritures, ils étaient façonnés par l’Esprit divin qui demeurait dans la Parole divine des Écritures. Les Écritures étaient dans leurs os et dans leur sang, dans leur esprit et dans leur cœur. Bien que Constantin ait donné au christianisme la liberté d’expression, ces moines du désert étaient en quête d’une liberté qui leur ouvrirait les yeux pour qu’ils puissent voir de manière plus pénétrante, les oreilles pour qu’elles entendent de manière encore plus profonde, et le cœur pour qu’il accueille de manière plus ouverte les voies par lesquelles le Saint-Esprit voulait les orienter vers des sujets de méditation toujours plus profonde. Leur fuite vers le désert voulait les conduire vers ce lieu connu de leurs ancêtres dans la foi. Là, Dieu parlait à leur cœur directement et avec une force transformante qui provoquait une véritable conversion du cœur. La prophétie d’Osée était leur inspiration : « Je vais la séduire maintenant ; Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur avec persuasion » (2, 16). Au fur et à mesure que leur nombre augmentait, de nouveaux chercheurs de Dieu, plus jeunes, arrivaient avec leurs questions en quête du chemin qui conduit à la volonté de Dieu. Leurs questions et leurs histoires nous révèlent l’intensité de la sagesse que l’expérience et la souffrance humaines leur enseignaient.

Il existe plusieurs excellentes collections de textes rassemblant les paroles de nos ancêtres du désert. L’un d’eux en particulier m’a été utile pour souligner les thèmes clés qui reviennent à de nombreuses reprises dans leurs écrits. Il s’agit de La Parole dans le désert de Burton-Christie. Lire la tradition du désert , c’est presque comme lire le livre des Proverbes. Les sentences courtes et concises nous obligent à nous arrêter et à réfléchir à ce que l’auteur essaie de nous partager. Mais je ne pense pas qu’une lecture superficielle de ces textes soit suffisante. On peut facilement s’ennuyer et abandonner la tâche d’une lecture lente et attentive de ces paroles, semblable à l’effort spirituel de la lectio divina. Je voudrais considérer quatre de ces points clés : 1) l’importance de la connaissance de soi ; 2) l’importance de la patience ; 3) une connaissance approfondie des psaumes, et 4) la paternité spirituelle et l’amour fraternel. Ce sont des paroles d’une ancienne tradition monastique qui s’exprime dans un style très différent du nôtre, mais qui a quelque chose à dire aujourd’hui, en particulier à ceux qui composent nos communautés monastiques.


L’importance de la connaissance de soi

Abba Poemen dit que le texte du Ps 55(54), 23 est essentiel à la fois pour le moine et pour le père spirituel : « Confie tes soucis au Seigneur, et il te soutiendra. Il ne permettra jamais au juste de trébucher. » Abba Poemen reprend ce verset du psaume et le modifie pour le lire : « Se jeter devant Dieu ; se jeter soi-même et ses soucis devant Dieu. » Pour Poemen, une attitude de totale dépendance envers Dieu nous permettra de nous voir tels que nous sommes réellement. Si nous n’avons rien sur quoi compter, rien qui nous donne un sentiment de sécurité, nous en arrivons à un point où nous nous voyons nous-mêmes, dépouillés de ce qui sert à nous donner une fausse idée de qui nous sommes dans ce monde.

C’est la connaissance de soi qui vient avec le fait d’être complètement vulnérable devant Dieu. La tradition du désert traite de l’importance de la connaissance de soi en soulignant qu’elle ne cesse de revenir comme un défi dans notre vie. Alors même que nous pensons être arrivés à un point où nous acceptons qui nous sommes, ce qui est unique en nous (en positif comme en négatif), avec les faiblesses qui nous distinguent, nous en venons à réaliser que cette pratique de « nous décharger de nous-mêmes et de nos préoccupations sur le Seigneur » est un processus qui va durer toute la vie. Chaque jour, il y a de ces occasions où notre singularité devant Dieu vient faire obstacle à une vie menée avec la liberté intérieure qui est le propre du moine. Pourtant, une confiance totale en Dieu nous donne la force de voir les choses avec la liberté intérieure qui nous permet de juger correctement. Ce n’est pas toujours facile. Cependant, c’est très libérateur quand nous rencontrons un problème qui exige une analyse approfondie, et que la liberté intérieure nous montre le chemin à suivre. Lorsqu’il y a une véritable connaissance de soi, on voit plus clairement comment juger ce qui est bien ou mal, profitable ou non. Lorsque nous nous tenons seuls devant Dieu, sans l’aide d’aucune personne ni d’aucune pensée, nous comprenons qui nous sommes et nous nous trouvons libres de voir la vie et toutes ses complexités avec une vision certaine, confiante et droite. Cela n’arrive pas du jour au lendemain. La réalisation de la liberté intérieure advient après des années passées à considérer la vie à travers la perspective de ma propre dépendance totale à Dieu, tout en vivant en même temps avec le Saint-Esprit comme guide.

Dans la pratique, une situation se présente qui a une certaine importance car elle implique la vie de quelqu’un. Pourtant, lorsqu’on possède cette connaissance de soi et cette liberté intérieure, on voit clairement dans quelle direction décider et c’est ce qu’on fait. Ce n’est pas nécessairement facile, mais vous vous sentez fort en vous-même en raison de la liberté intérieure que vous avez reçue par la grâce de Dieu et de votre ouverture à la voix du Saint-Esprit. Le vieil adage « Soyez honnête avec vous-même » témoigne de cette connaissance de soi et de cette liberté intérieure.


Importance de la patience

De nos jours, la vie évolue si vite, et nous attendons des résultats immédiats, si bien que nous nous trouvons souvent plus ou moins frustrés. Je me rappelle que, dans mon enfance, ma mère me disait : « Souviens-toi, la patience est une vertu. » Maintenant, j’ai compris à quel point il est essentiel pour tous les habitants de notre monde d’aujourd’hui de grandir dans cette vertu. Trop souvent, nous comptons uniquement sur les efforts humains des uns et des autres pour accomplir des choses. Et pourtant, pour nous, abbés et pères spirituels de communautés, le travail de modelage des cœurs humains est une œuvre qui exige prière, réflexion et patience, car c’est Dieu qui modèle et façonne les cœurs humains d’une manière bien plus merveilleuse que tout ce que nous pourrions faire nous-mêmes. Et souvent, la grande sagesse de Dieu a quelque chose de bien plus profond et de plus important que ce que nous pouvons tenter de façonner. Mais il faut attendre, et dans cette attente, nous devons avoir la patience d’attendre que Dieu accomplisse par sa grâce quelque chose de bien plus important que ce que nous n’aurions jamais pu imaginer. Écoutons quelque chose de la tradition du désert qui parle de cela.

« Alors que le saint Abba Antoine vivait dans le désert, son âme tomba dans la lassitude et la confusion de pensées, et il commença à dire à Dieu : “Seigneur, comme je voudrais être guéri et que mes pensées ne me fassent pas tant souffrir. Que dois-je faire dans cette tribulation ? Comment serai-je guéri ?” Peu de temps après, se levant, il commença à marcher dans la nature et il vit quelqu’un. Il crut d’abord que c’était lui-même assis et travaillant ; puis se levant de ce travail et priant ; puis s’asseyant de nouveau et fabriquant une couronne de feuilles de palmier, puis se levant de nouveau pour prier. Or, en vérité, c’était un ange du Seigneur envoyé à Antoine pour le corriger et l’avertir. Peu de temps après, il entendit une voix qui lui disait : “Fais ceci et tu seras guéri : sois patient.” En entendant ces paroles, Abba Antoine fut très heureux et encouragé par cette exhortation. Et la mettant en pratique, il trouva la libération qu’il recherchait pour son âme et qu’il avait demandée dans sa prière. »

Notre choix de la patience produit un effet à la fois sur celui qui en est le bénéficiaire et sur nous-mêmes. Pour celui qui en bénéficie, il y a la bénédiction de savoir qu’il ou elle a été respecté(e), qu’on ne s’est pas précipité pour résoudre un problème. En donnant le temps aux pensées, aux sentiments et aux réactions de se calmer, nous prouvons à l’autre que ce problème n’est pas un « jeu de pouvoir » pour voir qui va gagner. Au contraire, la patience révèle notre volonté de donner du temps au problème afin de déterminer la bonne direction à suivre. Notre patience peut servir d’enseignant à un membre de la communauté pour toute situation dans sa vie future. La patience peut rendre possible un lien de communion entre deux personnes – d’abord en désaccord sur une question, puis finalement arrivant à une vision commune pour une solution.

Ainsi, le choix de la patience nous apporte de nombreuses bénédictions. Tout d’abord, nous reconnaissons au plus profond de notre cœur qu’il s’agit d’une question pour laquelle la grâce de Dieu doit elle-même opérer son miracle. Et cela fait de nous un instrument de l’œuvre de Dieu. Voilà qui devrait nous donner le sentiment de notre valeur : être un instrument de Dieu. Deuxièmement, chaque fois, nous pouvons remettre entre les mains de Dieu le soin de nos frères ou sœurs en communauté, et attendre patiemment que quelque chose les pousse à suivre le chemin parfait que Dieu a préparé pour eux. Troisièmement, nous découvrons parfois que notre plan bien intentionné pour quelqu’un n’est pas le plan de Dieu pour ce frère ou cette sœur. Ou que notre plan objet de notre espérance est encore en train de se réaliser dans le mystère de la grâce, dans le « temps divin » et non dans le « temps humain ». Quatrièmement, la patience, lorsqu’elle est pratiquée souvent, apaise notre âme, ce qui fait une différence dans la façon dont nous abordons les gens, et aussi dans la façon dont ils viennent nous voir. Un abbé plus paisible, plus tranquille et plus réfléchi est toujours quelqu’un dont il est plus facile de s’approcher, et quelqu’un à qui nous sommes prêts à ouvrir notre cœur. Et cinquièmement – et c’est peut-être le plus important, en pratiquant la patience, nous imitons Dieu dont la patience infinie envers chacun de nous est l’une des plus grandes bénédictions de l’existence. Quand nous repensons à ces moments où Dieu a attendu que nous soyons patients, ouverts, prêts à écouter sa voix, nous voyons à quel point nous avons été bénis. Et nous en sommes reconnaissants.


Une profonde connaissance des psaumes

Les psaumes sont nos compagnons quotidiens. Nous les rencontrons 3, 4 ou 5 fois par jour, selon la répartition des psaumes que nous suivons. Certaines communautés récitent les 150 psaumes en une semaine ; la plupart des communautés récitent 150 psaumes sur deux semaines, et certaines communautés plus petites sur 3 ou 4 semaines, selon le nombre de moines. Nous nous souvenons que ces prières ont été traduites de leur version hébraïque originale en grec, latin, syriaque et araméen. La plupart des psaumes se trouvent parmi les fragments des Manuscrits de la mer Morte. Ce recueil de prières est récité et utilisé comme source de prière depuis plus de 2 500 ans, à la fois dans le culte et dans la prière privée. Les érudits qui étudient la tradition du désert notent que c’est le Nouveau Testament qui est le plus souvent cité. Cependant, lorsque l’Ancien Testament est cité par les Pères et les Mères du désert, c’est à partir des psaumes. Il est intéressant de noter que lorsque les psaumes sont cités, c’est souvent un seul verset qui est répété plusieurs fois pendant que les moines tressent leurs paniers ou leurs cordes.

Nous ne pensons pas souvent à faire notre lectio divina ou à méditer sur les psaumes, et pourtant c’est ce qui est au cœur de la récitation des psaumes dans la liturgie des heures et dans la tradition du désert. L’Instruction générale pour la liturgie des heures établit clairement une distinction entre la « récitation des psaumes » et notre « prière à partir des psaumes ». Dans les premières éditions de la Liturgie des heures après le concile Vatican II, de brèves collectes ont été insérées pour accompagner les psaumes. Parfois, elles étaient récitées, parfois priées en silence, et parfois ignorées. Mais le fait est que la tradition de prier à partir des textes des psaumes remonte à la tradition ancienne de notre prière communautaire. La question qui se pose à nous est la suivante : « Comment les textes de ces psaumes suscitent-ils la prière de notre cœur ? Comment les paroles du psaume suscitent-elles en nous un feu qui appelle Dieu dans la prière du cœur ?

Je mentionne cela parce que parfois nous avançons dans la récitation des psaumes sans aucune pause qui encouragerait la prière ou la réflexion. Tout autant que n’importe quel livre de la Bible, les psaumes sont la parole inspirée de Dieu. Dieu nous parle à travers ces paroles et suscite une réponse de notre part. Ces dernières années, l’étude des psaumes a montré que le tout premier psaume du psautier est un « psaume de la Torah », un psaume d’instruction. Ce psaume suggère-t-il que l’ensemble du livre des psaumes est, plus qu’un recueil de prières, surtout un guide pour une vie juste et vertueuse, en contraste avec la violence et la guerre qui envahissent notre monde aujourd’hui, et nous appellent à prier pour ce besoin et cette intention ? Je peux vous partager que, depuis mon noviciat, le psautier a été un compagnon constant de prière et de réflexion. Il rassemble une multitude de types de prières différentes qui orientent nos cœurs vers la lutte contre les ennemis, la violence de la guerre, mais aussi vers une profonde louange et des remerciements reconnaissants. Je ne saurais assez encourager une compréhension profonde de la richesse que nous trouvons dans le psautier pour notre vie quotidienne, notre prière quotidienne et notre réflexion quotidienne sur les mouvements de notre monde d’aujourd’hui. Apprenez à connaître et à aimer le psautier, mes bons frères et sœurs !


Paternité spirituelle et amour fraternel

En lisant la règle de saint Benoît, le rôle de l’abbé en tant que père spirituel apparaît comme l’image la plus caractéristique de celui qui dirige la communauté. « Tout ce qu’il [l’abbé] enseigne et ordonne doit, comme le ciel de la justice divine, imprégner l’esprit de ses [fils] » (RB 2, 5) ; l’abbé doit montrer à tous le même amour et appliquer à tous la même discipline selon leurs mérites (RB 2, 22) ; l’abbé doit toujours se souvenir de ce qu’il est et de comment on l’appelle – père (RB 2, 30). » Il existe de nombreuses autres références à la paternité spirituelle de l’abbé, et vous les connaissez tous bien. Et pourtant, le titre de paternité spirituelle comporte certains dangers. Si on l’exerce trop fortement, les moines se sentent comme des enfants, des personnes sans responsabilité, sans initiative et sans intelligence. Si on l’accentue trop fortement, cela peut créer une atmosphère d’immaturité qui a des effets négatifs sur la croissance et la vitalité de la communauté. Et pourtant, lorsqu’il y a un fort sentiment d’avoir un père spirituel à la tête de la communauté, on peut s’attendre à rencontrer de la bonne volonté dans la communauté, un désir que tous soient heureux, et confiance en l’avenir.

Une des façons dont la paternité spirituelle crée un équilibre sain est par le sens de l’amour fraternel venant de l’abbé. Encore une fois, écoutons la tradition du désert pour nous donner une certaine perspective.

« Un jour, Abba Jean montait de Scété avec un certain nombre de frères. Le moine qui les guidait se trompa de chemin, car il faisait nuit. Certains frères dirent à Abba Jean : “Que ferons-nous, Père, car notre frère s’est trompé de chemin, et nous risquons de nous perdre dans l’obscurité, et même de mourir sur ces sentiers accidentés ?” Et Abba Jean répondit : “Si nous lui disons quelque chose de négatif, il se sentira mal et découragé. Mais je ferai semblant d’être épuisé et je dirai que je ne peux pas continuer à marcher, mais que je dois rester couché ici jusqu’au matin.” Ce qu’il fit. Et l’autre frère dit : “Nous n’irons pas plus loin non plus, mais nous nous assiérons à côté de toi.” Et ils restèrent assis jusqu’au matin, pour ne pas décourager ni blesser leur frère. »

Là, l’exemple de l’abbé a parlé haut et fort à ses fils, et ils ont suivi son exemple. Ils ont vu l’amour de leur père spirituel et ils ont voulu le suivre.

L’amour pour les frères est très important. Chaque moine doit savoir deux choses : d’abord, qu’il est aimé et qu’on fait attention à lui, et aussi qu’il a un père spirituel en la personne de l’abbé de la communauté. La différence que cela fait dans la vie de la communauté est si tangible et distincte que vous savez que cette communauté vit avec un amour fraternel découlant de la relation avec le père spirituel. Le mot « amour » n’est pas toujours un terme avec lequel les hommes sont à l’aise. Certains emploient des expressions pour décrire l’amour comme être solidaire, se montrer encourageant, attentionné, sympathique, gentil, compréhensif et compatissant. Cela peut être utile, mais nous ne devons pas perdre le vrai sens du mot amour car les Écritures nous rappellent que « Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu » (1 Jn 4, 16b). Et saint Paul nous dit dans sa lettre aux Romains : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (5, 5). Nous savons aussi par les Écritures que l’amour que Jésus exigeait de ses disciples n’était pas toujours facile à vivre. Parfois, pour vraiment aimer un de ses frères ou sœurs, il faut le corriger, ou bien imposer un changement dans sa vie qui ne sera pas un ajustement facile ; cependant, si cela est fait avec amour, cela portera. Quand un moine sait que son abbé l’aime et prend soin de lui, qu’il est prêt à se sacrifier pour lui, et même lorsqu’il doit faire un changement pour le bien de quelqu’un d’autre, s’il y a amour fraternel, il y aura aussi une communion d’esprits qui témoigne que l’amour de Dieu est présent en ce lieu.

Quelque chose de très pratique et qui a été important pour moi est la prière pour les frères. Je ne parle pas ici de « voir un besoin et de s’en souvenir dans ses intentions », ce qui est important. Mais plus encore, d’abord en tant qu’abbé de l’abbaye de Conception, et maintenant en tant qu’abbé de Sant’Anselmo, j’ai prié pour chaque moine par son nom, chaque jour. Et je pourrais dire que, pour ma communauté d’origine, cela continue encore pour les moines de l’abbaye de Conception. J’aime à croire que c’est pour cela que je suis si heureux de rentrer chez moi après huit ans à Rome. Oui, vraiment, j’ai aimé Rome ; j’y ai rencontré de merveilleux amis, j’ai vécu tant d’expériences enrichissantes, j’ai tellement apprécié de visiter les communautés de bénédictins, hommes et femmes, et je connais le lieu et les personnes que j’aime profondément et dont je suis aimé. Je sais où se trouve ma maison, et j’ai hâte d’y retourner pour commencer le prochain chapitre de ma vie monastique.

À bien des égards, ces quatre idées – grandir dans la connaissance de soi, faire preuve de patience, être chez soi dans les psaumes et apporter de l’amour dans son service d’abbé ou d’abbesse – sont simples mais caractéristiques, non seulement de saint Benoît, mais aussi de Jésus tel qu’il est présenté dans les Évangiles. Nous sommes chargés d’âmes humaines – des hommes et des femmes avec des idéaux élevés mais aussi des personnalités et des capacités fragiles. Lorsque notre relation avec chacun des membres de notre communauté se transforme en une expérience de communion, la communauté monastique fait preuve d’une vitalité qui ne peut provenir que de la grâce de Dieu à l’œuvre en elle. Lorsque nous sommes prêts à parcourir le chemin difficile avec un autre, et même si nous sommes incertains de l’étape suivante, nous accomplissons l’œuvre de la Règle et de l’Évangile. Bien que cela semble si simple, c’est aussi authentiquement profond dans la construction du royaume de Dieu au sein de nos communautés monastiques.

Avant de terminer ce discours, je voudrais remercier publiquement certaines personnes pour l’aide et l’encouragement qu’elles m’ont apportés au cours de ces huit dernières années. Le prieur de Sant’Anselmo, le père Mauritius Wilde, de Münsterschwarzach, est ici avec moi depuis huit ans. Je le remercie d’avoir généreusement mis à profit ses compétences et ses talents pour organiser la vie du Collège. Lorsque je ne suis pas à Sant’Anselmo, j’ai la certitude qu’il prend soin des moines qui vivent et étudient ici. Je remercie également le sous-prieur, le père Fernando Rivas, de l’abbaye de Lujan, en Argentine, pour son généreux service tant au collège qu’à l’Ateneo. Il a multiplié les programmes de formation monastique en diverses langues pour les bénédictins et les cisterciens du monde entier. Je remercie le recteur de l’Ateneo, le père Bernhard Eckerstorfer, de l’abbaye de Kremsmünster, en Autriche, pour son génie créatif qui a permis à notre université d’aller de l’avant et de former une communauté solide entre les professeurs et les étudiants. Je remercie le père Geraldo Lima y Gonzalez pour son travail à la Trésorerie et en tant que Procureur de plusieurs de nos Congrégations. Le père Geraldo est l’une des personnes les plus généreuses qui met ses talents à profit partout où ils sont nécessaires. Le père Rafael Arcanjo, qui travaille également au bureau administratif et supervise nos bénévoles, qui contribuent à faire avancer la vie ici. M. Fabio Corcione est le superviseur de notre bureau administratif. Le père Benoît Allogia, de l’abbaye de Saint-Vincent, et le frère Victor Ugbeide, d’Ewu, au Nigéria, s’occupent de nos hôtes.

Le père Josep Maria Sanroma de Montserrat, qui est également secrétaire du prieur, supervise avec compétence la gestion de la maison en tant que curator domus. Le père Laurentius Eschelböch, qui est notre canoniste et professeur, a été très généreux en temps et en énergie pour aider à résoudre les questions canoniques et les problèmes qui arrivent sur le bureau du Primat. Mon secrétaire personnel à la curie, M. Walter Del Gaiso, a été tout à fait exceptionnel dans tous ses efforts. Il travaille avec soin, générosité et rapidité pour accomplir une journée entière de travail, jour après jour. Et comme vous le savez, « une bonne cuisine maintient une maison saine et heureuse », je remercie donc sincèrement Antonio Giovinazzo et son équipe de la cuisine dont nous sommes les heureux bénéficiaires ces jours-ci. Le mot de la fin revient aux abbés qui ont permis à ces moines d’être ici à Sant’Anselmo, des hommes talentueux qui sont certainement regrettés dans leurs communautés d’origine en raison des dons et des talents qu’ils partagent généreusement avec cette communauté de Sant’Anselmo. À vous, chers frères abbés, j’adresse de sincères remerciements et une profonde gratitude. Sant’Anselmo vit et respire une nouvelle vie grâce à votre générosité et à l’abnégation des moines que vous permettez de servir ici avec des cœurs généreux.

« Ne préférons rien au Christ, et qu’il nous conduise tous ensemble à la vie éternelle. Amen. »(RB 72, 11)

Dom Jeremias Schröder, nouvel Abbé Primat

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Perspectives

D’après un article de Vatican News

du 14 septembre 2024


Dom Jeremias Schröder,

nouvel Abbé Primat

de la Confédération bénédictine


Dom Jeremias Schröder, âgé de 59 ans, a été élu le 14 septembre dernier Abbé Primat de la Confédération bénédictine.

©Sant'Anselmo.

Le nouvel Abbé Primat était jusqu’à présent Abbé président de la congrégation de Sankt-Ottilien, en Bavière. L’élection a eu lieu lors du Congrès des abbés à Saint-Anselme qui a eu lieu du 9 au 19 septembre 2024.

Moine bénédictin depuis 40 ans, le père abbé Jeremias a étudié la philosophie, la théologie, l’histoire et les archives à l’Athénée pontifical Saint-Anselme et à St. Benet’s Hall à Oxford. Il est bien connu de l’AIM puisqu’il a longtemps siégé au Conseil de cet organisme qu’il a fait bénéficier de ses nombreux talents.

Dès son élection, le père Jeremias est revenu sur la situation des pays victimes de conflits :

« Le monde est en feu en ce moment. Nous avons ici, au Congrès des supérieurs monastiques à Saint-Anselme, le témoignage d’abbés qui viennent de pays en guerre, d’Ukraine, de Terre Sainte ».

« Au cours de ce Congrès, nous essaierons de réfléchir ensemble à la manière de réaliser la devise de notre ordre, qui est “Pax”, la paix. Nous réfléchirons à la manière dont nous pouvons réellement contribuer à la paix par le travail de nos communautés, par le témoignage, par la construction de ponts entre les cultures ».

« L’Orient et l’Occident se séparent. Les bénédictins ont pour mission depuis toujours d’être en relation avec les Églises orientales. Il y a là quelque chose à quoi nous pouvons vraiment contribuer, et nous y travaillerons ».


L’apport des bénédictins

Le 19 avril 2018, le pape François, rencontrant les moines de la Confédération bénédictine, a exprimé sa « considération et sa gratitude pour la contribution significative que les bénédictins ont apportée à la vie de l’Église, dans toutes les parties du monde, pendant près de mille cinq cents ans » en vivant la devise : Ora et labora et lege (prière, travail, étude).

« En cette époque, où les gens sont tellement occupés qu’ils n’ont plus le temps d’écouter la voix de Dieu, vos monastères et vos couvents deviennent comme des oasis où des hommes et des femmes de tous âges, origines, cultures et religions peuvent découvrir la beauté du silence et se redécouvrir eux-mêmes, en harmonie avec la création, en permettant à Dieu de rétablir un ordre juste dans leur vie. Le charisme bénédictin d’accueil est très précieux pour la nouvelle évangélisation, car il permet d’accueillir le Christ dans chaque personne qui arrive, en aidant ceux qui cherchent Dieu à recevoir les dons spirituels qu’il a en réserve pour chacun de nous. »

Autorité et liberté

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Réflexions

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, OCist

Abbé général


Autorité et liberté

Cours pour les supérieurs de l’Ordre cistercien

Rome, 21-26 septembre 2023


Proposer un chemin de conversion

Pour comprendre ce que signifie exercer une responsabilité dans l’Église et dans le milieu monastique sans abuser du pouvoir et de la conscience, il est plus utile d’approfondir la thématique de manière positive que négative, et de comprendre aussi que, s’il y a des dérives, des abus parmi nos supérieurs et dans nos communautés, la solution est plus la conversion que la correction. Souvent nous cherchons à redresser les comportements erronés sans discerner quelle conversion est nécessaire pour qu’une personne, une communauté ou une situation se corrigent. Par contre, le Christ est venu relever l’humanité en proposant un chemin de conversion, un chemin de conversion à sa suite.

Il est important de comprendre cela. Je pense que nous faisons tous l’expérience, pratiquement à tous les niveaux de l’engagement pastoral qui nous est confié, que chaque tentative de corriger sans proposer un chemin de conversion reste stérile, sans fruit et ne change rien mais, au contraire, dégrade la situation. La tentation de vouloir redresser sans proposer un chemin de conversion contredit un principe exprimé par le pape François dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, un principe que je considère comme fondamental : il est plus important d’initier des processus de vie que de conquérir des espaces de pouvoir. Relisons ce paragraphe dans Evangelii Gaudium :

« Un des péchés qui parfois se rencontre dans l’activité socio-politique consiste à privilégier les espaces de pouvoir plutôt que les temps des processus. Donner la priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. Donner la priorité au temps c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en événements historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité. » (EG 223)

En analysant les situations d’abus de pouvoir et de conscience qui atteignent un point de crise extrême, comme un abcès qui crève, je n’ai aucune difficulté à reconnaître au niveau d’une personne ou d’une communauté particulière ce que le Pape décrit ici pour la société dans son ensemble. Il arrive souvent que même dans les monastères « pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation », certaines personnes refusent de promouvoir des processus qui engendrent patiemment la vie de la communauté, aussi dans le domaine économique, des processus nécessaires de communion, de service réciproque, d’humble affirmation de l’autre plutôt que de soi-même.


© OCist.

Un danger déjà entrevu dans l’Évangile

Mais de cela nous parle, bien avant le Pape, toute la tradition monastique, la règle de saint Benoît, et surtout à travers tout cela, Jésus lui-même dans l’Évangile. Il est intéressant de noter qu’en parlant d’autorité et de pouvoir dans la communauté chrétienne, Jésus met immédiatement en garde contre le danger d’en abuser :

« Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.

Que dire du serviteur fidèle et sensé à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison, pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Amen, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. Mais si ce mauvais serviteur se dit en lui-même : Mon maître tarde, et s’il se met à frapper ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des hypocrites ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 24, 44-51)


Nourrir et guider

Le premier aspect qui rend dramatique toute responsabilité dans l’Église à tous les niveaux est le cadre eschatologique dans lequel elle est confiée et exigée. Jésus nous demande de l’assumer à l’intérieur de la vigilance qui attend la venue du Fils de l’homme. Qui reçoit un pouvoir dans l’Église n’est pas invité à penser d’abord à l’espace à l’intérieur duquel ce pouvoir devra être exercé, mais au temps défini par l’imminence imprévisible de la venue du Christ. L’autorité se vit dans le « Tenez-vous prêts » pour accueillir le Fils de l’homme qui vient accomplir l’univers et l’histoire. Ce « Tenez-vous prêts » est une attention très dense qui ne se contente pas de regarder les nuages dans l’attente du Christ comme ont fait les apôtres après l’Ascension (Ac 1, 11).

Dans la parabole que nous venons de lire, Jésus dit explicitement ce qu’il faut regarder à la place des nuages : « Que dire du serviteur fidèle et sensé à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison, pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! » (Mt 24, 45-46). Le serviteur est placé à la tête de ses compagnons de service « pour leur donner la nourriture en temps voulu ».

Cette image peut nous paraître un peu terre à terre, et pourtant, même au premier des apôtres, à Pierre, c’est-à-dire à la plus haute autorité dans l’Église, le Ressuscité ne confie rien d’autre au sommet de sa vocation :

« Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? Il lui répond : Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. Jésus lui dit : Sois le berger de mes agneaux. Il lui dit une deuxième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? Il lui répond : Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. Jésus lui dit : Sois le pasteur de mes brebis. Il lui dit, pour la troisième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : M’aimes-tu ? Il lui répond : Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. Jésus lui dit : Sois le berger de mes brebis. » (Jn 21, 15-17)

Jésus vient de donner à manger à ses disciples : « Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre … ». Un repas de poissons que Jésus a préparé lui-même et complété par les poissons apportés par les disciples que ceux-ci ont pris grâce au miracle rendu possible par la présence et la demande du Ressuscité (cf. Jn 21,1-14). C’est dans ce cadre eucharistique que Jésus demande à Pierre son amour pour qu’il corresponde au sien, qui a donné la vie sur la croix pour Pierre et pour tous. C’est dans ce cadre eucharistique que Jésus donne à Pierre et à l’Église la mission de paître le troupeau. « Paître » veut dire surtout nourrir, donner à manger aux brebis, avoir le souci que celles-ci trouvent un pâturage, un lieu où ils peuvent manger de l’herbe verte et boire de l’eau fraîche. C’est ce qu’exprime le psaume 22 :

« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. (…) Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante ».

Pour exprimer la triple demande de paître les brebis que le Ressuscité adresse à Pierre, le texte grec utilise deux verbes différents : boskō (Jn 21, 15.17) et poimainō (Jn 21, 16). Le premier verbe fait allusion au fait de « procurer la nourriture » au troupeau, le deuxième semble se référer au devoir plus complexe de « paître » le troupeau, c’est-à-dire de le conduire, de veiller sur lui, de le protéger, mais toujours aussi de lui procurer de l’eau et de la nourriture fraîche. Pourquoi fait-on paître un troupeau, pourquoi le guide-t-on sinon pour le conduire à des lieux herbeux et aux eaux tranquilles, comme le chante le psaume ?

Chaque rôle pastoral dans l’Église, chaque autorité sur les brebis et le troupeau confiée par le Christ contient toujours le devoir fondamental de nourrir les agneaux, les brebis, le troupeau pour qu’ils vivent et grandissent, pour qu’ils puissent être féconds et devenir capables à leur tour de paître d’autres brebis, de nourrir et de guider d’autres troupeaux.

Le rôle essentiel du pasteur (homme ou femme) est celui de nourrir les brebis afin qu’elles aient la vie. Jésus le dit et le répète au chapitre 10 de l’évangile de Jean : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). Comment la donne-t-il ? En se faisant pain de vie, en donnant son Corps et en versant son Sang comme nourriture et breuvage pour la vie éternelle (cf. Jn 6).


Le Pain c’est la Parole de Dieu

Ce don sacramentel du Christ n’est pas simplement du pain, n’est pas simplement du vin. C’est le Verbe de Dieu fait chair (Jn 1, 14). De fait, comme le rappelle Jésus lui-même au démon pour s’opposer à sa tentation, « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). Dans le texte qui est la source de cette citation, au livre du Deutéronome, Moïse explique que le don de la manne, de l’aliment physique procuré par Dieu pour le peuple, doit aussi nous amener à nous nourrir de la Parole de Dieu :

« Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » (Dt 8, 3).

Le pain de la Parole de Dieu nourrit et guide le peuple, et c’est seulement en se mettant au service de l’écoute de la Parole de Dieu, du Verbe de Dieu qui est le Christ, de l’Évangile, que le pasteur paît vraiment les brebis, les nourrit, les guide et les rend libres.

Pour cette raison, lorsque dans la communauté chrétienne il y a eu un mécontentement au sujet de la distribution de la nourriture matérielle, les apôtres ont immédiatement compris que l’essentiel pour eux était de servir le pain de la Parole : « Il n’est pas bon que nous délaissions la Parole de Dieu pour servir aux tables » (Ac 6, 1).

Il est intéressant de noter qu’ensuite, même pour les diacres institués pour ce service aux tables, le ministère sur lequel on insistera en premier lieu ne sera pas ce service pratique mais encore et toujours celui de la Parole de Dieu, de l’annonce, de la catéchèse, du témoignage public. L’exemple de saint Étienne montre clairement que les diacres aussi donnent leur vie pour les brebis avant tout par l’annonce de la Parole.

Je ne peux pas approfondir cette thématique comme elle le mériterait. Mais je tiens à souligner que, si nous voulons comprendre notre vocation à exercer une responsabilité pastorale dans nos communautés et dans l’Ordre, à tous les niveaux, et si nous voulons comprendre comment éviter ou réparer les abus de pouvoir, il est important de se concentrer sur cet aspect. Si l’autorité dans l’Église est appelée à paître les brebis, le troupeau, si elle est appelée à nourrir et guider les frères et sœurs, nous ne devons pas oublier que ce ministère est pour le Christ essentiellement un service de la Parole de Dieu, de la Parole qui seule nourrit vraiment les cœurs des hommes et les guide sur le bon chemin.

J’ai répété en plusieurs occasions les derniers mots que l’abbé Godefroy d’Acey m’a dits avant de quitter l’alpage d’Hauterive pour une randonnée à vélo et en montagne au cours de laquelle il a trouvé la mort dans l’après-midi du 3 août dernier. Il nous avait rejoints, moi et l’un de mes confrères, la veille, et aurait dû passer une semaine avec nous. Au moment de son départ, j’étais en train de peindre une aquarelle d’un berger en chemin entouré d’une douzaine de brebis. Il s’est penché sur mon œuvre pour la regarder, et je lui ai dit qu’elle ne me satisfaisait pas parce que quelque chose n’allait pas dans les proportions entre le pasteur et les brebis. Il m’a répondu – et ce sont pratiquement les derniers mots de sa vie – : « Non, ça va bien. Mais on devrait donner des oreilles aux brebis ! »

Depuis, je ne cesse de méditer ce conseil et je comprends qu’il fait allusion au devoir essentiel que saint Benoît assigne à l’abbé d’un monastère. J’en ai parlé dernièrement dans mon homélie à l’occasion de la bénédiction abbatiale de l’abbesse de Seligenthal :

« Saint Benoît était parfaitement conscient que le premier service de l’autorité est le service de la Parole de Dieu à offrir sans cesse aux frères et aux sœurs comme lumière des pas sur le chemin qui nous conduit à la vie éternelle. Il semble même que toute la responsabilité du supérieur, sur laquelle il sera jugé lors de la venue du Christ, soit justement celle d’apprendre aux frères et aux sœurs à écouter l’appel du Verbe, l’appel de l’Époux à l’union avec Lui.

Saint Benoît écrit au chapitre 2 de la Règle : “L’abbé ne doit donc rien enseigner, établir ou commander qui s’écarte des préceptes du Seigneur ; mais ses ordres et ses enseignements doivent se répandre dans l’esprit de ses disciples, comme un levain de la divine justice. L’abbé doit se souvenir sans cesse qu’au redoutable jugement de Dieu, il devra rendre un compte exact de deux choses : de son enseignement et de l’obéissance de ses disciples.” (RB 2, 4-6)

L’obéissance de ses disciples, avant d’être un “faire” est un “écouter”, comme le suggère d’ailleurs l’étymologie bien connue du mot obéir : ob-audire. L’obéissance est une intense écoute qui implique toute la liberté et toute la faculté de décision, qui engage le cœur. Sans cette écoute il est difficile de suivre le Christ de tout son cœur, c’est-à-dire non seulement extérieurement, apparemment, mais réellement, de tout son être. Pour cela, l’écoute des disciples doit être la première préoccupation de ceux et celles qui les guident. » (Bénédiction abbatiale de Mère Christiane, Seligenthal, 19 août 2023)


Le domaine de l’autorité est la liberté

Être conscient que saint Benoît rend le supérieur ou la supérieure du monastère responsable, devant le jugement dernier de Dieu, « de son enseignement et de l’obéissance [c’est-à-dire de l’écoute] de ses disciples » (RB 2,6) signifie être conscient que le domaine de l’autorité dans l’Église, avant d’être une discipline, un bon fonctionnement et l’ordre des personnes et des communautés, est essentiellement leur liberté attirée par Dieu à l’amitié avec Lui.

Notre responsabilité n’est pas en premier lieu disciplinaire, c’est-à-dire que nous ne sommes pas tout d’abord responsables de ce que les frères ou sœurs font ou ne font pas. Le premier souci de saint Benoît était plutôt que les brebis du troupeau « aient des oreilles » pour écouter la voix du Seigneur. Et cela est la responsabilité que chaque pasteur de communauté doit assumer, une responsabilité qui s’exerce avant tout par sa propre obéissance, par sa propre écoute de la Parole de Dieu, de la voix de l’Époux.

Cela veut dire que l’on ne combat pas les abus de pouvoir en premier lieu avec des protocoles de comportement visant à éviter les erreurs et les mauvaises attitudes. Certes, les protocoles aussi sont nécessaires, mais ils sont comme des digues qui ont sens et servent à quelque chose seulement si le fleuve coule. Quand le fleuve est à sec, les digues ne servent à rien.

Saint Benoît met l’abbé également en garde contre les dérives possibles dans l’exercice de son autorité : par exemple la préférence de personnes (RB 2, 1ss.), ou apporter « plus de soin aux choses passagères, terrestres et caduques » qu’aux âmes (RB 2, 33), ou bien la tendance au perfectionnisme qui pousse à racler la rouille jusqu’à ce que le vase se brise (RB 64, 12), ou jalouser ses propres collaborateurs (RB 65, 22). Négliger le conseil de la communauté ou des anciens est aussi un abus dans lequel l’abbé peut tomber (RB 3, 13) ; ne pas corriger les frères vicieux par lâcheté peut également être un grave abus, un abus par omission dans l’exercice de l’autorité qui nous est confiée (RB 2, 26). La Règle contient de nombreux exemples de la façon dont un supérieur ou une personne responsable d’un domaine de la vie communautaire peut faire un mauvais usage de sa responsabilité.

Mais la grande et constante préoccupation de saint Benoît est que l’abbé éduque l’écoute des frères par un enseignement de sagesse imprégné par la Parole de Dieu et de l’Église. L’enseignement qui transmet vraiment la Parole de Dieu, qui transmet vraiment le Christ, le Verbe de la vie, libère le cœur et l’âme des personnes parce qu’il n’attire pas à celui qui enseigne, qui gouverne, mais au Seigneur qui appelle chacun à le suivre, qui attire chacun à l’amitié avec Lui.

Quand ce devoir est négligé – et il est malheureusement souvent négligé, d’après ce que je peux voir – alors tout ce que demande le supérieur, tout ce qu’il exige, conseille, décide, permet ou interdit, tout peut devenir abusif, parce que c’est comme si l’on ne s’adressait pas à la liberté des personnes. Il ne s’agit pas tant de la liberté de pouvoir choisir soi-même mais de la liberté que Dieu attire à lui avec amour et comme amour. Si l’on ne s’adresse pas à cette liberté, si l’on ne s’adresse pas au cœur fait pour Dieu, on finit par s’adresser seulement à la volonté d’accepter ou de refuser d’entrer dans un schéma. Avec d’autres mots : si l’on ne transmet pas la voix de l’Époux qui appelle et attire les cœurs à l’union avec Lui et en Lui, on propose immanquablement une morale, des règles de comportement et non une vie, cette vie pour laquelle nous sommes créés par le Père et appelés par le Fils dans le don de l’Esprit.


Une autorité humble et pauvre

Vivre l’autorité de cette manière réclame la pauvreté, réclame l’humilité plus que des capacités. Surtout une pauvreté devant Dieu, l’humble pauvreté d’être les premiers à écouter, les premiers à avoir faim et soif de la Parole de Dieu plus que d’autre chose. Les premiers qui, par pauvreté, renoncent à s’assouvir par autre chose, par d’autres satisfactions qui ne sont pas le Christ, l’Époux qui vient.

Le serviteur infidèle de la parabole que j’ai citée au début est condamné parce que, en plus de maltraiter ses compagnons, il se met à manger et à se saouler de ce qu’il devrait donner à ses frères, et ne souhaite plus que son maître revienne.

« Si ce mauvais serviteur se dit en lui-même : Mon maître tarde, et s’il se met à frapper ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des hypocrites ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 24, 48-51)

Jésus le nomme « hypocrite ». Dans son cas, l’hypocrisie consiste dans le fait de profiter à son propre avantage d’une tâche que le maître lui a confiée pour le bien des autres. Il abuse de son pouvoir en cherchant son intérêt au lieu de l’exercer pour les intérêts de son prochain et du maître lui-même. Il mange lui-même la nourriture qu’il devrait distribuer. Il prend pour lui ce qu’il devrait donner s’il était obéissant et fidèle (cf. Mt 24, 45).

Dieu nous confie une autorité, un pouvoir, pour donner à nos frères et sœurs la nourriture en temps voulu, pour transmettre aux autres la nourriture dont ils ont besoin selon le moment et les circonstances de la vie. Manquer à ce devoir par intérêt personnel est un abus hypocrite de la responsabilité reçue. L’autorité, la responsabilité est un charisme plus qu’une fonction. Dieu nous a donné les talents et les dons nécessaires au bien et à la croissance des frères et des sœurs. C’est un don de l’amour du Christ, un don du Bon Pasteur, et si ce don nous fait défaut, nous devons le demander avec la certitude de le recevoir, car Dieu ne nous refuse jamais ce qui est nécessaire au bien des autres. L’Esprit ne refuse jamais aux pasteurs les dons nécessaires pour la croissance et le chemin des brebis.

Quand je rappelle aux supérieurs leur devoir d’enseigner afin que les frères et sœurs puissent « avoir des oreilles » pour écouter le Seigneur et le suivre avec amour et ainsi vivre notre vocation avec amour et joie, ils me disent souvent qu’ils n’en sont pas capables, qu’ils se sentent vides, arides, sans idées. C’est une réponse qui traduit une approche et une interprétation erronées de l’autorité. Nous ne sommes pas appelés à transmettre ce qui vient de nous, nos idées, nos paroles. Nous sommes appelés à transmettre la Parole de Dieu. Et cela n’est pas possible sans recevoir d’abord ce que nous devons donner. Il n’est pas possible de donner sans demander ce don à transmettre. Et alors je constate souvent que c’est à ce niveau que se situe le vrai problème de nous, supérieurs, hommes et femmes : nous ne demandons pas à Dieu sa Parole. En d’autres termes : nous n’écoutons pas, ou, en d’autres termes encore : nous ne savons pas faire silence.


Donner des oreilles aux pasteurs

J’ai raconté à un supérieur général ce que dom Godefroy m’avait dit au sujet des oreilles des brebis. Il m’a répondu : « Très vrai ! Cependant, ce ne sont pas seulement les brebis qui ont besoin d’oreilles mais aussi les pasteurs ! » Certainement ! Et même, ce sont les pasteurs en particulier qui ont besoin d’oreilles, des oreilles tendues vers Dieu, vers le Christ, mais aussi vers leurs frères et sœurs ; des oreilles attentives aux pauvres.

Tant d’abus proviennent justement du fait que certains supérieurs n’écoutent personne, ils n’écoutent qu’eux-mêmes. Ils n’écoutent pas Dieu dans la prière, ils n’écoutent pas humblement les supérieurs au-dessus d’eux, ils n’écoutent pas la communauté, ils n’écoutent pas leurs conseillers, etc.

Toujours dans la parabole que nous avons méditée, il y a une phrase qui nous aide à comprendre où commence l’abus du pouvoir de celui qui a reçu une autorité. C’est là où Jésus dit : « Mais si ce mauvais serviteur se dit en lui-même [littéralement : dans son cœur] : Mon maître tarde… » (Mt 24,48). C’est précisément ici que commence l’abus : en se disant ce qui nous convient, ce qui semble nous offrir plus de pouvoir, plus de sécurité, en cultivant dans son cœur une fausse vérité sur le Christ et, en conséquence, sur tout et sur tous, un mensonge qui ne correspond pas à la réalité du Règne de Dieu. Car de fait, le Seigneur vient bientôt, il dévoilera l’hypocrisie de son serviteur infidèle et lui demandera des comptes sur tout. Cette phrase nous aide à comprendre que, pour exercer avec vérité notre responsabilité, le plus important est de garder la vérité dans nos cœurs, dans nos pensées, et donc d’être toujours prêts à la conversion du cœur.

C’est aussi en cela que les supérieurs doivent s’entraider dans une amitié fraternelle. Qui a de l’autorité ne doit pas seulement veiller sur le troupeau : il doit d’abord veiller sur son propre cœur, sur ce que son cœur se dit à lui-même. Nous tenons des discours à notre cœur qui n’écoutent pas la voix de Dieu, qui écoutent plutôt la voix du tentateur, du diable qui nous charme en nous faisant miroiter son pouvoir mondain comme quelque chose de plus grand et de plus authentique que l’humble pouvoir du Christ crucifié, du Christ qui lave les pieds des disciples, du Christ qui se tient au milieu des autres comme celui qui sert, qui aime, qui se sacrifie, qui porte du fruit en tombant dans la terre et en perdant sa vie pour nous.

Ce travail de conversion du cœur n’est pas une ascèse intimiste et individuelle : c’est la « basse continue » d’un chemin synodal qui nous fait découvrir que marcher avec d’autres, s’écouter mutuellement, partager, c’est ce qui nous fait grandir en profondeur, ce qui nous fait progresser et nous purifie intérieurement en faisant de nous des instruments de communion. Car Dieu nous a donné un cœur assoiffé de communion, un cœur à l’image du Cœur trinitaire de Dieu dans lequel aucune Personne ne peut dire « je » sans penser au « nous ».

Mais c’est quelque chose que je ne peux qu’évoquer, même si c’est fondamental. Grâce à Dieu nous sommes en train de l’approfondir en marchant avec toute l’Église sur le chemin synodal de ces années dont nous avons tous tant besoin.


© AIM.

La situation actuelle de l’Inde sur la scène internationale

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Ouverture sur le monde

Dom Jean-Pierre Longeat, osb

Président sortant de l’AIM


La situation actuelle de l’Inde sur la scène

internationale : un acteur incontournable


L’Inde, une nation en pleine ascension, occupe aujourd’hui une place centrale dans le paysage international. Avec une population dépassant 1,4 milliard d’habitants, elle est désormais le pays le plus peuplé du monde, dépassant la Chine en 2023. Cette dynamique démographique, associée à une croissance économique rapide, confère à l’Inde une importance stratégique croissante tant sur le plan régional que international.

Ville de Vijayawada, région de l’Andhra Pradesh (centre est de l’Inde). © AIM.

Une économie en pleine croissance

L’économie indienne est l’une des plus dynamiques au monde, enregistrant des taux de croissance annuels impressionnants, souvent supérieurs à 6-7 % ces dernières années. Le pays est aujourd’hui la cinquième économie mondiale en PIB nominal et pourrait bientôt surpasser des géants comme l’Allemagne et le Japon pour se hisser à la troisième place. Cette expansion économique est alimentée par une classe moyenne en pleine croissance, un secteur technologique florissant, et une main-d’œuvre jeune et nombreuse.


Un acteur géopolitique clé en Asie

Sur le plan géopolitique, l’Inde est un acteur majeur en Asie du Sud et au-delà. Elle exerce une influence considérable sur ses voisins immédiats, notamment le Pakistan, le Bangladesh, le Népal et le Sri Lanka. L’Inde est également un membre clé du BRICS , une alliance de pays émergents qui cherchent à remodeler l’ordre économique mondial.

Face à la montée en puissance de la Chine, l’Inde a renforcé ses alliances stratégiques, notamment avec les États-Unis, le Japon et l’Australie, dans le cadre du Quad, une coalition visant à maintenir l’équilibre des pouvoirs en Indo-Pacifique. La rivalité avec la Chine, exacerbée par des conflits frontaliers dans l’Himalaya, pousse l’Inde à moderniser rapidement ses forces armées et à renforcer sa posture diplomatique.


Une diplomatie axée sur le multilatéralisme

L’Inde a adopté une diplomatie multilatérale proactive, jouant un rôle crucial dans des organisations internationales telles que l’ONU, où elle aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité. Le pays a également pris des initiatives dans le domaine du changement climatique, avec des engagements ambitieux pour réduire ses émissions de carbone et promouvoir les énergies renouvelables, notamment à travers l’Alliance solaire internationale.

En tant que président du G20 en 2023-2024, l’Inde a utilisé cette plateforme pour mettre en avant les préoccupations des pays en développement, soulignant son rôle de leader dans la promotion d’un ordre mondial plus équitable.


Les défis internes et internationaux

Malgré ses succès, l’Inde fait face à des défis significatifs. Sur le plan interne, les inégalités économiques persistent, la pauvreté reste un problème majeur, et des tensions communautaires menacent la cohésion sociale. Sur la scène internationale, l’Inde doit naviguer dans un contexte de rivalités géopolitiques complexes, notamment avec la Chine et le Pakistan, tout en s’efforçant de maintenir des relations équilibrées avec les grandes puissances mondiales.


La religion en Inde : complexité et influence dans la société contemporaine

L’Inde, connue pour sa diversité culturelle et religieuse, est un pays où la religion joue un rôle central dans la vie quotidienne de ses habitants. Avec une histoire riche en traditions religieuses, l’Inde abrite certaines des plus grandes religions du monde, telles que l’hindouisme, l’islam, le christianisme, le sikhisme, le bouddhisme et le jaïnisme. Cette pluralité religieuse, qui est à la fois une force et un défi, façonne profondément la société indienne contemporaine.

L’hindouisme : La religion majoritaire

L’hindouisme est de loin la religion la plus pratiquée en Inde, avec environ 80 % de la population se réclamant de cette foi qui englobe une vaste gamme de croyances, de pratiques rituelles, de philosophies et de traditions. Les temples hindous, les festivals religieux comme Diwali, Holi, et Navratri, ainsi que les pèlerinages tels que la Kumbh Mela, sont des éléments essentiels de la culture indienne.

Le systèmes de castes, bien qu’officiellement aboli, reste un aspect profondément enraciné dans certaines pratiques sociales hindoues. Il continue d’influencer les relations sociales, l’accès aux ressources et les opportunités économiques, malgré les efforts du gouvernement pour promouvoir l’égalité.

L’islam : Une présence importante

Avec environ 14 % de la population, l’islam est la deuxième religion la plus importante en Inde. Les musulmans indiens, qui forment l’une des plus grandes communautés musulmanes au monde, ont une influence notable sur la culture, la politique et l’économie du pays. Les mosquées, les écoles islamiques (madrassas), et les fêtes religieuses comme l’Aïd al-Fitr et l’Aïd al-Adha sont des composants de la vie indienne.

Cependant, les relations entre les communautés hindoues et musulmanes ont parfois été tendues, marquées par des épisodes de violence communautaire. Les tensions religieuses sont souvent exacerbées par des discours politiques polarisants, ce qui pose un défi à la cohésion sociale dans le pays.

Le christianisme et les autres religions

Le christianisme est pratiqué par environ 2,3 % de la population, principalement dans les États du Kerala, Goa, et au nord-est de l’Inde. Les chrétiens en Inde sont majoritairement catholiques, mais on trouve aussi des communautés protestantes et orthodoxes. L’Église en Inde est active dans le domaine de l’éducation et de la santé, avec de nombreuses écoles et hôpitaux chrétiens jouant un rôle vital dans le pays.

École tenue par les frères bénédictins de Shivpuri.

Le sikhisme, fondé au Punjab au 15e siècle, est pratiqué par environ 2 % de la population. Les sikhs ont une forte présence dans le nord-ouest de l’Inde où ils constituent la majorité dans l’État du Pendjab. Leurs contributions à l’agriculture, aux forces armées et à l’industrie sont largement reconnues.

Le bouddhisme et le jaïnisme, deux religions originaires de l’Inde, sont pratiqués par des minorités, mais leur influence philosophique et culturelle est immense. Le bouddhisme a une importance historique particulière, ayant été fondé par le prince Siddhartha Gautama, connu sous le nom de Bouddha, en Inde du Nord.

Les défis et enjeux religieux actuels

La diversité religieuse de l’Inde, bien que source de richesse culturelle, est également à l’origine de défis sociaux et politiques. Ces dernières années, le pays a été témoin d’une montée du nationalisme hindou, incarné par le Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir, qui a été accusé de marginaliser les minorités religieuses et de promouvoir une vision de l’Inde comme nation hindoue. Cette politique a conduit à des tensions intercommunautaires, avec des violences religieuses, des lynchages en lien avec le protection des vaches sacrées, et des débats autour de la conversion religieuse.

Le gouvernement a également été critiqué pour son traitement des musulmans comme aussi des chrétiens dans des affaires telles que la loi sur la citoyenneté (CAA) de 2019, perçue par beaucoup comme discriminatoire. Ce climat de tension religieuse a provoqué des inquiétudes quant à la laïcité de l’Inde, un principe inscrit dans sa Constitution.


Conclusion

La religion en Inde est une force complexe et omniprésente qui influence tous les aspects de la vie sociale, culturelle et politique. Tandis que la diversité religieuse du pays est l’une de ses plus grandes richesses, elle constitue également un terrain fertile pour les tensions et les conflits. L’Inde moderne doit continuellement chercher un équilibre entre respect de ses traditions religieuses et promotion de la laïcité et de l’harmonie sociale, afin de préserver son unité et sa stabilité.

© AIM.

La foi chrétienne dévoilée avec une approche mystique orientale et occidentale par J. Monchanin, H. Le Saux et B. Griffiths

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Témoignage

Dom Dorathick Rajan, Camaldule

prieur de Shantivanam (Inde)


La foi chrétienne dévoilée avec une approche

mystique orientale et occidentale

par J. Monchanin, H. Le Saux et B. Griffiths


I- L’exploration mystique de la Trinité de Jules Monchanin

Jules Monchanin était un prêtre, philosophe et mystique français visionnaire qui a consacré sa vie à l’étude et à l’interprétation de la spiritualité, en particulier du concept fascinant et fondateur du christianisme, connu sous le nom de Trinité. La Trinité, dans la théologie chrétienne, fait référence à la foi au « Dieu en trois personnes » – le Père, le Fils et le Saint-Esprit. J. Monchanin a approfondi ce concept en offrant des idées et des perspectives uniques qui trouvent un écho auprès des chercheurs de sagesse mystique.

Comprendre la Trinité d’un point de vue mystique - Reconnaître la nature trinitaire de la réalité

J. Monchanin voit que le concept de la Trinité ne se limite pas au christianisme mais s’étend au-delà des frontières religieuses. Il croyait que la Trinité était une qualité inhérente à la structure même de la réalité. Tout comme il existe trois personnes distinctes mais interdépendantes de la Trinité, J. Monchanin soutient que toute vie consiste en trois éléments interdépendants : la conscience physique, la conscience spirituelle et la conscience transcendantale en tant que principe unificateur. Selon J. Monchanin, l’essence de la Trinité réside dans le principe de conscience, qui imprègne tous les aspects de l’existence. Il décrit la conscience comme une force unificatrice à travers laquelle s’expriment les aspects physique, spirituel et transcendantal. Dans cette compréhension, la conscience agit comme le pont entre le matériel et le divin.

La Trinité et le voyage spirituel

En explorant la Trinité, J. Monchanin a souligné l’importance du voyage spirituel et de la recherche de la connaissance de soi. Il a suggéré que, tout comme la Trinité représente trois réalités, les individus ont une trinité intérieure – l’esprit, le cœur et l’âme – et qu’en harmonisant ces trois aspects, on peut entreprendre un voyage transformateur vers l’éveil spirituel et l’union avec Dieu.

La pertinence de la Trinité de J. Monchanin aujourd’hui :

– Faire le pont entre la science et la spiritualité

La compréhension de la Trinité par J. Monchanin est un pont entre le scientifique et le spirituel, créant une vision globale qui intègre les deux. Alors que la science continue d’explorer l’interdépendance de l’univers, les idées de J. Monchanin créent un cadre métaphysique pour reconnaître l’unité de toute existence.

– Embrasser la diversité et l’unité

Dans un monde marqué par la division et le conflit, la Trinité de J. Monchanin nous rappelle l’unité essentielle dans la diversité. En reconnaissant le physique, le spirituel et le transcendant, nous pouvons apprécier la beauté des systèmes de croyances et trouver un terrain d’entente pour promouvoir l’harmonie et la compréhension.

– Éveiller la Trinité intérieure

Le concept de J. Monchanin de la trinité en nous – esprit, cœur et âme – offre un chemin profond vers la croissance personnelle et la découverte de soi en nourrissant les trois aspects de notre être. Nous pouvons nous lancer dans un voyage de transformation qui suit la plénitude, l’équilibre et le but de nos vies. Les recherches de Jules Monchanin sur la Trinité vont au-delà des explications religieuses traditionnelles, offrant une compréhension mystique qui résonne avec ceux qui recherchent la sagesse spirituelle au-delà des traditions. En reconnaissant la Trinité de l’existence et en embrassant l’unité de la diversité, nous pouvons entreprendre un voyage transformateur vers la réalisation de soi et une relation plus profonde avec Dieu. La Trinité de Monchanin sert de lumière directrice, combinant les aspects scientifiques et spirituels et nous rappelant l’interdépendance profonde des aspects physiques, spirituels et transcendantaux. Embrassons cette unité et embarquons-nous pour un voyage vers une plus grande conscience et un éveil spirituel.


II- Les enseignements de Swami Abhishiktananda (Henri Le Saux)

À la découverte de l’Advaita Vedanta

Swami Abhishiktananda, également connu sous le nom d’Henri Le Saux, était un moine bénédictin français qui a consacré sa vie à l’étude et à la pratique de l’Advaita Vedanta. Il a passé plusieurs années en Inde, s’immergeant dans la tradition hindoue et s’efforçant de combler le fossé entre le christianisme et l’hindouisme.

Comprendre l’Advaita Vedanta

L’Advaita Vedanta est une école de philosophie hindoue qui met l’accent sur l’unité de la vie et la réalité ultime également connue sous le nom de Brahman. Le mot « Advaita » se traduit par « non-duel ». Selon l’Advaita Vedanta, il n’y a pas de différence entre l’âme individuelle (Atman) et l’âme universelle (Brahma) car elles sont une par nature.

Le voyage de Swami Abhishiktananda

Swami Abhishiktananda a passé de nombreuses années de sa vie dans des ashrams indiens et dans des discussions spirituelles profondes avec des sages hindous. Avec un désir sincère de réconcilier sa foi chrétienne avec les connaissances plus profondes acquises grâce à l’Advaita Vedanta, Swami Abhishiktananda s’est lancé dans un remarquable voyage de découverte de soi.

L’unité de la spiritualité

Swami Abhishiktananda croyait fermement en l’unité qui sous-tend tous les chemins spirituels. Il voyait l’Advaita Vedanta comme un moyen pour les individus de transcender les frontières religieuses et d’atteindre la vérité universelle qui sous-tend toutes les croyances. Selon Swami Abhishiktananda, l’essence de la spiritualité ne se limite pas à des rituels ou à des enseignements spécifiques, mais à l’expérience directe du divin intérieur.

L’Advaita Vedanta et le christianisme

Les recherches de Swami Abhishiktananda sur l’Advaita Vedanta ont grandement influencé sa compréhension du christianisme. Il a trouvé des similitudes entre le concept de Brahman dans l’hindouisme et la compréhension chrétienne de Dieu. Pour Swami Abhishiktananda, la réalisation de la réalité non duelle était apparentée à l’idéal chrétien d’union avec Dieu. Comme le dit saint Paul, avec la comparaison du Corps du Christ : nous constituons, chacun, les nombreuses parties d’un seul corps, et nous appartenons tous les uns aux autres.

L’illusion de la séparation

L’un des principaux enseignements de l’Advaita Vedanta est le concept de maya ou d’illusion. Swami Abhishiktananda a compris qu’en fin de compte notre perception de la séparation divine est une illusion causée par l’ego. La libération spirituelle peut être atteinte en transcendant les limitations de l’ego et en abandonnant l’illusion de la séparation.

Le chemin de l’introspection

Au centre des enseignements de Swami Abhishiktananda se trouvait la pratique de l’introspection connue dans l’Advaita Vedanta sous le nom d’Atma Vichara. Ce processus implique de remettre en question la vraie nature de l’homme et de découvrir le divin sous-jacent. En s’intéressant à soi-même, on peut transcender les mouvements de l’esprit humain et expérimenter directement l’unité de l’existence.

Vivre dans le moment présent

Swami Abhishiktananda a souligné l’importance de vivre dans le moment présent comme moyen de transcender le temps et l’égoïsme illusoire. On peut s’immerger complètement dans le présent et acquérir une conscience profonde pour se connecter au divin éternel.

Amour et compassion universels

Swami Abhishiktananda croyait que l’unité visible avec le divin conduit naturellement à une effusion d’amour et de compassion cosmiques. Lorsque l’on réalise que notre propre moi est divin, il devient impossible pour les autres de faire preuve de discrimination ou d’avoir des préjugés. Les enseignements de l’Advaita Vedanta encouragent l’individu à voir le divin dans tous les êtres et à les traiter avec amour et respect.

Le voyage de Swami Abhishiktananda à travers l’Advaita Vedanta était une exploration de la relation profonde entre le christianisme et l’hindouisme. Ses enseignements mettent l’accent sur l’unité de tous les chemins spirituels et l’universalité de la vérité divine. En adoptant les enseignements de l’Advaita Vedanta et en s’engageant dans le voyage transformateur de la réalisation de soi, on peut faire l’expérience de l’unité éternelle qui réside en chacun de nous.


III- L’union unique : exploration du mariage entre l’Orient et l’Occident – Bede Griffiths

Dans un monde de mondialisation croissante, l’échange d’idées et de cultures est devenu plus répandu que jamais. Un domaine dans lequel cet échange est particulièrement questionnant est celui de la spiritualité et des pratiques religieuses. Bede Griffiths est l’un des individus qui a consacré sa vie à combler le fossé entre les traditions spirituelles orientales et occidentales.

Jeunesse et parcours spirituel

Bede Griffiths a été profondément influencé par son premier enracinement dans la tradition chrétienne occidentale. Cependant, son parcours spirituel a pris un tournant décisif lorsqu’il a rencontré les enseignements mystiques de l’Orient. En étudiant l’hindouisme et le bouddhisme, B. Griffiths a commencé à reconnaître les points communs qui reliaient ces traditions orientales à ses croyances occidentales.

Le virage vers les traditions orientales

Le profond intérêt de Bede Griffiths pour la spiritualité orientale l’a conduit à voyager en Inde dans les années 1950, où il a finalement choisi de s’installer dans un monastère bénédictin. Cela a commencé un voyage de toute une vie reliant l’Occident et l’Orient. Embrassant les enseignements de l’hindouisme et du bouddhisme, B. Griffiths a cherché à réconcilier ces traditions avec ses racines chrétiennes.

Cellule de Bede Griffiths. © AIM.

Dialogue et coopération interreligieux

L’une des contributions les plus importantes de Bede Griffiths a été son engagement indéfectible en faveur du dialogue et de la coopération interreligieux. Il croyait fermement que grâce à une communication ouverte et respectueuse, les personnes de différentes religions pouvaient trouver un terrain d’entente et favoriser la compréhension mutuelle. B. Griffiths a encouragé les médecins des traditions orientales et occidentales à se réunir et à échanger des idées significatives.

Spiritualité universelle

La vision plus large de Bede Griffiths était la création d’une spiritualité universelle au-delà des frontières religieuses. Il croyait fermement qu’au cœur de chaque tradition spirituelle, quel que soit son contexte culturel ou historique, se trouvait une vérité partagée. Embrassant cette vérité universelle, B. Griffiths a entrepris de créer un cadre spirituel qui pourrait être utilisé par des individus d’horizons divers.

Le rôle des pratiques contemplatives

Les pratiques contemplatives ont joué un rôle important dans l’exploration de Bede Griffiths sur le mariage Est-Ouest. Ces pratiques basées sur la méditation, la prière, etc., ont permis aux individus de se connecter plus étroitement au divin et de surmonter les limites de leur ego. Bede Griffiths a recommandé des pratiques de méditation issues des traditions d’inclusion orientales et occidentales, et a reconnu leur pouvoir transformateur pour promouvoir la croissance spirituelle.

Héritage et impact

Le travail révolutionnaire de Bede Griffiths inspire et touche des individus du monde entier. Son engagement indéfectible en faveur du dialogue interreligieux et d’une vision de la spiritualité universelle a eu un impact durable sur la façon dont nous comprenons et pratiquons la spiritualité aujourd’hui. Ses écrits, ses enseignements et son œuvre locale (Le nom de la Paix) sont un phare d’espoir et un rappel infini. Le pouvoir de connexion et de solidarité entre l’Orient et l’Occident, le mariage de l’Orient et de l’Occident, tel que l’envisageait Bede Griffiths, représente une union harmonieuse de traditions spirituelles. Les recherches approfondies de B. Griffiths sur les philosophies orientales et son engagement en faveur du dialogue interreligieux ont transcendé les différences culturelles et religieuses et ont produit une spiritualité universelle. Grâce à sa perspective unique, B. Griffiths a laissé une marque indélébile sur le paysage spirituel, nous rappelant le pouvoir de l’unité et de la compréhension dans un monde de plus en plus interconnecté. Dans ce voyage de conscience, il est clair que l’union de l’Orient et de l’Occident est non seulement possible mais aussi bénéfique. En adoptant les enseignements et les pratiques des deux traditions, nous nous ouvrons à un monde de croissance et de transformation spirituelles. L’héritage de Bede Griffiths témoigne du pouvoir infini de ce mariage et nous donne le plan directeur d’un avenir spirituel inclusif et intégré.


Conclusion

Il existe quatre piliers « très » essentiels pour notre vie monastique aujourd’hui, avec une dimension universelle :

Pilier 1 : Silence et solitude.

Pilier 2 : Prière et méditation.

Pilier 3 : Simplicité et pauvreté.

Pilier 4 : Communauté et travail.

L’avenir de la vie monastique est lié aux défis et aux opportunités présentés par un monde en évolution rapide. En intégrant la technologie, en adoptant un mode de vie durable, en ré-imaginant l’éducation, en ouvrant leurs portes aux visiteurs et en adoptant un équilibre délicat entre tradition et changement, les communautés monastiques peuvent rester pertinentes et continuer à remplir leur mission intemporelle en tant qu’individus qui recherchent le réconfort et un but dans un monde de plus en plus chaotique. Par conséquent, elle offre un sanctuaire de paix, de sagesse et d’illumination spirituelle.

© AIM.

« Nous avons besoin d'une formation liturgique sérieuse et vitale »

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Liturgie

Frère Patrick Prétot, osb

Institut Supérieur de Liturgie Institut Catholique de Paris Abbaye de la Pierre qui Vire (France)

 

« Nous avons besoin d’une formation liturgique

sérieuse et vitale »

 

La lettre Desiderio desideravi du pape François, publiée à Rome le 29 juin 2022, constitue un acte majeur de ce pontificat sur le plan de la liturgie[1]. Certes, elle semble porter sur une question spécifique, à savoir « la formation liturgique du Peuple de Dieu » mais en réalité, elle touche la question liturgique aujourd’hui, telle qu’elle se pose un peu plus de 50 ans après la réforme d’ensemble demandée par la Constitution Sacrosanctum Concilium du concile Vatican II (4 décembre 1963). Sans vouloir proposer un commentaire détaillé du texte, le but ici est d’introduire à sa lecture en manifestant quelques enjeux de ce document du magistère. Dans un contexte de mutations accélérées, Desiderio desideravi déplace les mauvais débats dans lesquels l’Église semble enfermée depuis la réforme demandée par le concile Vatican II[2]. Le Pape resitue la réflexion d’une part sur la formation et d’autre part sur une double question à laquelle le Pape attache beaucoup d’importance.

D’un côté, il s’interroge en effet sur la capacité de l’homme moderne à entrer dans une démarche symbolique et donc dans l’univers relationnel qui fonde la liturgie chrétienne. La publication le 17 juillet 2024 d’une lettre « sur le rôle de la littérature dans la formation » constitue à ce titre un document où s’exprime, avec une force particulière, le souci du pape François au sujet de la « capacité symbolique » de l’homme contemporain[3]. En liturgie, la question est de savoir si, et si oui comment, la vie liturgique peut aujourd’hui offrir un chemin de rencontre avec Dieu.

De l’autre côté, le Pape dénonce sans relâche deux tendances profondes qu’il qualifie de « venin de la mondanité spirituelle » : le « néo-pélagianisme » qui tend à mettre l’accent sur l’œuvre de l’homme au risque de transformer la liturgie en performance rituelle, et le « néo-gnosticisme » qui tend à réduire la liturgie à un savoir destiné à une élite. Sur ce point, le Pape apporte à l’Église les réflexes du monde latino-américain qui prend très au sérieux les ressources de la piété populaire. Car la formation liturgique que François entend promouvoir a pour but premier non de faire des « sachants » voire des savants en liturgie, mais de prêter vraiment attention à ce que la liturgie donne à vivre. On pourrait dire qu’il s’agit de former l’être intérieur par et dans la célébration.


La liturgie : une préoccupation constante du magistère de l’Église

À partir du 17e s., mais surtout au 19e et au début du 20e siècle, la science historique va investir le champ de la liturgie. Cette approche historique a largement montré que les usages reçus avaient une histoire, et que les institutions avaient beaucoup, et parfois même radicalement, évolué au cours du temps. Sur ces bases, on ne peut plus parler, du point de vue historique, de continuité formelle entre la Cène de Jésus et la messe, que ce soit celle de saint Paul VI ou celle de saint Pie V. Cette conscience, qui fait souvent défaut aujourd’hui, a invité à reconsidérer la pertinence des héritages reçus. Et c’est dans cette ligne que entre 1951 et 1956, le pape Pie XII avait décidé une grande réforme de la Semaine sainte, un pas décisif pour penser un renouveau liturgique. Mais bien sûr, la dynamique d’aggiornamento de Vatican II allait emporter un grand projet de réforme qui sera réalisé dans les années qui suivront le Concile. Avec une très large connaissance des sources, cette œuvre va suivre un double principe : un « ressourcement en tradition » par un retour à des pratiques anciennes oubliées (prière des fidèles par ex.) et une ouverture à des innovations en fonction des besoins de notre temps (par ex. usage des langues vernaculaires). De ce point de vue, bien des « nouveautés » du Missel de 1970 se sont inspirées et ont été justifiées par des usages anciens et souvent de l’Antiquité chrétienne. Ce projet va bénéficier de l’attention constante et vigilante, mais aussi de l’appui et même d’un engagement direct de Paul VI. Dans une catéchèse du 19 novembre 1969, juste avant la mise en œuvre du nouveau Missel romain, il pouvait affirmer en effet que la réforme était « un acte d’obéissance » (au Concile) et « un pas en avant de sa tradition authentique[4].

Or en dépit de ces affirmations, on constate un refus de cette réforme réalisée pour l’essentiel sous l’autorité du pape Paul VI. Le débat est sans cesse relancé sans qu’on ne voie une issue possible. Il n’est pas dans le propos ici de reprendre cette histoire fort complexe du refus de l’aggiornamento liturgique depuis Vatican II jusqu’au motu proprio Traditionis custodes (16 juillet 2021) par lequel il a été mis un terme au régime instauré par Benoît XVI (motu proprio Summorum pontificum, 7 juillet 2007). Ce dernier avait voulu résoudre l’opposition à la réforme par l’instauration d’un double régime en matière de liturgie : la « forme ordinaire » selon les livres liturgiques révisés, et la « forme extraordinaire » selon les livres liturgiques antérieurs à la réforme.

Les approximations de langage en ce domaine complexe ont été et demeurent encore très fréquentes au risque de multiplier des débats mal posés. Parler de « rite tridentin » ou de « rite traditionnel » est ainsi contraire à la pensée de Benoît XVI. Tout en autorisant largement l’usage des livres liturgiques antérieurs à la réforme, Benoît XVI précisait qu’il n’est pas « convenable » de parler de « deux Rites ». Plus encore il affirmait que « le Missel, publié par Paul VI (…) est et demeure évidemment la forme normale – la forma ordinaria – de la liturgie eucharistique » en demandant qu’on ne peut « par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres ».

Après avoir consulté les évêques, François a mis fin à ce régime en affirmant : « Les livres liturgiques promulgués par les saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi du Rite romain » (Traditionis custodes, art. 1). Alors que le débat reste vif au risque de la division, en tant que gardien de l’unité de l’Église, il explique à nouveau sa position dans Desiderio desideravi en demandant qu’une compréhension « superficielle » et réductrice » de la valeur de la liturgie ou encore « son instrumentalisation au service d’une vision idéologique » ne vienne pas défigurer la célébration de la liturgie, qui est le « signe d’unité », et le « lien de charité » (n° 16). Il synthétise en une phrase l’invitation qu’il lance à tous : « La non-acceptation de la réforme, ainsi qu’une compréhension superficielle de celle-ci, nous détournent de la tâche de trouver les réponses à la question que je répète : comment pouvons-nous grandir dans la capacité de vivre pleinement l’action liturgique ? » (n° 31)[5]. Et pour remédier à ces blocages, il propose deux pistes, dont on peut espérer qu’elles fassent leur chemin pour surmonter la blessure de l’Église au sujet de sa vie liturgique.


Prêter attention à la liturgie

Il s’agit de chercher « à nous laisser surprendre par ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux » (n° 31). Dans un monde qui sans cesse capte les sens de multiples manières, l’attention à l’action liturgique est devenue fragile. Les multiples débats et même les conflits sur les chants ou les gestes sont le symptôme de cette difficulté à entrer en profondeur dans la liturgie comme lieu de rencontre avec le mystère d’un Dieu qui vient à l’homme pour le sauver.

Cette requête d’attention a pour fondement la nouveauté permanente de cette rencontre. En liturgie, la répétition des mots ou des gestes est au service de cette nouveauté. À celui ou celle qui consent à entrer dans cette apparente répétition, par exemple dans la prière des psaumes, la nouveauté advient dans une disponibilité à accueillir le grand dialogue entre Dieu et l’humanité. Car c’est l’Esprit de Dieu qui fait toutes choses nouvelles.


S’émerveiller de la beauté du mystère pascal

Le pape François développe alors cette piste de l’attention en invitant à l’émerveillement comme « partie essentielle de l’acte liturgique » et comme « expérience de la puissance du symbole » (n° 26). Il ne s’agit pas pour autant d’une approche esthétique : la beauté ne fait pas forcément bon ménage avec la richesse ou la profusion des moyens, une tentation fréquente qui risque d’aligner les célébrations sur les modes d’une société du spectacle. Dans cette ligne le Pape dénonce les deux excès qui empêchent la beauté en liturgie d’accéder à la vérité. D’un côté, ne prendre plaisir « qu’à soigner la formalité extérieure d’un rite » ou se satisfaire « d’une scrupuleuse observance des rubriques ». De l’autre « l’attitude opposée qui confond la simplicité avec une banalité débraillée, l’essentialité avec une superficialité ignorante, ou le caractère concret de l’action rituelle avec un fonctionnalisme pratique exaspérant » (n° 22).

Il s’agit en réalité de s’émerveiller devant la beauté de l’Incarnation et du Mystère pascal qui sauve toute l’humanité, celle donc du don de Dieu car « les efforts, certes louables, pour améliorer la qualité de la célébration ne suffisent pas, pas plus que l’appel à une plus grande intériorité ». Il faut encore accueillir la révélation du mystère chrétien : « La rencontre avec Dieu n’est pas le fruit d’une recherche intérieure individuelle, mais un événement donné » (n° 24).


Une formation « sérieuse »

La seconde piste est celle de la formation : « Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale » (n° 31). Et dans cette phrase, il faut souligner les adjectifs qui viennent qualifier ce projet de formation.

Pour se placer aux antipodes des slogans et des convictions non fondées, « sérieux » s’oppose au dilettantisme si fréquent dans une société du zapping. La formation liturgique requiert un effort soutenu appuyé sur des travaux de qualité. Sur ce plan, on ne peut que souligner l’importance et des publications[6] et des revues[7] en sachant que les options en ce domaine sont diverses et parfois opposées. Devant ce qui se présente comme un véritable maquis d’opinions, se former en liturgie requiert donc aussi d’acquérir quelques boussoles afin de ne pas rester dans la confusion et d’entrer dans une écoute communautaire car on ne peut discerner seul.


Une formation « vitale »

Par l’adjectif « vital », François apporte une marque spécifique, qu’il a développé dans la lettre apostolique Gaudete et exsultate (19 mars 2018) qui propose un véritable traité de vie spirituelle pour notre temps. Il invite ainsi à ne pas s’enfermer dans la quête d’une performance rituelle en oubliant la mission et la vie de charité. On ne peut séparer les piliers de la vie chrétienne : la martyria (l’annonce de l’Évangile et le témoignage), la diakonia (le service et notamment celui des pauvres et des petits) et la leiturgeia (le culte rendu à Dieu). Contre la tentation de transformer la liturgie en moyen d’évasion, il rappelle que la liturgie offre un chemin, celui de la vie de l’Esprit sans laquelle le témoignage se perd en propagande et la charité en activisme.

Parler de « formation vitale », c’est donc viser une expérience spirituelle. Dire que nous sommes formés « par la liturgie » signifie que celle-ci n’est pas une prestation que l’on évalue avec des critères subjectifs (l’ambiance, la « beauté » des chants, etc.) mais un chemin de conversion. Tout en distinguant la formation « pour » la liturgie (pour la connaître) et la formation « par » la liturgie (se laisser former par elle), il précise que si la formation « pour » est « fonctionnelle », la seconde est à ses yeux « essentielle » (n° 34). La priorité accordée à une recherche d’ambiance et d’un souci de « faire quelque chose » conduit à oublier cet aspect pourtant « essentiel » : nous sommes « faits chrétiens » par la liturgie elle-même.

Cette réalité se manifeste avant tout dans les sacrements de l’Initiation chrétienne bien sûr. Mais c’est aussi en disant ensemble « Notre Père » que les fidèles s’incorporent au Fils de Dieu qui prie le Père des cieux. C’est en disant ensemble « Je crois » que les fidèles deviennent des confesseurs de la foi devant et pour le monde. C’est en acclamant « le mystère de la foi » lors de l’anamnèse que les fidèles confessent la gloire du ressuscité. C’est encore en répondant « Amen » lors de la communion qu’ils ratifient leur vocation de membres du Corps du Christ.


Conclusion

En définitive, l’invitation à conjuguer inséparablement formation « pour » et formation « par » la liturgie manifeste combien l’attention (et non le jugement) devrait être l’attitude première en liturgie. Mais il s’agit de se rendre attentif à un mystère invisible qui se donne à percevoir à travers des signes visibles. Dans un monde de l’hyper-communication (où cependant la relation vraie est si fragile et même si difficile) ceci invite donc à se tenir à l’écart des volontés de mettre la main sur la liturgie en vue de transmettre un message, de susciter une adhésion ou de cultiver des convictions. Car il s’agit avant tout de communier à cette vie divine qui nous est communiquée par la célébration des mystères.


[1] PAPE FRANÇOIS, Lettre apostolique Desiderio Desideravi, 29 juin 2022 ; nous utilisons la version en ligne disponible sur le site du Vatican.

[2] Cf. PIE X, Motu proprio Abhinc duos annos, 23 octobre 1913, qui exprimait cette nécessité en n’hésitant pas à parler de la nécessité de « nettoyer » « la crasse » qui s’était déposée sur l’édifice liturgique hérité du passé.

[3] PAPE FRANÇOIS, Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation, 17 juillet 2024.

[4] Voir dans le même sens : JEAN-PAUL II, Lettre apostolique Vicesimus quintus annus pour le 25e anniversaire de la Constitution conciliaire sur la liturgie, 4 décembre 1988, n° 4, qui salue le fruit d’un « travail considérable et désintéressé d’un grand nombre d’experts et de pasteurs de toutes les parties du monde » et surtout une opération « strictement traditionnelle ».

[5] Desiderio desideravi s’adresse utilement à tous. Le manque de formation reste criant même chez ceux qui se réfèrent à la réforme de Vatican II. Les principes édictés ici permettent d’aborder par le fond la grande question liturgique, facteur d’unité et non de division (NDLR).

[6] Voir notamment les collections « Célébrer » du Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS, Conférence des évêques de France, éditeur : Desclée/Mame), « Guides célébrer » (Éditions du Cerf).

[7] Parmi d’autres, notamment la revue La Maison-Dieu (fondée en 1945, éditions du Cerf) ou encore Magnificat (Mame) ou Prions en Église (Bayard) ; le site liturgie.catholique.fr (SNPLS) comporte de multiples ressources ; l’association Sacrosanctum Concilium a également développé un site intitulé « ressources liturgiques ».

Abbé Notker Wolf (1940-2024)

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Grandes figures de la vie monastique

Dom Cyrill Schäfer, osb

Abbaye de Sankt Ottilien (Allemagne)

 

Abbé Notker Wolf, osb,

bénédictin missionnaire de Sankt Ottilien

(21 juin 1940 - 2 avril 2024)

 

L’abbé Notker Wolf est décédé inopinément dans la soirée du 2 avril à l’hôtel de l’aéroport de Francfort-sur-le-Main. Depuis le lundi de Pâques, il avait accompagné un pèlerinage sur les traces de saint Benoît en Italie. Se sentant de plus en plus mal, il a pris prématurément le vol de retour vers Sankt Ottilien. Lors de la nuit nécessaire à Francfort, il est décédé dans sa chambre d’une crise cardiaque. Quelques semaines plus tôt, son compagnon de cours et prieur de longue date, le père Claudius Bals, l’avait précédé dans l’éternité.

Le père Notker a décrit lui-même son parcours de vie, ainsi que d’autres, dans différentes publications, notamment dans une biographie parue en 2010. Sa famille est originaire de la région de la Moselle et s’est retrouvée dans l’Allgäu pendant les années de guerre, à Grönenbach (district d’Unterallgäu, diocèse d’Augsbourg), où Werner est né le 21 juin 1940, premier fils de Josef Wolf, tailleur et ouvrier d’usine, et de sa femme Katharina, née Haas. Son enfance fut marquée par les privations et le manque d’alimentation, si bien que le garçon subit un retard de croissance et devait garder des troubles gastriques toute sa vie. Il ne fit la connaissance de son père qu’après son retour de captivité anglaise en 1947. Une fille est née en 1952. L’école primaire de Grönenbach est suivie en 1951 par l’école secondaire de Memmingen. Le jeune garçon maladif mais très doué n’a eu aucun mal à apprendre, surtout en musique et en langues. La lecture de la revue du monastère Sankt Ottilien « Missionsblätter » (Feuilles de la mission), qu’il a découverte par hasard, a marqué un tournant dans sa vie. Les descriptions de vies missionnaires se sacrifiant dans des pays exotiques l’ont enthousiasmé et il a pu convaincre ses parents de l’inscrire au séminaire missionnaire de Sankt Ottilien en 1955.

La communauté du séminaire, avec sa camaraderie naturelle, une formation humaniste d’un horizon large, avec théâtre et musique à l’orchestre de l’école, marquera fortement le jeune garçon. Après avoir obtenu son baccalauréat en été 1961, il entreprit un pèlerinage à La Salette et à Ars avec un camarade séminariste avant d’entrer au noviciat du monastère. C’est à cette occasion qu’il reçut le nom de l’érudit monastique et poète saint-gallois Notker der Stammler, dont l’activité musicale attira le jeune candidat. Les autres étapes monastiques furent la profession temporaire (17 septembre 1962) et les vœux solennels (10 octobre 1965). À partir du semestre d’hiver 1962, il suivit des études de philosophie à Sant’Anselmo. Ses études romaines ont coïncidé avec l’ouverture du concile Vatican II qui, selon lui, l’a profondément marqué dans le domaine de la liturgie, de la compréhension de l’Église et de la mission. À partir du semestre d’hiver 1965, il est parti étudier la théologie à Munich, où l’étudiant suivait déjà de nombreux cours de philosophie et de différentes matières scientifiques en vue de son doctorat. Son ordination sacerdotale a eu lieu le 1er septembre 1968, comme il était d’usage à l’époque, alors qu’il était encore étudiant en théologie. Après avoir obtenu son diplôme à l’université de Munich en 1970, le père Notker a commencé un doctorat  en philosophie de la nature à Sant’Anselmo (sous la direction du professeur Zeno Bucher, OSB, auquel il était probablement destiné à succéder), tout en enseignant dans ce domaine ainsi que la théorie des sciences et les questions interdisciplinaires. Au cours de ces années, il s’est aussi profondément immergé dans la ville de Rome, de sorte qu’il parlait l’italien, qui lui était très familier, avec le doux accent romain. Il obtint son doctorat sur la « vision cyclique du monde de la Stoa » en 1974. À Sant’Anselmo, il dirigea également la Schola. Il devait plus tard reprendre l’enregistrement « Iubilate Deo » qu’elle avait édité avec sa devise abbatiale.

Un tournant dans sa vie se produisit à la fin de l’été 1977 : dans une suite d’événements en chaîne, l’abbé primat Rembert Weakland fut nommé à la surprise générale archevêque de Milwaukee lors du Congrès des abbés, et l’archi-abbé ottilien Viktor Josef Dammertz fut alors élu comme successeur. Le 10 octobre 1977, le couvent de l’archi-abbaye élut alors le professeur romain Notker Wolf comme nouvel archi-abbé. Par chance, le nouvel abbé primat Viktor accompagna encore son successeur au chapitre général de 1977, dont les rapports et les aperçus aidèrent beaucoup le nouveau directeur du monastère à s’initier au domaine encore totalement inconnu de la direction de la Congrégation. Un autre coup de chance fut que le nouveau supérieur fut largement déchargé de la direction de la maison grâce au prieur très compétent Paulus Hörger (1910-1996). L’archi-abbaye comptait alors juridiquement environ 380 moines (sur un total d’environ 1 100 bénédictins missionnaires), dont environ la moitié en mission à l’étranger. Le style du nouvel abbé du monastère a été décrit comme « rapidissimo », ce qui n’a toutefois pas été ressenti comme un fardeau en raison de sa grande intelligence, de sa disposition généreuse et confiante à déléguer, de son style très confraternel et de son humour philanthropique. Grâce à une large libération des tâches internes au monastère, l’archi-abbé a pu entreprendre chaque année plusieurs voyages à l’étranger dans les maisons de la Congrégation.  Grâce au style dynamique du nouvel archevêque, de nombreux changements ont eu lieu, ce qui a permis à la Congrégation d’évoluer. Il s’agissait notamment du passage de la mission européenne classique aux églises locales, de la conversion des monastères missionnaires à la prise en charge de tâches diocésaines particulières, du passage de communautés principalement européennes à des communautés locales, de l’accompagnement ou de l’intégration de communautés locales comme en Inde ou au Togo, de nouvelles fondations comme aux Philippines avec une approche principalement monastique ou encore de l’ouverture au dialogue interreligieux. C’est justement ce dernier qui tenait à cœur à l’archi-abbé Notker, si bien qu’il a encouragé les échanges entre monastères chrétiens et bouddhistes, qui se poursuivent encore aujourd’hui, et a visité à plusieurs reprises des monastères bouddhistes au Japon.

Dom Notker Wolf à l’assemblée de l’ISBF (Inde) en 2015. © AIM.

L’échange avec l’Église chinoise est devenu une préoccupation particulière pour l’archi-abbé Notker. Après l’expulsion des missionnaires européens par le gouvernement chinois en 1952, le contact avec les paroisses établies dans ce pays avait été rompu. Après une première ouverture timide de la Chine, l’archi-abbé Notker a entrepris en 1985 un voyage dans l’ancien diocèse de Yenki/Yenji au nord-est de la Chine. Les chrétiens restants, qui avaient souvent connu des destins émouvants, ont pu être atteints par des chemins aventureux. L’abbé a alors lancé une série de projets d’aide pour les anciens territoires de mission (aujourd’hui surtout le diocèse de Jilin), parmi lesquels la construction d’un nouveau séminaire, d’un hôpital, d’églises, d’écoles et de jardins d’enfants, des projets sociaux, la formation continue des prêtres et religieux locaux et bien d’autres choses encore. Mais surtout, les contacts humains ont été renforcés par de nombreuses invitations en Allemagne et des visites réciproques en Chine. Plusieurs grandes délégations d’évêques chinois en Allemagne ont particulièrement contribué à renforcer la confiance.

À Santk Ottilien, l’abbé Notker a accompagné toute une série de processus de renouvellement, tels que la fermeture des maisons extérieures et d’entreprises qui n’étaient plus viables, l’intégration accrue de forces laïques, le renouvellement liturgique ou la grande rénovation de l’église, en impliquant à chaque fois pleinement la communauté, de sorte qu’il y a eu peu de conflits. Mais surtout, il a introduit des changements de style qui ont transformé un style plutôt hiérarchique en formes de relations horizontales. Il ne craignait pas les contacts et se produisait également en tant qu’« abbé rocker » avec une guitare électrique lors des représentations de l’ancien groupe d’élèves « Feedback ». Mais il maîtrisait tout autant le répertoire classique, qu’il a présenté pendant des décennies à la flûte traversière lors de la fête bénédictine, à l’occasion de la « sérénade au lac ».

Conseil de l'AIM en 2015. © AIM.

Déjà lors du Congrès des abbés romains de 1996, l’archi-abbé Notker avait été pressenti pour devenir abbé primat, ce qu’il avait rejeté en évoquant surtout les projets très complexes en cours en Chine. Mais lorsque la question d’un nouvel abbé primat s’est à nouveau posée en 2000, l’archi-abbé Notker ne pouvait plus refuser une acceptation et s’est mis à disposition le 7 septembre. En tant qu’abbé primat, il poursuivit ses activités habituelles de voyage qu’il effectuait volontiers. Lors de ses visites au monastère, outre ses connaissances linguistiques (outre l’allemand, il parlait couramment l’anglais, l’italien et le français et s’exprimait dans plusieurs autres langues), il a surtout bénéficié de sa capacité à s’adapter à chaque situation et à chaque personne, faisant preuve d’une forte présence et d’un véritable engagement. À Sant’Anselmo, un grand programme de rénovation et de modernisation était notamment à l’ordre du jour, comprenant entre autres la rénovation des locaux, de nouvelles fenêtres, un système internet performant, des transformations du collège et bien d’autres choses encore, ce qui a nécessité un grand nombre de concertations et de travaux en commissions au sein du collège et avec l’Ordre, le Vatican et les autorités romaines. Le 13 octobre 2012, il a été confirmé dans ses fonctions pour un nouveau mandat de quatre ans lors du Congrès des abbés. Le 9 septembre 2016, lors du chapitre général suivant, il a pu remettre sa charge entre les mains de son successeur, Gregory Polan.

Avant son retour au monastère, la Confédération bénédictine lui a offert un voyage autour du monde, afin que l’abbé, grand voyageur, puisse visiter avec un peu plus de temps libre les lieux qu’il n’avait le plus souvent touchés qu’à un rythme accéléré. Il est ensuite retourné à Sankt Ottilien, qu’il a toujours appelé avec beaucoup de conviction « ma patrie ». Même s’il était désormais libéré de toute obligation, il s’engageait encore au monastère dans le domaine de la planification de l’avenir, de la collecte de dons, des interventions publiques et trouvait toujours un mot juste lors des discussions de la communauté. Mais surtout, il a assumé une charge de travail impressionnante et parfois tout à fait incroyable de conférences, d’émissions de radio, d’apparitions à la télévision, de retraites, d’exercices spirituels, de messes de fête et de manifestations en tout genre, qui l’ont mené à travers l’Allemagne et le monde entier. Grâce à une discipline de fer et à une grande exigence de disponibilité envers les autres, il a pu mener à bien ce programme, même s’il lui arrivait de mettre sa santé à rude épreuve. D’autre part, les rencontres avec d’autres personnes l’inspiraient et le réjouissaient, de sorte que son programme gigantesque a toujours été un élixir de vie pour lui aussi. Il a formulé ses exigences élevées envers lui-même dans ses écrits sociaux et spirituels, dans lesquels l’individu se voit accorder ou exiger beaucoup de liberté, mais aussi beaucoup de responsabilité. La prière des heures, qu’il fréquentait volontiers et fidèlement, et la vie communautaire, qui lui procurait manifestement du plaisir, sont toujours restées pour lui un point de repos.

L’activité littéraire mérite une mention particulière. Pendant des décennies, celle-ci s’est limitée à des essais académiques occasionnels et à des traités spirituels. Cela devait changer après son élection comme abbé primat avec son programme obligatoire un peu moins dense. En 2005, la maison d’édition hambourgeoise Rowohlt l’invita à produire un livre, ce qui donna naissance à l’ouvrage « Worauf warten wir? » (« Qu’attendons-nous ? »), paru l’année suivante, qui présentait des thèses provocantes sur la situation sociale en Allemagne et permit à l’abbé primat Notker de devenir un auteur de best-sellers. Depuis, l’abbé Notker a publié chaque année plusieurs titres ou rédigé des textes d’inspiration pour des revues, qui ont parfois atteint des tirages élevés et lui ont valu une grande sympathie de la part du public, car il transmettait sa riche expérience de vie et de foi de manière bien compréhensible et en langage clair.

Parmi la trentaine d’honneurs et de prix reçus par l’abbé Notker, il convient de mentionner l’Ordre du Mérite bavarois (1986), la Grande Croix du Mérite de la République fédérale d’Allemagne (2007) et la Médaille d’État bavaroise du Mérite social (2021), ainsi que deux doctorats honoris causa et plusieurs citoyennetés d’honneur (entre autres de Norcia). Nous sommes reconnaissants pour les nombreuses graines que notre confrère a pu semer au cours de sa vie et prions pour que son dernier grand voyage l’ait conduit à celui qu’il a annoncé toute sa vie !

Dom Notker Wolf durant la réunion de BECOSA en 2014 (Johannesburg, Afrique du Sud). © AIM.

Homélie pour les obsèques de dom Notker Wolf

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Grandes figures de la vie monastique

Dom Jeremias Schröder, osb

Président de la congrégation Sankt Ottilien


Homélie pour les obsèques

de dom Notker Wolf du 6 avril 2024



« Conservateur, mais avec un cœur large. » C’est une note dans mon journal à propos de la première rencontre avec l’archi-abbé Notker après une visite à Sankt Ottilien en 1982.

Aujourd’hui, 42 ans plus tard, moi-même et toute notre communauté nous tenons près du cercueil. Des milliers de personnes dans le monde entier se sont jointes à nous pour prier et pleurer. Des centaines de messages de deuil nous sont parvenus. Très souvent, il ne s’agit pas d’expressions de sympathie formelles, mais de témoignages très personnels. Beaucoup racontent à quel point Notker était important pour eux, comment il les a aidés personnellement, par des encouragements et du soutien, par de bonnes paroles et de bons exemples, par son humour ou par son empathie.

On peut difficilement leur rendre justice à tous, mais il faut essayer.

À 37 ans, Notker est devenu l’abbé de notre communauté. Très jeune, tout frais, de retour de Rome où il avait travaillé comme professeur de philosophie et chantre. Un candidat surprenant qui apportait avec lui une perspective extérieure. Il a dirigé et façonné notre communauté pendant 23 ans. Il n’a pas fait cela seul – beaucoup d’autres l’ont aidé, comme c’est la coutume chez les bénédictins. Mais son attitude a été formatrice. Après de nombreuses années à essayer prudemment de voir comment notre vie missionnaire bénédictine devait être vécue dans cette nouvelle ère postconciliaire, Notker est arrivé avec une vigueur juvénile et une certaine insouciance. Ses années à Rome lui ont appris l’ouverture, les manières urbaines et la flexibilité pragmatique. Il a apporté avec lui une confiance fondamentale qui considère que le monde n’est pas si mauvais, que Dieu veut bien nous faire du bien et que notre monastère et lui – Notker – ont une place et une tâche dans ce monde.

Dans l’une des biographies, une image de lui, très contrastée en noir et blanc, a été dressée pour des raisons dramaturgiques. Avant Notker et depuis Notker. C’était une exagération, car ce monastère a toujours été plus grand et plus large que n’importe quel individu ne pouvait l’être. Notker a néanmoins apporté un optimisme joyeux à cette communauté monastique qui a lentement traversé les hauts et les bas du dernier quart du siècle dernier.

Il est revenu parmi nous il y a huit ans comme ancien abbé primat, tout naturellement, sans détours ni histoires. Il n’était pas un prélat émérite, mais un confrère dont la présence enrichissait notre vie quotidienne. Aujourd’hui, nous ressentons douloureusement combien il nous manque dans cette vie de tous les jours.

En tant qu’archi-abbé, il était responsable de la gestion de toute la Congrégation. C’était une époque de bouleversements. Les anciens territoires de mission devinrent des diocèses. La mission fut examinée de manière critique et même rejetée par beaucoup. Notker, qui était venu ici par enthousiasme missionnaire, a pu donner à notre ancienne mission une nouvelle forme : fonder des monastères là où le monachisme n’existait pas encore ; des monastères comme centres de vie pour les églises et les sociétés locales ; les missionnaires ne devaient pas nécessairement venir de Bavière. La Corée et la Tanzanie pouvaient tout aussi bien envoyer des bénédictins missionnaires. Il était heureux de promouvoir de nouveaux commencements et de nouvelles fondations, même là où cela semble difficile, voire absurde, comme par exemple, des monastères en Chine communiste. Essayons cela. Un hôpital en Corée du Nord, « Pourquoi pas ? » Les Philippines et le Zaïre, l’Ouganda et le Togo. Tout n’a pas réussi, mais beaucoup ont réussi. C’est la dynamique de l’Évangile d’aujourd’hui qui l’a poussé à continuer : « Allez dans le monde entier et proclamez l’Évangile à toute la création ! »

Quelque chose de nouveau lui est venu en 2000, de manière très inattendue à l’époque : il est devenu abbé primat à Rome. Il n’en avait pas envie. J’étais présent quand, pendant un court instant, il a été submergé par l’émotion en rangeant son bureau ici à l’abbaye. Il avait de grands projets pleins de promesses pour Sant’Anselmo, mais il a dû très vite accepter qu’on lui demande quelque chose de beaucoup plus terre à terre : le fier monastère bénédictin de l’Aventin à Rome était devenu en 100 ans une sorte de taudis. Au lieu d’imaginer de nouvelles fondations fantaisistes, il fallait se concentrer désormais sur la rénovation et l’aménagement des bâtiments. Pour cela, il a recruté des collaborateurs, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ordre, avec lesquels il s’est mis au travail. Pendant plus de 16 ans, il a remis Saint-Anselme en état d’offrir à notre grande famille religieuse mondiale un lieu où nous pouvons apprendre à regarder au-delà des murs étroits de nos monastères, à comprendre l’Église et à valoriser la diversité. Un lieu où l’ancienne sagesse monastique est cultivée et transmise au monde entier.

Il ne s’est guère préoccupé de l’appareil du Vatican et du travail fastidieux des Comités. Cela a parfois été critiqué, mais cela ne nous a guère fait de mal. Avec sa présence mondiale – les nombreux kilomètres parcourus en avion qui sont souvent mentionnés – chez des dizaines de milliers de religieux, des centaines de milliers d’étudiants et bien d’autres, il a renforcé la conscience, que nous sommes une véritable famille.

Et puis il y a tant d’autres pour qui il a beaucoup compté. Il y a sa famille, en particulier sa sœur Rita, qui pleure aujourd’hui avec nous ici. Des amis de toutes les phases de sa vie. Des personnes qui ont croisé son chemin à un moment donné et dont il est resté proche pendant des années et des décennies. Notker avait une passion pour les gens. Ses réponses par courrier électronique étaient souvent louées, arrivant généralement au bout de quelques heures seulement et à toute heure du jour et de la nuit. Aucune demande n’était trop absconse pour lui. S’il restait un peu de place dans son agenda, il acceptait, venait lire ou faire de la musique, dire une messe ou une conférence, baptiser, marier, accompagner un pèlerinage, comme il l’a fait au début de cette semaine. Il s’est donné, généreusement et avec humour.

Tout un faisceau de qualités l’ont aidé à devenir le Notker dont nous nous souvenons aujourd’hui. J’en citerai quelques-unes :

Notker était un homme d’une immense loyauté : une fois qu’il se tenait aux côtés de quelqu’un, sa loyauté n’était guère ébranlée, même si une certaine prudence suggérait le contraire. Ces derniers jours, plusieurs moines m’ont écrit qu’il avait aidé certains à obtenir une deuxième ou même une troisième chance à Rome et ailleurs. Il a essayé de maintenir ouverte la voie de l’avenir à des monastères dont la fin semblait certaine, souvent avec succès. Lorsque la Fédération biblique catholique a connu une chute libre il y a quelque temps, il s’est lancé dans des années de labeur en tant que président. « On n’éteint pas la mèche qui fume encore », comme le dit le prophète Isaïe. Notker a vécu cela.

Presque comme une contradiction, mais en réalité plutôt comme un complément, il était également prêt à accepter l’inévitable, et toujours avec un engagement total de lui-même. Les élections de 1977 comme archi-abbé et de 2000 comme primat, qui ont véritablement bouleversé sa vie, n’étaient pas planifiées. Beaucoup de choses se sont produites au cours de ses 39 années de direction qu’il aurait souhaité différentes. C’est là un des secrets de la vie humaine, que l’on appelle souvent aujourd’hui la disponibilité, et qui a à voir avec Dieu. Notker n’était pas un fétichiste de la planification. Il savait que nous ne pouvons pas tout prévoir et tout planifier. Il ne se laissait pas frustrer et savait accepter l’inattendu comme un don et une grâce, ou du moins comme une tâche. Son amour de la musique y était pour quelque chose : c’était de la musique vivante, pas de la musique en conserve. Une musique qui est créée à nouveau dans l’instant et qui n’est disponible que lorsqu’elle est entendue. Jubilate Deo !

En fin de compte, j’ai reconnu chez Notker un amour très profond du Christ. Il pouvait rire de beaucoup de choses et se moquer de beaucoup de choses, y compris des caprices monastiques et des absurdités ecclésiastiques. Mais quand il s’agissait de l’essentiel, il était vraiment pieux ! Il était contrarié que – surtout dans nos cercles – Dieu ne soit pas pris au sérieux. La proclamation de l’Évangile et la suite du Christ le faisaient bouger et étaient la raison profonde de son apparente inquiétude.

On ne doit rien avoir de plus cher que l’amour du Christ, n’est-ce pas ?

Mais il y a encore une chose que je voudrais mentionner, et je la mettrai à la fin, car c’est une clé pour comprendre la vie de Notker. L’ancien archevêque de Pannonhalma en Hongrie, Asztrik Várszegi, a un jour prononcé un éloge pour Notker et a déclaré à la fin : « Mais c’était avant tout un homme, un homme véritable ! »

Tout le monde ici aujourd’hui sera d’accord. L’humanité, chez Notker sortait de tous ses pores. Structures, systèmes, plans : en homme intelligent et philosophe qu’il était, il savait les gérer. Mais ce qui comptait le plus pour lui, c’étaient les gens. En cela, il ressemblait à Celui qu’il a suivi tout au long de sa vie. Notker aimait les gens. C’était souvent d’une nature terrestre rafraîchissante, mais c’était aussi empreint de l’amour de Dieu pour le monde dont parle l’Évangile de Jean. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour nous. »

Nous sommes tristes que Notker ne soit plus parmi nous. Mais nous sommes surtout reconnaissants qu’il ait été comme il était et qu’il ait été parmi nous aussi longtemps. Amen - Alléluia.


© AIM.

Sœur Lazare (Hélène) de Rodorel de Seilhac

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Grandes figures de la vie monastique

Sœur Marie-Madeleine Caseau, osb, et sœur Fabienne Hyon, osb

Congrégation de Sainte-Bathilde


Sœur Lazare (Hélène) de Rodorel de Seilhac

(10 août 1928 - 27 novembre 2023)


C’est une joie de partager ce que nous avons reçu de Mère Lazare, tant en communauté, dans la congrégation de sainte Bathilde, qu’au niveau des moniales de France, d’Afrique, et d’ailleurs. Dans les jours qui ont suivi son décès, nous avons reçu beaucoup de témoignages de ceux qu’elle a marqués, ceux qu’elle a rencontrés. Chacun, chacune peut témoigner d’une parole qui l’accompagne et l’a éclairée à un moment ou à un autre.

Quand elle nous commentait la règle de saint Benoît, elle nous disait : « Ce n’est pas parce que c’est dans la Règle que l’on fait telle ou telle chose, c’est parce que c’est bon, que c’est dans la Règle ». Ou encore : « La Regula est un manuel de discernement. On n’adapte pas la RB, la RB forme des personnes qui s’adaptent ». Nous essaierons de partager quelques-unes de ses intuitions qui nous ont marquées, en espérant que d’autres se joindront à ce témoignage pour transmettre ces paroles de vie.

Née le 10 août 1928 à Paris, elle a gardé un grand amour de ses racines familiales en Corrèze, surtout de la maison familiale, le Mons, qu’elle aimait particulièrement. Elle gardait beaucoup de bons souvenirs avec ses deux frères aînés. Pendant ses études en lettres classiques, elle fréquente le cercle Saint-Jean-Baptiste, avec le père Daniélou, qui l’initie à la Bible. Elle découvre le monastère des bénédictines de Vanves à ce moment-là et s’y rend régulièrement. Quand elle apprend à ses parents son désir d’entrer au monastère, son père décide de l’en détourner et lui donne l’occasion de vivre plusieurs expériences, espérant la distraire de ce projet. C’est ainsi qu’elle fait l’expérience de l’usine, sur laquelle elle reviendra très souvent, jusque dans son ultime vieillesse tant elle avait été marquée par cette découverte de l’athéisme dont elle se sentait si proche ! Son père lui paie un voyage en Grèce qui la ravit ! Voyant qu’il ne peut la détourner de son appel, il lui permet d’entrer à Vanves en février 1953. Elle y fait profession en février 1956, et profession perpétuelle le 24 juin 1961. Elle enseigne le latin, est zélatrice au noviciat. Elle écrit une thèse en latin chrétien, qu’elle soutiendra en 1967 : « L’utilisation par saint Césaire d’Arles de la règle de saint Augustin », éditée en 1973. Elle a d’ailleurs eu la joie de revenir à son cher Césaire d’Arles grâce à la revue éditée par l’association « Aux Sources de la Provence » pour laquelle elle a repris son travail sur Césaire et Augustin.

À partir des années 70, elle anime de nombreuses sessions de patrologie et sur la règle de saint Benoît pour les monastères de France et de l’Afrique francophone. Elle organise à Jouarre des sessions de patristique pour former des professeurs dans les monastères féminins, pendant de nombreuses années, insistant pour que les sœurs aillent aux sources, lisent les textes pour s’en imprégner et en faire leur miel. Elle participe également aux traductions en français fondamental des textes monastiques et patristiques en collaboration avec sœur Lydie Rivière, xavière. C’est encore pour les monastères féminins de France qu’elle anime de nombreuses sessions de réflexion sur le travail et l’équilibre de vie monastique.

Entre temps, en 1968, elle devient prieure déléguée du monastère de Vanves, pendant qu’une partie de la communauté, la prieure et le noviciat s’établissent à Saint-Thierry, avec un chapitre commun aux deux communautés. En 1974, une fois prévue la location des locaux libérés par la communauté de Vanves, elle arrive à Saint-Thierry. Outre la liturgie et la sacristie, outre les cours aux sœurs en formation, elle prend la direction de l’atelier d’imprimerie où elle aura toujours à cœur de faire collaborer les sœurs. Elle avait l’art de trouver du travail pour toutes les stagiaires qui passaient au monastère. Elle continue son travail de recherche et participe au Conseil de l’AIM, à la fondation du STIM, et pendant 25 ans donne les cours de patrologie au séminaire de Reims.

Pendant de longues années, elle travaille avec des sœurs pour soutenir l’écriture de nos Constitutions. Celles-ci sont approuvées en 1982, et elle prend le temps de donner plusieurs sessions aux sœurs pour les présenter.

Mère Lazare au Conseil de l'AIM en 2002. © AIM.

En 2003, à 75 ans, elle est élue prieure de Vanves, et poursuit son service jusqu’en 2010, assurant une continuité pendant que la Congrégation cherche comment poursuivre sa présence à Vanves. Après le chapitre général de 2010, plusieurs sœurs y arrivent et elle peut alors revenir à Saint-Thierry, tandis que Mère Marie-Madeleine la remplace comme prieure.

Cette dernière période à Saint-Thierry est marquée par une écriture difficile mais persévérante de l’histoire de notre Congrégation, avec l’aide et le soutien de sœur Marie-Samuel, histoire dont elle nous partage les fruits tout au long de l’année du centenaire (2021). Elle ne l’a pas achevée, mais en est restée préoccupée jusqu’au bout.

Peut-être pouvons-nous retenir quatre caractéristiques de son travail :

– l’étude des sources, de manière rigoureuse. L’approche par les textes.

– Rendre accessible ces textes (contexte et style littéraire, langue).

– Une approche féminine, jamais féministe.

– Tout argument défendu a sens, dans une obéissance de la foi éprouvée.

Au-delà de tous ses engagements et de ses recherches, il nous reste le témoignage d’une sœur qui ne s’est jamais « défilée » d’un service en communauté, qui a toujours été prévenante pour les sœurs en difficulté, une sœur qui croyait en la vie monastique et témoignait par sa manière d’être ce qu’elle enseignait, une ancienne qui a su faire confiance aux plus jeunes et pratiquait l’ouverture du cœur par conviction, même si elle lui était laborieuse.

C’est pour cela que nous voudrions vous partager avant tout des paroles, des réflexions de Mère Lazare, ce qui nous a nourri et éclairé dans notre vie monastique, dans la vie des Oblats, des amis qui ont recueilli des paroles de vie.

Mère Charles, Mère Marie-Madeleine et Mère Lazare dans le cloître du prieuré de Vanves.

Paroles de Mère Lazare

« Alors que j’étais jeune postulante, en descendant un escalier, je mis malencontreusement le pied dans une belle jarre récemment posée là et la brisai. Le cœur empli de contrition, je vins trouver la supérieure pour lui avouer cette faute. Elle me répondit : “Il n’y a que celle qui ne fait rien qui ne casse rien”. À la fois étonnée et soulagée de cette réaction réconfortante, je poursuivis ma vie monastique. La semaine suivante, pendant la vaisselle, je brisai par inadvertance une vieille petite soucoupe déjà ébréchée. Animée peut-être du démon de l’acédie, heureuse en tout cas de cette occasion de conversation, je m’en allai toute pimpante et guillerette avouer cette nouvelle faute à ma supérieure. Je reçus alors un “savon” mémorable : Si vous étiez un jeune ménage sans argent, attacheriez-vous si peu d’importance au respect des biens matériels de la cuisine ? Etc. Je repartis rouge de confusion, et forte de cette très belle leçon de vie monastique qui m’a habitée ma vie durant. »

« Au monastère, on trouve tous les vices de l’Église et du monde, mais comme il n’y a pas d’échappatoire, ils sont plus visibles qu’ailleurs. Et au monastère, chacune sait que les autres aussi sont venues pour lutter contre les démons. »

« On vous explique régulièrement que si les moines vivent si souvent très vieux, c’est parce qu’ils ont une vie plus facile que dans le monde. Je ne crois pas. Les moines vivent vieux parce que dans ce combat bien spécifique qui est leur vocation propre, la lutte contre les démons intérieurs comme participation au combat pour faire reculer le mal dans le monde, il faut du temps, et une infinie patience ; Dieu donne à ses ouvriers le temps dont ils ont besoin. »

« Vivre sous une règle signifie que l’on est dans une tradition. La règle de saint Benoît est une somme d’expériences vécues dans les monastères pour chercher Dieu. Elle enseigne aux frères comment Le découvrir à travers une pratique qui doit être intériorisée. Être guidés par une règle est signe que nous nous laissons instruire par ceux qui nous ont précédés. »

« Notre tendance est toujours d’appeler bon ce qui nous plaît et mauvais ce qui ne nous plaît pas : la Règle nous empêche de céder à cette tentation (chap. 1er) : elle dit ce qui plaît à Dieu. »

« Les moines vivent dans un monastère, un bâtiment : c’est donc une maison visible, un lieu où on s’applique à accueillir la Parole de Dieu, un lieu adapté à une vie commune, durable stable et solide, dont l’entretien est lourd, dans lequel on s’investit forcément et spirituellement, c’est un lieu limité à l’enceinte du monastère quand on en sort on doit rester dans les mêmes exigences de vie » (chap.51-50 etc.)

« Vivre dans la clôture d’un monastère rappelle qu’on ne doit pas fuir le “champ de bataille” du combat spirituel, que c’est dans le réel de la vie sur la terre que l’on cherche Dieu. »

« Il faut se rappeler qu’un des dangers de tous les temps est de chercher à avoir la conscience de prier ; cela crée une tension ou un sentiment de culpabilité qui nous empêche de nous laisser faire. C’est souvent ce désir d’avoir conscience de prier qui nous donne l’impression d’être tiraillés qui nous fait penser qu’il y aurait des conditions concrètes meilleures pour prier, ou que faire des efforts soit important ; nous oublions que c’est Dieu qui fait son œuvre en nous, que la prière ne vient pas de nous. »


Il est possible de retrouver une bibliographie de ses écrits

sur le site des Sources chrétiennes :

https://sourceschretiennes.org/

en tapant dans la recherche : Lazare de Seilhac


Voyage en Inde (février 2024)

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Nouvelles

Père Jean-Pierre Longeat, osb

Président sortant de l’AIM


Voyage en Inde : 4-11 février 2024



Dimanche 4 février

Départ ce matin de Paris pour Bangalore afin de participer à la réunion annuelle des supérieur(e)s monastiques de l’Inde (ISBF). Cela doit se passer exactement à Shanthivanam, l’ashram fondé par le père Le Saux et le père Monchanin.


Lundi 5 février

Bien arrivé à Bangalore, au sud de l’Inde, dans la nuit de dimanche à lundi, à minuit. Là, j’ai du rejoindre un autre terminal pour prendre un deuxième vol pour la ville de Tiruchirapalli, un peu plus au sud. Le vol étant à 6 h 30 du matin, j’ai réussi à trouver un endroit confortable pour attendre dans de bonnes conditions.

À l’arrivée à Tiruchirapalli, trois moines m’attendaient, dont le supérieur de Shanthivanam, pour rejoindre ce monastère où doit avoir lieu la réunion de tous les supérieur(e)s monastiques de la Famille bénédictine en Inde (environ 70 communautés).

J’ai enchaîné directement avec les réunions de la journée et j’ai donné l’intervention qui était prévue.


Shantivanam : les sœurs camaldules. © AIM.

Mardi 6 février

Le monastère est totalement inculturé pour ce qui est de la prière, mais aussi pour les repas et pour le style de vie, cela ressemble à un ashram hindou. La vie est simple. La nourriture est celle de la population locale, à base de riz, de légumes et de fruits : le régime est entièrement végétarien.

La prière ressemble à celles qui est pratiquée dans l’hindouisme. Tous les offices commencent par l’invocation « Ôm » bien connue. La liturgie se poursuit avec un mélange de psaumes et de prières tirées de différentes traditions : syriaque, hindoue, latine. Tous les participants sont assis en permanence y compris pour l’eucharistie. Il y a différents rites liés au symbole de la lumière et du feu, comme aussi des signes marqués au front avec des liquides mélangés de poudre. Ainsi on sort de l’église avec une marque rouge, blanche ou jaune au front.

L’architecture est constituée de petits ermitages. La communauté actuelle appartient à l’ordre Camaldule et s’accommode bien de ce contexte qui correspond à la vocation de prière de cette Congrégation.

Hier, la première conférence présentait les trois fondateurs de la communauté : le père Henri Le Saux, le père Jules Monchanin et plus tard le père Bede Griffiths, C’est le père Martin, de Shanthivanam, qui a fait cette présentation. Ce moine était venu récemment pour une tournée en Europe, et spécialement en France où il avait remporté un certain succès.

Quelques membres de l'ISBF à Shantivanam. © AIM.

La seconde conférence a été donnée par le père Dorathick, le père prieur du lieu. Il nous a parlé de l’expérience de foi comme fondement du développement humain, chrétien et monastique mais aussi offert à tous. Cet aspect me semble important, non seulement en rapport avec l’Inde mais avec une réalité universelle qui habite profondément la personne humaine et que le message du Nouveau Testament a si bien mis en valeur.

Dans l’après-midi de ce premier jour, j’ai donné un aperçu de la réflexion de l’AIM sur le présent et le futur de la vie monastique en parlant des réponses reçues au questionnaire que nous avons envoyé à un certain nombre de responsables monastiques à travers le monde et que l’on a fait paraître dans le bulletin 126 de l’AIM.

Sœur Christine, quant à elle, a présenté le travail de l’AIM de manière plus détaillé avec des exemples des aides accordées.

En ce deuxième jour, nous avons entendu ce matin un théologien qui a souligné les points principaux de rencontre entre l’hindouisme et le christianisme sur le sujet du leadership dans les communautés. Son intervention a été corroborée par celle d’un Swami, l’après-midi. Celui-ci est le responsable d’un ashram voisin avec lequel les relations sont excellentes.

À 18 h 30, a eu lieu une prière interreligieuse. Il y a plusieurs interventions : je donne moi-même un témoignage sur le thème « Paix et harmonie »; il y a une intervention d’un hindou et une autre d’une jeune musulmane accompagnée de deux de ses enfants, tous habillés en habits de fête. L’atmosphère est excellente dans un beau climat de recueillement.


Mercredi 7 février

La journée est un peu plus libre car les membres du groupe des supérieur(e) de l’Inde (ISBF), se réunissent entre eux pour la partie plus formelle et administrative de leur rencontre.

J’ai une longue discussion avec le père Dorothick. Je lui ai proposé une publication, soit entièrement de lui, soit avec plusieurs collaborateurs, pour développer la proposition qu’il nous a exposé sur le rapport entre le renouveau de la transmission de foi et la vitalité des formes religieuses et culturelles, dont la vie monastique. Il en est tout à fait d’accord. Je souhaiterais beaucoup que cela puisse aboutir car il me semble qu’un renouveau est possible de cette manière. En tout cas, cela fait bien des années que je vois les choses ainsi, et cela fait plaisir de rencontrer quelqu’un qui pense de la même manière à partir d’un tout autre point de départ.

Demain, doit avoir lieu une expédition commune vers un lieu marial. J’avoue que je ne suis pas très enclin à suivre le mouvement car on parle de dix heures de bus aller-retour ! Peut-être pourrais-je rester dans ce lieu si porteur où je vis une poignante expérience d’intériorité. Cela me donnerait aussi un contact plus juste avec la communauté du lieu et celle des sœurs camaldules aussi qui sont juste à côté.

Je dois avouer qu’au cours de ce séjour, je bénéficie d’un grand privilège car je suis logé dans l’ermitage du père Le Saux. Je fais l’expérience tangible de sa présence et je me sens un « devoir » d’intensité dans ma vie spirituelle. Il est difficile d’en dire plus tellement c’est particulier mais c’est une expérience qui vaut toutes les autres. Je rends grâce pour une telle opportunité.


Jeudi 8 février

Finalement, après avoir pris conseil, je suis resté au monastère. Je suis donc dans une journée ouverte, parfaitement disponible intérieurement à ce que Dieu voudra, ici, dans ce lieu béni. Mon bonheur est total, je suis au cœur de ma vocation. Mon choix était vraiment le bon. C’est difficile à décrire, mais j’ai vécu quelque chose de très régénérant qui, je pense, marquera une étape importante.

À la fin de la journée, je tente de joindre par téléphone le Père Abbé de Kappadu pour l’organisation de la suite du voyage, après la session de Shantivanam. Il vient me voir dès le retour du groupe et m’annonce que nous partirons le lendemain à 6 heures.


Vendredi 9 février

À 6 heures, la voiture peut démarrer. On m’avait parlé de six heures de route, en fait il y en aura presque douze. C’était en effet compter sans les nombreux arrêts qui vont jalonner le voyage.

Le premier consiste en un petit-déjeuner copieux dans un restaurant de bord de route. Petit-déjeuner traditionnel avec les épices qui conviennent et auxquels je trouve goût peu à peu depuis mon arrivée en Inde.

Nous nous arrêtons ensuite dans une école tenue par des carmes. L’un d’eux servait précédemment dans une mission proche de Kappadu. Les frères n’avaient pas encore eu l’occasion de le visiter. Le complexe scolaire est immense. Nous arrivons alors que la communauté des carmes termine son petit-déjeuner, dont elle nous partage quelques bons restes. Nous visitons ensuite quelques aspects de l’école. Les carmes sont nombreux en Inde et possèdent quelques institutions qui marchent très bien. Tout est parfaitement entretenu et tout semble organisé à merveille. La jeunesse que l’on croise ici n’a rien de morose. Une nation est en marche vers son avenir.

Sur le chemin, nous nous arrêtons en bordure de route pour nous désaltérer. Nous achetons quelques noix de coco dont nous consommons sur place le délicieux liquide. Pendant ce temps un troupeau de vaches envahit la route. Il nous faudra un peu de patience pour parvenir à le dépasser !

Une heure plus tard, nous nous arrêtons encore pour le déjeuner. Notre point de chute est un restaurant avec une vue imprenable dans la ville de Kumily. Mes yeux sont rassasiés tandis que ma bouche s’enflamme.

Nous décidons ensuite de faire une visite au monastère trappiste de Kurisumala. Il est situé dans cette région du Kerala au cœur d’un magnifique paysage de la montagne à thé.

Visite à l'ashram de Kurisumala. © AIM.

La raison immédiate de la création de l’ashram de Kurisumala fut la vocation de Francis Acharya fortement marqué par le Mahatma Gandi. Après avoir fait profession au monastère trappiste de Scourmont, en Belgique, il suivit un appel persistant en Inde en 1955. Après un long séjour dans de grands ashrams indiens, il se rendit chez les fondateurs de l’ashram de Saccidananda (Shantivanam), à Tiruchirappalli. Finalement, il accepta l’invitation de Zacharias Mar Athanasios, alors évêque du diocèse syro-malankar de Tiruvalla, et créa officiellement l’ashram de Kurisumala, près de Vagamon, le 21 mars 1958, en compagnie du père Bede Griffiths, un moine bénédictin anglais, et quelques aspirants. L’entreprise prospéra avec le désir d’être totalement inculturé dans le paysage indien. Après quelques 70 ans d’existence, on peut dire que le but a été vraiment atteint.

Tombe de Francis Acharya. © AIM.

Nous sommes accueillis par l’actuel supérieur de cette communauté d’une quinzaine de frères. Le monastère se déploie dans des bâtiments d’une grande simplicité organisés à la manière d’un village. La liturgie est basée sur le rite syro-malankar notamment en raison de sa richesse hymnique.

Nous visitons la ferme avec son fameux troupeau de vaches qui produit le meilleur lait de la région et où viennent travailler des gens des environs, dans un mode participatif partagé, selon une méthode nouvelle générée en Suisse.

Nous avons le temps de quelques échanges. Le regard des frères me touchent beaucoup, on y sent une grande paix, une grande lumière. Ces moines ne travaillent pas en vain : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les maçons » (ps 126).

Nous repartons après nous être recueillis sur la tombe du père Francis autour de laquelle a été élevée une petite chapelle. Dans ce moment de recueillement, je me souviens de son passage à Ligugé, alors que j’étais encore novice. J’en ai gardé un souvenir persistant.

Nous poursuivons notre route vers Kappadu qui désormais est proche. Nous déposons un frère au passage qui doit visiter sa famille dans la ville de Vazhathope. Quelques minutes après, il constate qu’il a oublié son téléphone dans la voiture ; nous en profitons pour visiter la cathédrale voisine en attendant qu’il vienne chercher l’objet. C’est un bâtiment dont les Indiens sont fiers en raison de son ancienneté de près d’un siècle. Une liturgie tonitruante est en cours qui rassemble un nombre de fidèles impressionnant. Le lieu est dédié à saint Georges.

Arrivé à Kappadu, nous faisons un arrêt en bas du monastère où se trouvent des bâtiments d’internat pour quelques 300 scolaires qui suivent les cours dans des écoles voisines. J’avais vu le premier bâtiment lors de mon dernier voyage, mais le développement de cet accueil m’impressionne. Quelques frères vivent sur place pour animer le site ; parmi eux, il y a le père Anselm qui est l’un des trois fondateurs de Kappadu.

Enfin nous atteignons le monastère. Une chambre m’est assignée où je suis heureux de me retrouver seul avant l’office de Vêpres chanté en rite syro-malankar, et à la suite duquel le Père Abbé et les moines avec qui nous avons partagé le voyage célèbrent la messe. C’est ensuite le repas où tout est fait pour rejoindre ma culture occidentale. L’intention me touche.

Je ne peux rester très longtemps à Kappadu, mais dans la journée du lendemain, je visite avec le Père Abbé les grands travaux de rénovation en cours. Je rencontre aussi le père John Kurchianil qui continue à écrire des ouvrages bibliques et de commentaires de la Règle.

Sur le voyage qui me mène à Kochin pour reprendre l’avion vers Bangalore et Paris, nous nous arrêtons dans une maison dépendante où se trouvent des jeunes en formation. Le contact est vraiment sympathique et stimulant. On sent bien tout l’avenir que porte cette communauté.

Maison dépendante de l'abbaye de Kappadu. © AIM.

Rempli de toutes ces expériences intenses, je rends grâce pour ce voyage si riche dont je suis heureux de pouvoir donner un écho dans ce bulletin.

Voyage au Togo (février 2024)

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Nouvelles

Dom Jean-Pierre Longeat, osb

Président sortant de l’AIM


Voyage au Togo, 17- 24 février 2024


Samedi 17 février

Dans la matinée, je reçois un texto d’Air France : « Votre vol est retardé de deux heures, il ne partira qu’à 18 h 25, veuillez nous excuser pour ce désagrément ». Cela veut dire que je n’arriverai à Lomé que vers 23 h 30 (24 h 30 en France : il y a en effet une heure de décalage). J’adapte ma journée et essaie de joindre les frères de Dzogbégan pour qu’ils puissent modifier leur programme et venir me chercher à cette heure tardive de la nuit.

L’avion part bien à l’heure dite et arrive dans de bonnes conditions. À l’aéroport de Lomé, malheureusement, je suis dans une file d’attente où les agents de la sécurité sont totalement inefficaces. Cela n’en finit plus, je crève de chaud et je bous d’impatience. Au bout d’un moment, n’en pouvant plus, je passe la file et me glisse par la voie de ceux qui ont déjà été contrôlés, me disant que personne ne me demandera rien tellement il y a de monde et de pagaille. Mais à la sortie, un agent de sécurité me réclame mon passeport et voyant qu’il n’est pas tamponné, me dit de reprendre la file. J’ai de la chance, il aurait pu me conduire au poste de Police, mais au moins cela aura passé le temps d’une manière un peu moins vaine. Au bout d’une heure, mon tour arrive et je franchis l’obstacle. J’ai l’impression d’accéder à la liberté.

À la sortie de l’aéroport, trois frères m’attendent : le père Paul-Marie qui arrive de Guinée (Séguéya) – son avion était un peu avant le mien, le frère François et le frère Justin de Dzogbégan, si pleins d’attention et de bienveillance. Nous nous avançons vers la voiture. Il est environ 1 h du matin. Au moment de démarrer, rien ne vient, visiblement, la batterie est à plat, mais personne ne s’affole. Heureusement, pas loin de là un homme voit notre embarras et nous propose de l’aide. Il approche sa voiture, branche sa batterie sur la nôtre, et finalement, le moteur s’ébranle. Nous sommes sauvés. Bienvenue au continent de la solidarité, de la fraternité.

La maison des frères à Lomé n’est pas très loin de l’aéroport. Lorsque nous arrivons, les frères nous demandent si nous voulons quelque chose avant de dormir. Finalement, nous allons à la salle à manger. Il y a quelques restes de crudités et frère Justin cuisine avec talent une omelette, le repas se termine par des fruits d’une saveur rare pour moi. Restaurant 5 étoiles ! Il est deux heures du matin. Nous gagnons nos chambres. Il fait chaud bien sûr, mais sans se couvrir, la nuit sera bonne.


Dimanche 18 février

4 heures du matin : le quartier s’éveille. On entend le chant du muezzin, mais aussi toutes sortes de prières répétitives qui correspondent aux traditions religieuses du pays. Je suis bien réveillé par tout ce remue-ménage mais je ne me sens pas trop mal. Je sais que cela va durer un temps (une heure environ) et que le calme va revenir ensuite. Au moment où j’écris ces lignes, le quartier est à nouveau totalement silencieux, mais je n’ai plus envie de me recoucher. D’ailleurs, presque aussitôt monte la prière d’une communauté évangélique qui, dans un tout autre style, envahit l’espace sonore ! Il y en a d’ailleurs plusieurs dans le quartier : pentecôtiste, baptiste…, il y a aussi une communauté catholique dont on entendra la liturgie un peu plus tard.

Nous célébrons nous-mêmes la messe entre nous à 8 h, prenons le petit-déjeuner. Une sœur de Sadori nous a rejoints, ainsi qu’un autre frère de Dzogbégan qui est en stage de mécanique auto à Lomé et que je connais bien.

L’idée surgit, avant de partir pour Dzogbégan, de passer saluer la petite communauté issue du monastère d’Agbang et qui se trouve à Lomé, pas très loin de là où nous sommes. Nous y allons donc et c’est une joie de revoir le père Boniface, un personnage assez charismatique au parcours foisonnant. Il était présent au cinquantenaire de l’AIM, à Ligugé, et avait fait une conférence remarquée. Le bâtiment est tout à fait extraordinaire de beauté et de sens pratique, c’est vraiment une belle réalisation, avec en plus une belle salle de conférence pour une cinquantaine de personnes. L’abbaye d’Agbang, dont dépend cette maison, a été fondée par le père Boniface il y plusieurs décennies. Il la voulait comme une maison centrale avec des petits prieurés de mission. C’est bien ce qui s’est réalisé. Le tout appartient maintenant à la congrégation de Sankt Ottilien.

Nous restons là une bonne heure, assis dans l’espace central. Des laïcs sont présents, l’atmosphère est simple et heureuse : nous devisons joyeusement et utilement, je crois.

Mais il nous faut prendre la route. Près de cinq heures de trajet nous attendent. Tout se passe bien. La route est un grand axe bien entretenu. Une heure avant l’arrivée, nous nous arrêtons dans un petit restaurant à l’ouverture duquel le père François, alors cellérier, avait contribué. Nous prenons un repas local avec un excellent poisson grillé et des frites. Puis nous filons vers le monastère des moniales de Dzogbégan où doit avoir lieu la session.

Nous sommes attendus et accueillis avec beaucoup de fraternité. Sœur Agathe installe les sessionnistes dans les chambres d’une hôtellerie presque neuve. Je bénéficie d’un grand lit et d’un certain confort. Le séjour sera agréable.

Les Vêpres ne tardent pas, puis le dîner à l’issue duquel les sœurs de la communauté nous offrent un chant et une danse de bienvenue. Vive l’Afrique dans sa vitalité, sa jeunesse, son sens de l’hospitalité.

La journée se termine par les Complies et les Vigiles.


Lundi 19 février

La journée se passe en présentation des différentes communautés représentées. On voit surgir quelques questions récurrentes comme celle de l’économie et de la capacité d’autonomie des monastères.

Les vocations ne semblent pas aussi nombreuses que par le passé. On note une manque de stabilité dans l’engagement.

La formation est un élément majeur. Le studium de Bouaké joue maintenant un rôle majeur.

Certaines communautés sont très fragiles. Il faut trouver des moyens pour les épauler. Souvent les Congrégations auxquelles elles appartiennent n’y suffisent pas.

Le témoignage des sœurs burkinabées rédemptoristines est particulièrement fort. Elles se trouvent dans une partie du pays où la violence des extrémistes les entoure constamment. Elles sont témoins d’exactions inimaginables, y compris sur des enfants. Sœur Odette, de Babete (Cameroun), est dans une situation semblable.

Je dois avouer que leurs prises de parole me prend aux tripes. Nous parlons beaucoup ensemble le reste de la journée et nous constatons notre impuissance à faire changer le cours des choses.

Le soir, belle rencontre avec la communauté où je donne des nouvelles de l’AIM.


Mardi 20 février

Nous poursuivons le partage sur la vie des différentes communautés représentées. Il y a une grande variété de situation.

Nous discutons beaucoup de la question économique et de la possibilité pour les monastères de cette sous-région de s’autonomiser. Certains parlent d’une logique de mutualisation.

Cependant il est important de garder à l’esprit que nous sommes dans un genre de vie qui nécessite de toute façon une aide extérieure. Le temps de prière, chaque jour, est de trois ou quatre heures, les services divers de la maison prennent beaucoup de temps et d’énergie (de la cuisine à l’infirmerie en passant par l’hôtellerie, l’accueil à l’entrée du monastère, l’accompagnement des personnes qui viennent pour se confesser ou parler avec un moine, etc.). Rien de cela n’est rémunéré et mord sur le temps des activités lucratives.

Par ailleurs, nous sommes dans une évolution économique mondiale. L’approche africaine n’est pas celle des pays d’Europe. Comment réfléchir à une bonne gestion d’une économie de subsistance ? Comment en cela apporter une pierre nouvelle aux changements des équilibres économiques à travers le monde ? Comment motiver aussi chaque membre de nos communautés à porter ensemble le souci de l’économie ? Autant de questions passionnantes pour lesquelles il faudrait une session à part entière et même plusieurs.

Dans l’après-midi, le père Olivier-Marie, nous présente la Structure Sainte-Anne. C’est un organe de formation pour des moines et moniales de l’Afrique de l’Ouest qui n’ont pas forcément le niveau d’études leur permettant de suivre un parcours plus approfondi, mais qui ont cependant une expérience et un talent suffisants pour enseigner à l’intérieur de leur monastère. Il faut donc faire en trois mois un parcours touchant aux différentes matières des sciences religieuses et une approche de la méthodologie.

Les journées suivantes sont consacrées à la prise de paroles détaillée de chaque monastère. Puis au conférences et ateliers avec M. Koua, d’Abidjan, sur la question des abus dans l’exercice de l’autorité au cœur de nos communautés, tel que le compte-rendu de sœur Thérèse-Benoît l’évoque ci-dessous.

Mon séjour se termine par une visite à l’archevêque de Lomé malheureusement décédé depuis. Belle rencontre avec lui et les prêtres, séminaristes et laïcs qui interviennent sur la paroisse de la cathédrale.

Le retour vers Paris a lieu dans la soirée de ce même jour. Je reviens de ce voyage de plus en plus convaincu que l’Afrique est un continent d’avenir avec une capacité d’adaptation importante et une approche des liens sociaux bien différentes de celles que l’on trouve dans l’émisphère Nord. Oui, vraiment, malgré bien des injustices et des difficultés à surmonter, l’Afrique est le continent de la fraternité : et c’est cela notre avenir.



Compte rendu de la rencontre des supérieurs monastiques de l’Afrique de l’Ouest francophone

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Nouvelles

Sœur Thérèse-Benoît Kaboré, osb (Koubri, Burkina Faso)

membre de l’Équipe internationale de l’AIM


Compte rendu de la rencontre des supérieurs

monastiques de l’Afrique de l’Ouest francophone



Du 19 au 25 février s’est tenu à l’abbaye de l’Assomption de Dzogbegan, au Togo, la rencontre des supérieurs monastiques de l’Afrique de l’Ouest francophone. Y prirent part la grande majorité des supérieurs des monastères de la sous-région[1]. Étaient également présents à cette rencontre, le père Jean Pierre Longeat, président de l’AIM et sœur Thérèse-Benoît Kaboré, de l’Équipe internationale de l’AIM. Ce fut un bon moment de retrouvaille, car la majorité des supérieurs furent élu ou désigné ces dernières années et ils n’avaient pas encore eu le temps de se rencontrer.

Durant les deux premiers jours de leur rencontre, les supérieurs ont pris le temps de se connaître et présenter leurs communautés respectives avec leurs joies et leurs peines. Ils exprimèrent leur joie de voir la persévérance de leurs communautés dans la vie monastique malgré les difficultés qui ne manquent pas. L’une de leurs difficultés concerne le domaine économique. En effet, la grande question de la précarité des économies des monastères demeure. Les économies des monastères restent des économies de subsistance ou de survie qui ne permettent aux communautés que de vivre au jour le jour sans une autre capacité de soutenir une réalisation importante dans le monastère. Les supérieurs ont pris acte qu’il faut prendre du temps pour réfléchir à fond sur la question. C’est déjà un pas en avant ! Il serait nécessaire de prévoir une session de formation pour supérieurs et économes, et même, inviter des spécialistes pour mener la réflexion. Les supérieurs n’ont pas manqué de manifester leur reconnaissance à l’AIM pour sa proximité, et tout particulièrement pour son soutien à la formation et les différents projets financés.

Ensuite, ils se sont penchés sur leurs différentes structures de formations : la formation pour formateurs organisée pour les maîtres et maîtresses des novices francophones ; la Structure sainte-Anne ; l’AMORSYCA (Association Monastique de Réflexion sur les Symbolismes dans les Cultures Africaines) qu’ils désirent ressusciter et redynamiser, le studium de philosophie et de théologie de Bouaké, les jeunes profès monastiques. Ils se sont penchés également sur la demande de la « Commission pour le dialogue interreligieux monastique » (DIM/MID) qui vient de lancer une antenne en Afrique et un membre répondant dans chaque monastère.

Durant les trois derniers jours, les supérieurs ont poursuivi leur rencontre avec le professeur Asseman Médard KOUA, qui les a accompagnés dans leur réflexion sur le thème : « abus, leadership et équilibre de vie ». Thème d’actualité, le professeur est parti de l’épineuse question des abus dans et en dehors de l’Église. Il a essayé de définir le concept d’abus en interrogeant quelques cultures africaines avant d’établir une typologie des abus. Il a ensuite considéré le concept du genre qui a pris un caractère particulier de nos jours. Aujourd’hui, le monde est attentif à la question du genre ; certaines couches sociales sont considérées comme vulnérables ou hyper vulnérables et le droit international les prend en compte et les protège. Le professeur est revenu sur le cas des abus. Il a analysé deux catégories : l’abus sexuel et l’abus de pouvoir. Dans cette analyse, il a pris en considération la question de la gestion des abus. Il a insisté sur les conséquences de ces actes sur la personne abusée en scrutant les quatre composantes de la personne où seront ressentis les abus (la composante cognitive, la composante affective, la composante physique ou physiologique et la composante comportementale). Ces composantes sont à prendre en considération dans la gestion des abus.

Le deuxième jour de sa rencontre fut consacré au leadership. Il a insisté sur la gestion du pouvoir. Le leader qui est appelé à exercer un pouvoir doit l’exercer en fonction de sa propre perception des choses, de son histoire, de son style propre. En fin de compte, il exerce le pouvoir en fonction de ce qu’il est et de ce qu’il veut être à travers le pouvoir qu’il exerce. De plus, il a des contraintes qu’il ne doit pas oublier. Il est vrai qu’il reste une personne comme les autres, mais le fait d’être détenteur d’un pouvoir l’oblige à ne pas faire comme tout le monde. Pour mieux illustrer ces propos, le professeur a pris l’exemple des porteurs de masque dans nos villages qui sont tenus à un certain mode de vie particulier.

Le dernier jour de son intervention fut réservé à la question de l’équilibre de vie où le conférencier a insisté sur le fait que le leader doit être attentif à lui-même, savoir qu’il est vulnérable. Il doit être attentif à son épanouissement personnel pour être en mesure de prendre soin des autres. Il n’est pas le sauveur des membres qui composent le groupe. Il est là pour aider les autres, pour les accompagner, mais tout ne dépend pas de lui et pour se faire, il ne faut pas qu’il cherche à tout faire. Il a des limites, il ne doit pas l’ignorer. Il ne doit pas non plus confondre sa responsabilité avec sa propre personne.

Dès le lendemain, les supérieurs ont mis à profit cette dernière intervention du professeur en organisant une journée de sortie et de détente.

En terminant la session, le conférencier a suggéré aux supérieurs de constituer deux groupes de travail dont le premier sera chargé d’élaborer une procédure pour la gestion des cas de santé mentale dans nos communautés, et l’autre qui se penchera sur la prévention et la gestion des cas d’abus dans les monastères d’Afrique de l’Ouest francophone.

Les supérieurs sont repartis dans leurs monastères très satisfaits et mieux outillés pour exercer leur autorité aux bénéfices des frères et sœurs qui leur sont confiés.


[1] Bénin : Père Symon Hounnouvi - du monastère Mont Thabor de Hêkanmé, Mère Laurence Bada - du monastère saint Joseph de Toffo ; Burkina Faso : Père Jean Christophe Yameogo - de l’abbaye saint Benoît de Koubri, et Mère Clémentine Naganda - du monastère Notre-Dame de Koubri ; Côte d’Ivoire : Père Jean Hugues Djobi Dioti - du monastère sainte Marie de Bouaké, et Mère Bernadette We - du monastère de la Bonne Nouvelle de Bouaké ; Guinée Conakry : Père Paul Marie Kolié - du monastère saint Joseph de Séguéya, et Mère Marie David Banquet - du monastère Sainte-Croix de Friguiagbé ; Sénégal : Père Olivier-Marie Sarr - de l’abbaye de Keur Moussa, et Mère Blandine Marie Kuegah - de l’abbaye saint Jean-Baptiste de Keur Guilaye ; Togo : Père Romain Botta - du monastère de l’Incarnation d’Agbang, père Théodore Coco - de l’abbaye de l’Ascension de Dzogbégan, Mère Bénédicte Assima - de l’abbaye de l’Assomption de Dzogbégan, et Mère Christine André Amouh - du monastère de l’Emmanuel de Sadori. Y prirent également part le père Gervais Degbe du monastère Sainte-Marie de la Bouenza au Congo Brazzaville ; Mère Odette Tchewouak du monastère saint Benoît de Babété au Cameroun, et les supérieures des monastères des rédemptoristines du Burkina Faso : Mère Marie Fabienne Soubeiga - du monastère Notre-Dame du Perpétuel Secours de Diabo, et Mère Marie Clarisse Zundi - du monastère du Très Saint Rédempteur de Kiri.


Chronique du 21e chapitre général de la congrégation de Subiaco et du Mont-Cassin

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Nouvelles

Dom Josep-Enric Parellada, osb,

abbaye de Montserrat (Espagne)


Chronique du 21e chapitre général de

la congrégation de Subiaco et du Mont-Cassin



Les participants au Chapitre.

En guise de prélude au début du jubilé pour le millénaire de l’abbaye de Montserrat, et sur l’invitation de l’abbé Manel Gash, c’est dans ce monastère que s’est tenu, du 30 août au 7 septembre, le 21e Chapitre général de la congrégation de Subiaco et du Mont-Cassin. Y participaient 72 capitulants avec droit de vote, ainsi qu’une quinzaine de traducteurs (parmi lesquels le nouvel élu Abbé Président) et autres personnes nécessaires à la logistique.

Tous les Chapitre généraux sont, pour une congrégation, le signe de l’unité dans la charité, tout en devenant l’organe suprême de l’autorité en son sein. Il ne s’agit pas seulement d’une représentation juridique, mais bien de la rencontre des communautés et provinces particulières en vue de cheminer ensemble dans la construction d’un projet commun, afin que chaque moine, chaque communauté, chaque province et la Congrégation toute entière soient fidèles à l’esprit de la Règle, dans le but de ne jamais rien faire passer avant l’amour du Christ, « lequel nous conduise tous ensemble à la vie éternelle » (RB 71, 11-12).

En ces jours, il y eut une communauté monastique « unique » entre les moines du monastère de Montserrat et les participants du Chapitre général : nous avons prié ensemble toutes les heures canoniques, partagé les repas et la vie de la communauté, dans le but d’exprimer la fraternité qui nous unit tous, moines présents sur les cinq continents.

On pourrait donc dire qu’un Chapitre général est comme une relecture sereine, faite en commun (la communauté capitulaire), de la vie des provinces, des communautés et de tous les moines, à la lumière de la Parole de Dieu, de la Règle, ainsi que du Droit commun et propre (Constitutions et Ordonnances des Chapitres généraux).

Au début des sessions capitulaires, l’Abbé Président Guillermo Arboleda a souligné « l’esprit de communion qui, sous la conduite de l’Esprit Saint, doit animer les assemblées capitulaires et le quotidien de la vie de nos communautés ». Il a, par ailleurs, affirmé que « les modifications législatives, qui occuperont une bonne partie des travaux du chapitre, doivent être vécues dans cette optique de croissance communautaire, à la fois dans les monastères et entre les monastères, afin que nous puissions être dans le monde le signe visible de la présence du Seigneur ».

De son côté, le père Manel Gasch, abbé de Montserrat, dans un court mot d’accueil, a évoqué « l’heureuse coïncidence entre ce Chapitre et le millénaire de l’abbaye de Montserrat : le fait d’être rassemblés, par l’Esprit Saint, ici “de tous les confins de la terre” ; la vocation d’accueil de cette abbaye, sous la protection de la Vierge de Montserrat, “La Moreneta” ».

Ce 21e Chapitre a eu quatre grands thèmes de réflexion, de partage et de décision.

1. Faire le point sur la situation actuelle de notre Congrégation, à travers les relations des visiteurs de chaque province et des supérieurs ou représentants des monastères hors province. Ces interventions nous ont amenés à prendre conscience du moment présent que vivent communautés et provinces.

2. Les relations des membres de la Curie : Abbé Président, Procureur général, économe, visite canonique de San Ambrogio. Ce Chapitre était le premier après la restructuration du siège de la Congrégation.

3. Réforme de notre législation. Le texte des Constitutions et des Ordonnances des Chapitres généraux avait été revu et fixé en 1980. Il y eut ensuite de petites modifications et mises à jour sur la base du Code de droit canonique promulgué en 1983. Après plus de quarante ans, une relecture de notre corpus juridique était nécessaire. Dans ce but, l’Abbé Président avait créé une commission chargée de réviser, de manière approfondie, des normes qui correspondent aux situations que vivent aujourd’hui nos communautés monastiques. Après un long travail de préparation, la commission juridique a présenté au Conseil des visiteurs un texte qui fut ensuite envoyé à toutes les communautés, pour qu’elles puissent partager leur propres suggestions ou propositions. Le texte définitif a été présenté au Chapitre général. Le travail en chapitre a été précédé par une relation sur l’importance du Droit dans la vie des congrégations, donnée par le père Aitor Jiménez, sous-secrétaire du dicastère IVCSVA. À l’aide des moyens électroniques ont eu lieu 92 votes.

4. Le quatrième point fut l’élection, comme Abbé Président, du P. Ignasi M. Fossas, moine de Montserrat. Il a reçu la bénédiction abbatiale le 7 septembre des mains du Père Abbé Manel de Montserrat.

5. Enfin, en conclusion du Chapitre, tous participèrent à l’inauguration de l’année jubilaire du millénaire et à la solennité de la Madone titulaire du sanctuaire de Montserrat.


P. Ignasi M. Fossas.

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