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La vie monastique aujourd’hui
Bulletin de l'AIM n° 126, 2024
Sommaire
Éditorial
Dom J.-P. Longeat, osb,
Président de l’AIM
Lectio divina
« Va, vends ce que tu as… » (Mt 19, 21ss) Dom J.-P. Longeat, osb
Perspectives
• La vie monastique aujourd’hui, réponses au questionnaire de l’AIM
• Quelques éléments de synthèse des réponses au questionnaire
Équipe internationale de l’AIM
Nouvelles
Voyage au Canada et aux États-Unis
Dom J.-P. Longeat, osb
Réflexions
Une tentative pour une vision partagée
Dom Jeremy Driscoll, osb
Témoignage
Vivre une communauté monastique multiculturelle
Dom Paul Mark Schwan, ocso
Art et liturgie
La saga de la salle capitulaire de Santa Maria de Ovila
Dom Thomas X. Davis, ocso
Grandes figures de la vie monastique
Sœur Judith Ann Heble, seconde modératrice de la CIB
Mère Maire Hickey, osb
In memoriam
Mère Lazare de Seilhac (1928-2023)
Sœurs bénédictines de Saint-Thierry
Recensions
Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM
Éditorial
À la suite de la publication de « Un miroir de la vie monastique aujourd’hui » et du « Rêve monastique », l’Équipe internationale de l’AIM a voulu lancer une grande consultation auprès d’un certain nombre de responsables monastiques pour recueillir leurs principaux points de préoccupation actuels, leurs priorités, l’aide qu’ils attendent de l’AIM et quelques exemples significatifs de réalisations récentes.
Parmi les personnes consultées, certaines ont été surprises par ce questionnaire de l’AIM. L’Alliance Inter-Monastères est souvent perçue comme une simple source de financement pour des projets qui lui sont adressés par les jeunes communautés d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, d’Océanie et d’Europe de l’Est. Mais il faut rappeler ici que l’Alliance Inter-Monastères, selon ses statuts approuvés par le Congresso des abbés bénédictins de 2004, a pour mission aussi de réfléchir sur le sens de la vie monastique et de souligner son originalité dans les différentes cultures (art. 6). L’AIM a toujours le souci de favoriser une prise de conscience de la valeur du monachisme dans les communautés elles-mêmes, dans l’Église et dans la société (art. 7).
En ce sens, on a pu dire parfois que l’AIM est comme un observatoire des évolutions de la vie monastique dans le monde, et pouvait aider à en restituer les questions et les principaux enjeux. Il faut souligner aussi que l’AIM est, avec le DIM-MID (Dialogue interreligieux monastique), le seul lieu où les trois Ordres qui suivent la règle de saint Benoît, tant pour les communautés d’hommes que de femmes, travaillent ensemble. L’AIM œuvre aussi en lien étroit avec les associations monastiques dans le monde entier : cela lui permet d’avoir une compréhension précieuse de ce qui se vit dans ces régions et de mettre en lumière les différentes manières d’aborder les réalités de la vie monastique aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, l’AIM est investie de plus en plus d’une mission prophétique qui, loin de faire concurrence aux rôles propres des Ordres et des Congrégations, ne cherche au contraire qu’à les aider de manière complémentaire à mieux répondre à l’appel du Christ dans la vie monastique.
Outre ces réponses au questionnaire, on pourra trouver dans ce bulletin, le récit d’un voyage dans des monastères de la côte Ouest des États-Unis, un témoignage sur la vision partagée en matière de gouvernance, et sur le défi de l’interculturalité dans une communauté monastique. Une rubrique d’art autour de l’église de l’abbaye de Vina (New Clairvaux, Californie), et une évocation de la vie de sœur Judith-Ann Hebble, seconde modératrice de la Communion Internationale des Bénédictines. On trouvera aussi dans ce bulletin quelques mots sur sœur Lazare de Seilhac, bénédictine de Saint-Thierry (France, congrégation de Sainte-Bathilde), qui a si fidèlement contribué à la vie de l’AIM et, surtout, à la formation de plusieurs générations de moines et de moniales pour l’interprétation de la règle de saint Benoît, en attendant un article plus développé sur cette belle figure de la vie monastique aujourd’hui. Une recension des deux livres du père Denis Huerre (Pierre-Qui-Vire) reprenant ces commentaires de la règle de saint Benoît à sa communauté clôture ce volume.
En ouverture du Bulletin, est proposée ici une lectio sur le texte de l’homme riche dans les Évangiles, à l’origine de la vocation de saint Antoine, père des moines.
Dom Jean-Pierre Longeat, OSB
Président de l'AIM
Articles
« Va, vends ce que tu as… » (Mt 19, 21ss)
1
Lectio divina
Dom Jean-Pierre Longeat, osb
Président de l’AIM
« Va, vends tout ce que tu as,
donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi. »
(Mt 19, 21ss)
Le dialogue entre Jésus et le jeune homme de l’Évangile, en Matthieu 19, 16-26, ne manque pas de nous émouvoir tant il rejoint nos aspirations les plus profondes. Nous nous reconnaissons dans ce fidèle de la religion juive, et nous sommes profondément atteints par les réponses de Jésus qui nous donnent comme une clé de lecture pour pouvoir mener une vie de disciple, une vie de moine, de moniale, conforme à sa propre vie. Laissons-nous prendre par ce texte, laissons-nous conduire par l’Esprit pour entendre cette parole déterminante qui peut nous faire aller de l’avant.
La question du jeune homme porte sur ce qu’il y a à faire pour avoir la vie éternelle : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » (Mt 19, 16)
Dans un premier temps, la réponse de Jésus rappelle la référence à quelques commandements à la base des devoirs religieux du croyant. Mais dans un deuxième temps, sur l’insistance de son interlocuteur, la réponse est toute différente. Prenons le temps d’examiner ces deux réponses de Jésus et regardons où nous en sommes nous-mêmes en considérant l’attitude du jeune homme.
1re réponse : Jésus cite quelques commandements pour résumer les devoirs religieux du croyant. Il rappelle simplement les derniers commandements du Décalogue, et il ne les cite pas dans l’ordre où ils sont donnés dans la Bible (en Exode 20 ou en Deutéronome 5). Il supprime le dernier de la liste du Décalogue et il rajoute une prescription du Lévitique (19, 18) en guise de synthèse : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Tous ces commandements portent sur le comportement moral : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage ». Comme le jeune homme riche, un grand nombre parmi nous pourrait répondre à Jésus : « Tous ces commandements, je les ai gardés ». Notre perspective religieuse est assez bien caractérisée par de telles dispositions éthiques qui sont déjà très remarquables. Beaucoup s’en satisfont et leur vie est hautement louable.
Mais d’autres ont l’impression qu’il doit y avoir un enjeu plus fort dans la vie humaine, et que notre devenir n’est pas lié uniquement à un bon comportement moral, aussi vertueux soit-il.
Le jeune homme insiste donc : « Que me manque-t-il encore ? » C’est à cet endroit que le terme « jeune homme » apparaît dans notre texte. En posant cette question cruciale, cet homme se présente vraiment comme quelqu’un qui veut du nouveau. C’est ce que traduit l’expression « jeune homme », c’est littéralement un homme « nouveau », comme un nouveau-né. Il laisse émerger en lui le désir profond qui l’habite. Jésus, par sa parole et son comportement, favorise cette émergence chez les autres ; pour lui, il n’y a rien de plus important que cela dans la vie : les zones profondes de notre être sont appelées à venir au jour et à mettre en œuvre une constante nouveauté par l’action de l’Esprit Saint.
Et voici ce que répond Jésus. Il fait connaître le fond de sa pensée : il parle d’accomplissement et non plus simplement de devoir à accomplir. Voici donc la pointe du récit : « Va vendre tout ce que tu tiens sous ta main (littéralement) et donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et marche avec moi ».
En parlant ainsi, Jésus rejoint la première partie du Décalogue que l’on oublie constamment : « Tu n’auras pas d’autres dieux, tu ne te feras aucune idole, tu ne prononceras pas le nom de Dieu à faux, observe le jour du sabbat ». Il s’agit là de ne s’enfermer dans aucune possession trop humaine. L’idole en effet, c’est bien ce que l’on tient sous la main et que l’on retient pour soi-même, sans laisser la vie libre d’aller et venir entre les créatures et le Dieu de toute liberté. Ainsi, « Va vendre tes idoles et partages-en le prix aux pauvres pour bien manifester que tu dis adieu à tout cela et que tu te rends disponible pour l’acquisition d’un trésor du ciel ».
La difficulté pour nous tous dans la réponse à l’appel que Dieu nous adresse se situe bien à cet endroit. Si l’on ne quitte pas, si l’on ne renonce pas à toutes nos idoles, à tout ce que nous tenons bien en main et qui est comme le moteur de notre vie, parfois même, le dictateur de nos actes et de nos pensées, alors nous manquons le rendez-vous essentiel auquel Dieu nous convie et notre vie s’installe dans une perspective où la tristesse a souvent le dernier mot, tellement les promesses de nos idoles ne sont jamais tenues.
En effet le jeune homme, entendant la parole de Jésus, « s’en alla plein de tristesse, car il avait beaucoup de possessions ». Il est intéressant de noter que le terme employé ici est d’une portée très élémentaire. Le jeune homme considère ce qui constitue son avoir propre comme de simples possessions ; Jésus envisageait les choses tout autrement, il parlait de tout autre chose : il s’agissait d’une réalité très fondamentale qui habite nos consciences et que l’on considère comme notre but en ce monde, jusqu’à tout y sacrifier.
Mais j’entends bien sûr les protestations. Ce n’est pas possible ! D’autant plus que Jésus insiste : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux ; il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux ». Avec cependant : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu, tout est possible ». La comparaison employée par Jésus n’est pas à prendre au pied de la lettre, elle cherche simplement à réveiller les consciences. Plutôt que d’en rester à des comportements humains appuyés sur des représentations et des possessions idolâtriques, il est plus nécessaire de renoncer à toute fermeture sur soi-même et sur ce que l’on croit posséder en propre, pour vivre vraiment la liberté, la joie et la beauté du commandement de l’amour : c’est là l’unique trésor du Ciel. Oui, pour les humains, cela est impossible mais pour Dieu tout est possible.
Si nous suivons l’itinéraire du jeune homme, nous constatons qu’au début du passage il est désigné par la simple dénomination de « quelqu’un » : « Et voici que quelqu’un vient vers Jésus ». Ce quelqu’un se présente comme autonome ; dans l’expression « quelqu’un », il y a le mot « un ». Celui-là veut savoir ce qu’il peut faire de bon pour avoir la vie éternelle. Jésus le renvoie à l’Un qui est Dieu et en qui réside le Bon : « Un seul est bon », c’est donc dans la relation avec lui que l’on peut accomplir sa vie, et non dans les seuls actes de perfection à réaliser pour répondre à des devoirs religieux. Lorsqu’il laisse émerger son désir profond, il est appelé « jeune homme. » Il est à la veille de renaître. Cette renaissance d’en haut dont on sent bien qu’elle est toute proche, est particulièrement touchante chez ce jeune homme. Enfin lorsqu’il se retire, c’est un homme plein de tristesse. Alors que la joie caractérise au contraire celui qui décide de vraiment marcher avec Jésus.
Il reste à nous approprier concrètement ce texte pour aujourd’hui.
Nous aussi, nous aspirons à la vie. Nous cherchons ce qui nous manque car la seule application d’une morale religieuse ne nous dynamise pas suffisamment. Jésus nous propose de nous détacher de tout ce à quoi nous nous cramponnons. Jésus dit à ce propos : « Nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Lc 16, 13). Il montre aussi comment on doit se quitter soi-même, ou plus exactement l’illusion que l’on a de soi, car souvent nous nous trouvons plus attachés à ces choses extérieures qui font de nous des personnages qui ne sont pas vraiment nous-mêmes. Se quitter soi-même touche à toutes les dimensions de notre vie jusqu’à la faire naître d’en haut. Il n’est pas possible d’expérimenter une telle dimension sans se défaire de ses idoles.
Réfléchissons donc bien à ce que sont aujourd’hui les idoles qui nous empêchent d’être dans une libre relation avec Dieu afin de témoigner vraiment de la joie pascale qui nous tire du marasme d’une vie livrée à elle-même.
Oui, il y a une joie extrême à tout vendre pour avoir un trésor dans le ciel et pour le partager en amour avec tous les pauvres de Dieu. À quoi bon se retenir, si c’est bien là que Dieu nous promet l’accomplissement total de nos vies ? C’est le témoignage que nous avons à rendre au salut de Dieu. Si Dieu nous a créés, c’est pour goûter sa propre vie au cœur même de l’itinéraire terrestre auquel nous sommes voués : ne perdons plus de temps, le Royaume de Dieu est là, entrons dans la joie que Dieu nous donne et soyons-en les ministres pour que le plus grand nombre trouve dès maintenant l’accomplissement de sa vie. C’est là notre vocation et c’est un immense bonheur d’y répondre.
Réponses au questionnaire de l'AIM
2
Perspectives
Équipe internationale de l’AIM
La vie monastique aujourd’hui,
réponses au questionnaire de l’AIM
Voici les réponses reçues au questionnaire de l’AIM sur la vie monastique aujourd’hui, suivies d’une brève synthèse.
Mère Marie-Thérèse Dupagne, présidente de la congrégation de la Résurrection
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
Nous pensons que l’une de nos principales préoccupations est de contribuer à une meilleure compréhension du vivre ensemble en Europe en prenant soin les uns des autres, en se soutenant mutuellement, en façonnant certains aspects de notre vie ensemble et en apprenant les uns des autres. Nous voulons comprendre comment l’histoire a façonné les communautés dans leurs pays, ce qui les anime particulièrement, ce à quoi elles s’engagent. De cette manière, nous élargissons nos propres horizons vers une plus grande unité.
Quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Nos priorités sont de vivre l’idéal monastique dans le monde d’aujourd’hui et ainsi de témoigner de notre espérance auprès de tous. Nous voulons faire cela :
– en tant que femmes d’aujourd’hui,
– dans l’Église d’aujourd’hui, dans une perspective synodale,
– dans nos communautés telles qu’elles sont aujourd’hui : des petites communautés,
– dans le monde d’aujourd’hui : c’est une nouvelle réalité qui évolue très vite (points de vue politiques, sociétaux ; insécurité croissante – avec la guerre en Europe, etc.), face à la crise des migrants et à la crise climatique,
– avec l’appel à la solidarité.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Peut-être qu’un soutien à certains projets serait possible, également pour la formation (exemple : nous savons qu’il y a une bonne formation sur le leadership à Rome, mais c’est plutôt une formation managériale). En ce qui nous concerne, nous avons besoin d’un soutien pour les supérieures dans nos communautés : c’est un autre contexte qu’en Afrique, Asie, etc. : les supérieures ont affaire à de petites communautés, la plupart du temps avec beaucoup de vieilles sœurs, et à la recherche de nouveaux revenus. Certaines ont signalé la nécessité des rencontres de formation à la vie monastique, des études théologiques, mais aussi des compétences professionnelles (pour organiser ces formations, ou les accompagner). Certaines citent la nécessité de se former à la communication, à construire des communautés dans un autre contexte que par le passé, à construire des relations…
L’AIM pourrait aussi organiser une plateforme de partage sur l’accueil des migrants dans nos maisons d’hôtes.
Dans ce monde où les migrants ne sont pas les bienvenus, le nouveau sens du A de l’AIM (Alliance et non plus Aide, même si l’aide fait bien sûr partie des objectifs de l’AIM) prend une actualité nouvelle : une des missions de l’AIM pourrait être de créer des ponts entre les communautés du Nord et du Sud… Serait-il bon d’organiser des échanges entre communautés ? Nous commençons déjà à ressentir combien il est bon que certaines sœurs de nos communautés partent pendant quelques mois, ou même une ou deux années, partager la vie dans une autre communauté de la Congrégation. Serait-il bon d’ouvrir de tels échanges entre communautés extra-européennes ? On voit par exemple que les Philippins sont nombreux dans nos pays (venant en tant que travailleurs), serait-il bien qu’ils puissent trouver aussi des Philippins dans nos communautés ?
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Nous avons expérimenté combien la phase de connaissance et de contact les unes avec les autres nous a connectées, et combien il a été fructueux de construire notre Congrégation, d’écrire ensemble nos Constitutions les plus larges possibles pour être respectueuses de la spécificité de chaque communauté. Nous ressentons vraiment que la créativité vient de notre diversité, et que tenter d’arriver à l’uniformité aurait détruit la vie.
Mère Maoro Sye, prieure générale des Sœurs Bénédictines Missionnaires de Tutzing
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
– Le déplacement des centres de vitalité de notre Congrégation de l’Europe/Amérique du Nord vers l’Asie et l’Afrique : un soutien est nécessaire, il y a des ponts à construire entre les missionnaires internationales et les dirigeantes locales.
– Nous sommes soucieuses d’une bonne formation pour les formatrices, les économes et les responsables.
– Il y a des communautés vieillissantes en Europe, en Amérique, et même parfois, cela commence en Asie, et en même temps, il y a des communautés très jeunes en Afrique.
– Le manque de personnes-ressources nous préoccupe.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
– L’interculturalité dans les contextes très diversifiés de la Congrégation,
– vivre en bénédictines et missionnaires,
– le renouvellement de notre charisme dans une perspective d’unité de la Congrégation : encourager le partage inter-prieurés, le partage de personnes-ressources entre nos propres prieurés et les réalités d’un autre pays, même parmi les jeunes professes.
– Les rencontres locales et rencontres internationales (rencontre des prieures, semaines internationales de rencontre, rencontre internationale des économes, rencontre internationale des formateurs, programme international des Juniors, programme de renouveau missionnaire dans notre premier pays de mission).
– Ateliers d’approfondissement pendant les visites canoniques.
– Soutenir les communautés fragiles dans les différentes régions visitées par les membres de la Maison généralice.
– Visites fréquentes des communautés par des membres de la Maison généralice et accompagnement en ligne.
– Faire des efforts pour l’envoi régulier de missionnaires à long et à court terme.
– Partager des ressources spirituelles (ex. : conférence mensuelle).
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
– Continuer à publier du matériel pour la formation et la vie communautaire.
– Poursuivre le financement des réunions régionales (BEAO, Cimbra, séminaire RB à Tagaytay – Philippines).
– Parrainer des études des jeunes sœurs pour qu’elles puissent devenir des personnes-ressources à l’avenir.
– Parrainer des rencontres internationales et de formation continue.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
– Le programme international pour les jeunes professes à Rome (les jeunes sœurs des différents prieurés sont invitées à participer à un programme d’un an au cours duquel elles vivent, travaillent, prient et étudient ensemble en vue d’une formation interculturelle).
– La rencontre des prieures, la rencontre des formatrices et les ateliers de visite canonique à la manière synodale : où la conversation spirituelle nous a rassemblées, unies dans la diversité, alors que nous faisions l’expérience de l’Esprit Saint.
Sœur Asha Thayyil, présidente de la congrégation de Sainte-Lioba (Inde)
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
Nous, sœurs bénédictines de Sainte-Lioba, formons une congrégation de femmes consacrées, enracinées dans le Christ et engagées pour le bien-être de l’humanité, en particulier des pauvres, des opprimés et des marginalisés de la société.
Les préoccupations majeures de notre Congrégation sont d’utiliser au mieux nos capacités et de nous équiper pour relever les différents défis de notre mission. L’avenir de notre Congrégation dépend de la synodalité qui inclut d’abord tous les membres, nos collaborateurs, puis s’adresse à tous les membres de la société. Nous devons être prêtes à lire et à comprendre les signes des temps et à opérer avec courage les changements nécessaires dans notre vie personnelle, communautaire et apostolique.
Dans le véritable esprit de la synodalité, gardons de côté nos préjugés, nos préférences ou nos intérêts personnels, le cas échéant, et marchons ensemble en recherchant l’unité dans la diversité. À l’instar de saint Benoît, « écoutons » la voix de Dieu et planifions un programme non seulement sur une courte période, mais sur le long terme, afin qu’il y ait une longévité quant à la continuité et l’efficacité dans ce que nous planifions et faisons.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Je pense que nos priorités sont les suivantes :
– Pratiquer quotidiennement la contemplation à partir de l’appel à la vie consacrée en se concentrant sur les différents apostolats.
– Améliorer les connaissances et les compétences grâce à la lecture de livres et à la découverte des personnes et des lieux.
– Accorder un maximum d’attention au développement des ressources humaines des membres des communautés à travers différents programmes de formation au sein de la Congrégation et à l’extérieur.
– Créer des établissements d’enseignement, des centres de travail social en formant les jeunes à devenir des leaders visionnaires dotées d’éthique et de sensibilité à la société.
– Donner à celles qui travaillent dans le monde de la santé et l’apostolat social une formation actualisée. Former plus de personnes pour ce ministère.
– Établir une collaboration avec d’autres groupes dans divers ministères, dans le respect mutuel et le partenariat.
– Utiliser les ressources humaines optimales en fonction de l’aptitude et de la qualification de chacune.
– Former les sœurs avec la meilleure éducation et développer leurs connaissances, leurs compétences dans une attitude positive.
– Puisque nous avons investi un maximum de ressources dans le travail de l’éducation, nous avons à nous concentrer au maximum sur une éducation de qualité et la construction des étudiants qui nous sont confiés. Notre priorité doit être donnée à la construction de la nation, sans se fixer sur le seul gain économique.
– Toutes les politiques que nous formulons doivent être destinées au meilleur intérêt de chaque membre de la Congrégation et de l’apostolat.
– Dans la phase initiale, nous nous concentrerons sur l’acquisition de connaissances de première main sur la vie et la mission dans nos communautés, sur l’apprentissage des relations interpersonnelles entre les membres et sur la préparation d’un système de soutien pour créer de meilleurs liens entre les membres.
– Pour le fonctionnement efficace de l’institution, les directeurs ou directrices d’établissement doivent disposer de suffisamment de temps pour établir de véritables relations avec la population de la localité. La stabilité des membres dans la communauté est un facteur déterminant pour renforcer l’institution. Nous devons faire le moins de transferts possibles. Cependant, un système d’évaluation régulière de transparence et de participation de tous les membres sera rendu obligatoire. Les institutions éducatives, sociales et médicales devraient être précurseurs dans tous les domaines.
– Il est important d’éviter les incitations des éditeurs pour faire de la publicité pour nos établissements en matière de visites et d’hébergement. Chaque fois que nous devons assister à une réunion ou à un séminaire dans des endroits lointains, il est important de régler les frais des institutions respectives et de défendre ainsi notre dignité et notre honneur.
– Nos maisons et institutions religieuses doivent être des centres de dialogue et de partage. Par conséquent, ils doivent être des lieux où les gens peuvent avoir accès à des sœurs pour obtenir des conseils et du soutien. Nos infrastructures doivent être au service de la qualité humaine.
– Il est impératif d’étudier le droit canonique et civil de chacune de nos institutions. Exemple : enregistrement de sociétés dans différents États, bonne tenue de la comptabilité, contrats avec un diocèse et une autre congrégation religieuse, gestion de conflits de propriété, etc.
– Le Chapitre est un organe décisionnel et le Conseil est l’organe exécutif. Par conséquent, les conseillères disposent d’une plus grande capacité exécutive. Elles élaborent un plan d’action dans un format bien défini pour un an, et un budget est approuvé pour chaque apostolat qui est assigné aux sœurs.
– Il y a une équipe dirigée par une conseillère pour chaque ministère, pour le bon fonctionnement et l’efficacité de l’apostolat.
– Nous proposons une évaluation annuelle des ministères de toutes nos institutions. De même, une évaluation libre et franche du travail de la prieure et de l’équipe des responsables pour apprécier la performance des membres de la Congrégation. Une critique constructive est nécessaire à notre croissance.
– L’évaluation doit être menée dans le bon esprit et basée sur la vision, les objectifs et les mises en œuvre. Il ne devrait y avoir aucune place pour les critiques négatives et les commérages. Ce processus permettrait aux sœurs d’analyser la situation et de rassembler courage et confiance pour apporter leur contribution à travers des suggestions, des opinions et des confrontations.
– L’expansion de la mission n’est pas la priorité actuelle. Notre objectif est de renforcer ce qui existe déjà.
– Nous ne devons pas nous laisser emporter par l’illusion de lancer des missions à l’étranger dans un souci d’autosuffisance. Si les ressources humaines sont utilisées correctement et placées dans nos propres institutions, les salaires seront suffisants pour nos besoins. Cela améliore la qualité du service et l’image positive de nos institutions.
– Nos sœurs aînées sont de grands atouts pour la Congrégation. Il est bon d’utiliser leur expertise et leur expérience pour enrichir la jeune génération de la Congrégation. Elles grandiront avec l’intuition originelle de la Congrégation en s’informant mutuellement.
– Les conflits et les différences sont inévitables dans la vie communautaire et dans l’apostolat. Ces problèmes doivent être résolus entre les membres de la communauté au lieu de demander à l’équipe de direction de les résoudre. Ce serait une pratique saine de former une équipe qui possède les compétences innées et acquises pour résoudre de telles situations et régler les griefs : ils peuvent advenir à tout moment.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Voici à titre d’exemple, deux besoins urgents, par ordre de priorité :
– Bourse pour deux moniales afin de participer à la formation continue à Rome.
– Une maison pour les sœurs dans une région éloignée.
S’il vous plaît, faites tout ce que vous pouvez. Votre réponse signifiera plus que vous ne pouvez l’imaginer pour nos familles monastiques en Inde.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
La gratitude et la reconnaissance sont au cœur de toute relation solide. Il en va de même pour les relations avec l’AIM. Nous vous sommes toujours reconnaissantes pour l’aide importante et bienvenue que vous nous attribuez avec discernement lorsque nous vous présentons des demandes. Que Dieu bénisse tous vos bons efforts.
Mère Cecile A. Lañas, présidente de la congrégation des Sœurs Bénédictines du Roi Eucharistique (Benedictine Sisters of Eucharistic King)
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
– la formation des jeunes sœurs, et la formation permanente des sœurs perpétuelles,
– l’accompagnement des sœurs malades et âgées,
– la promotion des vocations via les réseaux sociaux,
– la réparations de bâtiments.
Quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Tout ce qui précède est nos priorités.
Pour la formation, nous avons fait de notre mieux pour profiter des webinaires gratuits et autres séminaires et conférences en ligne gratuits. Certaines de nos jeunes sœurs ont fait leurs études en ligne, mais nous avons postulé pour des programmes de bourses. Certains ont été accordés, d’autres non.
Pour le soin et l’accompagnement des sœurs malades, nous utilisons le peu d’argent qui vient de la pension versée par la Sécurité Sociale, mais c’est très maigre. C’est pourquoi nos sœurs affectées à l’étranger donnent une subvention : malheureusement une de nos missions (Jakobsberg) a dû fermer.
Pour la promotion des vocations, comme toute autre congrégation, nous sommes également confrontées à des difficultés. Nous avons essayé d’y remédier grâce aux médias sociaux, mais nous ne sommes pas en mesure de maintenir cet effort.
Pour les réparations des bâtiments, nous demandons de l’aide à des sources extérieures car nous ne pouvons vraiment pas compter sur nos propres ressources. Certaines de nos sœurs encore capables sont envoyées en mission dans les paroisses, les écoles et les diocèses, mais elles reçoivent des compensations très faibles. Nous comptons toujours sur la providence de Dieu.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
L’AIM peut nous aider financièrement, surtout dans notre formation et aussi dans la promotion des vocations. Nos bâtiments ont besoin de réparations. Pour nos sœurs malades et âgées, nous avons rénové une partie du bâtiment du noviciat pour l’infirmerie.
Nous sommes également reconnaissantes pour les livres qui nous ont été envoyés par l’AIM et pour les autres soutiens que nous avons reçus.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Lorsque la pandémie de Covid 19 atteignait son apogée, nous avons essayé de nous rassembler en tant que communauté via les réseaux sociaux. Nous avons utilisé la plateforme Zoom afin de voir, évaluer, partager notre vie monastique et notre mission dans différentes maisons et zones d’affectation. Nous avons de grandes communautés, ici, aux Philippines. Nous avons une communauté en Israël, en Allemagne (qui doit fermer malheureusement) et également une maison de formation à Nangahure, en Indonésie. Chaque communauté a partagé ses expériences, ses bénédictions et ses défis à travers des présentations vidéos. À travers ce rassemblement en ligne, chacune a ressenti un besoin de renouveau et de fraternité. Nous avons également ressenti le besoin de faire campagne pour plus de vocations. Ce fut une expérience très enrichissante et unique.
Sœur Jeanne Weber, présidente de la congrégation de Sainte-Gertrude (USA)
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
Nos membres deviennent de plus en plus âgés et sont de moins en moins nombreux. Nous attirons très peu de vocations, et ce sont généralement des femmes plus âgées.
Le nombre de sœurs susceptibles de diriger un monastère et la Congrégation diminue.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
– Encourager les membres à croître continuellement dans le mode de vie monastique face aux défis mentionnés ci-dessus. En soutenant les prieures dans la direction pastorale de leurs communautés monastiques.
– Aider les sœurs à traiter et à intégrer la peine qu’elles vivent à cause de tant de pertes. Dans certains cas, nous avons encouragé les communautés à travailler avec des thérapeutes en santé mentale pour ce travail.
– Nous avons pris conscience qu’il est trop dur pour les sœurs de voir leurs monastères dissous et les membres transférés lorsqu’il n’y a plus d’issue. Cela implique dans de nombreux cas une dispersion de la communauté et une séparation de plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres pour les sœurs. De plus, nous n’avons pas assez de monastères avec de jeunes membres pour accueillir toutes ces sœurs. Nous restructurons donc la gouvernance sur le plan civil et canonique de ces communautés monastiques, et développons des structures pour prendre soin des membres jusqu’au décès de la dernière sœur. Cela leur permet de continuer à vivre ensemble dans, ou du moins à proximité, de leur monastère d’origine.
– Faire face à la crise du leadership. Comme les monastères n’ont plus leur autonomie, nous ne pourrons plus nommer d’administrateurs résidentiels à plein temps. Au lieu de cela, une sœur le fera à temps partiel, depuis son propre monastère, ou une sœur se verra attribuer plusieurs monastères. Nous encourageons les monastères à planifier cet avenir en prenant des décisions qui simplifieront le fardeau du leadership. Au niveau de la Congrégation monastique, nous devons aborder cette question.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Réponse non fournie.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Une de nos communautés monastiques a récemment demandé à la Présidente et au Conseil de la Congrégation de suspendre sa gouvernance monastique régulière et de nommer un Commissaire. Ces sœurs ont perdu leur prieure à la suite d’une mort subite en 2020 et n’avaient personne d’autre pouvant être élue. Avant et depuis cette époque, elles ont courageusement fait face à la situation dans laquelle elles se trouvaient. Elles ont travaillé avec un administrateur canonique nommé par la Congrégation pour vendre leurs biens restants, fermer leurs activités apostoliques et prendre des dispositions pour leurs soins à long terme. Elles continuent de vivre la vie monastique dans une partie de leur monastère, tandis que le diocèse local, qui a acheté leurs bâtiments et leurs terrains, utilise le reste pour ses bureaux diocésains et son centre de retraite. J’admire énormément ces sœurs pour la manière dont elles ont relevé les défis et les changements auxquels elles étaient confrontées.
Sœur Patty Fawkner, présidente émérite de la congrégation des Sœurs du Bon Samaritain (Sisters of Good Samaritan, Australie)
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
Notre congrégation, les Sœurs du Bon Samaritain de l’ordre de Saint-Benoît, fut la première congrégation fondée en Australie en 1857 par le premier évêque d’Australie, le bénédictin anglais John Bede Polding. Nous avons désormais des communautés en Australie, au Japon, aux Philippines et à Kiribati. Nos jeunes sœurs viennent des Philippines et surtout de Kiribati. Nos sœurs australiennes vieillissent et diminuent en nombre. La direction de notre Congrégation dans le futur est un enjeu majeur pour nous.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
– Comment rester concentrées sur la mission alors que nos ressources humaines diminuent. C’est l’un des thèmes centraux du Chapitre de cette année. Nous examinons actuellement les signes des temps dans notre monde et la manière dont nous pouvons y répondre de manière réaliste, compte tenu de nos ressources.
– Questions de leadership et de gouvernance. Nous avons employé du personnel laïc qualifié et dévoué pour partager la plupart des responsabilités de l’administration pratique. Nous avons toujours été engagées dans la formation permanente.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Il est toujours utile d’être en réseau, surtout lorsque nous partageons bon nombre de mêmes problèmes, par exemple comment rester concentré sur la mission compte tenu des limites de nos expériences humaines et financières.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Nous avons une longue tradition d’éducation, du pré-scolaire au supérieur. Nous avons également une longue tradition de direction et d’accompagnement spirituel. Nous avons toujours eu comme priorité l’épanouissement de la femme.
À mesure que nos sœurs vieillissent, la plus grande majorité ne peut plus être engagée comme enseignante. Nous avons développé le programme d’études et de mentorat du Bon Samaritain (SAM) par lequel nous apportons une contribution financière aux femmes laïques mûres qui souhaitent étudier la théologie ou l’éducation religieuse. Le programme comporte également une composante de direction spirituelle et de mentorat. Notre programme SAM en est maintenant à sa troisième année et s’est avéré très fructueux. Nous avons contacté des congrégations religieuses masculines pour offrir une contribution financière à ce programme et elles ont été très généreuses.
Dom Jeremias Schroeder, président de la congrégation de Sankt Ottilien
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
– Quatre communautés fragiles,
– faible leadership dans plusieurs monastères,
– une atmosphère de frustration et de lassitude dans certaines maisons européennes,
– l’égocentrisme de certaines communautés.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
– Maintenir l’unité et la cohésion : développer de nouveaux moyens de communication et d’échange, faisant de la Congrégation une réalité palpable dans toutes les communautés.
– Renforcer le sens de la mission : favoriser la nomination d’agents de mission locaux. Privilégier les projets qui sont une expression de la mission.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
L’AIM peut nous aider en rappelant à notre Congrégation que nous faisons partie d’un réseau de plus en plus vaste : la Confédération et la Famille monastique bénédictine/cistercienne.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
J’ai apprécié mes récentes interactions avec les deux Abbés généraux et avec la Modératrice de la CIB. Je vois une réelle opportunité de collaboration mondiale.
Dom Johannes Perkmann, président de la congrégation autrichienne
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
– Collaboration dans la formation.
– Amélioration du Collège Saint-Benoît.
– Projets de mise en œuvre de Laudato Si’.
– Préparation du jubilé de la Congrégation.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
– Transmettre nos valeurs et nos habitudes spirituelles à la prochaine génération.
– Publications, séminaires, accueil.
Comment AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Échanges et rencontres internationales.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Processus de mise en œuvre de Laudato Si’.
Dom Franziskus Berzdorf, président de la congrégation de Beuron
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
La plus grande préoccupation est le manque de jeunes dans nos monastères. Cela s’applique aussi bien aux monastères masculins qu’aux monastères féminins (nous sommes une congrégation mixte). Les novices de tous les monastères participent aux semaines de formation organisées par l’association des sœurs bénédictines d’Allemagne. La sœur responsable est d’un de nos monastères. L’expérience est bonne.
La plupart des communautés réfléchissent actuellement à la manière dont une partie de leurs bâtiments, dont elles n’ont plus besoin, pourrait être utilisée à bon escient ailleurs. La question principale est la même que celle d’un jeune chrétien dans le monde : comment trouver un partenaire avec qui je peux bien vivre et qui partage autant que possible ma vision du monde ?
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Les priorités de chaque monastère résident souvent dans la gestion de la petite routine quotidienne ; ils n’ont pas le souffle nécessaire pour entreprendre de plus grandes entreprises. Les organes de la Congrégation aident les monastères qui le souhaitent, ou lorsque cela semble judicieux ou nécessaire à l’Abbé Président et à son Conseil.
Par exemple : Les monastères doivent fournir chaque année certains chiffres au Conseil économique de la Congrégation. Sur la base de l’évolution de la situation, le Conseil peut attirer l’attention relativement rapidement sur les dangers économiques.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Les monastères de la Congrégation beuronaise ne sont pas riches par rapport aux normes européennes, mais ils ont (pour la plupart) un budget équilibré. Certains couvents reçoivent une aide du diocèse respectif. En cas de dépenses extraordinaires, comme la rénovation de bâtiments classés, ils reçoivent des subventions de l’État.
Il existe suffisamment de possibilités pour la formation de la prochaine génération, ainsi que pour la formation continue des moines et des moniales. Je ne vois donc pas la nécessité pour l’AIM d’apporter son aide à l’heure actuelle.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
La coopération entre les couvents d’hommes et de femmes de la Congrégation s’est encore intensifiée ces dernières années : participation des moniales au Conseil de l’Abbé Président et aux Commissions, visiteuses secondaires dans les couvents d’hommes, etc. Il n’y a plus que quelques obstacles pour parachever l’égalité. Tous ces obstacles n’ont pas été levés par Rome malgré plusieurs tentatives de notre part pour y parvenir.
Dom Alessandro Barban, prieur général émérite de l’ordre des Camaldules de saint Benoît
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
En ce qui concerne les préoccupations les plus importantes dans notre congrégation camaldule, notre attention se tourne vers l’avenir du christianisme et vers la manière dont la présence monastique peut rester un levain fécond dans l’Église et dans le monde. Nous craignons que le monachisme perde la saveur de son sel, perde la lumière de son charisme, ne soit plus significatif dans le présent et dans le futur. Et notre futur dans les décennies à venir s’articulera autour de trois questions : la qualité de nos relations fraternelles et humaines au sein de nos communautés monastiques ; la qualité de notre lectio divina et de notre liturgie communautaire ; la qualité de notre accueil dans nos hôtelleries. Nous essayons de donner de la qualité à notre monachisme, mais cet élan exige une vie spirituelle intense, profonde et pleine de sens. Il ne suffit plus d’observer la Règle, mais de redécouvrir le sens bénédictin de la vie chrétienne, en la vivant dans une expérience spirituelle concrète au sein de nos communautés. Peut-être que nous devrons fermer certaines maisons ou que nous aurons moins de vocations, mais ce ne sont pas nos vrais problèmes. La question réside dans la réalité évangélique de notre vie.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Une nouvelle proposition sur la formation est nécessaire. Les jeunes d’aujourd’hui ne comprennent pas et n’acceptent plus nos hiérarchies relationnelles et mentales. Et ils ne comprennent pas notre langage théologico-spirituel qui appartient aux deux derniers siècles. La formation monastique doit être renouveler et, dans l’Église, il est nécessaire de prévoir un nouveau programme d’études pour la théologie. Au monastère, avant de se soucier de transmettre des contenus comme s’il s’agissait de notions à apprendre conceptuellement, l’important, c’est d’abord de partager un choix de vie. Il est donc nécessaire de présenter concrètement le style de vie monastique dès les premiers jours où le jeune entre au postulat et au noviciat. Nos communautés sont aujourd’hui confrontées à la question anthropologique des jeunes de notre temps.
Un autre enjeu est la question économique, et par conséquent l’importance du travail dans nos communautés. Nous ne pourrons certainement pas garantir de garder le standard bourgeois actuel.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
L’AIM devra contribuer au financement de projets innovants de formation monastique, tant en Europe que sur d’autres continents, notamment les plus pauvres. La pauvreté d’aujourd’hui n’est pas seulement économique, mais avant tout culturelle. Les moines et les moniales doivent recevoir une formation humaine et théologique adéquate, sinon nous ne comprendrons plus le chemin futur du monde. Nous perdrons le lien avec la culture de plus en plus scientifique et technique d’aujourd’hui. À mon avis, l’AIM doit concentrer son aide notamment sur la formation. Nos communautés commencent aussi à avoir des difficultés à envoyer leurs jeunes dans les écoles théologiques de leur pays. Les coûts augmentent alors considérablement lorsque l’on étudie à l’étranger.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
C’est difficile à dire. Les expériences significatives sont différentes. En ce qui nous concerne, elles se concentrent toutes sur les études à proposer après le noviciat. Par exemple, nos jeunes Tanzaniens veulent non seulement étudier la théologie, mais aussi étudier l’agriculture et savoir planter des plantes et des arbres. En Tanzanie, nous avons commencé à planter une forêt de milliers d’arbres contre la désertification, en protégeant et en gardant les sources d’eau. En Inde, dans notre ashram de Shantivanam, la prière typique de l’ashram s’accompagne de nouvelles activités de travail qui nécessitent de nouvelles technologies.
Je tiens à remercier l’AIM pour tout ce qu’elle fait en faveur des communautés monastiques qui ont le plus besoin d’aide (pas seulement économique). Votre fraternité et votre sensibilité dans l’écoute et le discernement des aides sont un grand cadeau.
Dom Benito Rodríguez Vergara, président de la congrégation du ConoSur
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
Dans notre Congrégation, je pourrais souligner les aspects suivants qui me semblent les plus pertinents aujourd’hui car ils touchent toutes les communautés :
– La tension entre tradition reçue (identité) et nouveauté.
– La diminution des vocations.
– L’augmentation de l’âge des membres des communautés et leurs besoins de soins.
– La préoccupation des parents des moines, des moniales, qui vieillissent et exigent que leurs enfants les assistent.
– L’exercice de l’autorité par l’abbé.
– La formation continue.
– Le bon usage des réseaux sociaux au monastère. L’utilisation et la juste mesure de l’information qui transite par ces médias.
– Le dialogue entre la culture monastique et la culture du monde qui est introduite dans le monastère par différents moyens. Déterminer correctement les « frontières » de notre enceinte, également dans le domaine virtuel – internet.
– Le changement climatique a été fortement ressenti dans certaines régions de nos pays, affectant gravement les économies de certaines de nos communautés en raison du manque de précipitations et de l’augmentation excessive des températures.
– Un contexte ecclésial, politique et social complexe.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Dans notre vie bénédictine, nous courons le risque de veiller beaucoup à l’ordre matériel des choses et, par conséquent, à ce que les membres en formation « fonctionnent » bien dans tout ce qui doit être fait. Je pense que, sans négliger cet aspect, il faut donner la priorité au fondement des personnes et de la communauté sur le Rocher qu’est le Christ, en étant fidèle à prendre l’Évangile pour guide. Cela n’est jamais acquis, c’est une priorité qui doit être sans cesse concrétisée. Nous essayons de le faire, bien qu’encore très imparfaitement, avec les conférences spirituelles hebdomadaires des différents membres de la communauté, avec une journée mensuelle de retraite communautaire, à travers les lectures au réfectoire, en veillant à un certain niveau dans les conversations pendant les récréations. […] En bref, et bien sûr, dans les autres aspects caractéristiques de notre vie bénédictine que souligne la règle de saint Benoît.
Dans les valeurs qui s’imposent aujourd’hui dans notre société, nous percevons une absence de Dieu et, par conséquent, une certaine décadence des mœurs. Notre priorité est aussi d’évangéliser le monde qui vient au monastère à travers les hôtes et les personnes qui, pour diverses raisons, nous sont liées. Je pense que la beauté de notre vie bénédictine est l’élément principal que nous pouvons apporter à cette nouvelle évangélisation dont le monde d’aujourd’hui a besoin. La beauté d’une vie qui essaie simplement de prendre comme guide l’Évangile dans nos relations les uns avec les autres, dans ce cadre d’austérité et d’harmonie qu’enseigne la règle de saint Benoît, et que ceux qui viennent à nous apprécient et valorisent beaucoup.
Les personnes qui souhaitent entrer dans la vie monastique apportent leurs propres circonstances de vie qui nécessitent une capacité d’accueil et d’accompagnement que parfois nous ne sommes pas en mesure d’offrir. Il faut aider celui qui arrive à faire un chemin de connaissance de soi, de guérison, de réconciliation. Initier le nouveau venu à un chemin filial, lorsque cette dimension est brisée ou endommagée, représente un grand défi pour le formateur, car parfois le formateur lui-même ne l’a pas encore bien résolu pour lui-même. Enfin, c’est une question d’humilité et de foi, avant tout de la part du formateur, même lorsqu’une aide thérapeutique précieuse de la part de professionnels est disponible. Aider à discerner l’authenticité de la recherche de Dieu de la personne, au-delà de sa situation humaine de précarité, est aujourd’hui une grande exigence, tant pour le formateur que pour le formé.
L’exercice d’un leadership selon l’esprit de RB constitue également un défi important dans nos communautés. Clarifier quel est le rôle de l’abbé dans une communauté monastique, sa mission, ce que le Seigneur lui a confié. Lorsque l’abbé est trop protagoniste, il peut maintenir une forte cohésion dans la communauté, ce qui peut être une valeur, mais les gens ne se développent pas individuellement, l’exercice créatif et joyeux de leur propre don diminue, ce qui nuit non seulement à l’individu mais aussi à l’ensemble de la communauté. Et quand l’abbé disparaît en déléguant totalement les responsabilités, chaque moine se développe individuellement, mais on vit une certaine atomisation, désintégration, le monastère fonctionne bien matériellement, mais la communion en souffre. La priorité est que l’abbé soit un serviteur de la communion des frères, permettant en même temps que chacun puisse exercer son propre don en le mettant au service de l’ensemble.
Dans certaines de nos très petites communautés, formées de trois moines, se pose la question de savoir comment exercer le leadership alors qu’aucun d’entre eux n’en a réellement les possibilités. La réponse est peut-être que dans ces cas-là, il faut un leadership synodal plus consensuel, donnant encore plus de pertinence.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Nous aider à prendre conscience de la façon dont la vie monastique est vécue dans le « reste » du monde, c’est-à-dire au-delà du cadre géographique de notre Congrégation dans le Cône-Sud, avec ses difficultés et aussi avec ses valeurs. Je crois que l’AIM peut avant tout nous aider à être plus solidaires avec les besoins d’autres communautés dans d’autres parties du monde qui vivent peut-être dans des contextes encore plus difficiles que le nôtre.
Je pense aussi que l’AIM peut aider financièrement en ce qui concerne la formation, à travers les différentes initiatives du SURCO (rencontres, cours, retraites), dans l’édition de la revue Cuadernos Monásticos, et dans l’organisation et la participation à la rencontre de l’EMLA.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Je crois que l’expérience la plus significative que nous avons vécue en tant que Congrégation plus récemment est le dernier Chapitre général tenu en mai 2023. Nous avons pu y ressentir, parmi les participants, un très fort esprit de communion. Nous avons réalisé qu’aujourd’hui, comme les communautés sont plus petites, cela nous fait apprécier encore plus d’être membres d’un corps qui nous fait tous sentir que nous faisons partie de quelque chose de plus grand, qui nous transcende et qui nous soutient également. Dans notre Congrégation, la communion se construit dans la complémentarité de la diversité des communautés, et nous la percevons également dans la relation riche et fraternelle que nous vivons entre les moines et les moniales. Je considère que c’est la chose la plus significative que nous ayons vécue récemment.
La solidarité manifestée par nos communautés plus petites et plus fragiles envers les besoins matériels et spirituels des quartiers dans lesquels elles se trouvent est touchante, et plusieurs exemples pourraient être évoqués ici.
La créativité, l’efficacité et les efforts des communautés pour gérer leurs propres économies dans des contextes nationaux très complexes méritent également d’être mentionnés.
Dom Markus Eller, président de la congrégation bavaroise
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
La plus grande préoccupation de notre Congrégation est le manque de jeunes. Nous sommes également préoccupés par les effets de la crise du Coronavirus. Les domaines de l’exploitation de l’hôtellerie et de la restauration ont souffert. L’une des conséquences de cette crise est le manque de personnel, de sorte que ces secteurs et d’autres ne peuvent souvent pas fonctionner à plein rendement.
Un problème relativement aigu est la forte augmentation des coûts de l’énergie. Cela nous frappe très durement avec nos grands bâtiments, qui sont également coûteux à entretenir en raison de la préservation des monuments historiques.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Rechercher des opportunités de rencontrer des jeunes et leur permettre de vivre avec nous pendant un certain temps de manière simple. Peut-être que la recherche de possibilités pour maîtriser les problèmes écologiques offre également une opportunité de s’adresser aux jeunes : agriculture écologique, énergies nouvelles, produits régionaux.
La règle de saint Benoît propose certainement des approches pour un style de vie simple et alternatif.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
L’AIM pourrait peut-être établir des contacts avec des régions où se trouvent des problèmes ou des défis similaires. Les solutions ne seront probablement trouvées qu’au niveau régional, localement.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Considérer les problèmes comme des défis qui offrent également des opportunités, la recherche de quelque chose de nouveau et la force du lâcher prise pour dire adieu à certaines formes.
Dom Giuseppe Casetta, abbé général de la congrégation de Sainte-Marie de Vallombrosa
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
1. Surmonter la crise de la vocation monastique dans notre Congrégation.
2. Résoudre l’instabilité financière des monastères.
3. Développer la fraternité monastique.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Ma première préoccupation et priorité est de développer la fraternité monastique entre les monastères et les moines de la Congrégation, afin que les moines puissent aider d’autres communautés qui manquent de vocation monastique et qui se trouvent dans une situation économique instable. Mes fréquentes visites et exhortations aident les moines à être dans un même esprit et un seul cœur.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Si l’AIM pouvait soutenir économiquement nos communautés qui sont financièrement instables, cela pourrait nous aider beaucoup.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
La grande aide fraternelle que nous avons échangée à l’occasion des maladies graves des confrères.
Dom Guillermo Arboleda Tamayo, président de la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
La nécessité d’adapter notre législation au moment actuel et à la réalité de nos communautés. La législation actuelle répond à une époque d’expansion, maintenant nous vivons une époque de réduction.
La « crise du leadership », il est difficile de trouver des supérieurs pour les communautés.
La formation des « jeunes » communautés, je veux dire avant tout les communautés du Vietnam, qui ont de nombreux membres.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Les priorités sont les mêmes que celles énumérées ci-dessus. Nous sommes maintenant en train de réviser la législation pour présenter la proposition de sa réforme au prochain Chapitre général.
– Faire face à la crise du leadership : Quoi qu’il en soit, il y a toujours quelqu’un pour prendre en charge les communautés. Cela nécessite des visites, une confiance humble, tant envers ceux appelés par les communautés pour les conduire, que envers les communautés elles-mêmes pour les soutenir.
– Formation : Nous offrons la possibilité à certains membres de nos communautés d’approfondir leur formation, notamment dans les monastères français ou à Saint-Anselme, afin qu’ils puissent ensuite contribuer à la formation dans leurs communautés ; et nous encourageons à profiter des opportunités de formation théologique qui existent déjà dans les pays où sont situées les communautés. Mais nous insistons également sur la meilleure organisation de la journée monastique, afin que la lectio divina et l’étude soient prioritaires.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Continuer à soutenir les programmes de formation par région.
Planifier quelque chose de spécifique pour le Vietnam pourrait être d’une grande aide.
Continuez également à soutenir certains moines avec des bourses.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Peut-être la plus récente : lors de la visite au Vietnam en octobre, en plus de rencontrer une difficulté particulière due à la démission du Visiteur, nous avons pu tenir une « assemblée » de tous les supérieurs des monastères, y compris les maisons dépendantes, avec les délégués des communautés. Ce fut une journée particulièrement significative avec de bons résultats, grâce à la nomination d’un Visiteur, après un discernement commun, et surtout grâce à la conscience des participants de la nécessité d’assumer avec plus d’engagement la responsabilité de leur propre province, sans attendre de nous que nous résolvions les choses de l’extérieur. Il a été possible d’établir un programme de travail conjoint au sein de la Province, et c’est déjà un bon début.
Dom Geoffroy Kemlin, président de la congrégation de Solesmes
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
La principale préoccupation de notre Congrégation est d’être fidèle à sa vocation monastique dans un monde aux multiples facettes et en rapide transformation. Nous essayons de vivre nos valeurs monastiques d’une manière qui donne un véritable témoignage de notre foi et de notre appel monastique, mais en même temps nous voulons être audibles dans notre culture actuelle. Dans les cultures occidentales par exemple, la vie monastique est à peine connue et si c’est le cas, cela ressemble à une vie sur une autre planète pour de nombreux jeunes, même lorsqu’ils sont catholiques. Notre Congrégation ayant des monastères en Afrique et aux Antilles, il devrait être plus facile d’élargir notre horizon au-delà du monde occidental et d’éviter une compréhension trop occidentale de tout. L’une de nos autres préoccupations est la diminution du nombre de moines dans plusieurs de nos communautés.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Mes priorités tournent autour de l’unité des communautés, vivant de manière plus synodale, et de l’unité de notre Congrégation dans laquelle de nombreuses options différentes peuvent être trouvées. Nous essayons de mettre en pratique le fait que les différences ne sont pas une menace mais enrichissent chaque membre de la communauté et de la Congrégation. Je pense aussi que les supérieurs devraient être mieux formés pour un service qui n’est pas facile. Des programmes très intéressants sont désormais proposés.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
L’AIM nous aide à garder à l’esprit que la civilisation occidentale n’est pas la seule et qu’il existe des endroits dans le monde où la vie monastique est florissante et répond aux aspirations spirituelles de nombreuses personnes. L’AIM est aussi un lieu où l’échange de dons est très présent. Les monastères du monde émergent ont tant à offrir, comme des lieux pleins de vie avec des façons acculturées de vivre la vie monastique... L’AIM se pose aussi comme un moyen possible d’aide matérielle à nos communautés du monde émergent. L’AIM peut créer des réseaux. Cela pourrait aussi aider en réalisant un audit économique, et en soutenant un projet concret dans telle ou telle communauté : construire une porcherie ou un poulailler. Peut-être aussi pour offrir des bourses notamment pour la formation de futurs formateurs, ou pour mettre en place des programmes de formation localement. Mais c’est déjà ce qui se fait et j’aimerais que cela puisse continuer.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
Étant un nouvel abbé, je ne suis pas moi-même allé en Afrique. Un moine de notre communauté lors d’un récent séjour à Séguéya, en Guinée-Conakry, a rapporté à la communauté combien la vie monastique y était joyeuse, même dans un état de réelle pauvreté pour le pays et pour la communauté. C’est la dernière fondation de notre Congrégation. Le pays où ils vivent manque d’infrastructures, comme les moyens de communication (routes), l’assistance médicale… Mais la petite communauté garde un haut niveau de vie liturgique, avec la liturgie inspirée de Keur Moussa, et il y règne un profond esprit de fraternité. La formation n’est pas facile, et, surtout à cause du manque d’infrastructures, l’économie est très fragile, et ils ont besoin du soutien des monastères de notre Congrégation pour achever la construction du monastère définitif.
Dom Christopher Jamison, président de la congrégation bénédictine anglaise (English Benedictine Congregation, EBC)
Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ?
Comme tant de congrégations au sein de la Confédération bénédictine, l’une des principales préoccupations de l’EBC à l’heure actuelle est la baisse du nombre de vocations et le vieillissement de beaucoup de nos communautés. Ces deux facteurs apportent une fragilité à de nombreuses communautés de moines et de moniales, ce qui soulève des questions de durabilité.
À cela s’ajoutent les défis économiques actuels et la nécessité de rechercher de manière créative des sources de revenus.
Une autre préoccupation, bien qu’elle ait une dimension positive, concerne la nature de notre apostolat à l’avenir dans les monastères masculins, et la manière dont nous pouvons répondre au mieux aux besoins de l’Église dans son ensemble.
Une préoccupation clairement positive est de savoir comment intégrer au mieux les monastères de femmes nouvellement regroupés, qui ont donné un sentiment de nouvelle vie aux monastères de moniales, en particulier. Cela apporte son propre défi car ils doivent travailler ensemble pour créer de nouvelles Constitutions qui expriment leur vision commune de la vie monastique.
L’EBC se trouve donc dans un moment de transition passionnant alors qu’elle renouvelle son sens commun de la mission et trouve de nouvelles façons d’être un outil dynamique d’évangélisation.
Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ?
Comme mentionné dans la question précédente, la priorité de l’EBC est de :
1. renforcer et, si nécessaire, consolider notre présence monastique dans les huit pays dans lesquels nous sommes présents. Créer de véritables communautés de foi et de fraternité.
2. Retrouver un sens renouvelé de la mission et une vision commune de la vie monastique qui nous permette d’être un outil d’évangélisation.
3. Grandir dans notre compréhension de la « communion », tant au sein de chaque monastère qu’en tant que Congrégation composée d’hommes et de femmes de différentes cultures et langues. Cette internationalité et cette diversité sont un don que nous devons explorer et entretenir.
4. Regarder avec courage où nous devons éventuellement fermer des monastères et fusionner, afin que nous puissions devenir plus forts et être plus efficaces pour attirer des vocations.
5. Jeter un regard nouveau sur la manière dont les visites canoniques sont faites afin qu’elles deviennent un moment important pour chaque communauté.
Notre récent Chapitre général a été un moment de grâce et de croissance vers une plus grande participation au sein de la Congrégation. Six commissions ont été créées pour examiner les domaines clés du renouveau et pour poursuivre et faciliter la discussion :
– Une possible période de formation partagée.
– La manière dont nous élisons l’Abbé Président et comment son Conseil élargi peut refléter l’internationalité et la diversité au sein de la Congrégation.
– Prendre au sérieux la formation continue de nos moines et moniales, spécialement dans la formation humaine.
– Réviser les Constitutions des moniales pour refléter l’histoire et les traditions des communautés nouvellement regroupées.
– Examiner la question de l’internationalité et comment nous pouvons respecter et utiliser les différentes cultures qui composent l’EBC.
– Un réexamen de la manière de faire des visites canoniques une expérience vivifiante et renouvelante.
Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ?
Le Bulletin fournit une riche ressource d’articles qui révèlent comment le charisme du monachisme est vécu dans de nombreuses régions différentes du monde. L’AIM peut être un véritable pont entre les monastères des pays en développement, qui explorent des manières nouvelles et créatives de vivre la Règle, et les monastères établis d’Europe et d’Amérique du Nord, etc. Il s’agit d’un dialogue important d’écoute et d’apprentissage les uns des autres. L’AIM a pour mission importante de rassembler ces différentes voix et expériences. Elle pourrait peut-être envisager un rassemblement intercontinental de moines pour partager des préoccupations communes et grandir en communion.
Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ?
La manière fructueuse avec laquelle la pandémie du Coronavirus a conduit à un renforcement des liens au sein de l’EBC a peut-être été une expérience significative. Les périodes de « confinement » prolongées ont conduit à une appréciation de la vie en communauté et à un dialogue à travers des « webinaires » qui ont alimenté un réel sentiment d’engagement intellectuel et fraternel. La pandémie de la Covid a également entraîné le report de notre Chapitre général, ce qui nous a donné une merveilleuse opportunité d’entrer dans un processus de préparation qui a impliqué chaque communauté, ainsi que tous les capitulants. Le Chapitre général lui-même a été un moment de véritable synodalité, une écoute fraternelle qui s’est traduite par la création de six Commissions pour approfondir le débat. L’expérience de ce Chapitre général nous a déjà incités à entamer un processus de rêve sur l’avenir, et à relever le défi de faire de nos rêves une réalité. L’immobilité n’est pas une option, nos préoccupations deviennent donc le moteur pour aller de l’avant.
Éléments de synthèse des réponses au questionnaire
3
Perspectives
Équipe internationale de l’AIM
Quelques éléments de synthèse
des réponses au questionnaire
Voici quelques points importants à partir des réponses au questionnaire de l’AIM :
Les principales préoccupations
– Le sens de la vie monastique dans le monde d’aujourd’hui : comment traduire et transmettre les valeurs de la vie monastique pour les générations nouvelles ?
– Leadership et formation : trouver des personnes appropriées pour ces services dans nos communautés.
– Le manque de vocations, le ralentissement des fondations et le nombre croissant de fermetures de monastères.
– Les efforts à déployer pour enraciner notre vie monastique dans la Parole de Dieu et la tradition monastique, et dans l’expérience d’un partage humain et spirituel.
– Comment sortir de la dichotomie et même parfois de la division entre membres des communautés, et entre individu et bien commun ?
– Avoir une sérieuse réflexion sur les relations entre l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud dans le monde monastique.
– La réception concrète de l’encyclique Laudato Si’ et de la logique synodale voulue par le pape François.
– Certains posent aussi la question du rapport aux familles (parents âgés ou malades et enfant unique) dans le contexte des cultures locales.
– L’importance de la relation des monastères avec la communauté locale, et la construction d’une vie partagée avec des laïcs qui veulent s’associer à une communauté monastique.
Les priorités auxquelles l’AIM peut apporter son aide
– L’exercice de l’autorité dans les communauté, avec la nécessité d’y réfléchir selon différentes approches, tout en cherchant à développer une compréhension profonde de ce service.
– L’aide à la formation à tous les niveaux :
• Formation pour les supérieurs et les formateurs, en intégrant les efforts des associations (régionales ou nationales).
• Formation professionnelle, spécialement en soutien des activités lucratives.
• Formation à la communication.
• Soutien des rencontres internationales de formation continue.
• Fournir des bourses pour assurer une bonne formation à des personnes-ressources au sein des communautés.
• Utiliser et développer des moyens concrets de contacts en ligne, en partageant du matériel de formation intellectuelle et spirituelle.
– Soutenir les communautés fragiles.
– Travailler la question de l’accompagnement des frères et sœurs âgés au sein des communautés.
– Être attentif à l’enrichissement mutuel entre membres jeunes et âgés.
– Fournir une sérieuse réflexion sur l’usage des bâtiments en relation avec la vie des communautés : l’AIM devrait proposer un forum sur cette question.
– La coopération et le travail avec des laïcs partageant les responsabilités au sein du monastère.
– Poursuivre le développement du bulletin de l’AIM et d’autres publications de l’AIM.
– Travail de l’AIM pour favoriser une prise de conscience du réseau que forment les communautés à travers le monde ; l’AIM pourrait être un pont entre le Nord et le Sud comme aussi entre l’Est et l’Ouest, en favorisant des échanges entre communautés et en partageant aussi la question de l’accueil des migrants et des réfugiés dans les hôtelleries.
– Aider les communautés à devenir économiquement autosuffisantes.
– Aider les communautés qui ferment à réfléchir à leur expérience et à imaginer des possibilités pour leur avenir et l’avenir de leurs membres.
– Favoriser les échanges de moines ou moniales entre communautés pour un temps ou de manière plus permanente.
– Encourager l’égalité des hommes et des femmes dans les Ordres et les Congrégations.
Récentes et importantes expériences
– Formation de nouvelles congrégations pour les sœurs avec tous les défis et toutes les opportunités que cela représente.
– Rencontres internationales de jeunes profès/professes comme cela a été le cas à Rome, dans un passé récent.
– Travail en commun des supérieur(e)s ou des communautés selon le processus de la synodalité.
– Collaboration récente entre les deux Abbés généraux cisterciens, l’Abbé-Primat et la Modératrice de la CIB.
Conclusion
Tout cela n’est pas vraiment nouveau, mais le fait que des responsables pointent l’importance du rôle de l’AIM dans tous ces défis, montre bien la nécessité de renforcer le travail et de se donner des moyens efficaces.
L’AIM continuera toujours de financer toutes sortes de projets, notamment liés à la formation dans les monastères, dans les congrégations, mais elle aura de plus en plus à jouer un rôle d’éclaireur pour avancer dans les meilleures conditions possibles, et pour répondre de plus en plus à l’appel du Christ qui cherchent des ouvriers en vue du Royaume. Qui que nous soyons, si nous lui répondons, il nous invitera dans la joie de la foi et de l’amour à l’avènement d’un monde nouveau.
Voyage au Canada et aux USA
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Nouvelles
Voyage au Canada et aux États-Unis
octobre 2023
Dom Jean-Pierre Longeat, osb,
Président de l’AIM
Le père Mark Butlin et moi-même avons accompli en octobre 2023 une visite de quelques monastères sur la côte Ouest des États-Unis, comme nous l’avions déjà fait dans le Middle West autour de Chicago en 2015.
Jeudi 5 - vendredi 6 octobre
Partis de Roissy en milieu de journée le 5 octobre, et après une escale de transit à Amsterdam, nous arrivons à Vancouver après quelques dix heures de vol. Nous sommes attendus à l’aéroport par le père Joseph, moine de Westminster Abbey, à quelques soixante kilomètres de là. C’est un ancien du cours anglophone des formateurs monastiques (MFP). Il connaît donc bien le père Mark et les retrouvailles sont chaleureuses.
Le père Mark est un vieux routier de l’AIM, cela fait presque quarante ans qu’il est au service de cette structure. Il a maintenant 91 ans mais il en paraît 20 de moins, et il est toujours vaillant pour accomplir n’importe quelle mission à travers le monde. C’est même lui qui a préparé le présent voyage ; il a pris tous les contacts avec les communautés, il a établi le programme et veillé à prévoir les déplacements entre Vancouver et Los Angeles. Je suis vraiment très admiratif d’une telle capacité à vivre pleinement.
Nous découvrons les beaux paysages de cette région entre mer et montagnes, non loin de la frontière des États-Unis. Le monastère est blotti au pied de la montagne. Nous arrivons de nuit. Un dîner nous attend.
L’office des Laudes est célébré dans l’église à 5 heures. Le bâtiment date du milieu du siècle dernier. La communauté est constituée d’une trentaine de moines dont beaucoup de jeunes et plusieurs aspirants ou postulants qui n’ont pas encore revêtu l’habit monastique. L’office est entièrement en anglais, dans une atmosphère très paisible et priante.
La messe est célébrée à 6 h 30. Elle se déroule en présence des étudiants qui y prennent une part active (en effet le monastère possède un petit collège de trente-deux élèves). La célébration est digne et en même temps très simple. Les chants sont en anglais sauf le chant d’entrée et la communion en grégorien. Le prêtre qui préside donne une homélie. Il y a une vingtaine de fidèles en plus des étudiants.
Dans la matinée, nous rencontrons le groupe des moines en formation. Ils sont une dizaine (postulants et novices). Nous parlons avec eux à bâtons rompus sur l’expérience monastique, nous présentons ce qu’est l’AIM. Nous répondons surtout à leurs questions qui ne manquent pas de pertinence : nous évoquons les formes extérieures de la vie monastique, nous convenons que l’important n’est pas la forme extérieure : c’est de partager le fait qu’une communauté vit en donnant tout son sens évangélique au style de vie qu’elle mène, en évitant d’absolutiser ses pratiques et de considérer qu’elles sont les seules valables.
Cela implique aussi que la Parole de Dieu soit au centre de la vie des communautés. Généralement les moines et les moniales qui parviennent à partager cette Parole d’une manière claire, tant dans la liturgie, dans la résonance de la lectio, dans des temps de Chapitres de lectio partagée, donnent une actualité à cette Parole qui permet un élan et un dynamisme très créateurs, quels que soient leur âge et leur nombre ! Ainsi la Parole de Dieu n’est pas seulement écoutée dans le secret de la cellule, mais elle circule entre tous pour être vécue au quotidien, avec cette part d’inédit qui donne à l’existence un goût de constante nouveauté et surtout de salut, de sortie de l’impasse. Cette Parole peut alors toucher les visiteurs, les hôtes de la communauté et être partagée avec eux d’une manière vivante et fructueuse. Il y a dans cette Parole une dimension universelle susceptible de toucher tous les cœurs, y compris ceux qui ne partagent pas explicitement la foi chrétienne.
Après cette belle rencontre, nous célébrons l’office du milieu du jour puis partageons le dîner. Le monastère possède un potager et les produits que nous consommons proviennent directement de ce jardin !
Dans l’après-midi le frère hôtelier nous fait visiter le monastère. Celui-ci a été fondé en 1939 et n’a cessé de grandir depuis. Il est désormais très étendu. L’église qui a été inaugurée au milieu des années 50 est très vaste avec une architecture de béton tout à fait originale. Les moines ont sollicité plusieurs grands artistes pour le décor de l’église qui comporte en particulier une statuaire impressionnante intégrée dans les murs. Il y a aussi un orgue puissant et un mobilier récent (dont les stalles) créé par un ancien moine de la communauté qui dirige maintenant une petit entreprise de menuiserie.
À 16 h 15, nous rencontrons longuement la communauté pour une présentation de l’AIM à partir d’un Power-point. C’est impressionnant de voir combien cette structure est mal connue des membres de nos communautés. Nous sommes plus sensibles à l’acquisition de notre autonomie qu’à la vaste construction d’une communion de communautés tel qu’y a encouragé le concile Vatican II. Les questions ne manquent pas après notre présentation.
Samedi 7 octobre
La matinée est un peu plus libre. Je vais me promener dans les espaces environnants. Le monastère est situé sur une haute colline ; de là on peut voir en contre-bas, un large fleuve et au loin, les montagnes enneigées. Tout cela est harmonieux et aucun bruit ni perturbation n’atteignent les hauteurs du monastère.
Nous nous rendons ensuite en voiture à la ferme. Ce sont deux frères qui en ont la charge. Il y a une cinquantaine de vaches ; deux veaux restent à l’étable, l’un d’eux sera bientôt tué pour remplir l’assiette des moines et des hôtes, tandis que l’autre sera gardé comme un mâle reproducteur. Le troupeau est voué à fournir de la viande, il est constitué de vaches charolaises dont certaines, exportées de France à l’âge adulte, n’obéissent qu’à des ordres donnés en français ! Il y a également quelques 150 poules qui fournissent les œufs pour la consommation de la communauté. Cette présence animale contribue fortement à l’équilibre de la vie du groupe.
Dans l’après-midi, certains moines ont souhaité qu’il y ait un prolongement de notre rencontre de la veille. Nous avions parlé de l’importance du rapport à la Parole de Dieu comme fondement de notre vie, si bien que plusieurs ont demandé un temps de lectio commune sur l’évangile du lendemain. Douze frères sont là pour ce moment d’un genre nouveau pour eux. L’évangile n’est pas facile, c’est celui des envoyés maltraités par les gestionnaires de la vigne. Après trois lectures lentes du texte, nous laissons monter ce qui sort des cœurs. Je suis émerveillé du partage qui a lieu alors. Nous touchons vraiment le cœur du texte et nous le mettons en rapport avec notre vocation monastique. Nous sentons bien que c’est la vitalité de Dieu qu’il nous est donné de recevoir ensemble. Comment les communautés chrétiennes ne comprennent-elles pas qu’il y a là la base de leur nourriture et le moyen de leur conversion ?
Nous donnons ensuite un écho du dernier travail de l’Équipe internationale de l’AIM à partir du questionnaire envoyé aux Présidents et Présidentes de nos Ordres et Congrégations de la Famille bénédictine. À partir des réponses, nous avons dégagé quelques accents que nous proposons au groupe. Les réactions sont vraiment excellentes. Quelques autres frères se sont rajoutés, ce sont tous des jeunes, ils sont assoiffés de sens et de vie. Cela promet de belles années à venir.
Suite à la visite des différents aspects du monastère dans la matinée, le père Mark me rapporte qu’il est très touché par la collaboration entre les jeunes et les anciens. Ces derniers ne sont pas très nombreux, mais ils jouent vraiment le jeu et participent à l’évolution de la communauté. On sent bien que la vie est portée en commun.
Les entrées ont progressé depuis environ 2004. Par quel phénomène ? C’est difficile à dire. Rien n’a été fait en ce sens, il n’y a pas eu de publicité, par de pastorale des vocations ou quoi que ce soit de ce genre. Le collège dont s’occupe les moines donne envie à certains élèves d’intégrer la communauté ; certains élèves viennent de loin, y compris d’Amérique latine.
Après les Vêpres suivies du repas et des Vigiles, nous disons au revoir à la communauté car demain matin, nous partirons après le petit-déjeuner pour rejoindre l’eucharistie dominicale à l’abbaye Saint-Martin de Lacey, à près de 400 km de là. Nous y serons conduits par frère Joseph, en voiture.
Dimanche 8 octobre
Après le petit-déjeuner, nous ne tardons pas à partir. Le passage à la frontière des États-Unis prend du temps. On doit montrer patte blanche dans les bureaux de la sécurité.
Nous arrivons au monastère vers 10 h 30. Nous sommes accueillis par le frère hôtelier qui nous conduit aussitôt à la sacristie pour nous préparer à la messe qui est célébrée à 11 heures. La communauté est au nombre d’une vingtaine de moines d’âges variés. L’église, tout en bois, rassemble beaucoup de fidèles qui se trouvent en demi-cercle derrière les moines. La liturgie est célébrée en anglais avec des pièces originales d’un compositeur local. L’organiste entraîne l’ensemble avec beaucoup de vigueur. Le moine qui préside l’eucharistie donne aussi l’homélie. Il se veut un peu provocateur en la commençant comme un conte : « Il était une fois… » C’est l’occasion pour lui de démontrer à quel point la fermeture institutionnelle peut être un piège. La parabole des vignerons homicides qui a été lue ne concerne pas que les Juifs mais nous-mêmes aussi, et il nous faut rester vigilants en matière de non-possession des biens qui passent entre nos mains.
Après la messe et notre installation à l’hôtellerie, le repas est en libre-service.
Le frère hôtelier, à la sortie du réfectoire, nous engage dans une grande visite des lieux. La propriété s’étend sur de nombreux hectares et comporte en bordure du monastère un immense campus avec quelques 1 500 étudiants. Ils se forment dans les domaines les plus variés : depuis les Lettres classiques jusqu’aux professions de santé, en passant par les sciences, la technologie, la musique… Quelques moines interviennent dans ce cadre, mais ce sont surtout des laïcs qui sont en poste. Nous découvrons les bâtiments construits époque après époque, sur une grande étendue.
Les Vêpres sont à 17 heures. Comme à la messe, les frères chantent des compositions très complexes à plusieurs voix : on sent que c’est dans leur tradition locale et ils l’assument pleinement.
Après les Vêpres, le repas est pris en self-service comme un temps de récréation. Je parle longtemps avec l’ancien abbé dont une partie de la famille, du côté de sa mère, a des origines françaises. Il ne parle pas et ne le comprend pas beaucoup, mais par contre, il sait caractériser une manière d’être française et nous plaisantons à ce sujet. Il évoque aussi l’histoire du monastère. Celui-ci a été fondé à la fin du 19e siècle lorsqu’un moine a été envoyé de l’abbaye de Collegeville pour la colonie allemande du lieu. Bien vite une école a été fondée autour de la paroisse et d’autres moines ont été envoyés pour cette nouvelle mission. Depuis, l’œuvre n’a cessé de prospérer. Il est clair que la vocation de ces moines est très liée à l’éducation. Leur établissement est réputé.
Lundi 9 octobre
L’office de Laudes à 6 h 30 : les psaumes sont alternés tout simplement en étant lus par strophes, alternés par les deux chœurs. Dans tout l’office, seule, l’hymne est chantée.
Dans la matinée, nous visitons la belle bibliothèque de l’Université.
L’office du milieu du jour est immédiatement suivi du déjeuner qui se prend au restaurant de l’université, dans une salle particulière réservée au moines. Le repas est accompagné d’un audio-livre.
Avant Vêpres nous rencontrons la communauté, malheureusement sans le Père Abbé car il se trouve à Rome actuellement pour régler quelques affaires. Il est seulement en charge depuis un an et demi. Il est d’origine vietnamienne mais vit depuis longtemps aux États-Unis. L’échange avec les frères est très riche. Tout le monde est surpris du fait que l’AIM n’est pas seulement un distributeur d’argent pour les projets des monastères mais aussi un observatoire de la vie monastique dans le monde et une aide pour accompagner les évolutions en cours. Nous décidons de nous retrouver après Vêpres pour poursuivre le débat pendant le repas. La discussion à bâtons rompus donne l’état d’esprit de cette communauté dont la vocation est incontestablement éducative mais qui le vit maintenant comme une présence ouverte, avec moins d’implication directe dans les activités du collège (même s’il en reste encore). Cela fait longtemps que ces frères sont sensibles aux enjeux de l’AIM, par le biais du Secrétariat de l’AIM aux USA. Ils apportent régulièrement une bonne contribution financière. Mais il nous faut essayer d’aller plus loin. Nous traversons un moment de changement radical et que des questions essentielles doivent être abordées clairement dans un partage commun.
Mardi 10 octobre
L’office de Laudes et le petit-déjeuner étant achevés, nous nous préparons pour le départ. Avant de nous envoler pour Sacramento, nous faisons, sous la conduite du père Justin, une petite halte chez les sœurs bénédictines de la congrégation St. Benedict qui tiennent un prieuré (St. Placid Priory) et un centre spirituel à quelques miles de l’abbaye Saint-Martin.
Très belle rencontre pendant une heure environ. La dizaine de sœurs qui forment cette communauté ne manque pas de dynamisme. Elles accueillent avec grand intérêt les accents que nous leur partageons sur le présent et l’avenir du monachisme dans le monde. Nous nous quittons sur des embrassades chaleureuses qui donnent bien la note de tout notre entretien.
La voiture prend ensuite la direction de l’aéroport de Seattle, à environ une heure de distance. De là, nous nous envolons vers Sacramento.
À l’arrivée, nous sommes accueillis par le Père Abbé Paul-Mark, de l’abbaye de New Clairvaux, dans laquelle nous allons séjourner pendant quelques jours. Pour nous rendre sur les lieux, il nous faut encore assumer deux heures de route.
Arrivés vers 18 heures, nous manquons les Vêpres de peu et sommes conduits rapidement au réfectoire pour une restauration rapide.
Après un bref échange dans le bureau du Père Abbé, nous nous rendons à la salle du Chapitre pour y être rapidement présentés à la communauté. Durant notre séjour, il y aura au moins deux rencontres avec la communauté et nous aurons affaire à plusieurs frères qui nous ferons découvrir différents aspects du monastère.
L’office de Complies se chante dans le noir. Il se termine comme il se doit, par un chant à la Vierge. Tout est empreint de beauté dans ce lieu. L’ensemble des bâtiments s’étend sur une très grande surface et entièrement de plein pied. Il y a des galeries de plein air couvertes d’une simple charpente, afin de relier l’ensemble. C’est comme un grand jardin entouré de bâtiments divers.
Mercredi 11 octobre
Vigiles à 3 h 30. Toute la communauté y est présente ! Le lecteur a une voix profonde ; il articule bien et je comprends vraiment tout ; il a pourtant un accent très prononcé. C’est un bonheur d’écouter cette voix au cœur de la nuit.
L’office est suivi d’un temps de silence d’une petite demi-heure. J’apprécie cette suspension dans le temps partagée en communauté. La qualité du silence est intense.
Petit-déjeuner et temps personnel se succèdent, puis viennent les Laudes et la messe à 6 h 30. Le Père Abbé nous fait ensuite visiter l’église qui, à elle seule, est une vraie curiosité pour laquelle on se déplace de loin. Effectivement, une partie de l’église est constituée d’une salle de Chapitre médiévale importée d’Espagne. Ce fut une longue histoire et la construction n’aboutit que dans les années 80. Non seulement le Chapitre fut reconstruit, mais l’architecte y fit adjoindre une partie moderne qui ouvre la perspective sur la nature avec des verrières en arcades surmontées chacune d’un œil de bœuf stylisé. Le mobilier a été conçu dans cet esprit de modernité et de tradition confondues et le résultat est tout à fait heureux. Il y a aussi un orgue venu d’une communauté religieuse proche qui souhaitaient s’en défaire, une très belle chapelle du Saint-Sacrement attenante et un couloir d’entrée qui introduit bien à l’ensemble. Nous y consacrons un article dans ce numéro du Bulletin de l’AIM.
Après l’office de Tierce, le Père Abbé nous confie au père Thomas, ancien abbé du monastère qui fêtera bientôt ses 90 ans. Le père Thomas, dont la simplicité et la spontanéité sont désarmantes, nous fait visiter la belle bibliothèque qu’il gère lui-même. Il y a là environ 40 000 volumes. C’est la plus grande bibliothèque trappiste des États-Unis ! Les supérieurs successifs de ce monastère ayant eu un souci approfondi de la formation ont réussi à constituer une bibliothèque de fond où l’on trouve toutes les grandes références, tant en matière de revues que de livres.
Après None, le frère Francis nous fait faire le tour de la propriété en voiture. En effet, les terres du monastères s’étendent sur 600 hectares. Il y a une exploitation d’arbres fruitiers, surtout des pruniers et des noyers mais également des tomates. Tout cela est confié à une structure indépendante qui libère les moines de toute préoccupation et qui permet de tirer le meilleur profit de la récolte, un pourcentage revenant à la société en question et le reste, bien sûr, à la communauté. Il y a aussi une vigne avec toutes sortes de crus, notamment venus d’Espagne. Nous finissons la visite par la salle de dégustation ! La vigne comme les autres secteurs de l’exploitation bénéficient d’un traitement biologique.
Nous rencontrons la communauté après Vêpres pour leur partager le travail de l’AIM. La communauté connaît bien l’AIM-USA, le Père Abbé Paul-Mark a été membre du Bureau. Nous resituons cette œuvre bien utile dans l’ensemble de l’activité de l’AIM internationale puis nous partageons le résumé des réponses au questionnaire de l’AIM. Nous aurons, demain, une autre séance de travail avec la communauté pour recueillir ses remarques et ses questions.
Il y a beaucoup de frères étrangers ou d’ascendance étrangère dans la communauté, surtout venant du monde asiatique. Bien sûr, c’est une caractéristique des États-Unis en général mais tout de même, l’intégration reste un phénomène à accompagner. La communauté de New Clairvaux est l’une des plus prospères aux États-Unis, au moins chez les Trappistes, mais il serait intéressant de savoir sur la base de quel discernement quant à l’accueil des candidats. Quoi qu’il en soit, l’impression d’ensemble est très bonne et cette communauté fait certainement beaucoup de bien.
Jeudi 12 octobre
Dans la matinée, nous passons du temps avec le cellérier. Il est vietnamien. Il est présent depuis longtemps aux États-Unis. Il nous montre les locaux de la cellérerie qui occupe plusieurs pièces. Il nous présente un Colombien qui est depuis huit ans l’homme à tout faire du lieu. Puis nous découvrons la partie administrative de l’exploitation agricole, surtout de la vigne, ainsi que les différents ateliers où s’affairent un certain nombre de salariés. Les bâtiments sont à la mesure de l’immensité de la propriété ; ce sont d’anciens hangars qui couvrent une étendue importante où le travail ne manque jamais. Pourtant l’ambiance est sereine dans un état d’esprit tout monastique. Il y a encore peu de temps (quelques décennies seulement), les moines assumaient l’ensemble du travail ; il n’y avait quasiment pas de personnel laïque. Désormais, les moines sont libérés de contraintes trop techniques ; ils remplissent quelques postes de responsabilité dans l’administration des tâches lucratives, ou consacrent du temps à la gestion du monastère et l’accueil dans le cadre l’hôtellerie.
Dans l’après-midi, nous rencontrons longuement le Père Abbé qui nous présente plus en détails la configuration de sa communauté. L’internationalité qui la caractérise est finalement une note très californienne. Il n’y a rien d’extraordinaire à cela et il en va ainsi dans la communauté depuis longtemps : le fait que s’y côtoient des Chinois, des Vietnamiens, un Indonésien et je ne sais quelle autre nationalité avec des Américains de souche qui, eux-mêmes, ont des ascendances diverses dont certaines européennes, ne pose guère de problème à ses yeux. C’est au temps de faire son œuvre et de témoigner de cette universalité possible. N’est-ce pas là une des dimensions du royaume de Dieu ?
La rencontre du soir est bien animée. Les questions ne manquent pas dont celles de la collaboration et même de la communion partagée avec des laïcs ; c’est elle qui nous occupe le plus longtemps. Le Père Abbé évoque l’importance du Bulletin de l’AIM qui aide à réfléchir à certains sujets concernant l’évolution de la vie monastique. Nous sommes heureux de voir cette bonne participation, mais il faudrait beaucoup plus de temps pour approfondir tout cela et en tirer des conséquences concrète pour la vie courante de nos communautés.
Vendredi 13 octobre
La matinée est un peu plus libre avant notre départ à 10 h 30 pour l’aéroport de Sacramento. Sur la route nous nous arrêtons pour déjeuner dans un restaurant typiquement californien avec un décor de planches de bois et quelques chapeaux de cow-boys égarés.
À l’aéroport, il n’y a que très peu de monde. L’enregistrement et les contrôles de sécurité se font aisément. Nous atterrissons à Portland (Oregon) vers 16 h 45. Nous avons un peu de mal à trouver le moine venu nous chercher. Il se nomme Jean-Marie Vianney, il est vietnamien d’origine. Nous prenons la route pour Mount Angel, nous arrivons vers 19 h 30 au monastère où les Complies ont déjà été chantées. Nous sommes introduits immédiatement à l’hôtellerie.
Samedi 14 octobre
Vigiles, Laudes, petit-déjeuner s’enchaînent avec la messe qui poursuit la matinée. C’est un début de journée assez lourd. Après la messe, le Père Abbé nous entraîne dans une visite du monastère et de ses alentours. Il est devenu abbé lui-même en 2006. Il a pu développer dans son monastère une vision d’ensemble qui est d’une grande cohérence.
La communauté monastique de Mount Angel appartient à la congrégation suisse-américaine. C’est une fondation de l’abbaye d’Engelberg à la fin du 19e siècle. Elle regroupe actuellement une quarantaine de moines, avec des jeunes en assez grande nombre.
Elle s’insère dans un paysage ecclésial intéressant. Elle gère en effet un séminaire diocésain avec soixante-dix séminaristes pour un certain nombre de diocèse de la région. Plusieurs moines y interviennent ; le Père Abbé en nomme le recteur. Le bâtiment du séminaire est tout à fait remarquable. Il se situe en bordure du monastère, dans une grande pertinence avec l’architecture d’ensemble. Cette idée que des séminaristes puissent être formés en lien avec un monastère me semble tout à fait stimulante : c’est un encouragement à inscrire sa vie d’apôtre dans une assise spirituelle profonde, tant à titre personnelle que communautaire.
Nous visitons ensuite la bibliothèque qui est à la fois celle de l’abbaye et du séminaire. Elle a été conçue par le fameux architecte finlandais Alvar Aälto dont ce fut la dernière œuvre ; on peut la considérer comme son testament architectural. La visite de ce lieu me laisse bouche-bée. Les 300 000 volumes réunis là sont placés comme dans un sanctuaire de l’étude intellectuelle et spirituelle. L’agencement est non seulement pratique mais la beauté des formes et des espaces y est vraiment unique. C’est essentiellement une bibliothèque religieuse dans laquelle le silence est demandé dès l’entrée. Je ne peux retenir mon admiration en circulant au milieu des rayons.
Il y a ensuite un autre bâtiment construit par un autre architecte dont la fierté était de pouvoir envisager une œuvre à côté de celle de Alvar Aälto. Ce bâtiment est un institut monastique où des personnes et des groupes viennent recueillir un enseignement en lien avec la vie monastique comme aussi avec la culture littéraire, artistique, cinématographique d’hier et d’aujourd’hui. Les propositions sont très suivies. Il y a, par exemple, en juillet un grand festival de musique qui prend place dans le programme de cet institut monastique. Il y a même des activités sportives.
L’hôtellerie, construite également dans les dernières décennies, est tout à fait exceptionnelle. Lorsque nous la visitons, nous côtoyons toutes sortes de groupes qui sont en réunion dans diverses salles. Tout est parfaitement agencé et d’une grande beauté. Il y a aussi une terrasse. La salle à manger donne sur la nature avec de grandes baies vitrées, et Dieu sait si les paysages sont beaux autour du monastère situé sur une colline. Il y a là quarante-cinq chambres et la demande d’accueil est très soutenue. Le fait qu’il y ait un séminaire à Mount Angel met le monastère dans une dynamique pastorale d’accueil en lien avec tous les diocèses concernés.
Pour faire vivre tout cela, il y a environ quatre-vingt employés qui travaillent en étroite communion avec le monastère. Par ailleurs les ressources du monastère viennent de leur ferme intensive, de l’exploitation de 700 hectares de forêts, des placements et des dons (pour lesquels il existe un bureau spécial en charge d’en animer la politique). Les dons ne sont pas uniquement spontanés, ils sont aussi sollicités, et un moine est le directeur de cette unité de recherche de fonds.
Nous avons le temps de reprendre souffle avant l’office du milieu du jour et le repas.
La liturgie est entièrement en anglais. Les textes utilisés sont ceux prévus par le missel et l’antiphonaire. Ce sont des textes traduits et adaptés du latin et mis en musique par un moine. De mon point de vue, c’est tout à fait satisfaisant. Les mélodies grégoriennes ont été adaptées aux textes (ce qui est possible avec la langue anglaise) et l’ambiance de la prière ne diffère guère de celle d’une liturgie où l’on chante le répertoire grégorien classique. Il y a beaucoup de paix, de sérénité ; c’est une prière commune où l’on peut méditer à l’aise.
Dans l’après-midi, nous rencontrons la communauté pour parler de l’AIM. Tous les frères sont présents et un grand nombre pose des questions tout à fait intéressantes. On sent qu’il y a un désir de réfléchir ce qui est en train de se passer dans le monde et dans nos communautés. Les esprits sont ouverts et libres. La communauté est assez homogène. Il y a quelques étrangers parfaitement intégrés. J’imagine que tout ne doit pas être facile au jour le jour, mais en tout cas, cela ne se voit pas au premier abord. Nous décidons que ceux qui le veulent aient la possibilité de se retrouver après le repas durant la « récréation » pour poursuivre l’échange. C’est ce que nous faisons et le débat est tout aussi riche que dans l’après-midi.
Les Vigiles du dimanche terminent la soirée.
Dimanche 15 octobre
L’office de Laudes, ce matin, n’est qu’à 6 h 35 ! Nous pouvons bénéficier d’un temps personnel avant la messe de 9 heures. Celle-ci est célébrée solennellement avec un assez grand nombre de fidèles, ainsi que l’ensemble des séminaristes qui apportent leur concours aux chants. Tout est en anglais, mais dans le style grégorien. C’est simple, accessible et de bonne composition. À la fin de la célébration cependant, les moines et la foule chantent de bon cœur un choral de la tradition anglo-saxonne qui tranche un peu sur la sobriété du reste de la cérémonie.
Après la messe, le Père Abbé nous présente ce qui a été mis en place dans la communauté en matière de clarification et de visibilité des objectifs. Chacun sait ce qu’il engage et quel sens cela revêt au cœur de cette communauté. L’élaboration de ce plan de vie a été faite en commun avec tous les frères, et chacun peut s’y référer comme à un langage commun et à une même perspective. Un article de ce bulletin de l’AIM présente cette perspective.
À 11 heures, nous rencontrons la dizaine de jeunes moines encore en formation pour un dialogue libre qui fait suite à notre présentation de la veille. Nous partons justement du document présenté par le Père Abbé. La discussion va assez loin ; nous pouvons vraiment aborder des questions de fond sur le sens de notre vie, sur la qualité de la relation, sur la question de l’équilibre entre l’expression de la personne et le bien commun, etc. Je suis frappé de voir la diversité des jeunes moines qui sont là et leur capacité à dire les choses avec une telle liberté.
Je reviens sur l’importance de l’enracinement dans le partage de la Parole de Dieu et des textes qui en ont traduit le message dans la tradition monastique. La conversation se prolonge pendant une bonne heure.
Après le déjeuner et un temps de repos, vers 15 h 30, nous partons en voiture faire le tour de la propriété. Les moines possèdent en tout 2 000 hectares, forêts et terrains de culture compris. C’est dire si le tour du propriétaire peut conduire assez loin. Nous allons jusqu’à la petite ville voisine qui a pris elle aussi le nom de Mount Angel. Nous allons jusqu’à l’église paroissiale qui est fermée. Au retour, nous nous arrêtons à la brasserie du monastère. Les moines produisent en effet de la bière qui se nomme Benedictine et qui rencontre un assez beau succès. Nous visitons les locaux où la bière est fabriquée et nous prenons un verre dans la petite caféteria qui les jouxte. Pas mal de clients sont attablés dans une joyeuse ambiance.
Nous rentrons pour les Vêpres que suit le repas. Comme tous les dimanches soirs, c’est un repas où l’on parle et où il y a possibilité de boire un peu de vin et d’autres boissons. Ensuite nous partageons un temps de rencontre récréative avec la communauté. Nous reprenons des thèmes évoqués dans les partages précédents. Ne sont présents que ceux qui le souhaitent, ce qui permet de donner la parole à tous sur les impressions qu’ils gardent de tout ce qui a pu être échangé.
L’office de Complies termine la journée. Demain le départ sera à 5 h 15 pour rejoindre l’aéroport de Portland et revenir en Californie, au monastère de New Camaldoli où l’expérience sera encore bien différente.
Lundi 16 octobre
Le voyage se passe au mieux, en voiture d’abord puis en avion, jusqu’à Monterey, en passant par San Francisco. À l’arrivée, nous sommes accueillis par un postulant des Camaldules chez qui nous devons aller. Il a conduit le Père Prieur chez le médecin et doit le reprendre après nous avoir récupérés à notre descente d’avion. Le temps de passer chercher le père Ignatius, il est déjà tard ,et comme il y a un peu de distance pour aller jusqu’au monastère, nous décidons de nous arrêter quelque part pour manger.
Nous arrivons au monastère en début d’après-midi après avoir surplombé la côte à travers une sinueuse route de montagne. Les paysages sont à couper le souffle. Le monastère des Camaldules est situé sur la hauteur et l’ensemble des bâtiments constitue comme un petit village. Nous nous installons et nous rejoignons l’église à 17 heures pour les Vêpres et la messe. Il y a là une douzaine de frères et quelques hôtes. Le prieur préside l’office et improvise une homélie tout à fait stimulante.
Le soir, il n’y pas de repas en commun, chacun s’arrange dans son ermitage. La soirée se termine ainsi, chacun se retire chez soi jusqu’au lendemain pour les Vigiles à 5 h 30.
Mardi 17 octobre
Les Camaldules forment un Ordre monastique de droit pontifical fondé par saint Romuald de Ravenne en 1012 à Camaldoli, en Toscane (Italie), sous la règle de saint Benoît. Les moines camaldules allient la vie commune de travail et de prière à l’érémitisme. Ils habitent donc en général des ermitages et se retrouvent pour quelques activités communes : certains offices, repas, temps de chapitre, de travail ou de détente. Leur vie de solitude est moins radicale que celles des chartreux mais c’est un peu la même inspiration, dans un style bénédictin.
Ce matin, après les Laudes, nous rencontrons la communauté. Nous procédons de la même manière que dans les autres lieux. L’écoute est attentive. On sent là aussi un véritable intérêt. Nous décidons de nous rencontrer à nouveau le lendemain pour pouvoir dialoguer plus en profondeur.
Le père Mark vient de recevoir un message de la part du monastère de Valyermo qui devait être notre dernière étape. Ils ont eu deux décès et ne vont pas être en mesure de nous recevoir. Nous resterons donc à New Camaldoli jusqu’à la date de notre retour en France.
Nous déjeunons avec la communauté. Paradoxalement, les frères parlent en prenant en commun ce repas, sauf le vendredi où le repas est en silence. Le soir, ils préparent eux-mêmes leur cuisine dans leurs ermitages.
Mercredi 18 octobre
Ce matin, nouvelle et belle rencontre avec la communauté pour réagir à notre exposé d’hier. Ce sont vraiment de très bons moments. Et comme nous sommes là encore les jours suivants, nous décidons de garder des moments de rencontres où les moines de la communauté seront libres de venir ou non.
Jeudi 19 octobre
Nouvelle rencontre le matin, en cercle plus restreint avec la communauté, mais rencontre passionnante avec des questions tout à fait majeures sur toutes sortes de sujets de la vie de nos communautés : où faire les études, les séjours de formation à l’étranger, les questions d’interculturalité, les fermetures, la manière de vivre quand on sait que la communauté va fermer, le recentrage sur l’inspiration évangélique…
Vendredi 20 octobre
C’est aujourd’hui notre dernier jour complet aux USA. Demain nous prendrons l’avion du retour à Los Angeles.
Dans la matinée, le Père Prieur Ignatius nous propose d’aller au sommet de la montagne, au-dessus du monastère, pour avoir un point de vue imprenable. Nous y montons en voiture, une espèce de vieille guimbarde tout terrain dans laquelle on fait un peu le ménage avant de s’y asseoir. Elle est conduite par frère Carlos, un novice mexicain qui aura été notre ange gardien durant tout notre séjour. Nous nous arrêtons à mi-chemin près d’un lac qui semble sorti tout droit d’une fiction romantique. On y évoque les anciens autochtones de ces lieux, des indiens qui ont depuis longtemps migré dans les villes où ils ont bien réussi dans les affaires, tout en tentant de maintenir leur identité propre. Nous évoquons les bêtes sauvages qui existent encore dans ces montagnes : les bobcats et même des lions (pumas). Notre chauffeur a déjà croisé un bobcat, ce genre de félin qui se présente comme un chat sauvage de grande taille et dont la seule vue ne met pas très à l’aise.
Un peu plus loin, Carlos nous fait découvrir un rocher dans lequel sont creusés des trous où reposent des pierres taillées qui servaient à broyer le grain dans les cavités. C’était une pratique courante des Amérindiens de Californie.
Nous poursuivons la route jusqu’au sommet des monts où, en effet, le point de vue est à couper le souffle. C’est un émerveillement. Nous apercevons en contre-bas les ermitages et les bâtiments du monastère cachés entre les arbres ! Les moines installés là depuis les années 50 ont aménagé tout l’espace. Ils ont créé les routes de montagne en sol battu et empierré. Ils ont conçu l’architecture et l’aménagement de leur monastère avec l’aide d’amis compétents. Ils assument encore ici, dans ce coin totalement perdu des montagnes californiennes, une vie monastique tout en équilibre de solitude et de partage communautaire. Leurs visages témoignent de la beauté de leur vie, même si bien sûr, il ne faut pas l’idéaliser.
Il est temps de redescendre. Notre chauffeur fait une manœuvre sur le chemin étroit pour amorcer un demi-tour, il s’avance un peu sur les bordures de la route. Mais au moment de faire marche arrière, les roues arrières de la voiture ne parviennent plus à reculer et creusent le sable jusqu’à tourner dans le vide. Le véhicule est bloqué, nous ne pouvons redémarrer. Le téléphone ne passe pas dans ces lieux retirés. Il n’y a plus qu’une solution : redescendre à pied pour aller chercher du secours. Nous sommes à environ deux heures de marche des ermitages. Carlos part au devant de nous d’un pas rapide. En fait, il court tout le long de la descente. Je suis seul avec le père Mark et, comme de vieux aventuriers rompus à toutes sortes de circonstances contraignantes, nous rions de la situation. Intérieurement, je ne suis tout de même pas très à l’aise car le père Mark ne peut envisager de marcher bien longtemps sans éprouver de la fatigue. Je lui trouve un bâton de marche sur le bord du chemin et nous avançons à petits pas. Nous allons au gré du vent, nous ne connaissons pas l’itinéraire et certains carrefours nous laissent perplexes. Au bout d’un moment, nous avons l’impression d’être un peu perdus au milieu de ce no man’s land. J’ai peur de voir apparaître soudain un bobcat sorti dont ne sait où ! Nous gardons notre sens de l’humour et le père Mark, une nouvelle fois, fait mon admiration. Je pense que peu de personnes de cet âge seraient en mesure de faire face aussi généreusement à une telle situation. Nous finissons par entendre des bruits de voitures. Notre chauffeur a couru si vite qu’il nous a retrouvés en peu de temps, accompagné de grands gaillards qui travaillent au monastère et qui seront capables d’aller sortir notre véhicule de l’endroit où il est bloqué. Frère Carlos est totalement en sueur et encore essoufflé. Nous peinons pour lui. Mais l’aventure est finie. Nous revenons au monastère dans un nouveau véhicule et nous rejoignons aussitôt la messe qui vient de commencer.
La journée se passe paisiblement et le soir, après les Vêpres, un dîner récréatif nous rassemble avec l’ensemble de la communauté. Une fois par mois, les frères prennent ce temps libre qu’ils apprécient. Ce soir c’est aussi une manière de nous dire au revoir. Il y a un peu de vin de Californie ou de Nouvelle-Zélande et quelques bières de différentes provenances. À la fin de ce temps, nous échangeons quelques remerciements. Le Père Prieur nous offre deux livres sur l’histoire de leur monastère et sur celle des Camaldules. Il y a beaucoup d’émotions dans ces moments fraternelles. Nous remontons ensuite dans nos ermitages respectifs pour la dernière nuit.
Samedi 21 octobre
Ce samedi est vraiment notre dernier jour en terre américaine. Nous célébrons la messe le matin à 6 h 30 avec la communauté, puis nous embarquons pour Monterey où nous prendrons l’avion vers Los Angeles et Paris.
Nous nous embrassons avec effusion et promesse de retour, comme toujours en ces cas-là. Ce sont des promesses sincères mais qui ne peuvent pas toujours se réaliser… Nous le savons bien. Mais sur l’instant nous y croyons plus que jamais !
Atterrissage à Paris le dimanche 22 en fin de matinée avec une demi-heure d’avance. Le temps est plutôt gris. La Californie est loin. Je m’entends parler français ! Mission accomplie !
Une tentative pour une vision partagée
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Réflexions
Dom Jeremy Driscoll, osb
Abbé de l’abbaye de Mount Angel (USA)
Une tentative pour une vision partagée
Le tableau présenté ci-dessous tente de résumer visuellement en courtes phrases la vision sur la manière d’organiser la vie d’une communauté monastique. Toute la vision est enracinée dans la devise : « Cherchez les choses d’en haut ». Ce verset de Colossiens (3, 1) est censée évoquer l’ensemble du passage que saint Paul développe sur la base de cette exhortation. Colossiens 3, 1-17 est la perspective que nous pouvons suivre, énoncée en termes bibliques avec l’autorité des Livres saints. Certains versets peuvent être compris en rapport avec la conversion monastique : « Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre » (Col 3, 5), faisant ensuite référence à une liste de vertus et de pratiques que la vie communautaire monastique cherche à développer (Col 3, 12-17).
Cette vision scripturaire se décompose en cinq piliers, chacun rendant explicite un domaine particulier de ce que l’on peut décrire comme « la voie monastique et le chemin tel que l’abbaye de Mount Angel tente de le vivre ». Être un monastère nous établit dans une forme particulière de vie religieuse au sein de l’Église, profondément enracinée dans des traditions qui doivent nous former constamment. Mais il existe de nombreux styles et de nombreuses approches dans la voie monastique. À travers son histoire, Mount Angel a établi son propre style et ses propres traditions au sein de la vie monastique. Ces deux dimensions de notre riche passé nous guident dans notre présent et dans nos avancées vers le futur. Nous ne sommes pas simplement tenus de répéter le passé, mais toutes les nouvelles actions et décisions que nous prenons pour le présent et le futur doivent être dans une continuité intelligente, consciente et réfléchie avec le passé.
Premier pilier : « Mise en lumière du comment et du pourquoi »
Le caractère unique de la voie monastique ne s’enracine profondément que s’il est proposé à haute voix, régulièrement, et qu’il est abordé constamment par l’approfondissement des sources monastiques abordé. Je pense que cela constitue l’une des principales responsabilités de l’abbé. On peut rassembler sous ce pilier plusieurs façons concrètes de vivre cette clarté du comment et du pourquoi dans nos communautés. Sans prêter attention à ce pilier, nous risquons d’être une communauté de bons-vivants sans rien de spécifiquement monastique. Les rubriques placées sous chaque pilier doivent être fluides dans leur formulation : on peut cocher des éléments au fur et à mesure que les objectifs sont atteints.
Deuxième pilier : « Ensemble »
Cela souligne la valeur et la force du monachisme cénobitique dans la version qu’en donne la règle de saint Benoît. Tout au long de la Règle, saint Benoît légifère et exhorte, petits et grands, à des pratiques qui sont stimulantes pour toute la communauté. Nous ne sommes pas d’abord des individus vivant ensemble dans le même bâtiment, mais nous nous dirigeons vers Dieu en corps collectif, et Dieu vient vers nous avec des grâces qui font de nous un seul corps : c’est le nos pariter (tous ensemble) de la finale de la sainte Règle au chapitre 72. Sous ce pilier s’énoncent différentes voies du vivre ensemble. L’abbé et la communauté doivent continuellement rechercher les moyens de renforcer ces liens communautaires.
Troisième pilier : « Présence et guidance de l’abbé »
Saint Benoît accorde une grande importance au rôle de l’abbé dans la communauté. Ceci est expliqué en détail dans RB 2 et 64, mais aussi tout au long de la Règle pour les petites et les grandes choses. Ici, la communauté ressentira inévitablement l’impact de celui que Dieu, à travers le discernement de la communauté, a placé dans le rôle de l’abbé. Un abbé particulier sera capable de faire ce que ses propres dons et son expérience lui permettent, avec nécessairement certaines lacunes. Pour ma part, à Mount Angel, je souhaite développer un programme d’enseignement pour la communauté sur la manière de vivre le Mystère du Christ et de se laisser façonner par la tradition monastique. Je veux trouver le courage nécessaire pour inciter la communauté à une plus grande croissance, et en même temps créer une certaine souplesse et une certaine joie en donnant moi-même l’exemple autant que possible. Je suis conscient que la communauté dans son ensemble a besoin de la présence de l’abbé dans la vie quotidienne, et je suis conscient que de nombreux moines, sinon la totalité, souhaitent bénéficier de l’attention personnelle du Père Abbé. J’avoue ne pas pouvoir être présent à tous comme je le voudrais, et je suis preneur de moyens nouveaux de la part de la communauté pour m’aider à répondre mieux à cette exigence.
Quatrième pilier : « Contribuer à l’Église dans le monde »
Ce pilier reconnaît la manière dont la vie monastique, tout au long de l’histoire de l’Église, a eu un impact particulier que l’on peut qualifier de « contribution monastique ». Mount Angel lui-même a eu son propre impact dans la région et, en fait, dans tout le pays comme aussi dans diverses parties du monde. Je vois que la communauté est vraiment appelé à poursuivre cette contribution afin de donner de l’énergie et du sens à notre vie ensemble. Sous ce pilier sont regroupés notre travail, en particulier au séminaire, à la bibliothèque et à l’hôtellerie ; on y trouve aussi divers niveaux d’implication dans le travail paroissial, qui a toujours été liée inextricablement à la vie monastique de Mount Angel tout au long de son histoire. Je pense que nous sommes maintenant dans une nouvelle ère où l’Église se tourne plus que jamais vers nous pour apporter cette contribution monastique particulière en matière d’hospitalité, de culture, d’apprentissage, et dans un autre style pastoral et théologique.
Cinquième pilier : « Progresser dans ce mode de vie »
La tradition monastique insiste sur le fait que notre vie de foi est un processus qui nécessite une attention continue et qui doit être encouragé. Il n’y a jamais de point d’arrivée où nous pouvons nous reposer confortablement et dire que nous avons terminé. Il s’agit d’un pilier par lequel l’abbé et les frères s’encouragent mutuellement pour grandir. Cela signifie être prêt à faire les choses différemment – non seulement être différent soi-même en tant que tel, mais avoir le courage de faire les choses différemment ensemble si les circonstances l’exigent. Il faut de la sagesse et de la modération pour trouver le bon équilibre, la bonne justesse. Sous ce pilier, un verset du chapitre 64 de la règle de saint Benoît peut nous guider : « Que les forts désirent davantage et que les faibles ne se découragent pas ».
Vivre une communauté monastique multiculturelle
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Témoignage
Dom Paul Mark Schwan, ocso
Abbé de New Clairvaux, Vina (États-Unis)
Vivre une communauté monastique
multiculturelle
Notre monastère Notre-Dame de New Clairvaux, Vina, Californie, est situé dans la partie nord de l’État. Notre communauté monastique, le plus souvent appelée Vina, reflète la population ethniquement diversifiée de l’État de Californie, où aucun groupe ethnique ou linguistique ne constitue une majorité. Nous sommes tous des minorités.
Actuellement, notre communauté monastique est composée des ethnies suivantes : vietnamienne, singapourienne, canadienne, philippine, chinoise, hispanique et euro-américaine. Comment vivons-nous la réalité pratique de cette diversité toujours présente dans notre communauté ?
En tant que communauté trappiste, notre appel commun au baptême et son expression vocationnelle particulière dans une école de charité sous la règle de notre père saint Benoît, la direction de notre abbé et l’impératif d’être amoureux du lieu, des frères et de la Règle, sont des facteurs unificateurs essentiels qui forment la culture monastique particulière de Vina. Cela transcende nécessairement les origines ethno-raciales des dix-neuf moines de notre monastère. Néanmoins, la réalité concrète de vivre, de se comprendre, de s’accepter et de se respecter les uns les autres, ce qui est déjà assez difficile dans un cadre monoculturel, est d’autant plus mise à l’épreuve dans le cadre multiculturel de Vina.
Avant d’aller plus loin dans l’articulation de mon expérience de berger de notre communauté monastique multiculturelle, j’aimerais d’abord définir la culture et comment je comprends la vie multiculturelle. Je propose des idées tirées de deux livres utiles : The Bush was Blazing but not Consumed et God is Rice.
Qu’est-ce que la culture ?
Le concept ne peut pas être limité à la race et/ou à l’origine ethnique. La culture englobe toute l’expérience de la vie. Cela inclut nécessairement un système de valeurs, de croyances, de perceptions, d’hypothèses, de modèles, de mœurs et de pratiques. Une partie de cela est consciente, mais je crois que la partie inconsciente est bien plus importante. Ce système culturel est ce qui fournit le prisme à travers lequel chacun d’entre nous est capable d’interpréter, d’évaluer et de réagir à la vie et à notre environnement. La vie est un grand mystère qui peut parfois sembler hostile. Tous les systèmes culturels sont des tentatives visant à réconforter et à abriter une personne, à réduire son anxiété en expliquant les forces qui peuvent miner la famille, la communauté, la société et la nation. Par conséquent, un système culturel est ce qui contribue à fournir un échafaudage d’éléments unificateurs qui édifient des structures pour maintenir ensemble un corps collectif de personnes en toute sécurité.
Dans une communauté multiculturelle comme la nôtre, le caractère unique des cultures représentées dans le monastère ne peut être détruit. Par exemple, un candidat venant de l’extérieur des États-Unis rejoignant Vina, ne sera pas transformé en Américain, même si la société plus large dans laquelle le monastère se trouve a un impact. Non, le candidat vient à nous en réponse à un appel de Dieu pour vivre l’Évangile en tant que moine. Ainsi, le candidat entre dans la culture monastique telle qu’elle se trouve à Vina, et se forme pour être moine au sein du charisme du monachisme trappiste.
L’identité du candidat est préservée dans la formation mais en lui apprenant à engager un dialogue constructif avec les autres. Le respect et le soutien sont cruciaux de la part de toutes les personnes impliquées. C’est un critère fondamental dans tout programme de formation sain. Équilibrer la communication avec l’autre et en même temps reconnaître son identité authentique permettent aux deux parties d’apprendre l’une de l’autre, de grandir, de changer (conversio) et d’acquérir une identité, une cohésion et un esprit collectifs (communio). C’est la transformation évangélique, le but même de la vie monastique.
Lorsque je reçois un candidat issu d’une culture différente de celle de la communauté d’accueil, deux choses me sont utiles. Premièrement, connaître et comprendre davantage ma propre culture. C’est une expérience enrichissante. Deuxièmement, connaître le plus possible la culture du candidat reçu. Par exemple, j’ai tellement lu sur les différentes histoires et cultures présentes à Vina que je peux finalement avoir une meilleure connaissance que le candidat n’a sur sa propre culture. Mais comme on l’a dit, la culture est bien plus que la connaissance des faits, c’est un mode de vie complet profondément enraciné dans l’esprit de chacun.
Sans surprise, certains aspects de ma propre culture sont souvent inconscients et ne peuvent refaire surface de manière consciente que par l’étude et la réflexion. Cela fait partie de l’ascèse monastique : la croissance dans la connaissance de soi (humilité). Avec une nouvelle appréciation de ma propre culture, je dispose d’un vocabulaire qui rend possible les questions que je peux poser au candidat et grâce à celles-ci, il peut partager avec moi la richesse de sens de sa culture au croisement de nos valeurs monastiques et celles de la culture américaine plus large dont il fait désormais partie.
Si l’anglais n’est pas la langue maternelle du candidat, il est alors nécessaire de proposer des cours de langue. Notre pratique consiste à embaucher un professeur qualifié d’anglais comme deuxième langue pour envisager l’entrée au monastère. Les cours ont généralement lieu plusieurs fois par semaine. La durée du cursus s’étend de un à deux ans selon les capacités du candidat. Il s’est avéré précieux, voire essentiel, que, plus tard, le candidat soit exposé à la culture américaine dans son ensemble. Pour ce faire, nous inscrivons le candidat à des cours d’anglais proposés aux étudiants étrangers à l’université d’État voisine. Le programme universitaire est destiné à préparer ces étudiants à l’entrée à l’université. Dans le cadre de ce programme, nos candidats ont passé les examens TOFEL pour tester leur maîtrise de l’anglais. L’examen confirme le niveau d’anglais de nos candidats car il indique leur degré de compréhension de la langue, cette occasion ne se représentera pas.
Nous avons également pris des dispositions pour que des coachs linguistiques et d’autres tuteurs travaillent avec les candidats sur la réduction de l’accent ou pour améliorer leurs compétences en écriture et en lecture. Nous les avons inscrits à des programmes similaires disponibles dans le diocèse dont nous faisons partie.
Depuis longtemps, les monastères trappistes des États-Unis proposent un cours de deux semaines sur la théologie monastique pour tous les simples profès, organisé dans un monastère différent à chaque session. Cela permet à nos candidats de découvrir les autres monastères et de rencontrer d’autres jeunes en formation de l’Ordre trappiste, ici, aux USA. En outre, après les vœux solennels, il est possible d’effectuer des études théologiques supérieures dans diverses écoles bénédictines de théologie, si cela est jugé utile. Cela est également utile dans le domaine de l’inculturation.
Un autre outil utile ici, à Vina, pour construire une communauté multiculturelle sont les ateliers sous la direction de professionnels formés aux échanges multiculturels.
Vivre avec une diversité de cultures, même unis sous la bannière d’une culture monastique commune, nécessite une conversion continue de la part de tous les moines. Il y a d’abord le fait d’apprendre à accepter l’anglais parlé avec une variété d’accents. Compte tenu de l’usage courant de l’anglais dans le monde aujourd’hui, où l’anglais n’est-il pas parlé avec un accent ? Chaque anglophone parle avec un accent. Quel accent est le bon, le diplômé d’Oxford, ou le gars de l’arrière-pays australien, ou de n’importe où entre les deux ? Néanmoins, la nécessité de faire preuve de patience et de développer la pratique d’une écoute attentive lorsqu’un texte est lu avec des accents variés est exigeante et se transforme parfois en frustration. Certains frères, ici, à Vina, se réfèrent à la règle de saint Benoît, affirmant que seuls les lecteurs capables d’aider leurs auditeurs devraient être autorisés à lire. Le résultat pourrait être que peu de frères, voire aucun, seraient disponibles pour une lecture publique ici, à Vina !
Un autre défi est de savoir comment apporter des corrections. Les cultures du monde entier ont chacune leur manière particulière de corriger les comportements inappropriés. Saint Benoît expose une méthode de correction en plusieurs chapitres de sa Règle ; il serait difficile de le mettre en œuvre dans la plupart des cas, et dans toutes les régions du monde aujourd’hui. Mais il est indispensable que des corrections soient apportées au monastère. Certaines cultures abordent la question de la correction des fautes de manière très directe, tandis que d’autres sont plus indirectes. Il est important que lorsque la correction est effectuée, la personne corrigée soit respectée et que le moine effectuant la correction soit sensible à la dignité de l’autre. Réfléchissons à deux fois avant d’en corriger un autre ! Il y a un autre aspect de la correction à Vina qui est parfois trop négligé : quel que soit le soin avec lequel la correction est formulée, le frère corrigé peut ne pas comprendre tous les mots ou ne pas saisir les subtilités nuancées du vocabulaire anglais. Le résultat peut provoquer des malentendus, du ressentiment et de la colère.
La valeur des mots, dans n’importe quelle langue, comporte une multitude de nuances. Pour quelqu’un qui apprend l’anglais, ces nuances ne seront probablement pas perçues. Celui qui est né anglophone doit reconnaître que l’autre ne saisira probablement pas ces nuances. D’où la nécessité d’utiliser un vocabulaire de base. Dans ce processus, le locuteur natif peut implicitement penser que l’autre est moins intelligent, moins instruit et se montrer condescendant, voire dédaigneux, à l’égard de l’autre. La nécessité, pour celui dont l’anglais est la langue maternelle, est de faire preuve de patience impérativement lorsque celui qui parle l’anglais comme une seconde langue essaie d’exprimer des expériences intérieures significatives tout en manquant du vocabulaire anglais nuancé pour le faire.
Le rôle du langage corporel ne peut jamais être sous-estimé dans la communication interpersonnelle. Quelle est la distance appropriée entre deux personnes lorsqu’elles communiquent entre elles ? Dans la culture américaine, environ un mètre est considéré comme la distance physique confortable entre deux personnes. D’autres cultures s’attendent à ce que la distance physique soit plus proche ou plus éloignée. Dans certaines cultures, le plus jeune tient la main du plus âgé lorsqu’il s’adresse à lui sur un sujet important. Cela exprime le respect et la soumission du plus jeune. Une autre expression culturelle du respect est qu’un plus jeune marche derrière et aux côtés d’un plus âgé, jamais côte à côte comme un égal. Dans d’autres cultures, il est considéré comme approprié d’entrer simplement dans le bureau du supérieur sans frapper. Mais pour d’autres cultures, lorsqu’on lui donne la permission d’entrer, il convient de s’excuser avant d’entrer.
La place que la nourriture occupe dans notre communauté monastique est liée au langage corporel. La nourriture, en elle-même, recèle un trésor d’expression culturelle. Ce qui est préparé, comment cela est préparé, comment c’est servi, à quel moment et comment c’est consommé sont autant d’éléments importants. Nous avons un frère chargé de superviser la cuisine ; il veille à la qualité, la quantité et la consommation de la nourriture, mais un certain nombre de frères se relaient pour cuisiner. Suivant les principes fondamentaux du jeûne trappiste, de l’abstinence et de la simplicité, le frère cuisinier du jour prépare des plats qui lui sont familiers. Pour nous, cela signifie une alimentation variée, reflétant la culture d’origine des frères et qui exige, pour chacun d’entre nous, un ajustement de notre alimentation.
Un autre thème à considérer est le fait qu’on ne saurait trop insister sur l’importance du respect et de l’honneur dus aux expressions culturelles de l’autre. L’origine de beaucoup de nos frères est l’Asie. Pour eux, la nouvelle année lunaire est l’événement festif central autour duquel s’articule toute l’année. C’est une célébration qui contient des rituels intemporels de souvenir, d’histoire et d’identité en tant que peuple, famille et personne. Considérer le nouvel an lunaire comme étranger et dénué de sens au sein de notre communauté parce que ceux d’entre nous, Américains de souche qui y seraient indifférents, feraient violence à l’identité d’autrui. C’est plus qu’un manque de respect ; cela signifierait implicitement que j’ai peu ou rien à apprendre de mon frère. La communauté multiculturelle est nécessairement bilatérale, elle est appelé à vivre dans l’échange. Nous recevons, donnons et apprenons les uns des autres.
Enfin, il est important de parler du rôle de la famille et de la manière dont l’hospitalité s’exprime lors de l’accueil de la famille dans une communauté multiculturelle. Notre pratique trappiste reste stricte en ce qui concerne les visites familiales. Ce sont nos familles qui, habituellement, viennent nous visiter au monastère. En règle générale, nous ne rendons pas visite à nos familles, même s’il existe des exceptions. Les familles de nos frères venus de pays étrangers sont souvent dans l’incapacité d’obtenir des visas, et ne peuvent pas non plus payer les frais de voyage. C’est une exception lorsqu’on permet aux frères de rentrer chez eux. À cela s’ajoute l’implication dans les affaires familiales autour des questions de santé, de maladie et de finances. Notre mode de vie cistercien limite l’implication dans ces préoccupations mais il n’est pas si facile de former des frères à ce renoncement radical à la famille, et encore moins de transmettre cette valeur aux familles. Un discernement minutieux doit être fait pour savoir si et comment aider la famille lorsque ces problèmes surviennent. Le moine doit se former à l’ascèse monastique dans un sain détachement de la famille. Il est également important que le monastère ne soit pas perçu comme une ressource financière.
Le cœur humain est complexe et l’amour est un mystère. Ni l’un ni l’autre n’échappent à la compréhension, mais ils ne se révèlent pas non plus facilement sinon à accepter qu’ils nous visitent de l’intérieur au plus profond. Ce voyage intérieur est bien sûr un aspect crucial de la vocation monastique. Combiné avec notre témoignage monastique multiculturel à Vina, c’est, je crois, ce dont notre monde polarisé et craintif a besoin. Une telle diversité dans notre communauté monastique est un défi mais les bienfaits sont tellement grands : élargir mes horizons, voir la vie sous un angle différent, sortir de mes propres zones de confort, telles sont quelques-unes des récompenses que j’ai reçues en vivant dans une communauté multiculturelle.
La saga de la salle capitulaire de Santa Maria de Ovila
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Art et liturgie
Dom Thomas X. Davis, ocso
Abbé émérite de l’abbaye de New Clairvaux (États-Unis)
La saga de la salle capitulaire
de Santa Maria de Ovila
C’était en juin 1955, quelques jours seulement avant le départ du groupe initial de fondateurs destinés à la cinquième maison fille de Gethsémani pour la Californie, à Vina, lorsque dom James, abbé, suggéra qu’il aimerait que je fasse partie de ce groupe. Cela a été une surprise assez déstabilisante pour moi. J’ai répondu que je ne voulais pas, et même que je n’avais pas du tout l’envie d’y aller. J’ai naïvement cru pouvoir faire changer d’avis le Père Abbé. Il faudrait du temps pour y parvenir. Trois mois plus tard, le 15 septembre, je me suis retrouvé à San Francisco avec un frère également destiné à cette communauté nouvellement fondée. Le supérieur était là pour nous accueillir. Il a décidé que nous devrions voir un peu la ville avant de faire les six heures de route qui remontent la vallée de Sacramento jusqu’à Vina cette nuit-là. Un ami du supérieur nous a fait visiter San Francisco en sélectionnant les principaux sites touristiques. Alors que nous traversions le Golden Gate Park, cette personne a mentionné avec désinvolture que les caisses en bois que nous avons vues soigneusement empilées sous les eucalyptus derrière le musée De Young étaient « le monastère cistercien que William Randolph Hearst a ramené d’Espagne ». J’ai immédiatement compris la valeur architecturale de ce monastère. Thomas Merton (le père Louis tel qu’on le nommait) venait de donner à nos jeunes moines un cours sur l’architecture cistercienne et sa signification. L’idée, follement ambitieuse pour un simple profès de vingt ans, m’est venue que ce serait merveilleux d’avoir ce monastère pour Vina. En repensant aux événements, je me rends compte maintenant que si j’avais pris le train avec le groupe fondateur d’origine, je serais arrivé à la gare d’Oroville, une ville non loin de Vina. Je n’aurais jamais atterri à San Francisco et je n’aurais jamais eu l’occasion de voir ces caisses en bois soigneusement empilées sous les eucalyptus.
Alphonse VIII, roi de Castille (1155-1214), fonda l’abbaye cistercienne de Santa Maria de Ovila, près de Trillo, à environ quatre-vingts kilomètres au nord-est de Madrid. Cette abbaye faisait partie de sa stratégie visant à maintenir les frontières de son royaume comme terre chrétienne. L’abbaye a été fondée vers 1181. La taille de l’église et de la salle capitulaire suggère que l’abbaye était peut-être destinée à devenir un monastère royal. Quelques années après la fondation d’Ovila, Léonor, épouse d’Alphonse VIII et fille d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine, initia la fondation de Las Huelgas, dans la ville royale de Burgos. Las Huelgas devint le monastère royal.
La salle capitulaire, magnifique exemple de l’architecture gothique cistercienne primitive en Espagne, a commencé d’être construite vers 1190. La salle capitulaire avec toute l’abbaye était sous le patronage de l’évêque cistercien de Siguenza, saint Martin de Finojosa, et de sa famille, dans le diocèse duquel elle se trouvait située. (Dans le calendrier liturgique trappiste cistercien, la fête de saint Martin de Finojosa est le 17 septembre. Il était autrefois connu sous le nom de saint Sacerdos, le 5 mai.) La salle capitulaire a été achevée en 1220 et fut réputée, avec Las Huelgas et Santa Maria de Huerta, comme exemples remarquable de l’architecture cistercienne.
L’abbaye d’Ovila fut fermée en 1835 par décret du gouvernement de la reine Maria Christina, et vendue à des propriétaires privés. Arthur Byne, l’agent de William Randolph Hearst qui a toujours été intéressé par les beaux-arts et les pièces architecturales à exporter aux États-Unis, est tombé sur l’abbaye d’Ovila en 1930. Hearst a accepté d’acheter des pièces artistiques et des parties architecturales dont l’ensemble de la salle capitulaire et du réfectoire. Le démantèlement eut lieu entre mars et le 1er juillet 1931. Les pierres furent expédiées par bateau jusqu’à San Francisco. À cette époque, Hearst commença à ressentir les effets de la crise économique. Il les offrit à la ville de San Francisco en 1941. La ville stocka les caisses derrière le Young Museum, sous les eucalyptus. C’est ainsi que je les ai vus en 1955. Diverses causes ont empêché la ville de restaurer les pierres « en tant que monastère ». Les pierres furent même offertes à des moines bouddhistes mais l’opinion publique de la ville s’opposa à ce transfert. Les caisses sont restées sous les eucalyptus. Cinq incendies, le vandalisme, le vol et les conditions météorologiques humides et brumeuses de la région de la baie de San Francisco et de l’océan ont réduit les pierres à un tas apparemment sans grande valeur.
Durant ces années malheureuses, j’ai été tenu informé par un bon ami de ce que devenaient ces pierres. Après être devenu abbé en 1972, j’ai décidé de poursuivre mon rêve fou d’acquérir la salle capitulaire de Vina. Le portail de l’église d’Ovila a été restauré à l’intérieur du musée de Young. Une étude antérieure du Dr Margaret Burke, historienne de l’art, a révélé que seule la salle capitulaire pouvait être restaurée ; le reste était trop endommagé ou perdu. Des négociations interminables avec la ville ont commencé. Il y a eu des « hauts et des bas ». J’étais sur le point d’abandonner mon projet lorsque les érudits cisterciens David Bell et Terryl Kinder m’ont encouragé à continuer. En 1992, le Chapitre conventuel de Vina a voté favorablement en faveur de cette démarche. Un accord avec la ville fut finalement signé le 12 septembre 1994. Le lendemain, le premier des onze gros camions et remorques partit pour Vina.
Trier, cataloguer, restaurer les parties endommagées, tailler les pierres neuves et bien d’autres choses encore ont constitué l’entreprise des maçons Oskar Kempt, Ross Leuthard, Frank Helmholz et Jose Miguel Merino de Caceres, un architecte espagnol. Le magnifique portail de la salle capitulaire et la majeure partie de l’intérieur ont été achevés à l’automne 2008. Sous le quatrième abbé de Vina, Paul Mark Schwan, la décision a été prise d’incorporer cet édifice dans la nouvelle église. Celui-ci a été achevé et consacré le 2 juillet 2018.
L’architecture cistercienne utilise l’espace, les proportions, les lignes, la forme et la lumière pour signifier le mystère de la Divinité. Les frères entrent sept fois par jour dans ce lieu de mystère divin pour chanter les louanges de Dieu (Opus Dei) et être bénis par le pouvoir transformateur de cet édifice médiéval. La salle capitulaire d’Ovila est maintenant, à nouveau et différemment que par le passé, au service de l’œuvre de Dieu.
Sœur Judith-Ann Heble
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Grandes figures de la vie monastique
Mère Maire Hickey, osb
Abbesse de Kylemore (Irlande)
Sœur Judith-Ann Heble,
seconde modératrice de la Communion
Internationale des Bénédictines (CIB)[1]
Quand je me souviens de Judith Ann, ce n’est pas en termes de fonction. Je la connaissais comme quelqu’un qui se donnait entièrement, corps et âme, à la tâche qui lui incombait. Relever le défi, quel qu’il soit, était son rôle. J’ai travaillé avec elle pendant neuf ans à la direction de la CIB. De 1997 à 2006, j’ai été modératrice, avec Judith Ann comme membre du Conseil d’administration à partir de 1998, et comme modératrice adjointe à partir de 2002. J’ai des souvenirs chaleureux et vifs de la façon dont elle a été partenaire dans cette tâche, et je suis reconnaissant à Lynn McKenzie de m’avoir demandé d’en partager quelques-uns avec les lecteurs de la newsletter.
Notre relation a commencé en 1997, lors de la dernière réunion de préparation du troisième symposium de la CIB, prévue pour 1998. J’étais la modératrice, mon assistante était la prieure Irène Dabalus, les deux nominations ayant été faites par l’abbé primat Marcel Rooney. Les autres membres du Comité exécutif – l’abbesse Joanna Jamieson et la nouvelle venue sœur Judith Ann Heble – étaient présents, ainsi que la secrétaire, sœur Monica Lewis.
Notre expérience en matière d’animation de réunion était jusqu’alors assez limitée, consistant principalement à animer des réunions de Chapitre, chacune dans sa propre communauté. L’organisation était un peu aléatoire. Alors que nous étions assises ensemble pour décider de la répartition des tâches lors des différentes sessions du symposium, Judith Ann a annoncé sans questions préalables et sans scrupules : « Je m’occuperai des écrous et des boulons ». Et ce fut ainsi. À partir de ce moment-là, à chaque réunion, la séance de « rouages et boulonnage » de Judith Ann au début de chaque journée garantissait absolument que tout le monde savait ce qui allait se passer, où il fallait aller, pour quoi, quand auraient lieu les pauses, etc. Une caractéristique de Judith Ann pour ce rituel quotidien était la touche légère de ses interventions qui laissaient tout le monde souriant en toutes circonstances et impatient de passer une journée intéressante.
C’est ainsi que j’ai ressenti Judith Ann dans son rôle de modératrice adjointe. Elle apportait une énergie positive dans la réunion, était pleinement consciente de tous les détails qui devaient être organisés pour que tout se passe au mieux, et s’assurait que chacune sache ce qu’elle devait savoir. Un aspect important de la vie selon la règle de saint Benoît est le bon ordre, la paix, personne ne doit être triste dans la maison de Dieu à la fin de chaque journée.
Après ce symposium, sœur Judith Ann avait compris ce qu’était la CIB et vers où elle essayait de s’orienter. Lors d’une réunion des membres de la Conférence post-symposium, pour commencer la planification préliminaire des réunions des quatre prochaines années, Judith a été l’une des voix américaines qui ont lancé la question explosive de savoir si Rome allait être à l’avenir le seul lieu des réunions de la CIB. « Pourquoi ne pas essayer un autre lieu ? Pourquoi ne pas venir en Amérique ? » Après le choc initial, il était très évident que les esprits s’ouvraient à quelque chose jusqu’alors impensable.
Judith a aimé son rôle de pionnière au cours des années suivantes en tant que modératrice adjointe, puis modératrice (à partir de 2006). Cela lui a donné une grande joie de pouvoir contribuer à la formation continue de nombreuses moniales et sœurs bénédictines en leur facilitant l’expérience inoubliable de voyager à l’étranger pour des réunions de déléguées et de visiter des communautés aux États-Unis, à Nairobi, à Sydney, en Pologne, suivis plus tard par d’autres pays.
Au fil des années, la CIB a acquis sa structure actuelle, dont Judith Ann était l’une des principales architectes. Dès le début, la structure de la Commission des Bénédictines avec l’Abbé Primat (c’était encore le nom de l’organisation) était composée de dix-neuf régions, chacune avec sa représentation, et d’un Conseil composé d’une modératrice, d’une modératrice adjointe et de deux autres membres. L’Abbé Primat était l’ultime instance référente. Lors d’une réunion des déléguées à Nairobi en 2001, la décision a été prise de donner un nouveau nom à l’organisation. La divergence d’opinions prévisible a été étonnamment résolue en choisissant le latin comme langue qui n’excluait personne, et c’est ainsi que Communio Internationalis Benedictinarum (CIB) est devenu notre nom. Le statut des monastères, congrégations et fédérations de femmes bénédictines était défini dans quelques clauses du Droit propre (Ius Proprium) de la Confédération. En 2002, le Conseil (sœur Maire, sœur Judith Ann, Mère Irene Dabalus et Mère Joanna Jamieson), avec l’aide canonique experte de l’abbé Richard Yeo, de Downside, avait achevé le travail sur un projet de Statuts pour la CIB, qui fut approuvé au symposium de cette année-là.
Un travail acharné et minutieux a été consacré au développement de la CIB au cours des années qui ont suivi. De nombreuses sœurs issues de différents monastères étaient impliquées. Judith Ann n’a épargné aucun effort pour trouver des personnes afin de la seconder : une sœur artiste américaine a été trouvée qui a créé notre magnifique logo ; une trésorière a été trouvé qui assurerait et gérerait les finances, y compris un fonds de solidarité, pour garantir qu’aucune région ne soit exclue de la participation en raison d’un manque de fonds ; une équipe de traducteurs a dû être constituée. Il fallait tenir les registres des réunions et de la correspondance, et la communauté internationale croissante demandait la publication d’un Catalogus dont la première édition fut imprimée en 2000. Le mérite revient à d’innombrables sœurs, moniales et communautés pour tout ce qui a été fait durant ces années-là. La création de la CIB a été véritablement un projet communautaire, porté non pas par une seule personne ou un seul groupe. Mais sœur Judith Ann, en tant que modératrice adjointe, était la personne qui avait tout en vue et qui était totalement fiable pour faire ce qui devait être fait. Elle était impliquée dans tout, mettant son expérience, sa sagesse et son travail acharné au service de la création de la CIB.
Enfin, je me souviens de Judith Ann comme d’une bâtisseuse de ponts.
Depuis les débuts en 1983, la distinction canonique entre moniales et sœurs, qui s’était développée au cours de plusieurs centaines d’années d’histoire de l’Église, rendait difficile aux membres des Commissions des femmes avec l’Abbé Primat (représentant des milliers de sœurs) de s’entendre sur les expressions d’identité avec laquelle elles pourraient témoigner de manière crédible de la vie monastique des bénédictines dans l’Église et dans la société. La croyance inébranlable en cette identité commune et le désir de l’articuler et de la rendre palpable dans l’Église et dans le monde ont été le moteur de l’évolution de la Communio. Des changements dans les structures étaient nécessaires et ont favorisé l’évolution, mais celle-ci n’aurait pas pu se réaliser pacifiquement sans l’expérience d’une profonde communication spirituelle et d’un partage des valeurs les plus précieuses des vocations respectives qu’ont expérimenté presque toutes les bénédictines qui ont participé à une réunion de la CIB. Judith Ann se distinguait par l’ouverture d’esprit et la curiosité vivifiante avec lesquelles elle entretenait des relations avec ses consœurs bénédictines de la Communio. Elle ne s’est pas contentée de respecter et de tolérer celles dont le mode de vie était très différent du sien. Elle était curieuse de savoir d’où venait l’autre personne, et cherchait avec audace à rencontrer les autres et à les comprendre un peu plus. Ce n’était peut-être pas toujours une réussite, mais sa simplicité et son humour rendaient les faux pas occasionnels facilement pardonnables. L’hospitalité de Judith Ann était un merveilleux catalyseur. Cette façon de rencontrer de nouvelles personnes, de construire constamment des ponts pour rapprocher des personnes aux opinions divergentes, est devenue typique des réunions de la CIB.
Une participante a écrit, après avoir assisté au symposium de 2014 : « Bien qu’il existe des différences évidentes entre nous, nous en sommes venues à apprécier le fait que nous partageons une vie commune, un charisme commun, une vision commune ». La vision commune, dont la base est la foi en la présence du Christ en chaque être humain, et en la présence de son Esprit dans la communauté monastique, a émergé et continue d’émerger à travers le partage de vie et de foi de tous les membres de notre Famille bénédictine. Mais tous ceux qui ont connu Judith Ann, et son amour pour l’héritage de saint Benoît et de sainte Scholastique, conviendront que sa présence et son travail au sein de la CIB de 1997 à 2018 ont joué un rôle unique et déterminant dans le processus – tellement fréquent – visant à dissiper les malentendus et favoriser le respect mutuel, fondement de l’unité de tout corps.
Merci Judith Ann ! Aidez-nous, là où vous êtes aujourd’hui, à travailler avec l’héritage que vous nous avez légué, alors que nous rassemblons nos forces pour relever les défis du temps présent.
[1] Article tiré de la newsletter de la CIB, novembre 2023.
Mère Lazare Hélène de Rodorel de Seilhac
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In Memoriam
Sœurs bénédictines de Saint-Thierry (France)
Mère Lazare Hélène de Rodorel de Seilhac
1928-2023
Mère Lazare, professe temporaire au moment de la naissance du Secrétariat de l’AIM, ayant participé à l’aménagement du premier bureau de l’AIM pour le père de Floris, alors président, fut membre du Conseil de l’AIM de nombreuses années. Nous publions ici sa nécrologie avant de publier dans le prochain bulletin un article plus développé.
Dans la lumière de la fête du Christ-Roi, notre sœur Lazare Hélène de Rodorel de Seilhac est entrée dans la Vie le 27 novembre 2023.
Née le 10 août 1928 à Paris, elle a gardé un grand amour de ses racines familiales en Corrèze, et beaucoup de bons souvenirs avec ses deux frères. Après une licence en lettres classiques, elle entre au prieuré de Vanves en février 1953, y fait profession en février 1956, et profession perpétuelle le 24 juin 1961. Elle enseigne le latin, est zélatrice au noviciat. Elle écrit une thèse en latin chrétien, qu’elle soutiendra en 1967 : « L’utilisation par saint Césaire d’Arles de la règle de saint Augustin », éditée en 1973.
Elle anime ensuite de nombreuses sessions de patrologie et sur la règle de saint Benoît pour les monastères de France et de l’Afrique francophone. Elle organise à Jouarre des sessions de patristique pour former des professeurs dans les monastères féminins. Elle participe également aux traductions en français fondamental des textes monastiques et patristiques en collaboration avec sœur Lydie Rivière, Xavière.
C’est encore pour les monastères féminins de France qu’elle anime de nombreuses sessions de réflexion sur le travail et l’équilibre de vie monastique. Entre temps, elle devient prieure déléguée du monastère de Vanves, pendant qu’une partie de la communauté, la prieure et le noviciat s’établissent à Saint-Thierry, avec un chapitre commun aux deux communautés.
En 1974, une fois prévue la location des locaux libérés par la communauté de Vanves, elle arrive à Saint-Thierry. Outre la liturgie et la sacristie, les cours aux sœurs en formation, elle prend la direction de l’atelier d’imprimerie, où elle aura toujours à cœur de faire collaborer les sœurs. Elle avait l’art de trouver du travail pour toutes les stagiaires qui passaient au monastère. Elle continue son travail de recherche, et participe au Conseil de l’AIM, à la fondation du STIM, et pendant vingt-cinq ans donne les cours de patrologie au séminaire de Reims.
En 2003, à 75 ans, elle est élue prieure de Vanves, et poursuit son service jusqu’en 2010, assurant une continuité pendant que la Congrégation cherche comment y poursuivre sa présence à Vanves. Après le Chapitre général de 2010, plusieurs sœurs de nos communautés arrivent à Vanves, et elle peut alors revenir à Saint-Thierry, transmettant le témoin de prieure à Mère Marie-Madeleine. Cette dernière période est marquée par une écriture difficile mais persévérante de l’histoire de notre Congrégation, dont elle nous partage les fruits lors de l’année du centenaire. Elle n’a pas tout à fait fini son ouvrage, mais en est restée préoccupée jusqu’au bout.
Au-delà de tous ses engagements et de ses recherches, il nous reste le témoignage d’une sœur qui ne s’est jamais « défilé », toujours là pour les services en communauté. Elle a su dialoguer avec jeunes et anciens, en famille et avec les amis ; elle a pendant de nombreuses années accompagné avec cœur les oblats de la communauté. Toujours prévenante pour les sœurs ou les amis en difficulté, elle témoignait par sa manière d’être ce qu’elle enseignait ; elle croyait en la vie monastique, et savait faire confiance aux plus jeunes. Elle pratiquait l’ouverture du cœur par conviction alors qu’elle lui était laborieuse. Nous rendons grâce au Seigneur de nous l’avoir donnée. Elle écrivait à propos de de son faire-part de décès : « Merci de ne pas écrire que je suis “retournée à Dieu” : c’est réservé au Fils, et Origène a eu des ennuis posthumes pour avoir cru en la préexistence… » Ses obsèques ont été célébrées le vendredi 1er décembre 2023 dans la chapelle du monastère.