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« Toute la vie comme liturgie »
Bulletin de l’AIM n° 125, 2023
Sommaire
Éditorial
Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM
Lectio divina
« La paix soit avec vous ! » Dom Adriano Bellini, osb
Perspectives
• Liturgie monastique, le grand « aujourd’hui » de Dieu
Dom J.-P. Longeat, osb
• Sainte Macrine, « Toute sa vie fut liturgie »
Sœur Véronique Dupont, osb
• La mise en œuvre de la réforme de la Liturgie monastique des Heures dans la congrégation brésilienne
Dom Jerônimo Pereira Silva, osb
Réflexion
Les rites au cœur du lien social
M. Jean-Claude Ravet
Grandes figures de la vie monastique
Le Saux-Abhishiktananda, un sacerdoce dans l’Esprit
P. Yann Vagneux, MEP
Art et liturgie
Au fil de l’histoire, « Marie a gardé ces choses dans son cœur »
Dom Ruberval Monteiro, osb
Nouvelles
• Voyage en Terre Sainte, avril-mai 2023
Dom J.-P. Longeat, osb
• Voyage en Inde, février 2023
Sœur Christine Conrath, osb
Éditorial
Ce numéro du Bulletin de l’AIM aurait voulu être une réflexion synthétique sur la pratique de la liturgie dans les monastères aujourd’hui : les acquis, les questions, les propositions. Nous n’avons pas réussi à relever ce défi qui aurait demandé davantage de préparation et de contacts avec plusieurs monastères des différents continents pour obtenir un instantané de la situation actuelle.
Mais ce numéro porte tout de même sur la liturgie, de manière plus générale et spirituelle. Nous sommes heureux de bénéficier pour cela de l’apport de trois bénédictins brésiliens dont deux sont professeurs à l’Institut pontifical de Liturgie, à Saint-Anselme.
Nous avons repris une étude de sœur Véronique Dupont, moniale de Vénières et collaboratrice infatigable de l’AIM, malheureusement trop vite décédée. Cet article traite de « la vie comme liturgie » telle qu’une Mère du désert comme sainte Macrine y invitait par toute son existence.
Nous avons voulu aussi honorer la personnalité du père Henri Le Saux, en ce 50e anniversaire de sa mort, avec une contribution du père Yann Vagneux, des Missions Étrangères de Paris (MEP). Cette étude a déjà été publiée dans la revue « Vie consacrée » mais il valait la peine de le relayer.
Enfin, sœur Christine, secrétaire de l’AIM, présente ici son rapport de voyage en Inde à l’occasion de la réunion de l’ISBF, suivie de la visite de plusieurs monastères, et moi-même donne quelques échos de mon séjour en Israël, à la rencontre des différentes communautés de la famille bénédictine en Terre Sainte.
Dom Jean-Pierre Longeat, osb
Président de l’AIM
Articles
La paix soit avec vous ! (Lc 24, 35-48)
1
Lectio divina
Dom Adriano Bellini, osb
Abbaye Saint-Martin de Ligugé (France)
La paix soit avec vous !
L’évangile de saint Luc 24, 35-48 :
une clé pour la liturgie
Jésus ne ressemble pas au Messie que les Israélites avaient imaginé, c’est-à-dire un roi, un prêtre et un prophète qui les délivrerait de l’oppression des plus puissants, pardonnerait les péchés et apporterait le salut avec lui. Pourtant l’Apôtre Pierre rappelle que Jésus est le Messie qui devait venir, qui accomplit pleinement la prophétie de toute l’Écriture. L’heure est arrivée : il faut ouvrir nos yeux pour recevoir le salut. Seuls ceux qui se laissent éclairer par la lumière du Christ ressuscité ont le cœur ouvert à l’intelligence des Écritures pour relire et redécouvrir que lui, le Sauveur, nous sauve par l’humilité, l’obéissance, la passion et la mort. C’est précisément au moment crucial et douloureux de sa mort sur la croix qu’il accomplit les prophéties. En tant que véritable prêtre, il offre le sacrifice définitif et révèle la puissance de la royauté d’un Dieu d’amour qui non seulement sauve son peuple mais reste avec lui pour toujours.
Les disciples d’Emmaüs ont reconnu Jésus « à la fraction du pain », et maintenant le Seigneur se présente en personne au milieu d’eux, leur montrant les signes de la crucifixion pour chasser la peur et le doute ; ils peuvent aussi le toucher et manger avec lui. Le Christ, le Vivant, nous assure de sa présence réelle parmi nous, notamment par la Parole et l’Eucharistie. Nous pouvons et devons également éprouver la joie de rencontrer le Christ quotidiennement, afin de pouvoir communiquer avec lui et recevoir le pardon, la vie et les bénédictions dont nous avons besoin.
Jésus ressuscité adresse cette salutation aux disciples : « La paix soit avec vous ! ». La paix est le don messianique par excellence, c’est le don de la résurrection du Christ. Mais ce n’est pas une paix fabriquée selon la mentalité du monde. Jésus lui-même le dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas troublé ni effrayé » (Jn 14, 27). La paix du Christ, c’est une paix qui transforme le doute en certitude, l’égoïsme en communion, la peur en espérance. Ce souhait de paix est profondément liturgique, c’est par lui que l’évêque ouvre toute célébration liturgique. Ce n’est pas un hasard si la devise des bénédictins est « PAX » – paix – et si saint Benoît est appelé le messager de la paix. En général, on trouve la salutation de PAX à l’entrée de tous les monastères ; quelquefois même une phrase, par exemple : Sit pax intranti, redeunti gratia sancti. (Paix à celui qui entre ; à celui qui sort, emportez avec vous la grâce du saint [Benoît], comme dans l’entrée de l’abbaye Saint-Paul Hors-les-murs, à Rome). Ceux qui se promènent dans le cloître de l’abbaye de Saint-Martin ont devant eux des mosaïques qui leur rappellent avec insistance le don de la paix. Ce n’est pas seulement un souhait de bienvenue pour ceux qui viennent au monastère, mais le signe que la communauté accueille l’hôte et lui remet, à son entrée et à sa sortie, ce qu’elle a de plus précieux : la paix du Christ, le don pascal par excellence. La communauté monastique elle-même est appelée à vivre selon cette paix, à la rechercher, à la préserver et à la faire rayonner dans le monde : « Cherche la paix et poursuis-la », dit saint Benoît (Prol. 17).
« La paix n’est pas la paresse, ni un faux désintéressement, [...] la paix est l’attitude d’une âme unie à Dieu dans la charité. » (Dom Delatte)
La paix ne signifie pas toujours l’absence de problèmes ou de conflits. Au contraire, Jésus avertit ses disciples qu’ils devront endurer de nombreuses tribulations. La paix que Jésus a obtenue au prix de son sang signifie avant tout la certitude de sa présence, même lorsque nous devons traverser une mer agitée de difficultés. Jésus est vivant, il marche avec nous et nous donne sa paix et la joie de l’Esprit Saint. Cette paix se réalise lorsque nous sommes tous engagés dans la recherche de Dieu et du bien commun, lorsqu’il existe un désir sincère de communion, de charité et de don de soi. C’est cette paix, la paix du Christ ressuscité, que nous échangeons pendant la messe.
« Reste avec nous, Seigneur. » Délivre-nous de l’ignorance et ouvre les yeux de nos cœurs à l’écoute de ta parole et à l’obéissance à Dieu. Donne-nous la grâce et la joie extraordinaire de te rencontrer dans le pain rompu à chaque célébration eucharistique, et que notre être soit vraiment transformé par la communion à ton Corps et à ton Sang, afin que notre témoignage de foi soit crédible, notre charité sincère, et que ta paix soit en nous. Amen.
Liturgie monastique : le grand « aujourd’hui » de Dieu
2
Perspectives
Dom Jean-Pierre Longeat, osb
Président de l’AIM
Liturgie monastique :
Le grand « aujourd’hui » de Dieu
Les quelques réflexions proposées ici se voudraient une invitation à choisir de vivre aujourd’hui le jour qui nous est donné comme le plus important et le plus réel des jours. Aujourd’hui, comme chaque jour, tout advient de la puissance et de la vérité des êtres et des choses à condition que nos vies soient disposées à les accueillir. Comme on le sait, la liturgie met en valeur cet « hodie », cet aujourd’hui qui nous fait entrer dans le jour sans fin de Dieu.
Cette proposition est faite en pensant à tous ceux qui, aujourd’hui, comme chaque jour depuis la création des humains, ont soif d’être, de vivre, de comprendre, de partager, d’aimer, d’exister intensément dans une humanité qui crie sa soif et son désir sans trop jamais savoir quels peuvent en être l’objet et le mode.
Tout d’abord, nous poserons la question de l’écoute quotidienne : « Aujourd’hui, si vous entendez ma voix » ; puis celle de la nourriture quotidienne : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », et enfin nous nous tournerons vers le Jour de Dieu, le jour au-delà des jours, le jour promis et tant désiré.
« Aujourd’hui, si vous entendez ma voix, n’endurcissez pas vos cœurs » (Ps 94)
Ce verset de psaume est cité au tout début de la règle de saint Benoît :
« Levons-nous donc à la fin, l’Écriture nous y incite : “L’heure est venue de sortir de votre sommeil” (Rm 13, 11). Ouvrons les yeux à la lumière qui divinise. Ayons les oreilles attentives à la voix de Dieu qui nous crie chaque jour cet avertissement : “Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs” (Ps 94, 8). Et ailleurs : “Qui a des oreilles pour entendre, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Églises” (Ap 2, 7). Et que dit-il ? “Venez mes fils écouter moi, je vais vous enseigner la crainte du Seigneur” (Ps 33, 12). “Courez pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent” (Jn 12, 35). » (Prol. 8-13)
Le psaume 94 est ou était chanté chaque jour au début de l’office des Vigiles dans la liturgie bénédictine : c’est par excellence le psaume invitatoire, le psaume qui invite à la prière avec ses différentes composantes.
Tout d’abord, un appel général à la louange : « Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons le Rocher qui nous sauve ! Avançons-nous vers lui en rendant grâce ! À lui, nos chants et nos acclamations ! »[1]. Ensuite, une action de grâce pour l’œuvre de la création : « Il est le grand Dieu, lui, le Seigneur, le Roi plus grand que tous les dieux ! Dans sa main, les profondeurs de la terre ; à lui aussi les sommets des montagnes. À lui la mer, c’est lui qui l’a faite, et les continents que ses mains ont pétris ». Avant même d’être reconnu comme Créateur de toutes choses, le Seigneur est confessé comme le Dieu unique, le Dieu grand au-dessus de toutes grandeurs, de toutes hauteurs. C’est pourquoi il peut contenir en sa main tous les éléments créés, des profondeurs de la terre aux sommets des montagnes, sur toute la largeur des mers et des continents.
Puis, vient une prière reconnaissante pour l’œuvre du salut en relation directe avec la marche au désert et les merveilles qui s’y sont accomplies par la main du Seigneur. Cette prière est accompagnée d’une invitation au repentir, garant de la véritable action de grâce : « Venez, inclinez-vous, prosternez-vous ! Adorons le Seigneur qui nous a faits ! Oui, il est notre Dieu et nous le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main… N’endurcissez pas vos cœurs comme au désert, comme au jour de la révolte et du défi lorsque vos pères m’ont défié et provoqué, eux qui pourtant ont vu ce que j’ai fait ! » Cette action de grâce pour la rédemption et cet appel au repentir sont conjoints avec une nouvelle confession de foi : « Il est notre Dieu et nous le peuple qu’il conduit… ».
Enfin, le psaume se termine par une évocation de la promesse faite par Dieu à l’homme de pouvoir partager sa vie dans son repos éternel, dans le sabbat dernier, si son cœur ne s’égare pas, avec une nouvelle référence au péché d’Israël dans le désert : « Quarante années, j’ai supporté cette génération ; j’ai dit : “C’est un peuple au cœur égaré ; il ne veut rien savoir de mes chemins”. Aussi je l’ai juré dans ma colère : “Jamais ils n’entreront dans le pays de mon repos !” ».
Au milieu de tout cet ensemble vient le verset cité par saint Benoît : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ! ». Il y a donc dans ce psaume la dimension de la mémoire, celle de la promesse et celle qui donne sens aux deux, de l’actualité quotidienne. C’est là une des clés de la spiritualité chrétienne. Saint Benoît, à la suite de la tradition monastique, en est un commentateur particulièrement remarquable.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de vivre chaque jour éveillé. Chaque matin et chaque instant de la journée sont un appel lancé par la voix de Dieu. Cet appel ne peut être perçu que par ceux qui s’y rendent attentifs. Ceux qui ouvrent les yeux et les oreilles de leur cœur pour voir et pour entendre « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (1 Co 2, 9 cité par RB 4, 77). Ce qui peut nous rendre malheureux en cette vie, c’est d’être enfermé dans l’illusion des sens extérieurs. Si je ne vois qu’avec mes yeux de chair, si je n’entends qu’avec les oreilles de mon corps, je n’ai encore rien vu et rien entendu qui puissent me donner de goûter la vraie vie.
Chaque jour, en chaque seconde, à travers les êtres et les choses créés, nous est donné la totalité de l’existence. Mais, souvent, nous dormons et nous ne faisons que rêver. Il est urgent, constamment urgent de se réveiller, de se lever, de ressusciter et de se mettre à écouter : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ». Là est un des propos essentiel de l’Évangile. Pour pouvoir écouter, il faut que soit touché le cœur, qu’il soit converti, circoncis. Il faut relire à ce propos le discours sur la montagne au début de l’Évangile de saint Matthieu. Dès le premier verset du Prologue, saint Benoît nous y invite : « Écoute, incline l’oreille de ton cœur » (Prol. 1).
En commentant le verset précité du psaume 94, l’épître aux Hébreux actualise d’une manière particulièrement forte notre relation à la Parole de Dieu que l’homme reçoit pour la mettre en pratique afin de pouvoir un jour goûter le repos de Dieu : « Vivante est la Parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Aussi n’y a-t-il pas de créature qui reste invisible devant elle, mais tout est nu et découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte » (He 4, 12-13). Notre vie est-elle tout orientée dans cette perspective de l’aujourd’hui de la Parole qui advient en nos vies humaines afin que nous puissions dire avec le Christ : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (Lc 4, 21) ?
« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » (Mt 6, 11 ; Lc 11, 3)
Il ne suffit pas d’incliner l’oreille de son cœur et de ne pas l’endurcir pour pouvoir entendre l’appel du Seigneur à travers sa Parole de chaque jour, il faut aussi accepter de recevoir ce que le Seigneur prévoit pour nous au quotidien, selon sa volonté.
Il est bon ici de se référer à l’expérience d’Israël au désert. Le Seigneur pourvoit gratuitement à la faim de son peuple en lui envoyant durant la nuit « une couche de rosée tout autour du camp ». Cette couche de rosée, une fois évaporée au matin, laisse apparaître sur la surface du sol quelque chose de menu et de granuleux. « C’est le pain que le Seigneur vous a donné à manger. Voici ce que le Seigneur a ordonné : Recueillez-en chacun selon ce qu’il peut manger ».Et Moïse leur dit : « Que personne n’en mette en réserve jusqu’au lendemain » ; « Ils en recueillirent chaque matin, chacun selon ce qu’il pouvait manger et quand le soleil devenait chaud, cela fondait » (cf. Ex 16, 13-21). La nourriture quotidienne de la manne descendue du ciel, voilà un élément clé de la spiritualité de l’aujourd’hui proposé par Dieu à son peuple.
L’Évangile de saint Matthieu donne un beau commentaire de ce don venant du ciel : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. […] Ne vous inquiétez pas en disant : Qu’allons-nous manger, qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ?… Votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 25-34).
Faut-il donc prendre ces textes au pied de la lettre ? Non, ce n’est pas suffisant, il est nécessaire de les interpréter. Mais il est aussi indispensable de savoir vivre cet abandon au jour le jour dans la confiance d’une foi toujours à renouveler. Il est bien clair que notre quête est rarement le Royaume de Dieu d’abord, et c’est bien cela qui pose problème. Si comme les Israélites dans le désert nous voulons faire des provisions de manne, si nous voulons thésauriser le don de Dieu, si nous n’acceptons pas de recevoir chaque jour les dons qui nous sont seulement nécessaires, nous ne pourrons accomplir la vie de Dieu en ce monde.
Le discours sur le Pain de vie présente l’accomplissement de ce signe de la manne. Le Christ nous y révèle qu’il est lui-même le Pain de vie. « Vos pères dans le désert ont mangé la manne et sont morts ; ce pain est celui qui descend du ciel pour qu’on en mange et ne meure pas. Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais » (Jn 6, 49-51).
Notre seule véritable nourriture quotidienne, c’est le Christ, donné pour que le monde ait la vie. Nous le recevons dans sa parole ruminée et dans la prière, dans le pain de l’eucharistie et des sacrements ainsi que dans la communion fraternelle.
Ainsi « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ne peut bien se comprendre que dans cette relation chaque jour nouvelle au Christ livré. C’est ainsi que nous pouvons chercher le Royaume et sa justice, c’est ainsi que nous pouvons nous contenter de la nourriture quotidienne.
Toute la vie du Christ est ainsi faite, saint Luc le rapporte à sa manière : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (4, 21) ; à la suite de la guérison du paralytique, les témoins s’exclament : « Nous avons vu d’étranges choses, aujourd’hui » (5, 26). « Voici que je chasse des démons et accomplis des guérisons aujourd’hui et demain, et le troisième jour je suis consommé ! Mais aujourd’hui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem » (13, 32-33). « Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. […] Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison… » (19, 5-9).
Ainsi, il est possible de nous interroger sur notre nourriture quotidienne. Est-ce vraiment de recevoir d’abord le Christ pour accomplir la volonté qui est en Dieu, ou bien est-ce de se soucier d’une accumulation tout à fait superflue que nous ne pourrons emporter dans la tombe ? Notre vie est-elle sous le signe premier de l’eucharistie avec toutes ses dimensions spirituelle, personnelle, communautaire et sociale, ou bien est-ce autre chose particulièrement vain ? Accepter de recevoir la nourriture quotidienne du Christ, c’est accepter que nos plans immédiats soient déroutés, et le vivre joyeusement à la suite de Jésus qui monte à Jérusalem vers son Exode.
Saint Benoît prescrit à l’abbé de se rappeler cet enseignement de l’Évangile, de peur qu’« il oublie que ce sont des âmes qu’il a reçues à conduire et qu’il devra en rendre compte. Ainsi il ne se préoccupera pas à l’excès de la modicité des ressources du monastère, il se rappellera qu’il est écrit : “Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice : le reste vous sera donné par surcroît” » (RB 2, 35).
Le jour du Seigneur
Mais l’aujourd’hui réel de la vie des croyants, c’est le grand aujourd’hui de Dieu qui s’étend sur toute l’histoire et bien au-delà. Pour le Seigneur en effet, « mille ans sont comme un jour » (Ps 89) et « mieux vaut un jour dans les parvis du Seigneur, plutôt que mille en ma demeure » (Ps 83, 11). Cet aujourd’hui de Dieu est celui de sa venue permanente. Le Seigneur ne cesse de venir, il visite sa création, il lui adresse la parole, il s’y incarne, il lui promet sa venue glorieuse lorsque le Christ sera tout en tous.
Ainsi la Révélation biblique est ponctuée de l’annonce de cet aujourd’hui de Dieu qui se manifeste constamment dans la vie des hommes : « Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le jour un » (Gn 1) ; « Voici le jour où le Seigneur agit » ou « Voici le jour que le Seigneur a fait » (Ps 117) ; « En ce jour-là… » ne cessent de dire les prophètes ; cette expression ne vise pas obligatoirement une projection dans l’avenir, elle est une annonce du jour d’aujourd’hui où chacun est appelé à choisir entre la vie et la mort (cf. Deutéronome). L’Évangile de saint Luc s’ouvre sur cette annonce de la Bonne Nouvelle : « Aujourd’hui un Sauveur vous est né » (Lc 2, 11) et se conclut sur cette promesse : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43).
Mais ce qui exprime le mieux ce grand jour de Dieu, c’est l’aujourd’hui de la célébration liturgique. Dans la liturgie latine, hodie résonne comme une espérance inouïe tout au long de l’année. L’hodie le plus célèbre est celui de Noël : « Hodie Christus natus est… » – « Aujourd’hui, le Christ nous est né ; aujourd’hui, le Sauveur est apparu ; aujourd’hui les anges chantent sur la terre, les archanges se réjouissent ; aujourd’hui, les justes exultent, en disant : “Gloire à Dieu au plus haut des cieux.” » (antienne du Magnificat des 2es Vêpres de Noël). Cette antienne trouve sa préparation dans l’office de la Veille de Noël où est annoncée l’aujourd’hui de la révélation : « Aujourd’hui, vous saurez que le Seigneur va venir, et au matin, vous verrez sa gloire ». On peut ajouter à cette antienne de Noël celle de l’Épiphanie : « Hodie caelesti sponso » – « Aujourd’hui, l’Église s’est unie à son époux céleste, car le Christ l’a lavée de ses fautes dans le Jourdain ; les Mages accourent avec leurs présents aux noces royales et les convives sont réjouis par l’eau changée en vin » (ant. du Benedictus des Laudes de l’Épiphanie). L’antienne du Magnificat des deuxièmes Vêpres reprend ce thème : « Aujourd’hui, l’étoile a guidé les Mages à la crèche ; aujourd’hui, l’eau s’est changée en vin au festin des noces ; aujourd’hui, dans le Jourdain, le Christ a voulu être baptisé par Jean, afin de nous sauver. » Dans le même esprit, l’antienne du Magnificat des deuxièmes Vêpres de la Pentecôte énonce le Mystère actualisé en ce jour : « Aujourd’hui sont accomplis les jours de la Pentecôte ; aujourd’hui, l’Esprit Saint est apparu aux disciples sous la forme du feu, et a répandu sur eux les dons mystérieux ; il les a envoyés dans le monde entier prêcher et rendre témoignage. Ceux qui croiront et recevront le baptême seront sauvés ». Entre les deux, il y a évidemment le dimanche de Pâques et le Temps pascal où retentit le « Haec dies quam fecit Dominus » tiré du psaume 117, 24, le psaume pascal par excellence : « Voici le jour qu’a fait le Seigneur, exultons, soyons dans l’allégresse en lui ». Ce jour est le Jour des jours : le véritable aujourd’hui de la vie divine. Quelques antiennes mariales récentes (8 décembre, 11 février) ont repris ce thème, et la liturgie bénédictine l’a appliqué à saint Benoît, sainte Scholastique et saint Maur. Le dimanche est le grand Jour du Seigneur, à la fois premier jour de la création, ainsi que de la rédemption dans la résurrection du Christ, et huitième jour, jour au-delà des jours, jour de Dieu transfigurant toutes choses, jour de sa venue. Le sacramental du dimanche est vraiment d’une grande importance pour l’expression de la vie du Christ. Il faut développer en chacune de nos vies une spiritualité de ce quotidien qui est l’aujourd’hui de Dieu. C’est le jour de la naissance, c’est le jour du commencement, du recommencement, c’est le jour de la résurrection et c’est aussi l’aujourd’hui de l’éternité, le jour où les apparences s’effacent pour laisser place à la réalité, le jour du discernement qui est un autre nom du jugement.
En chantant les mystères dans l’aujourd’hui, la liturgie leur donne de se réaliser ici-bas en figure. Les fidèles se rendent ainsi contemporains des mystères célébrés qui ont pris chair un jour du temps et qui sont toujours d’actualité. C’est bien le sens du mémorial chrétien.
Un vieux moine de notre monastère, décédé il y a quelques années, a vécu la dernière période de sa vie dans la conviction que chaque matin, c’était dimanche, et comme il était aide-sacristain, il préparait chaque jour tout ce qui était nécessaire pour la liturgie du dimanche. Bien sûr, ce moine âgé avait un peu perdu la tête, à moins en fait, que ce soit nous qui l’ayons vraiment perdue, et que lui, dans cette candeur, l’ait retrouvée après quelque soixante-dix ans de vie monastique.
Un moine du désert d’Égypte, au 4e siècle, se répétait chaque matin : « Aujourd’hui, je commence ». Que ce commencement ne cesse jamais d’habiter notre action : Nous irons ainsi, selon le mot de Grégoire de Nysse, « de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin » et c’est ainsi que nous parviendrons au jour sans déclin que Dieu nous offre déjà en figure.
Conclusion
Il ne suffit pas de poser quelques principes d’analyse, il faut aussi leur donner des conséquences concrètes.
Allons-nous écouter vraiment l’appel qui résonne à nos oreilles de la part de Dieu ? Allons-nous avoir le cœur assez réceptif pour entrer dans l’aujourd’hui de la Parole ? Demandons-nous vraiment si nous fréquentons la Parole divine, d’une manière ou d’une autre (lectures bibliques et spirituelles, prière, méditation, rumination, lectio divina). Notre aujourd’hui est-il celui d’un avènement de Dieu en nous et autour de nous, cherchant et appelant son ouvrier dans la multitude d’une manière toujours inattendue ? Allons-nous faire de notre vie un compagnonnage quotidien ? Comment partager le Pain de Dieu en frères et sœurs ? Comment recevoir la manne qui est le vrai Pain de vie ? Il est clair que lorsque l’on sait que la moitié des habitants de notre planète meurent de faim, on se demande vraiment où est passée la prière : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ; y a-t-il donc impossibilité à nous rendre disciples dans la traversée du désert de ce monde ?
Enfin, comment notre vie témoigne-t-elle du Jour au-delà des jours ? Savons-nous relativiser les biens immédiats pour nous en remettre à Dieu, dans le courage d’un travail inlassable, mais défait du souci de nous faire valoir nous-mêmes ? Le jour de Dieu est toujours un jour de jugement où l’on est mis à nu pour être vraiment ce que nous devons être : de simples créatures, de simples serviteurs qui se savent enfants de Dieu pour l’éternité. Là est notre trésor, et « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur »(Mt 6, 21).
« Voici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous, passons-le dans la joie. » (Ps 117, 24)
[1] Les citations des psaumes proviennent de la traduction du psautier par les moines de Ligugé parue dans « Le Psautier de Ligugé », Saint-Léger éditions, 2019.
Sainte Macrine, « Toute sa vie comme liturgie »
3
Perspectives
† Sœur Véronique Dupont, osb
Abbaye Notre-Dame de Venière (France)
Sainte Macrine
« Toute sa vie fut liturgie »[1]
La vie de sainte Macrine
Grégoire de Nysse écrit la vie de Macrine (VSM)[2] au plus tôt vers 380, au plus tard en 383, au sommet de sa carrière, aux plus belles heures de son rayonnement spirituel. Ce texte, contemporain de la Grande Catéchèse[3], est le versant spirituel des vérités de la foi ; il en est l’illustration. On connaît l’occasion immédiate de la rédaction de ce texte : au cours d’un voyage qu’il fit en Arabie, afin d’y rendre compte des décisions du premier concile de Constantinople (381), Grégoire rencontre un moine, Olympios, auquel il parle avec émotion de la mort récente de sa sœur. Séduit, Olympios demande à Grégoire de mettre ce récit par écrit pour qu’il serve d’exemple aux moines et aux moniales.
Une liturgie eucharistique
Grégoire présente la vie de Macrine comme une liturgie eucharistique : Macrine prépare le pain, oint les mains pour les choses sacrées, offre les autres, et elle-même fait mémoire des magnalia Dei, appelle la sanctification (épiclèse), et meurt pendant l’eucharistie du lucernaire. Cette forme de mort, fin de prière et fin de vie, est un lieu commun tout à fait habituel dans les récits chrétiens de ce temps[4].
Macrine prêtait ses mains au service liturgique (VSM 5, p. 159) ; qu’est-ce à dire ? Peut-être préparait-elle le pain eucharistique comme beaucoup de vierges de son époque, ainsi que le précise le père Daniélou[5] ? Elle le recevait sûrement dans ses mains, qui, de ce fait, étaient ointes (Christ) et donc consacrées pour toutes les occupations de la journée.
Quelles étaient les occupations de Macrine dans la journée ? « Méditer les réalités divines, prier sans cesse, chanter des hymnes jour et nuit, accomplir les tâches indispensables dont on se préoccupe en cette vie. Elle ne laisse pas aux esclaves et aux servantes le soin des travaux matériels » (VSM 11).
Le primat de l’Écriture
Macrine a été entraînée dès sa jeunesse à méditer les réalités divines. N’a-t-elle pas appris à lire et à écrire dans les Écritures ? N’a-t-elle pas été instruite dans les Écritures ? Tout ce qui, dans l’Écriture inspirée de Dieu, apparaît comme plus accessible au premier âge constituait le programme de l’enfant, avant tout la Sagesse de Salomon, et de préférence, dans ce livre, ce qui contribue à la vie morale. Elle n’ignorait rien non plus du psautier, et récitait chacune de ses parties à des moments déterminés de la journée ; en se levant de son lit, en se mettant au travail ou en terminant celui-ci, en prenant son repas ou en quittant la table, en allant se coucher ou en se relevant pour prier, partout elle gardait avec elle la psalmodie, telle une compagne fidèle qui ne fait pas un seul instant défaut. L’éducation de Macrine se fait entièrement par l’Écriture Sainte, et, à son tour, Basile, le frère cadet de Macrine, sera initialement formé par l’Écriture, d’où l’abondance de citations et de références aux textes sapientiaux dans les écrits de Basile. Pierre, le petit dernier (qui deviendra évêque de Sébaste) sera aussi formé de la sorte. Macrine l’élève et le fait accéder à la culture plus élevée, l’exerçant dès l’enfance aux sciences sacrées (VSM 12). Pour les Anciens, l’Écriture est une porte d’entrée dans la connaissance universelle. On y apprend à lire et à écrire, à comprendre, à découvrir l’histoire, les sciences naturelles, la cosmologie, les mathématiques, la médecine, la symbolique des nombres, et, plus que tout, la Sagesse qu’est le Christ. L’éducation de Macrine et de ses frères commence donc, lorsqu’ils sont encore petits, par l’étude des livres sapientiaux et du psautier. Macrine récitait le psautier en entier tous les jours : « Pas un seul instant il ne lui faisait défaut »[6] ; qu’est-ce à dire sinon qu’elle le connaissait par cœur (mémorisation par le cœur). On lit cette même attitude dans la Lettre 107 de Jérôme au sujet de la petite Paula : « Que sa langue encore tendre soit imprégnée de la douceur des psaumes… Qu’elle apprenne en premier lieu le Psautier »[7]. De même dans la Règle, saint Benoît donne comme premier travail aux jeunes frères l’étude du psautier[8]. Mais la pratique scripturaire de Macrine ne s’arrête pas à l’Ancien Testament. Macrine vit la vie philosophique, or, le Philosophe, c’est le Christ. Cette vie philosophique menée à Annisa[9] est la vie évangélique vécue dans son absolu. Elle rejoint les appels de saint Paul dans sa lettre aux Colossiens : « Rejetez tout cela : colère, emportement, méchanceté, injures, honteux propos, de votre bouche » (Col 3, 8), et de saint Pierre aux chrétiens : « Sanglez-vous tous d’humilité les uns envers les autres parce que Dieu s’oppose aux orgueilleux, mais aux humbles il donne sa grâce » (1 P 5, 5). La Vie de Macrine fait référence à de nombreuses autres citations de textes néotestamentaires semblables. Quant à la description qu’en fait Grégoire, n’est-elle pas, dans son style propre et caractéristique de cette époque, le signe du passage du vieil homme à l’homme nouveau (voir Col 3, 9-10) ? Quelques épisodes de la vie à Annisa nous sont présentés par Grégoire comme évangéliques, probablement pour bien établir le lien entre la vie monastique et la suite du Christ, l’imitation du Christ. Ainsi, un jour de famine, Pierre, le frère de Macrine, procure tant de provisions que la foule des visiteurs – attirée par la réputation de bienfaisance du monastère – « fit ressembler le désert à une ville »[10] ; cela n’est pas sans évoquer la foule qui accourait auprès de Jésus, par exemple en Marc 1, 45, mais aussi lors de la multiplication des pains (Mc 6, 31-44) et lors des guérisons. Macrine accomplit elle-même de nombreux miracles (VSM 36). Grégoire veut ainsi montrer que l’idéal de la philosophie, c’est la perfection de la vie chrétienne, et que la poursuite de cet idéal est la poursuite non d’une abstraction, mais d’une personne : le Christ. Prier sans cesse, chanter la louange de Dieu est, pour Macrine et ses compagnes, son travail et son repos après le travail (VSM 11).
Travail/repos ; travail/détente ; vaquer à Dieu, vacances en Dieu, repos en Dieu
Le labeur de la psalmodie et du chant des hymnes est source d’énergie, réfection. En ce sens, la vie à Annisa est une vie « angélique » car les anges louent Dieu sans cesse (VSM 12 et 15). Primauté toujours donnée à l’office divin. Macrine, malade, sachant que c’est la dernière fois qu’elle dialogue avec son frère, interrompt pourtant son échange spirituel (dialogue qui en fait une anamnèse des Magnalia Dei) (VSM 20) dès qu’elle entend le début du Lucernaire. Aussitôt, elle envoie son frère à l’Église, tandis qu’elle-même se réfugie auprès de Dieu dans la prière (VSM 22). À la fin de sa prière, elle se signe « et cessa tout à la fois sa prière et sa vie »[11].
Trois célébrations
Plutôt que de relever toutes les traces de « liturgie » dans la vie de Macrine, regardons trois « célébrations liturgiques » : l’accueil d’un hôte, la mort dans le Christ, la liturgie des funérailles.
L’accueil d’un hôte
Lorsque Grégoire, évêque, arrive à Annisa pour voir sa sœur malade, le groupe des hommes (moines installés par Basile plus loin dans l’immense propriété familiale) va à sa rencontre tandis que le chœur des vierges, rangé en bon ordre auprès de l’église, y attend l’entrée de Grégoire. Grégoire entre, prie, donne la bénédiction aux vierges qui s’inclinent (VSM 16). De la même façon, lorsqu’un hôte arrive au monastère ou dans une fraternité basilienne, on commence par prier[12]. Cela, c’est une coutume déjà bien attestée au quatrième siècle en Orient. On la retrouvera plus tard dans la règle de saint Benoît par exemple[13]. Cette coutume devint universelle dans le monde monastique.
La mort dans le Christ
Plus Macrine pressent sa mort biologique proche (vers la fin de la journée, ce qui est là aussi un symbole), plus elle a hâte d’aller vers son Bien-Aimé (VSM 23). Son lit est tourné vers l’Orient. C’est à l’Orient que les premiers chrétiens plaçaient le paradis ; c’est de l’Orient que l’on attend le retour du Christ, mais aussi la venue des anges qui accueillent l’âme des justes et la conduisent au paradis de Dieu. Pacôme voit à l’Orient l’âme d’un frère emporté vers les anges. Macrine contemple vers l’Orient la beauté de l’Époux, les yeux incessamment posés sur lui. Jaillit alors dans son cœur et de ses lèvres sa prière. Tout en priant, Macrine trace une croix sur sa bouche, ses yeux, son cœur : protection de tout son être contre les démons. Puis elle manifeste le désir de dire la prière de l’eucharistie du Lucernaire, autrement dit la grande prière du soir. Elle le fait par gestes et dans son cœur, ne pouvant plus parler tant elle est fiévreuse. Cette prière s’achève par une signation tandis qu’en un profond soupir cessent sa prière et sa vie (VSM 25). Cette manière de nous présenter la mort de Macrine veut dire que toute sa vie était devenue prière, toute sa vie était devenue liturgie : liturgie au sens fort, large, non pas accomplissement de rites, mais inclusion de sa vie tout entière dans la liturgie. Cela ne signifie pas que tout ce que nous accomplissons dans la vie monastique est rituel, tant s’en faut, mais que rien n’est exclu de notre vie chrétienne : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23).
La liturgie des funérailles
Un fait relaté par Grégoire montre que la liturgie imprègne toute la vie monastique. Lors de la mort de Macrine, on entonne des chants funèbres. Macrine avait bien fixé un temps pour les larmes (VSM 27), en prescrivant de pleurer au temps de la prière, mais elle avait bien notifié que ces larmes ne devaient être ni des gémissements ni des plaintes. Autrement dit, il y a un temps pour tout, un temps pour pleurer, un temps pour rendre grâce. Mais s’il y a un temps pour tout, cela ne veut pas dire que l’on peut tout faire n’importe comment. On peut exprimer sa peine dans la liturgie (cf. le chant des psaumes par exemple). Jésus aussi pleura. On pleure, mais on ne se plaint pas. Sous la direction de Lampadion, la maîtresse de chœur, les vierges psalmodient « car les psalmodies apaisent les gémissements », dit Grégoire de Nazianze[14]. On passe la nuit à chanter des hymnes, comme pour les martyrs. Ce trait liturgique signifie que la mort de Macrine est équivalente à celle d’un martyr, cela parce qu’elle a été fidèle jusqu’au bout ! C’est pour cette raison que la célébration d’un jubilé, voire les funérailles d’une moniale, sont une célébration plus grande que la profession monastique : la profession est grave, c’est une promesse pour l’avenir ; la mort d’une moniale, c’est la promesse accomplie. La psalmodie se chante en deux chœurs. Un chœur féminin : les moniales d’Annisa et les autres femmes (car une foule nombreuse vient, non sans troubler parfois la psalmodie), et un chœur masculin : les moines et les autres hommes. Ces chœurs chantent soit en alternance, soit ensemble, en un chœur « parfaitement homogène grâce à une mélodie commune à tous »[15]. Le convoi funèbre se met en marche vers la chapelle sise à environ un kilomètre et demi et dédiée aux quarante martyrs de Sébaste. Y reposent déjà les parents de la défunte. Le cortège est conduit par l’évêque Araxios, auquel Grégoire ouvre la route. De ce convoi, on sait essentiellement que la foule, très grande, était gênante : on mettra toute la journée pour accomplir ce petit parcours. Il s’agit d’une vraie procession liturgique (VSM 34), avec diacres, clercs inférieurs, céroféraires et autres. Pendant tout ce trajet, on psalmodie, comme les trois enfants dans la fournaise, d’une seule voix, d’une seule bouche (voir Dn 3, 51). Au moment de l’ouverture du tombeau, une vierge, puis plusieurs, se mettent à crier ; la confusion s’ensuit. Finalement Grégoire demande le silence, le chantre invite à la prière et le peuple se recueille. Comme les vierges sages (Mt 25), le cortège va à la rencontre de l’Époux, le visage de Macrine est déiforme. Pour l’ensevelissement (VSM 35), notons une coutume biblique pratiquée alors : afin que l’on ne découvre pas la nudité des parents (morts depuis très longtemps !) – les grecs répugnaient à voir de tels spectacles –, on recouvre leurs corps (ce qu’il en reste !) d’un linceul neuf[16] et l’on dépose Macrine près de sa mère, selon leur volonté commune. La vie de Macrine est une ascension mystique vers le Christ. On trouve les mêmes « échelons » spirituels dans la Vie de Moïse[17], même s’ils sont présentés ici sous une autre forme.
Les miracles accomplis par Macrine
Dans l’épilogue (VSM 39), saint Grégoire fait allusion à de nombreux miracles accomplis par Macrine, miracles de diverses formes : guérisons de maladies, expulsions de démons, allusion à un miracle opéré au temps de la famine ; mais il ne raconte pas en détails tous ces miracles, pensant que la sainteté de sa sœur est déjà bien établie sans qu’il soit la peine d’en rajouter. Ainsi, au cours du récit de la vie de Macrine, seuls deux miracles sont rapportés, l’un concerne Macrine elle-même, l’autre, un petit enfant, ce second miracle étant la base, pour Grégoire, d’un enseignement philosophique (c’est-à-dire monastique). Ces miracles ne sont pas choisis au hasard par Grégoire. En effet, si l’on rappelle des miracles, dans une Vie, c’est pour montrer la similitude entre le saint ou la sainte et le Christ. Les miracles sont donc choisis selon le critère rigoureux de la référence scripturaire ; ici : guérison d’un aveugle et onction dans la foi.
Le miracle concernant Macrine
Ce miracle est mis en lumière après le décès de Macrine, alors que Grégoire et Vetiana, l’une des vierges d’Annisa, vont recouvrir le corps de Macrine. En effet, Vetiana raconte alors à Grégoire que sa sœur avait autrefois une grave tumeur au sein et refusait de se faire soigner malgré les injonctions de sa mère. Lorsqu’elle était en prière dans le sanctuaire, elle fit de la boue avec ses larmes et la déposa sur la tumeur. Sa mère insistant toujours pour qu’elle se fasse soigner, Macrine l’invita à faire le signe de la croix sur son mal ; ce qu’elle fit. La tumeur disparut, laissant juste une petite marque pour être « un mémorial de l’intervention divine, un sujet et un motif d’incessante action de grâces envers Dieu »[18]. À travers ce récit apparaît la profondeur de la foi de Macrine. La structure même de ce texte n’est pas sans rappeler les guérisons évangéliques opérées par Jésus : « Va, ta foi t’a sauvé » (Mt 9, 22).
Le miracle de l’enfant du militaire
Le récit de ce miracle est merveilleux (VSM 37-38), car il fait sans cesse le va-et-vient entre la vie philosophique et la maladie de l’enfant d’un militaire. En effet, ce militaire et sa femme se rendirent à Annisa dans le but de voir Macrine et de visiter le monastère. Ils y amenèrent leur petite fille qui souffrait d’un œil par suite d’une maladie infectieuse. Le militaire visite le monastère des hommes (dirigé par Pierre, le frère de Macrine et de Grégoire), tandis que son épouse visite le monastère des femmes (dirigé par Macrine). Au moment de leur départ, en signe d’amitié, ils reçoivent l’invitation – chacun dans leur monastère respectif – de prendre part à la table philosophique. La petite fille est avec sa mère. Macrine la prend sur ses genoux, remarque son mal et promet à sa mère une récompense puisqu’elle est venue à la table philosophique. Elle lui donne un collyre pour guérir les maladies des yeux. Après ce banquet, le couple repart chez lui et, en cours de route, ils s’aperçoivent qu’ils ont oublié le collyre ; au même instant, ils découvrent que l’enfant est guérie. La maman comprend alors que le vrai collyre, c’est la prière, remède divin. Le militaire prend alors l’enfant dans ses bras et se rappelle tous les miracles de l’Évangile ; leur foi les a sauvés. Ces deux miracles sont très évangéliques. Leur base commune est la foi. Ils sont rapportés dans un style volontairement imité des Synoptiques (voir Lc 4, 40 ; 7, 21).
La vie de Macrine est une course vers le Christ et avec lui
Ceci n’est pas sans rappeler le De instituto christiano attribué à Grégoire de Nysse[19]. Grégoire, et c’est tout dire du caractère de Macrine, compare sa sœur à un coureur qui arrive près du but, ayant dépassé son adversaire et annonçant déjà sa victoire, voyant la couronne du vainqueur et dirigeant son regard vers le prix de l’appel d’en haut. Macrine vit en athlète du Christ. Sa poursuite du Christ est libération progressive en vue de le voir (VSM 23). Le Christ est son Amant. Macrine éprouvait un divin et pur amour du Christ, son époux invisible. Elle nourrissait cet amour au plus intime de son être. Son cœur était tout animé par le désir de se hâter vers son Bien-Aimé pour être plus tôt avec lui, une fois libérée des liens du corps : « En vérité, c’est vers son amant que se dirigeait sa course, sans qu’aucun des plaisirs de la vie ne détourne à son profit son attention »[20]. (La paternité de saint Grégoire de Nysse n’est pas certaine.)
Fascinée par le Christ, elle contemple en lui la beauté de l’Époux et elle tient les yeux incessamment fixés sur lui. Elle meurt comme elle a vécu, « vêtue comme une fiancée » parée pour son époux[21]. Resplendissant de lumière, même dans un vêtement sombre, Macrine est revêtue de Lumière, comme Adam et Ève à l’origine, avant l’aventure des tuniques de peau. Comme le Christ, Macrine vit pour Dieu (Rm 6, 10). Macrine est devenue Lumière, comme son Créateur. Sa vie n’a été qu’une ascension vers le Christ. Le but de la course, un visage : celui du Bien-Aimé.
Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu !
Pour conclure, disons que la vie de sainte Macrine est un progrès constant, une célébration permanente. La poursuite de l’idéal philosophique est une ascension mystique : en effet, se libérer des passions, c’est-à-dire les maîtriser, c’est être crucifié avec le Christ, clouer sa chair par la crainte du Christ ; c’est purifier son âme afin qu’elle soit trouvée sans tache devant Dieu (VSM 24) et accueillie par lui. Les valeurs mises en évidence par la vie philosophique sont aussi : la virginité, la pauvreté (la « pauvreté, nourrice de la philosophie »[22] écrira saint Basile), pauvreté qui est renonciation à une carrière, aux habitudes de luxe, et volonté délibérée d’égalité avec les pauvres, d’où le sens profond du travail ; toutes ces valeurs n’étant pas une fin en soi. Le but, c’est le Christ. Aussi s’achemine-t-on vers lui dans la vie « immatérielle » appelée aussi vie angélique. Qu’est-ce à dire ? Les anges sont ceux qui voient sans cesse la face de Dieu ; par la contemplation Macrine vit dans la société des anges, « cheminant dans les hauteurs avec les puissances célestes »[23]. Depuis que le Christ s’est assis à la droite du Père, dans son humanité ressuscitée, les hommes sont devenus citoyens des cieux : ils sont montés au ciel avec le Christ, ils sont nés à la vie nouvelle. Ceci est une vérité ontologique et non pas morale. Le baptême en a fait des habitants du ciel : « Dieu nous a ressuscités et nous a assis avec le Christ dans les régions supra-célestes » (Ep 2, 6). Nous y sommes, nous sommes concitoyens des anges, nous avons droit de cité dans le ciel. Notre appartenance à la cité céleste nous libère ontologiquement de l’emprise de la cité terrestre pour nous placer sous une autre juridiction, dans un corps politique. Mais, nous sommes encore sur la terre ! Oui, c’est vrai, mais nous ne sommes plus sur la terre, « nous sommes des étrangers sur la terre » (He 11, 13). Par le sacrement, le mysterium, les réalités du ciel viennent se communiquer dans le sensible, prendre place dans le temps, grâce à quoi nous ne sommes pas transportés au ciel par extase, comme Plotin, mais ontologiquement.
Concitoyens des anges, cela veut dire affrontement au démon, l’ange tombé, l’ange dont la jalousie ne manque pas de s’exercer sur ceux qui sont devenus concitoyens des anges, d’où la place du combat spirituel qui est une réalité devant laquelle il ne faut pas se voiler la face. Tant qu’il y aura des moines, des moniales, ils lutteront contre les démons, quelle que soit la forme que ces démons puissent prendre selon les époques. La vie monastique n’est pas simple retour au paradis, elle est entrée dans la cité des anges, dans le royaume du Christ où tout est restauré, où l’ordre est rétabli. Peu à peu tout l’être du moine, de la moniale, est déifié comme le fut l’être de Macrine. Tant que nous sommes encore sur la terre, nous participons à la croix du Christ et en même temps nous exultons avec les anges. Nous vivons dans les deux mondes à la fois. La mission du monachisme dans l’Église est de tenir ouverte la porte de communication entre le ciel et la terre, porte par laquelle les anges entrent et sortent, porte par laquelle l’Église assiste et participe à la liturgie et à la vie de la cité céleste.
[1] Cet article a paru, sous une forme légèrement différente, dans « Liturgie », n° 124, mars 2004, p. 23-35. (Reproduit avec l’aimable autorisation de la rédaction de cette Revue et de la communauté de Venière.) Conférence donnée à Koubri, en la fête de tous les Saints, 1er novembre 2003 ; à la mémoire de Mère Marie Hamel et de sœur Joséphine Balma.
[2] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, « Sources chrétiennes » 178, Cerf, Paris, 1971.
[3] Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, « Sources chrétiennes » 453, Cerf, Paris, 2000.
[4] Voir Grégoire de Nazianze, lors du décès de son père, de sa mère et de sa sœur Gorgonie.
[5] Jean DANIÉLOU, « Le ministère des femmes dans l’Église ancienne », La Maison-Dieu 61 (1960), p. 88. www.patristique.org, page 2.
[6] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 3, p. 151.
[7] Grégoire de Nysse, Ibidem 8. Saint Jérôme, Lettres, t. 5, 107, 4, CUB, Paris, 1955, p. 147.
[8] Saint Benoît, Règle 48, 10.
[9] Annisa est le nom du domaine familial, proche de Néocésarée, où Macrine fonde un couvent en 341. www.patristique.org, page 3.
[10] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 12, p. 185.
[11] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 25, p. 227. www.patristique.org, page 4.
[12] Basile de Césarée, Règles monastiques, PR 312.
[13] Benoît, Règle 53, 4. www.patristique.org, page 5.
[14] Grégoire de Nazianze, Discours funèbre pour son frère Césaire, 7, 15, dans Discours 6-12, « Sources chrétiennes » 405, Cerf, Paris, 1995, p. 219.
[15] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 33, p. 249. www.patristique.org, page 6.
[16] Voir Gn 9, 25 ; Lv 18, 7.
[17] Grégoire de Nysse, Vie de Moïse, « Sources chrétiennes » 1 ter, Cerf, Paris, 1968.
[18] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 31, p. 247. www.patristique.org, page 7.
[19] Grégoire de Nysse, Écrits spirituels, Migne, Paris, 1990, p. 61-100.
[20] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 22, p. 215-217. www.patristique.org, page 8.
[21] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 32, p. 247.
[22] Basile de Césaréee, Lettres I, 4, CUF, Paris, 1957, p. 15. www.patristique.org, page 9.
[23] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, 11, p. 181.
La mise en œuvre de la réforme de la Liturgie monastique des heures dans la congrégation bénédictine du Brésil
4
Perspectives
Dom Jerônimo Pereira, osb
Monastère de São Bento, Olinda (Brésil)
La mise en œuvre de la réforme
de la Liturgie monastique des heures
dans la congrégation bénédictine du Brésil
La vie liturgique apparaît comme le caractère qui, dans un certain sens, distingue la vie monastique bénédictine. Cette perspective a guidé le Congrès international des abbés et prieurs conventuels de la Confédération bénédictine, tenu à Saint-Anselme, à Rome, du 19 septembre au 4 octobre 1966, sous la direction de l’Abbé Primat Benno Walter Gut (1897-1970). L’argument central était la réforme du bréviaire monastique. La discussion toujours très animée tournait autour des thèmes de la pluralité ou de l’uniformité, du latin ou de la langue vulgaire, du chant « moderne » ou du chant grégorien, et, surtout pour le psautier, de l’application du concept de quantité ou de qualité. L’enjeu était la recherche d’un équilibre entre la lettre et l’esprit de la Règle. Le Congrès s’est terminé par la formation d’une commission – De re liturgica – chargée d’étudier la manière la plus appropriée de répondre et d’harmoniser ces impasses et d’apaiser l’ambiance.
L’année suivante, la deuxième partie du Congrès a eu lieu (du 18 au 30 septembre), comme prévu. Les propositions présentées par la commission ont été votées ; le nouvel Abbé Primat, dom Rembert George Weakland, fut élu, une nouvelle commission fut formée pour poursuivre les études, et le 15 octobre de la même année le Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia approuva l’utilisation ad experimentum de l’Ordo provisoire du psautier, présenté au Congrès par l’abbé dom Emmanuel Maria Heufelder (1898-1982), abbé de Niederalteich, Allemagne.
Le 10 février 1977, la Sacrée Congrégation pour les sacrements et le culte divin approuvait le document liturgique préparé par la commission et soumis à l’approbation de l’Abbé Primat le 11 novembre 1976, le Thesaurus Liturgiae Horarum Monasticae[1]. Pour la diffusion du psautier, le Thesaurus présente quatre schémas différents qui portent le nom de leurs auteurs : schéma A’ (de la règle de saint Benoît) ; B, organisé par un moine de l’abbaye suisse de Dissentis, Notker Füglister (programme « Füglister ») ; C, appelé « Scheyern » d’après l’abbaye allemande homonyme où il a été conçu, et D, structuré par le trappiste Chrysogonus Waddell, de l’abbaye de Gethsemani, Kentucky, États-Unis[2].
Le processus d’action dans les terres brésiliennes
1. La constitution de la Commission
Afin de mener à bien la réforme du Bréviaire monastique en terres brésiliennes, le Chapitre général de la congrégation bénédictine du Brésil, sous la direction de dom Basílio Penido, abbé du monastère de São Bento, à Olinda, depuis 1964, et Abbé Président de la Congrégation de 1972 à 1996, a institué une commission de moines et de moniales sous la direction de Mère Maria Teresa Amoroso Lima (1929-2011), alors abbesse de l’abbaye de Santa Maria, à São Paulo. La Commission comprenait, outre l’abbesse susmentionnée, dom Timóteo Amoroso Anastácio (1910-1994), abbé du monastère de São Sebastião, à Bahia ; dom Marcos de Araújo Barbosa, poète et traducteur, de l’abbaye de Nossa Senhora do Monserrate, à Rio de Janeiro ; sœur Francisca Biolchini (1920-2012), de l’abbaye de Santa Maria à São Paulo ; et deux religieuses du monastère de Nossa Senhora das Graças, à Belo Horizonte, sœur Maria Teixeira de Lima (1913-2012) et Mère Martinha Marques Mello (1925-2020). Malheureusement, dans les archives de l’abbaye de Santa Maria, il n’y a pas de documents sur les travaux de la Commission.
2. La méthode de travail de la Commission et le résultat
Le « renouvellement du Bréviaire monastique » a consisté en la traduction de textes du Thesaurus alors récemment publié. La Commission a commencé à se réunir régulièrement à l’abbaye de Santa Maria, à São Paulo. Selon le témoignage de l’abbesse actuelle de Santa Maria, Mère Escolástica Ottoni de Mattos, l’abbé dom Timóteo Amoroso Anastácio était chargée de traduire les textes de l’Écriture Sainte, cherchant un langage plus poétique, tandis que les hymnes étaient traduits par la Commission, en concurrence avec dom Marcos de Araújo Barbosa pour les ajustements du mètre et de la rime poétique.
Les livres de la Liturgie des heures selon le rite monastique de la congrégation bénédictine du Brésil ont été publiés en quatre volumes. Le premier a vu le jour en 1981, destiné au cycle des manifestations, Avent, Noël et Épiphanie, y compris le Propre des saints de ce cycle liturgique[3]. Le second volume, consacré aux célébrations du temps ordinaire, dont les fêtes du Seigneur : Sainte Trinité, Corpus Christi, Sacré-Cœur de Jésus et Christ-Roi, paraît l’année suivante (1982)[4]. Au début du Carême de cette même année 1982, le troisième volume avec les formulaires des temps liturgiques, Carême, Pâques et Pentecôte, a vu le jour[5]. Le dernier volume, le Sanctoral, porte la date de sa publication en la fête de santa Rosa de Lima, le 23 août de la même année[6].
Les volumes sont présentés par Mère Maria Teresa comme une expérience et une publication provisoire, en vue d’une publication complète et définitive trois ans plus tard. En tout cas, elles ne sont guère officielles : elles n’apparaissent pas avec un nihil obstat et une présentation de la part de l’Abbé Président de la Congrégation, et n’ont aucune espèce de « Praenotanda ».
3. Caractéristiques générales des volumes
D’une manière générale, les volumes, dont la publication complète et définitive promise n’a jamais vu le jour, ont la même présentation signée par Mère Maria Teresa. Certaines lignes directrices ont été observées pour cette publication « provisoire », dont nous signalons les plus courantes : schéma de la règle de saint Benoît, et schéma B (schéma « Füglister ») pour la distribution du psautier. Dans de nombreux cas, compte tenu du chant, les textes des antiennes du Thesaurus ont été remplacés par des textes du Psalterium monasticum, alors récemment édité par les moines de Solesmes[7]. Pour la même raison, seuls les mémoires obligatoires ont été inclus. Dans le numéro du temps ordinaire, les antiennes du Magnificat et du Benedictus ont été incluses ainsi que les répons pour les semaines paires (II) et impaires (I). Pour la fin des Vigiles, la possibilité a été donnée d’utiliser le schéma de la règle de saint Benoît, également présent dans le Psalterium monasticum solesmense. Les répons des Vigiles, tirés de la Liturgie romaine des Heures, ont été publiés en annexe, en attendant la publication du Lectionnaire bénédictin.
4. Questions liées au chant
Avec la traduction des nouveaux livres de la Liturgie monastique des heures, le problème de l’adéquation du chant s’est posé, notamment des antiennes qui avaient subi des changements de genres les plus divers (changement de lieu et d’ordre, substitution, disparition, etc.), sans compter le nombre de nouveaux textes de répons brefs et d’hymnes, ainsi que plusieurs nouvelles fêtes. Pour combler cette lacune, Mère Maria Teresa présenta « sur commande » l’Antiphonale Monasticum pro Diurnis Horis (Ad instar manuscriti)[8]. L’Antiphonale propose « des mélodies grégoriennes pour tous les textes, tirées en premier lieu des sources indiquées dans le Thesaurus, et aussi du Psalterium Monasticum de Solesmes ». Afin de se conformer au Psalterium solesmense, les antiennes indiquées dans le Thesaurus ont été remplacées par d’autres de sens similaire et déjà mises en musique. Certains textes ont été adaptés à des mélodies préexistantes et de nombreux répons brefs publiés par les bénédictine du Saint-Sacrement de l’Autel ont été copiés.
Le travail sur l’Antiphonaire peut être pratiquement divisé en trois étapes : la première correspond à la période de collecte des livres « anciens et nouveaux » parmi les communautés ; la seconde, l’expérimentation que certaines communautés ont faite au fur et à mesure que les feuilles (dépliants) étaient imprimées et, enfin, le rassemblement de tout le matériel en un volume qui dépasse le nombre de 900 pages. Le critère fondamental était que tout soit le plus proche possible de la Liturgie des heures monastiques qui était déjà en usage dans les communautés. L’Antiphonaire, imprimé de façon très artisanale, comporte deux dates. Sur la première page se trouve la date du 24 novembre 1981, où Mère Maria Teresa marque du début des commémorations du 700e anniversaire de la louange divine à l’abbaye de Santa Maria. Deux pages plus loin, à la fin de la présentation générale du volume, apparaît la date de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre) 1982.
Conclusion et questions ouvertes
Quatre décennies plus tard, la congrégation bénédictine du Brésil n’a jamais tenté de réaliser le projet d’une édition définitive de ses livres choraux. Une série d’initiatives ont été prises séparément, amenant chaque communauté à s’organiser selon ses propres forces pour maintenir, dans la mesure du possible, une célébration chorale digne.
Il est vrai que ce n’est qu’en 2018 qu’est apparue la traduction officielle de la Bible, ouvrage de la Conférence épiscopale (CNBB), dont il faudrait extraire les textes à usage liturgique et dont le psautier n’est pas adapté au chant, notamment choral. Par ailleurs la traduction des textes de prière du Missel romain ne date que de cette année 2023.
En ce qui concerne le chant, il convient de noter que toutes les communautés, pour les raisons les plus diverses, n’utilisent pas abondamment le latin, et par conséquent le chant grégorien, dans leurs célébrations, tant de la messe que de l’office, ce qui, d’une part peut faire regretter la perte d’un trésor séculaire, mais ce qui d’autre part suscite de la joie, car un tel « accident » a favorisé l’élaboration d’un répertoire ajusté à la situation actuelle, même s’il y a toujours le risque de mélodies d’un goût douteux.
Le grand défi d’une réédition des livres choraux pour la congrégation bénédictine du Brésil, qui est absolument nécessaire, est le maintien d’un équilibre entre une haute qualité de la prière chorale dans tous ses éléments, sans étouffer la créativité active de chaque communauté, masculine et féminine, en tenant compte de leurs caractéristiques les plus variées, et du fait qu’elles sont réparties dans un territoire multiculturel de dimension continentale appelé Brésil.
[1] Thesaurus Liturgiae Horarum Monasticae, éd. Secretariatus Abbatis Primatis, Tipografia Leberit, Rome, 1977.
[2] Cf. R. M. Leikam, « El Thesaurus liturgiae horarum monasticae de 1977 y la renovación del opus Dei benedictino », Cuadernos Monásticos 86 (1988), 299-330.
[3] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico I: Tempo do Advento, Natal e Epifania, éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi, Rio de Janeiro, 1981.
[4] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico II: Tempo Comum, éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi, Rio de Janeiro, 1982.
[5] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico III: Tempo da Quaresma, Páscoa e Tempo Pascal, éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi, Rio de Janeiro, 1982.
[6] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico IV: Próprio e Comum dos Santos, éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi, Rio de Janeiro, 1982.
[7] Psalterium Monasticum cum Canticis Novi & Veteris Testamenti. Psalterium Monasticum iuxta regulam S.P.N. Benedicti et alia schemata Liturgiae Horarum Monasticae cum canto gregoriano cura et studio monacorum solesmensium ; abbaye Saint-Pierre, Solesmes, 1981.
[8] Antiphonale Monasticum pro Diurnis Horis (Ad instar manuscripti), éd. Abadia de Santa Maria, São Paulo, 1981.
Le Saux-Abhishiktananda, un sacerdoce dans l’Esprit
5
Grandes figures de la vie monastiques
Père Yann Vagneux
Missions Étrangères de Paris (MEP),
prêtre à Bénarès (Inde)
Le Saux-Abhishiktananda,
un sacerdoce dans l’Esprit
À l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort du frère Henri Le Saux, nous publions ici un article du père Yann Vagneux déjà paru dans un numéro de la revue Vies Consacrées mais qui garde toute son actualité.[1]
Le 21 décembre 1971, jour du trente-sixième anniversaire de son ordination, Henri Le Saux (1910-1973), plus connu en Inde sous le nom de Swami Abhishiktananda, écrivait dans son journal intime : « Consacré pour un “ministère”. Mais un ministère qui déborde ses manifestations dites ecclésiales. Ministère au service du mystère, révélation du Mystère. Révélation aux hommes de leur propre personnel mystère (sic) et aussi du mystère total, du mystère en soi. Le moine disparaît, passe en le mystère. Le prêtre révèle ce mystère. Mais qui peut vraiment le révéler sans y être perdu ? ». Ces lignes résument admirablement le sacerdoce du moine chrétien qui avait quitté depuis plus de vingt ans sa lointaine Bretagne pour passer sur la rive indienne où son ministère de prêtre fut vécu principalement en milieu hindou. Bien sûr, le sacerdoce d’Abhishiktananda, tout comme sa vie, ne peut être facilement transposable. Cependant, aussi unique et brûlant soit-il, son sacerdoce n’a rien perdu de sa force d’inspiration, surtout pour celui qui, comme lui, désire rencontrer profondément le cœur de l’Inde pour lui transmettre la nouveauté du Christ.
Quaerere Deum
En 1921, Henri Le Saux entra à l’âge de onze ans au petit séminaire de Châteaugiron. Cinq ans plus tard, il poursuivit sa formation au grand séminaire de Rennes pour se préparer à être prêtre diocésain. Cependant, suite à la mort d’un de ses amis qui voulait devenir moine, il se sentit appelé à reprendre cette jeune vocation inachevée et entra en 1929 à l’abbaye bénédictine de Kergonan. Quelques mois avant d’entrer au postulat, il confiait au maître des novices les raisons de ce nouvel appel : « Ce qui m’a attiré dès le début, ce qui m’y conduit encore, c’est l’espoir de trouver Dieu plus près que nulle part ailleurs. J’ai l’âme très ambitieuse. C’est bien permis, n’est-ce pas, quand il s’agit de chercher Dieu, et j’espère bien ne pas être déçu ». Dans cette confidence tout empreinte de juvénile enthousiasme, nous pouvons entendre en écho les mots que saint Benoît avait placés au cœur de sa Règle comme but de la vie monastique : « Quaerere Deum », « Chercher Dieu » et « Nihil amori Christi praeponere », « Ne rien préférer à l’amour du Christ ». Dans sa très belle conférence de 2008 au Collège des Bernardins, le pape Benoît XVI a expliqué ce qu’était le « quaerere Deum » des moines bénédictins :
« Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. [...] Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif ».
Il nous semble lire ici les mots du jeune moine de Kergonan qui prononça ses vœux perpétuels lors de la fête de l’Ascension, le 30 mai 1935. À la fin de cette année, le 21 décembre, il fut ordonné prêtre au jour même où l’Église latine fêtait alors la fête de saint Thomas, apôtre des Indes.
Il est important de souligner ici que le sacerdoce d’Abhishiktananda a d’abord été vécu dans le cadre monastique bénédictin dont il gardera jusqu’à la fin de sa vie l’empreinte indélébile. Son sacerdoce était pleinement inscrit dans la quête du « quaerere Deum » dont Benoît XVI disait encore :
« Quaerere Deum : comme ils [les moines] étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes ».
La vie du moine chrétien est en effet charpentée par la lectio divina des Écritures. Celles-ci trouvent aussi un écho très particulier dans la liturgie avec les sept offices journaliers au chœur. Le chant grégorien, dont Henri Le Saux était passionné de par son office de cérémoniaire, est tout entier construit sur des passages bibliques – principalement les psaumes – magnifiés par un chant à l’émouvante sobriété. Abhishiktananda en garda la nostalgie jusqu’à la fin de sa vie et il pleura quand des amis lui fredonnèrent en Inde le « Dominus dixit » : l’introït de la messe de minuit qu’il n’avait pas entendu depuis des décennies... À Kergonan, Henri Le Saux était aussi bibliothécaire, c’est-à-dire en charge d’un des lieux centraux de la vie monastique. Dans le contact journalier avec les livres, il cultiva une grande proximité avec les Pères de l’Église qui, aux premiers siècles, développèrent une approche contemplative unique du Mystère révélé en Christ. Mais c’est surtout dans l’atmosphère du silence, si impressionnante à Kergonan, qu’Henri Le Saux a vécu le « quaerere Deum ». Telle était sa vocation de moine dont il écrivait bien des années plus tard : « Le solitaire est dans l’Église le ministre du Silence de Dieu ».
Les dix-neuf années qu’Abhishiktananda passa dans son abbaye bénédictine furent fondatrices à plus d’un titre, en particulier pour vivre son sacerdoce en Inde dans une culture tellement marquée par la figure du moine que celui-ci soit hindou, jaïn, bouddhiste ou chrétien :
« Le moine est l’homme de l’eschaton. Il est celui qui témoigne que le temps vient de l’éternité et va à l’éternité. Qui témoigne de l’advaita, de la non-dualité de l’être, dans la succession des temps et la multiplicité des formes religieuses ».
Le sacerdoce de Melchisédech
Henri Le Saux arriva en 1948 en Inde du Sud et il rejoignit près de Trichy Jules Monchanin (1895-1957) qui vivait là depuis plus de dix ans. Tous les deux fondèrent en 1950 l’ashram de Shantivanam, non loin de Kulitalai, et prirent des nouveaux noms de sannyasis chrétiens. Monchanin choisit Paramarubyananda en honneur de l’Esprit Saint et Le Saux, Abhishikteshwananda en référence au Christ, l’Oint (abhishikta) du Père. À travers leur humble ashram, ils désiraient que l’Église de l’Inde, déjà si riche à l’époque en institutions scolaires et médicales, puisse aussi rendre visible sa forme contemplative, comme Marie aux pieds du Seigneur pendant que sa sœur Marthe s’affairait au service de la table. Pour eux, il était essentiel que l’hindouisme soit à même de découvrir que le christianisme avait une longue tradition contemplative et monastique. Ils pensaient aussi que cet ashram pourrait être un lieu d’échanges dans lesquels eux, les chrétiens, recevraient les dons que l’Esprit Saint a déposés au cœur de l’Inde.
Quelques années plus tard, en écrivant Une messe aux sources du Gange, récit de son pèlerinage à Gangotri, Abhishiktananda mit ces paroles dans la bouche de Raimon Panikkar, son compagnon de route :
« Notre rôle à nous chrétiens de l’Inde, c’est de puiser en ces trésors que nous léguèrent nos rishis, nos voyants, nos sages, de scruter les Écritures, de nous abreuver aux sources les plus pures et les plus primordiales de leur expérience afin d’en transmettre à l’Église les secrets incomparables ».
Dans ce livre, il écrivait encore :
« L’Inde et ses Écritures font partie de l’immense Testament cosmique qui précéda l’alliance du Sinaï et celle que Dieu conclut avec Abraham [...]. C’est comme à l’intérieur de ce Testament, de cette alliance originelle que l’Esprit prépare la plénitude des temps, la venue du Verbe incarné à travers tous les peuples, tous les lieux, tous les temps de l’Univers ».
En parlant de « testament cosmique », Abhishiktananda replaçait la quête hindoue dans le plan du salut, bien avant la Révélation chrétienne. Un tel regard théologique plus ample était nécessaire pour rendre raison de tout ce qu’il expérimentait dans sa découverte de l’Inde. D’une manière singulière, il découvrait ce mystérieux « testament cosmique » dans les rencontres des sannyasis qu’il faisait sur les routes ou dans les grottes d’Arunachala. Il le contemplait encore dans les prêtres brahmanes qui officiaient dans les grands temples du pays Tamoul et chez ses voisins à Uttarkashi dans les Himalayas où il acheta un terrain en mars 1961 pour y établir un petit ermitage. Abhishiktananda fut vraiment touché par cette complicité dans le sacerdoce qu’il éprouvait avec les pandits hindous. Il décrivait ainsi les messes uniques qu’il célébrait en latin dans leur voisinage :
« Je t’ai parlé, je pense, de ces premières messes célébrées au village himalayen de Gyansu. J’avais beau la célébrer le plus tôt possible, le sadhou qui logeait dans la pièce en dessous était déjà levé. Il psalmodiait déjà la Gita ou bien répétait ses mantras, les ponctuant de OM éclatants. Je murmurais à mi-voix les Dominus vobiscum de la liturgie. C’étaient des namah shivaya – Gloire à Shiva – qui me montaient en réponse. Les Hari Om alternaient avec mes Kyrie et les Bhagavan répondaient à mon Sursum corda. Au temple de Shiva, en face, la cloche sonnait et accompagnait les rites que mon frère Melchisédech le brahmane célébrait avec toute sa piété. Je me figurais que notre Père du Ciel se penchait avec une joie toute particulière sur cette liturgie littéralement cosmique et universelle ».
Dans sa réflexion sur l’Inde et le testament cosmique, une figure se détachait en particulier : celle de Melchisédech, le mystérieux prêtre païen qui vint à la rencontre d’Abraham pour le bénir (Gn 14,18-20). Abhishiktananda, tout comme Panikkar, n’hésitait pas à voir dans les prêtres hindous les lointains frères du grand-prêtre cosmique :
« Vois-tu ces prêtres du temple de Mère Gange ici, ceux du Kédar, ceux de Badri, ceux de tous les sanctuaires de la montagne et de la plaine ? Ne sont-ils pas les frères du Melchisédech biblique, de celui qui bénit Abraham et dont le prêtre du rite romain rappelle chaque jour la mémoire au moment le plus sacré de la liturgie ? Melchisédech est en vérité le type du prêtre du Testament cosmique. C’est selon son ordre, non selon l’ordre d’Aaron, le prêtre de l’alliance d’Israël, que le Christ a voulu être prêtre – et qu’en lui, moi aussi, je le suis ».
Plus encore, Melchisédech a toujours été considéré par les Pères de l’Église comme la préfiguration du Christ lui-même. Surtout, la Lettre aux Hébreux a montré comment le sacerdoce du Christ ne descendait pas du sacerdoce cultuel d’Aaron et des prêtres du temple de Jérusalem mais, dans son insurpassable nouveauté, il était rattaché au sacerdoce de Melchisédech selon un verset du Psaume 109 : « Jésus est devenu pour l’éternité grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech » (He 6, 20 ; cf. Ps 109, 4).
En mettant ainsi en lien les prêtres hindous avec la mystérieuse figure de Melchisédech et celle du Christ lui-même et en se souvenant de la mention dans le Canon romain de la messe du « sacrifice que t’offrit Melchisédech, le grand-prêtre, en signe du sacrifice parfait », Abhishiktananda découvrait lui-même la dimension cosmique de son sacerdoce et aussi l’appel à recueillir dans le sacrifice de la messe « toute la prière humaine, tout le désir humain, toute la vraie dévotion humaine, la vraie recherche de Dieu, qui se trouve finalement réalisée dans le Christ ». De nombreux témoignages illustrent cette double découverte. Ainsi, il écrivait depuis son ermitage d’Uttarkashi à un ami :
« Dans la soupente aménagée dans ma hutte, j’offre chaque matin la messe, assis à la façon du prêtre brahmane, avec des rites d’offrande d’eau, d’encens, de feu. Je lis l’Évangile en sanskrit. [...] Car ici, comme jamais dans l’Église, le Christ se manifeste prêtre “selon l’ordre de Melchisedech” ».
Surtout, nous possédons le magnifique récit de la messe qu’Abhishiktananda célébra avec Raimon Panikkar à Gangotri le 6 juin 1964 dans Une messe aux sources du Gange. Quelle autre cathédrale que l’origine du fleuve sacré dans les Himalayas pouvait être plus propice pour vivre le sacerdoce de Melchisédech ? « En vérité, il est peu de lieux dans le monde où l’Eucharistie soit plus attendue et plus mystiquement préparée par l’Esprit qu’ici, au lieu des sources ». C’est là en effet que l’offertoire de leur messe silencieuse pouvait rejoindre la quête millénaire de l’hindouisme qu’il voulait, avec le pain et le vin, unir à l’offrande que Jésus fit de sa vie :
« Le pain et le vin que j’offrirai dans ma messe ici à Gangotri, ce sera l’appel vers Dieu de tous ces pèlerins aux sources sacrées des Himalayas, de tous ces prêtres, de tous ces renonçants, de ceux d’aujourd’hui, d’hier, de demain, car l’Eucharistie transcende les temps ».
Le guru
Durant vingt-cinq ans, depuis son arrivée en 1948 jusqu’à sa mort en 1973, l’Inde a profondément transformé la vision qu’Abhishiktananda se faisait de son ministère de prêtre. Son nouveau peuple a évidemment creusé la dimension monastique de son sacerdoce, particulièrement dans le « quaerere Deum » – la quête de Dieu qu’il découvrait si ardente en de nombreux moines hindous – et aussi le ministère du silence dont il était aussi le témoin dans quelques ermites silencieux (muni) cachés au cœur des Himalayas. Sa vie quotidienne avec les hindous a approfondi sa perception du sacerdoce et l’a dilaté en des dimensions insoupçonnées au travers de nouvelles expériences, comme il l’écrivait dans sa confidence de 1971 :
« Consacré pour un “ministère”. Mais un ministère qui déborde ses manifestations dites ecclésiales. Ministère au service du mystère, révélation du Mystère. Révélation aux hommes de leur propre personnel mystère et aussi du mystère total, du mystère en soi ».
Cette dernière phrase montre aussi qu’une autre figure de la tradition indienne a été déterminante pour la perception renouvelée de son sacerdoce : la figure du guru, le maître spirituel.
Quelques mois après son arrivée en Inde, Henri Le Saux eut la grâce de rencontrer à Tiruvannamalai en janvier 1949, Sri Ramana Maharsi (1879-1950) dont le premier darshan lui laissa un souvenir impérissable :
« Dans ce Sage d’Arunachala et de ce temps, c’était le Sage Unique de l’Inde éternelle qui m’apparaissait, c’était la lignée jamais ininterrompue de ses sages, de ses renonçants, de ses voyants, c’était comme l’âme même de l’Inde qui perçait jusqu’au plus intime de mon âme à moi et entrait avec elle en communion mystérieuse. C’était un appel qui déchirait tout, qui fendait tout, qui ouvrait tout grand un abîme... ».
Dans la rencontre du guru qu’il fit d’abord avec Ramana puis, en décembre 1955, avec Swami Gnanananda, Abhishiktananda découvrit clairement qu’il est au cœur du sacerdoce non seulement un mystère de médiation liturgique entre la terre et le ciel mais aussi un mystère de transmission de l’Esprit dont le guru est la figure charismatique. Cet aspect essentiel du sacerdoce s’est de plus en plus imposé à lui, comme en témoigne son texte de 1966 : « Le prêtre que l’Inde attend, que le monde attend ».
Tout prêtre catholique devrait relire ce texte qui, aujourd’hui, n’a pas vieilli. Dès les premières lignes, Abhishiktananda a donné l’essentiel de sa vision :
« Dans le contexte de l’Inde, le prêtre chrétien ne peut être que guru. [...] Le guru n’est point pour un hindou un quelconque prédicateur qui répète simplement à qui veut bien l’entendre ce qu’il a appris de professeurs ou lu dans ses manuels. C’est un homme qui parle d’expérience. Le guru est celui qui dispense l’enseignement de salut ; et n’est-ce pas au fond du cœur seulement que s’entend le mystère de sagesse, que jaillit l’expérience de salut ? ».
Fort de l’impression toujours vive de sa rencontre avec Ramana, Abhishiktananda pouvait aussi écrire que, pour un chrétien :
« Le guru ou maître spirituel, c’est celui-là seulement qui un jour rencontra au fond de son âme le Dieu “vrai et vivant” dont parle la Bible à chaque page, et qui fut dès lors et pour la vie marqué de la brûlure de cette rencontre [...]. Le guru c’est celui-là qui ayant découvert au fond de son cœur l’étincelle de l’être – non une abstraction, mais le JE SUIS qui se manifesta à l’Horeb – ne peut plus ne pas la reconnaître partout désormais au-dehors comme au-dedans de chaque créature, de chaque homme, au plus intime de tout ce qui est, de chaque événement, de chaque mouvement du cosmos que mesure le temps ».
Que ce soit en contexte hindou ou en contexte chrétien, une telle expérience est donnée par la grâce de l’unique guru, le jagadguru : Dieu résidant au fond du cœur. Cependant, la lumière de cet unique guru est comme diffractée par d’autres lumières qui sont autant d’aides sur le chemin de l’expérience spirituelle. C’est, par exemple, le cas pour ce que la tradition indienne appelle le gurugrantha : les Écritures sacrées. Abhishiktananda remarquait encore à propos du prêtre : « Sans doute les livres l’auront-ils aidé dans sa quête du Réel – les livres surtout que sa Tradition lui a légués, et qui lui communiquent, autant que communiquer se peut, l’expérience de ceux qui, les premiers, eurent accès au mystère intérieur ». Surtout, l’unique guru se manifeste dans le darshan des sages dont l’enseignement se fait avant tout dans la profondeur du silence :
« Sans doute aura-t-il été aidé par des maîtres, car c’est d’autres seulement que se reçoit l’enseignement de salut. [...] Cet enseignement en effet n’est pas seulement communication, il est communion, dirait-on en langage chrétien. Mais c’est justement ici que gît le grand secret. Le rôle du Maître n’est point de transmettre des notions. Il est avant tout d’éveiller le disciple. Il est de lui ouvrir l’œil intérieur, celui qui plonge au-dedans et y reconnaît le mystère. Il est d’ouvrir l’esprit du disciple à l’esprit qui l’habite, à cet Esprit qui sonde et scrute les profondeurs de Dieu. Les mots que prononce le guru passent sans doute de bouche à oreille au-dehors, comme toute parole humaine, qui se propage nécessairement à travers l’air ambiant. Mais, plus véritablement encore, la parole du guru se transmet directement de cœur à cœur, à travers ce milieu unifiant qu’est l’Esprit, la communion de tous à la Parole éternelle. Et c’est pourquoi le silence est considéré dans l’Inde comme le milieu privilégié de l’enseignement de sagesse ».
Il est évident que dans ce texte de 1966, Abhishiktananda livrait un idéal très élevé du sacerdoce mais cela était pour lui à la mesure même de l’Inde car « le prêtre que l’Inde attend, que le monde attend » est aussi « le prêtre que l’Inde entend, que le monde entend ». Il n’est pas étonnant que, comme jeune évêque de Bénarès, Patrick D’Souza (1928-2014) chercha à convaincre Abhishiktananda de le rejoindre sur les bords du Gange pour l’aider à fonder un « pilot seminary » qui formerait des prêtres catholiques capable d’être entendus par leurs frères hindous. Surtout, cet idéal de prêtre comme maître spirituel fut vécu de façon très émouvante par Abhishiktananda à la fin de sa vie avec ses disciples : deux brahmanes hindous, Lalit Sharma et Ramesh Srivastava, sœur Thérèse, une carmélite française de Lisieux qui le rejoignit en Inde, et Marc Chaduc. En 1972, il confiait à un ami dans une lettre : « Je serai à Haridwar avec Thérèse ; les dix jours suivants avec Ramesh le jeune Hindou qui lit l’Évangile et qui me fait découvrir par expérience inexplicable ce qu’est le guru pour le disciple. Cela va tellement au-delà de la direction spirituelle et même de la paternité naturelle ou même spirituelle ».
L’aventure la plus brûlante d’Abhishiktananda comme guru fut vécue avec Marc Chaduc, un séminariste français qui arriva en Inde en 1971. Marc fut celui qui recueillit plus que quiconque l’héritage spirituel de son maître. Le 30 juin 1973, lors d’une diksha œcuménique dans le Gange à Rishikesh, il fut introduit dans la lignée des sannyasi hindous par le Swami Chidananda de la Divine Life Society et dans la lignée des moines chrétiens par Henri Le Saux. Mystérieusement, cette date du 30 juin 1973 fut le jour où il aurait dû recevoir l’ordination sacerdotale avec ses compagnons de séminaire en France mais l’Inde l’avait entraîné sur un autre chemin, même si Abhishiktananda espérait toujours qu’il deviendrait un jour prêtre :
« Le sacerdoce ? J’ai bien l’impression qu’il t’attend sur la ligne du temps. Un sacerdoce très spiritualisé, très au-delà des limitations, un sacerdoce dans l’Esprit. Ce don de toi à ce sacerdoce-là, cette diksha du Gange le signifiera et l’Esprit, en son temps, à sa manière y répondra ».
Marc Chaduc (1944-1977), devenu Swami Ajatananda, ne devint jamais prêtre mais, dans sa vie silencieuse de sannyasi, il porta à l’incandescence ce qui faisait le fond du sacerdoce d’Abhishiktananda : le « quaerere Deum », « chercher Dieu et se laisser trouver par Lui ». La mystérieuse disparition physique de Marc, quatre ans après la mort de son guru, peut d’ailleurs être lue comme l’illustration d’une nécessaire dimension cachée au cœur du sacerdoce comme de toute vie chrétienne :
« Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. [...] Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3, 1.3).
En effet, pour Abhishiktananda, le prêtre, comme tous les vrais spirituels, est un être qui, d’une certaine façon, reste secret. Cette idée étonnante signifie que le mystère de sa rencontre avec le Dieu vivant doit fuir toute publicité pour n’être manifesté et donné généreusement qu’à ceux qui l’approchent avec une authentique soif spirituelle. Il en va ici d’une véritable reconnaissance dont la tradition hindoue dit : « quand le disciple est prêt, le guru apparaît ». Ainsi, au sujet du « prêtre que l’Inde attend, que le monde attend », Abhishiktananda pouvait encore écrire :
« Sans doute est-il déjà parfois, ce prêtre, dans l’Inde et dans le monde tout aussi bien ; rarement sur le pavois, sauf quand Dieu veut remuer son Église ; le plus souvent caché, ignoré, sauf de quelques-uns, de ceux en qui l’Esprit a fait sa demeure, et qui, comme d’instinct, conduits par ce même Esprit, vont à lui ».
Le grand hymne védique au Purusha – l’homme primordial – affirme que : « Avec trois quartiers, le Purusha s’est élevé en haut, le quatrième est resté ici-bas. » (Rg Veda X, 4). Cette infime manifestation terrestre de l’Absolu peut nous faire penser aux icebergs dont la plus grand part de glace est dissimulée dans l’eau. Il en va de même pour le sacerdoce dans l’Esprit dont l’essentiel – la contemplation du mystère divin à travers le silence et la prière, le « quaerere Deum » – doit rester cachée afin d’être l’âme même de son action spirituelle au cœur du monde. Tel était le message du sacerdoce d’Abhishiktananda :
« Le moine disparaît, passe en le mystère. Le prêtre révèle ce mystère. Mais qui peut vraiment le révéler sans y être perdu ? »[2]
[1] Avec l’aimable autorisation de l’éditeur et de l’auteur. Ce texte est aussi paru dans Portraits indiens, Médiaspaul, 2022, 215 pages.
[2] Le père Yann Vagneux vient de publier aux éditions Arfuyen (2022) la correspondance du père H. Le Saux et de sœur Thérèse de Jésus, moniale du carmel de Lisieux, partie en Inde à sa suite et devenue ermite. (Cf. couvertures des deux volumes en page 40.)
Au fil de l’histoire, « Marie a gardé ces choses dans son cœur »
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Art et liturgie
Dom Ruberval Monteiro, osb
Monastère de la Résurrection, Ponta Grossa (Brésil)[1]
Au fil de l’histoire,
« Marie a gardé ces choses dans son cœur »
(Luc 2, 19)
Une image silencieuse qui parle
Les images sont souvent considérées comme la « décoration » d’une église, d’un monastère, d’une maison, de n’importe quel espace. Au contraire, tous les éléments sont en communication continue : rien n’est neutre ! Même le vide des murs blancs a un effet sur nous, enfants du minimalisme, qui n’est pas toujours positif. Les premiers chrétiens utilisaient abondamment les images pour communiquer leur contenu symbolique, qui ne pouvait pas être traduit en concepts. Une fausse théorie très répandue a fait croire que les préceptes aniconiques de la tradition hébraïque empêchaient les premiers chrétiens d’utiliser des images. Au contraire, des études sérieuses[2] et des découvertes archéologiques ont montré comment, à l’époque gréco-romaine des premiers siècles de notre ère, où la communication se faisait par le biais d’images, tant les hébreux que les chrétiens, influencés par les premiers, les utilisaient au service de leur foi et de leur culte[3]. Ils transmettaient un accès expérientiel et non théorique à l’ineffable mystère. Dans ce bref article, nous examinerons un module iconographique qui a été utilisé tout au long du premier millénaire et qui est toujours d’actualité.
Le sarcophage de Pignatta (Ve siècle), trouvé à Ravenne, porte sur son côté le plus court, la figure primitive d’une splendide Annonciation : Marie est représentée assise sur une sorte de trône, à gauche, presque entièrement enveloppée d’un large manteau, et s’adonne à l’art de tisser un fil dressé verticalement. Devant elle, à droite, l’ange est debout, légèrement incliné vers le centre, avec des ailes majestueuses qui créent une sorte de mandorle ; sa main droite semble tenir un rouleau ou un bâton de voyageur (les figures sont très détériorées) et pointe la main levée de Marie, tandis que sa gauche se dirige vers le grand panier d’osier contenant la laine teinte en pourpre. Le bras droit de la Vierge a disparu, mais le signe de sa main se déplaçant horizontalement vers l’ange subsiste.
La Vierge qui file la laine
Cette iconographie s’inspire de la tradition apocryphe selon laquelle Marie, à l’arrivée de l’ange Gabriel, filait de la laine pour tisser le nouveau voile du Temple de Jérusalem :
Quelque temps après, il y eut un conseil des prêtres et ils dirent : « Il faut faire une tente pour le Temple du Seigneur». Le grand prêtre ordonna : « Appelez-moi des jeunes filles sans tache de la tribu de David. » (...) Le grand prêtre se souvint de Marie, une jeune fille de la tribu de David, qui était sans tache aux yeux de Dieu. Les serviteurs allèrent aussi la chercher. Ils les firent toutes entrer dans le Temple du Seigneur, et le grand prêtre leur dit : « Tirez au sort qui filera l’or et l’amiante, le fin lin, la soie, l’hyacinthe, l’écarlate et la pourpre ». La pourpre véritable et l’écarlate échurent à Marie. Elle les prit et retourna dans sa maison. (...) Pendant ce temps, Marie prit la laine écarlate, la fila et en fit du fil.
Un jour, Marie prit sa cruche et sortit pour puiser de l’eau. Et voici qu’une voix dit : « Salut, pleine de grâce ! Le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes ». Elle regarda autour d’elle, à gauche et à droite, d’où venait la voix. Toute tremblante, elle rentra chez elle, posa la cruche, prit la laine violette, s’assit sur son tabouret et la fila (...) Marie acheva de travailler la pourpre et l’écarlate et l’apporta au prêtre. Et le prêtre la bénit en ces termes : « Marie, le Seigneur Dieu a glorifié ton nom, et tu seras bénie parmi toutes les générations de la terre »[4].
Ce fil apparaît très fréquemment dans l’art byzantin occidental et oriental, et ce n’est qu’après le Moyen Âge que ce détail a disparu de l’iconographie occidentale tout en restant dans l’iconographie byzantine. La question qui se pose est celle de la raison de ce détail non biblique et de la signification de sa répétition. La référence au texte des apocryphes ne suffit pas à justifier la représentation, car l’art paléochrétien ne cherche pas à montrer comment les choses étaient dans le passé (vision historique), mais leur signification dans le présent.
Ce petit signe est chargé d’un riche contenu. Filer la laine est un geste très ancien pour l’humanité : les différentes fibres de la laine sont réunies en un seul fil, grâce au fuseau et au geste délicat des doigts qui contrôlent le nombre de fibres pour créer l’uniformité, qui est ensuite progressivement enroulé sur la bobine. Cette activité, très répandue chez les femmes de l’ancien monde préindustriel, est comprise depuis les premiers siècles par les chrétiens comme un symbole grandiose du mystère de l’Incarnation, dans lequel, dans le mouvement circulaire sacré du fuseau, la matière humaine, dans le sein de la Vierge Marie, devient le Verbe de Dieu fait chair. Elle tient dans sa main le fil impérial pourpre qu’elle a tissé : son travail sera désormais de devenir « le métier à tisser de la chair de Dieu », selon la métaphore de saint Proclus de Constantinople (+ 447). Sur le mystère de l’Incarnation, nous ne pouvons nous exprimer qu’avec des symboles, car les mots et les concepts humains en sont incapables. Le pape Benoît XVI l’a bien dit :
L’évangéliste Luc répète à plusieurs reprises que la Vierge a médité en silence sur ces événements extraordinaires dans lesquels Dieu l’a impliquée. « Marie gardait ces choses, les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19). Le verbe grec utilisé symbállousa signifie littéralement « rassemblant » et suggère un grand mystère à découvrir peu à peu[5].
Au Moyen Âge occidental, l’iconographie du filage a cédé la place à une autre image très proche du geste artisanal de la création d’un fil : la psalmodie ! Marie tient le psautier dans ses mains et « unit » la Parole et la vie. Cette « jonction » nous fait comprendre que le mystère de l’Incarnation n’est pas quelque chose qui s’est produit une fois dans le temps, mais qu’il se poursuit tout au long de la vie, celle de la Vierge Marie, celle de l’Église et la nôtre, tout au long de l’année liturgique, qui nous apprend à réunir – sans rien exclure – toutes les fibres de notre histoire personnelle, communautaire et ecclésiale, pour créer un fil qui ira jusqu’à la pièce unique devant le Sancta Sanctorum. Le rideau ou le voile symbolise la révélation d’un mystère caché[6], le seuil de l’éternité.
Le travail artisanal de filage « symbolique » des événements historiques avec les psaumes, les prophètes et l’Évangile, poursuit le travail des Pères de l’Église, tissant l’histoire du salut avec leur contribution, aux confins du maintenant et du pas encore.
Le déroulement du temps liturgique nous unifie en tant qu’êtres humains intégrés, en nous-mêmes et avec les autres, dans la trame d’une histoire qui dépasse notre compréhension au fur et à mesure que le temps s’écoule. Célébrer les fêtes liturgiques avec attention, soin et amour est toujours une façon de sortir de nous-mêmes et de nous laisser emmener hors de nous-mêmes, afin de contextualiser notre propre parcours personnel dans un contexte plus large et donc encore plus vrai. Chaque fois que nous célébrons une fête ou une simple heure liturgique, ainsi que la récitation de prières qui marquent le tournant des jours dans nos vies, nous faisons l’expérience de faire partie d’un projet qui est plus grand que nos sentiments, nos émotions, nos désirs et nos frustrations. « La liturgie a une valeur thérapeutique pour tout ce qui, en nous, risque de nous replier sur nous-mêmes, de nous fermer des possibilités d’expansion et de croissance dans la vie. »[7]
L’iconographie de l’Annonciation primitive et médiévale se révèle, à la lumière de la grande Tradition, un symbole efficace pour contempler le Mystère christologique en lui-même, ainsi qu’une méthode pour une participation active à la célébration liturgique, véritable service divin pour notre unification en tant que, et avec le Corps du Christ. Après tout, suivant l’image symbolique, Dieu est lui-même le tisseur divin !
[1] Professeur de langage symbolique, art et liturgie, à l’Institut liturgique pontifical de Saint-Anselme, à Rome.
[2] A. GRABAR, « Recherches sur les sources juives de l’art paléochrétien I », Cahiers Archéologiques XI, Paris, 1969, 58-71 ; A. GRABAR, Le vie della creazione nell’iconografia cristiana. Milan 1983, 5.
[3] Cf. P. PRIGENT, L’image dans le judaïsme du IIe au VIe siècles, Labour et Fides, Genève, 1991, 23-42.
[4] « Protovangelo di Giacomo » (X-XII), in Apocrifi del Nuovo Testamento, a cura di MORALDI, L., Unione Tipografico, Torino, 1971, 77-78. [Protévangile de Jacques, 10.1-12.1.]
[5] Benoît XVI, Homélie pour la messe de la solennité de Marie Mère de Dieu et de la 41e journée mondiale de la paix, 1er janvier 2008.
[6] H. PAPASTAVROUP, Le voile, symbole de l’Incarnation - Contribution à une étude sémantique, Cahiers archéologiques 41, Paris 1993, 141-168.
[7] M. SEMERARO, La messa quotidiana, juillet, EDB, Bologne, 2015, 308.
Voyage en Terre Sainte
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Nouvelles
Voyage en Terre Sainte
avril-mai 2023
Dom Jean-Pierre Longeat, osb,
Président de l’AIM
Lundi 24 avril 2023
Mieux vaut tard que jamais ! C’est la première fois que je me rends en Terre Sainte alors même que j’ai accompli tant de voyages à travers le monde. Mais finalement, n’est-ce pas préférable de bénéficier d’un peu de maturité pour aborder une telle aventure ? En tout cas, je suis dans une disposition de cœur totalement ouverte pour vivre cette étape cruciale.
Je pars avec le père Andrea Serafino, de Novalesa (Italie), membre de l’Équipe internationale de l’AIM, et Olivier Dumont, trésorier de l’association des Amis des Monastères à Travers le Monde (AMTM).
Le voyage se déroule sans difficulté et nous sommes attendus à Tel Aviv par le père Christian-Marie, de l’abbaye de Latroun. Ce monastère vient de vivre un moment important : la communauté a récemment changé d’abbé, dom René a remis sa charge et c’est dom Guillaume Jedrzejczak, abbé émérite du Monts-des-Cats, par ailleurs, président de la Fondation des Monastères et depuis peu administrateur de l’abbaye de Sept-Fons (France), qui vient d’être nommé abbé de la communauté par l’Ordre des Trappistes. Car en effet, nous sommes là dans une communauté trappiste. Dom Guillaume n’est pas présent au monastère en permanence et c’est le père Christian-Marie, comme prieur, qui assure la responsabilité du quotidien de la communauté.
L’abbaye de Latroun se situe à 15 kilomètres à l’ouest de Jérusalem, à la frontière entre la Cisjordanie et Israël. Elle est réputée pour son vin ! L’abbaye fut fondée en 1890 par des moines trappistes venant de l’abbaye de Sept-Fons, en France. Ils plantèrent le premier vignoble en 1898, suivi rapidement par des travaux de défrichements et des plantations d’oliviers, de vignes, de céréales et d’agrumes. Les religieux furent expulsés pendant la Première guerre mondiale. L’endroit fut l’objet de vifs combats pendant la bataille de Latroun en 1948, et passa sous le pouvoir jordanien après la guerre ; actuellement le monastère est en territoire israélien. À moins d’un kilomètre à l’est de l’abbaye se trouve le site d’Emmaüs Nicopolis, un des sites souvent cité comme l’emplacement de l’Emmaüs de l’Évangile.
Arrivés au monastère dans la fin de l’après-midi, nous avons juste eu le temps de dîner et nous nous sommes aussitôt rendus à la salle du Chapitre pour une rencontre avec la communauté sur l’actualité de l’AIM. Pour insister sur le sens de notre voyage, j’ai redit l’intérêt qu’il y avait pour les monastères de se rapprocher les uns des autres et de s’entraider. Sur cette terre d’Israël, il y a six communautés de la famille bénédictine. Il serait vraiment utile qu’elles puissent proposer régulièrement des rencontres de concertation, de formation et de dialogue, comme cela existe dans d’autres régions du monde.
Mardi 25 avril
Le mardi 25 avril, lever pour les vigiles à 4 h 15 puis messe et laudes à 6 h 30. Dans la matinée nous visitons le monastère. Les bâtiments construits dans la première moitié du 20e siècle sont imposants. Ils sont bâtis en pierre. Malheureusement, le sol argileux ne permet pas une grande stabilité de l’ensemble. Les murs présentent des fissures évolutives de toutes parts. Cela entraîne des travaux importants et coûteux.
Les moines sont une vingtaine. Ils sont attachés à ce lieu et souhaitent y rester, même si certains trouvent que les frais d’entretien sont disproportionnés. En tout cas, la gestion du monastère est aujourd’hui très bien conduite, en espérant que cela permettra de faire face aux besoins à venir.
La propriété se compose d’une centaine d’hectares dont une partie cultivée avec des vignes et des oliviers. Le monastère produit donc de l’huile d’olive et un vin très remarquable. La cave est située dans les bâtiments de l’ancienne ferme préexistante au monastère, autour d’un bâtiment primitif qui était une auberge pour les pèlerins.
Après la visite des lieux et l’office de Sexte, nous partageons le déjeuner avec les moines. La table est bien fournie même si, comme il se doit, elle ne comporte pas de viande ; le vin ne manque pas et un gâteau de noix est servi en notre honneur comme dessert.
Après avoir rencontré longuement le père Christian-Marie, dans l’après-midi, nous partons vers l’abbaye d’Abu Gosh. À notre arrivée, nous sommes accueillis fraternellement par le père Louis-Marie Coudray, actuel supérieur. Nous passons un long moment avec lui et le père Christian-Marie pour évoquer les différents aspects de notre voyage et le contexte des monastères de la Famille bénédictine en Terre Sainte. Il serait intéressant de renforcer la relation entre les différentes communautés pour imaginer, notamment, des actions communes, des soutiens mutuels, des concertations ou simplement des échanges de nouvelles en direct. De ce point de vue, notre venue peut être un encouragement.
La sonnerie des Vêpres nous appellent à rejoindre l’église romane où nous rencontrons les sœurs de la communauté unie à celle des moines : chant des Vêpres en deux chœurs (hommes et femmes) ; bref échange avec l’une ou l’autre des sœurs. Nous prévoyons avec Mère Prieure notre expédition, demain matin, pour Bethléem.
Mercredi 26 avril
Nous partons à 9 heures vers Bethléem avec une sœur de la communauté d’Abu Gosh qui doit faire une course là-bas. Elle nous conduit d’abord au Champ des Bergers. C’est en ce lieu présumé que les Bergers de l’Évangile ont entendu, par le message des anges, l’annonce de la naissance de Jésus. Le village arabe de Beit-Sahour, situé au milieu des champs de Booz, comme le rapporte le livre de Ruth (Rt 3, 5), a été identifié selon la tradition au Champ des bergers. Il n’y a pas trop de pèlerins sur place, nous pouvons nous recueillir dans une grotte et admirer le paysage de montagnes et de prairies en bordure de la ville de Bethléem.
Nous nous rendons ensuite à la basilique qui est déjà envahie de touristes. Nous contemplons à l’intérieur les fresques de toute beauté récemment restaurées. La basilique de la Nativité est l’une des plus vieilles églises du monde, bâtie selon la tradition, sur le lieu présumé de la naissance de Jésus de Nazareth. Elle a été érigée au 4e siècle par l’empereur Constantin Ier et restaurée sous Justinien au 6e siècle. Elle a fait l’objet par la suite de nombreux aménagements. Elle est administrée aujourd’hui par les orthodoxes, les Arméniens et les Latins.
Nous prions un moment à l’écart de la foule dans l’église paroissiale Sainte-Catherine. En ce jour de mon anniversaire, je demande de pouvoir renaître d’en-haut tel que Jésus y invite le vieux Nicodème. C’est un moment particulièrement intense.
Nous nous rendons ensuite chez un commerçant d’objets religieux que la sœur d’Abu Gosh nous a fait connaître et qui, finalement, propose de nous conduire lui-même chez les bénédictines de l’Emmanuel. Elles sont établies près du mur de séparation entre Israël et la Palestine ; le check-point n’est pas loin, et personne n’aime vraiment venir dans ce quartier où les indésirables peuvent être menacés par les policiers chargés des contrôles. Mais finalement, tout se déroule bien et nous pénétrons dans la cour du monastère un peu avant midi.
Il y a là une toute petite communauté de quatre sœurs appartenant à la congrégation de Marie, Reine des Apôtres (Rixensart, Belgique). La communauté est de rite oriental. L’histoire du monastère débute en Algérie à la fin de la Seconde guerre mondiale, à deux pas de celui de Tibhirine. L’entourage étant à majorité arabo-musulman, les sœurs bénédictines priaient les offices en arabe. À la demande du patriarche Maximos V, elles acceptent de s’installer en Terre Sainte, où la vie monastique melkite est en train de disparaître, malgré la présence d’une importante communauté. Une famille de Bethléem leur ayant fait don d’un grand terrain sur une des collines entourant celle de la grotte de la Nativité, avec un superbe panorama sur la vallée du Jourdain et les Monts de Moab, elles ont pu poser la première pierre, soutenues par leur Congrégation. Au nombre de trois, les sœurs vont célébrer la première liturgie orientale dans la petite chapelle en 1963.
Sur les quatre sœurs de la communauté actuelle, une est en études en France dans le cadre du STIM. Les sœurs ne sont donc plus que trois sur place et bénéficie aussi de la présence d’une laïque, familière dans la communauté.
Mère Marthe, la prieure, nous accueille à bras ouverts. Elle nous entraîne directement à l’église où va avoir lieu l’office de Sexte. La chapelle est recouverte de fresques peintes par sœur Marie-Paul, du monastère du Calvaire, au Mont-des-Oliviers. L’effet est saisissant. L’office est chanté très simplement dans une atmosphère extrêmement priante. Nous sortons de là le cœur rempli d’espérance.
Mère Marthe a préparé elle-même le déjeuner et nous allons prendre le temps de parler avec elle et sœur Anna-Maria ainsi que la personne laïque présente au monastère durant le temps du repas.
Il manque sœur Bénédicte qui accompagne un groupe de pèlerins français. Ce sont des jeunes étudiants. Comme beaucoup d’autres groupes accueillis, ils sont hébergés sur place et couchent dans une grande salle, à même le sol. L’accueil occupe une place importante dans la vie du monastère, en plus de l’atelier d’icônes et de la fabrication de confitures ou d’autres produits d’alimentation.
La présence près du mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens donne une couleur particulière à cette communauté. Les sœurs ne sont ni d’un côté ni de l’autre, elles restent en territoire intermédiaire et elles prient pour tous. Elles ont des liens des deux côtés et tentent toujours de travailler à la réconciliation coûte que coûte.
Mère Marthe nous explique le sens de l’appartenance de la communauté au rit grécocatholique pour la beauté et le sens du sacré. Nous partageons le fait que leur fragilité même est un témoignage incontestable.
Sœur Anna-Maria vient de Roumanie. Elle a eu une vie très abondante : elle a été moniale orthodoxe dans son pays et finalement a été touchée par le message des sœurs de Bethléem lors d’un voyage qu’elles accomplissaient dans les monastères roumains. Sœur Anna-Maria a fini par les rejoindre.
Nous sortons très marqués par ce moment de grâce. Mère Marthe nous fait visiter les lieux et nous sommes heureux de constater que le jardin est aussi beau que les bâtiments du monastère, l’un et l’autre dans une grande simplicité d’agencement.
Mère Marthe a prévu pour nous un chauffeur ami qui va nous reconduire à Abu Gosh. C’est un chrétien palestinien. Il ne parle pas couramment le français et nous avons un peu de mal à engager une vraie conversation. Nous sommes frappés par sa bienveillance et sa disponibilité.
Le soir après Vêpres, nous partageons un repas festif avec les frères d’Abu Gosh au cours duquel nous parlerons un peu de l’AIM. À la fin du repas, je suis surpris par l’arrivée d’un gâteau en l’honneur de mon anniversaire. L’atmosphère est plus que fraternelle. Nous échangeons longuement, nous sommes heureux !
Jeudi 27 avril
Le matin de ce jour nous visitons la maison des Frères. À l’origine il y avait là une auberge, un caravansérail construit sur les vestiges du camp romain abandonné au 9e siècle, à l’époque arabe. Il servait alors de point de surveillance sur la route menant à Jérusalem. C’est à cette époque que le village prend le nom de Karyat el-Anab. Au 12e siècle, les Croisés, identifiant le lieu à l’Emmaüs des Évangiles, construisent à cet emplacement une église et un monastère. Ces derniers sont à plusieurs reprises détruits par les armées musulmanes, turque et caucasienne. À la suite des négociations entreprises par l’empereur Napoléon III, le terrain est offert à la France en 1875. Le site est progressivement restauré par les autorités françaises et le monastère confié successivement aux franciscains, aux lazaristes puis aux moines bénédictins olivétains. Ces derniers sont envoyés en 1976 par la communauté du Bec-Hellouin et bientôt rejoints par les sœurs oblates de Sainte-Françoise-Romaine. Jusqu’aujourd’hui, la source de Eïn-Marzouk sert de crypte à l’édifice religieux. Pendant la guerre israélo-arabe, le monastère a été utilisé comme infirmerie improvisée par l’unité Harel.
Le village d’Abu Gosh abrite une des mosquées modernes les plus grandes de la région. Elle se trouve en bordure du monastère.
En fin de matinée, nous rejoignons la communauté des sœurs pour partager le déjeuner avec elles dans leur réfectoire. Puis nous avons une rencontre avec toute la communauté. Très bon échange avec de nombreuses questions qui nous laissent entrevoir la diversité des membres de la communauté.
Vers 16 heures, nous sommes conduits à Jérusalem sur le Mont-des-Oliviers pour rejoindre la communauté des sœurs du Calvaire. Nous sommes accueillis très fraternellement et, presque aussitôt, nous participons aux Vêpres. La communauté est réduite mais bien fervente. Dès l’arrivée, j’ai été saisi par l’invitation à l’intimité en ce lieu où le Christ se retirait avec ses disciples. C’est un endroit à part, réservé, qu’il y a lieu de protéger.
Nous dînons à l’hôtellerie en compagnie de deux jeunes bénévoles dont l’un, un jeune garçon, est là depuis plusieurs mois et l’autre, une jeune fille, vient de passer deux mois sur place et s’apprête à repartir en France. La communauté pratique volontiers ce genre d’hospitalité qui permet à des personnes de faire une expérience humaine et spirituelle tout à fait unique, tout en collaborant à la vie du lieu.
Le soir, nous admirons en surplomb du jardin des sœurs le panorama sur la vieille ville avec l’esplanade du Temple, le dôme de la grande Mosquée et les différents clochers qui pointent à l’horizon. Sur la droite en contre-bas, il y a le cimetière juif où les morts attendent la venue du Messie dans cette vallée du Cédron.
Vendredi 28 avril
Nous passons la matinée à découvrir les alentours du monastère. Nous allons chez les sœurs russes proches du lieu présumé de l’Ascension. Elles sont une quarantaine. Leur style est très différent de celui des moines et moniales occidentaux. Elles habitent dans des petites maisons réparties sur l’ensemble de leur terrain et les pèlerins et touristes peuvent aller et venir à leur guise. Nous sommes ici comme dans un petit village. Nous croisons une sœur ukrainienne qui s’occupe du jardin et prend soin de son père en fauteuil roulant, très âgé et complètement sourd et aveugle ; il est prêtre, nous dit-on. Il ressemble à un vieux staretz. Ils ont fui l’Ukraine et se sont réfugiés dans ce monastère de Jérusalem. Nous rencontrons aussi la sœur chantre de la communauté qui est jordanienne et sœur Myriam qui est française. Beaux échanges fraternels qui montrent la qualité de leur vie profonde.
Nous passons à la mosquée qui abrite l’empreinte du pas de Jésus (au moment de l’Ascension). Nous arpentons les rues du village arabe qui entourent le monastère des sœurs du Calvaire.
Après le déjeuner, nous prenons un très long moment d’échange avec les bénédictines. Elles nous expliquent leur situation et les enjeux de leur présence en ce lieu. Elles détaillent leurs projets. Lors de leur dernier Chapitre général, elles se sont donné jusqu’en 2024 pour trouver une solution de viabilité sur place. Il faut attendre de voir si d’ici quelques mois des pistes concrètes se seront ouvertes ou non qui puissent leur permettre de présenter positivement leur situation lors de leur prochain Chapitre de 2024. Il semble difficile que l’aide ou la collaboration viennent d’autres congrégations ou communautés bénédictines ; il faudrait plutôt se tourner vers des laïcs qui accepteraient de s’engager en communion avec les sœurs, pour relever le défi d’une présence active en ce lieu. Sinon d’autres sœurs prendront le relais, s’il est possible d’en trouver. En tout cas, ce serait important de maintenir une présence chrétienne dans ce lieu protégé sur le Mont-des-Oliviers.
Nous partons ensuite vers la Maison d’Abraham pour une rencontre des responsables des communautés féminines contemplatives de Terre Sainte. Nous nous y rendons à pied en passant au milieu des tombes du cimetière juif avec une vue incroyable sur la vallée, sur la Cité de David et sur le vieux Jérusalem.
La Maison d’Abraham est l’ancien monastère qu’avait fondé les moines de Belloc au 19e siècle. L’édifice est entièrement restauré. C’est une belle réussite au service de l’accueil des pèlerins qui ne peuvent envisager de loger à l’hôtel, toutes confessions et religions confondues.
Il y a là deux couples de laïcs dont celui qui dirige la maison, et une quinzaine de sœurs bénédictines, carmélites, des Béatitudes et de Bethléem. Elles se retrouvent régulièrement avec une thématique et des questions pratiques concernant leur vie (administration, travaux, financement…). Je présente l’AIM, aidé par mes deux compagnons, et de nombreuses questions surgissent. Nous abordons le thème de la mixité dans le groupe formé par les sœurs, mais cela reste en suspens. Ce genre de réunion est un encouragement à envisager par ailleurs une réunion des supérieurs et supérieures bénédictins une fois ou deux par an. C’est la proposition que je formule.
Samedi 29 avril
Aujourd’hui, après le déjeuner, nous partons vers l’abbaye de la Dormition. Nous y allons à pied et nous traversons à nouveau la vallée de la Géhenne, nous allons à Saint-Pierre-d’Alicante, puis nous nous arrêtons au Mur des Lamentations où, de loin, le front posé sur la grille extérieure, je prie intensément pour la paix ; nous passons par le Cénacle qui, évidemment, a tout une histoire architecturale. Nous nous recueillons un moment avec émotion. Puis nous descendons au tombeau de David. Je suis touché à cet endroit, tant saint David reste pour moi l’un de mes personnage bibliques auquel j’aime tant me référer. Enfin, nous rejoignons l’imposant monastère de la Dormition.
Nous trouvons le Père Abbé qui vient juste de terminer la visite d’un groupe. Il nous accorde près de deux heures. Nous abordons toutes sortes de sujet : l’histoire et la vie du monastère, l’importance pour eux de la langue et de la culture allemandes qui les rend un peu différents des autres monastères plutôt de culture française ; l’œuvre éducatrice avec la faculté de théologie dans une perspective monastique, avec une vingtaine d’étudiants ; les travaux de rénovation du monastère entièrement pris en charge par l’Allemagne, le propriétaire étant une association de la ville de Cologne ; la complémentarité de leur fondation de Tabgha qui est un véritable centre spirituel près du Lac de Tibériade, au lieu de la multiplication des pains, et mille autres choses.
Nous visitons les travaux de rénovation du monastère qui concernent la totalité des bâtiments ; c’est une réalisation ambitieuse qui se terminera dans quelques mois. Il est prévu que L’église soit prête pour la bénédiction abbatiale du père Nikodemus Schnabel, le jour de la Pentecôte.
Nous participons aux Vêpres. Les moines présents ne sont que trois car sur les neuf autres, quelques-uns sont dans le monastère de Tabgha et d’autres remplissent ici ou là des ministères. L’office se déroule dans la crypte dédiée à la Dormition de la Vierge. Une représentation de celle-ci trône au centre de la salle d’une manière impressionnante. Durant le temps des travaux, c’est là que sont dits les offices. Bien sûr, tout est chanté en allemand, d’une manière très agréable dans une acoustique généreuse.
Nous déjeunons ensuite avec les trois frères et la sœur Gabriele du Mont-des-Oliviers qui nous a servi de guide cet après-midi. Nous nous quittons immédiatement après, le Père Abbé devant se préparer à un départ pour l’Allemagne, tôt le lendemain matin.
Sur le chemin du retour, nous traversons la vieille ville et nous nous rendons au Saint-Sépulcre qui, par chance, est ouvert. Il y a beaucoup de monde à l’intérieur. Je vénère la pierre de l’onction, à l’entrée, qui est bien accessible. Nous prions devant le tombeau, moment toujours impressionnant dont on aimerait qu’il ne cesse pas. Mais il y a beaucoup de monde et le recueillement est un peu difficile. Nous nous rendons alors à la chapelle Sainte-Hélène où est en train de chanter le groupe Harpa Dei dont les réalisations musicales m’intéressent. Il chante les Vêpres, je m’unis à leur prière, ravi. Les sœurs connaissent ce groupe et nous pourrons les rencontrer demain matin. Nous marchons encore un peu et nous rentrons en taxi, épuisés.
Dimanche 30 avril
Après avoir célébré la messe du Bon Pasteur, nous partons dans Jérusalem afin de rejoindre dans l’après-midi la réunion que nous avons programmée avec les Supérieur(e)s des monastères. Cette réunion aura lieu à Abu Gosh. Nous devons y aller en bus et pour cela traverser d’abord la vieille ville de Jérusalem et en profiter pour nous arrêter dans quelques lieux saints.
Tout d’abord, nous faisons une station au lieu de la trahison de Judas et de l’arrestation. Il y a là une petite basilique au pied du Mont-des-Oliviers. Je suis impressionné par l’intensité de l’émotion qui me saisit en ce lieu : je ressens comme un immense vertige. J’ai envie de me prosterner à terre et d’implorer le pardon de Dieu pour toutes nos (mes) trahisons. Puis c’est le jardin de Gethsémani et la basilique style art-déco qui le jouxte.
Nous nous arrêtons ensuite à Sainte-Anne, lieu présumé de la naissance de la Vierge Marie. Cette église et les bâtiments autour sont tenus par les Pères Blancs. Nous sommes reçus par l’un d’eux dont l’attention et la simplicité sont particulièrement impressionnantes.
Nous marchons ensuite vers le Saint-Sépulcre, et d’abord chez les Éthiopiens dans la partie haute. Nous avons rendez-vous avec deux membres du groupe Harpa Dei. La discussion est très stimulante. Le groupe sillonne le monde, avec un aspect missionnaire par la musique. Ils doivent venir bientôt en France dans la région normande. Je pense les faire venir à Ligugé. Ils ont beaucoup à dire pour inspirer la prière monastique. L’office chanté par eux prend des allures de révélation et même ceux qui ne sont pas chrétiens sont happés par sa beauté.
Nous descendons ensuite dans la partie inférieure et passons chez les Coptes où l’on peut voir des tombes creusées à même la pierre, semblables à celle où le Christ a été enseveli. Impressionnant. En sortant, nous tombons sur le père Stéphane, un franciscain français qui, « par hasard », a fait une retraite à Ligugé avant de rejoindre les franciscains. Il fait partie de la communauté affectée au Saint-Sépulcre. Il nous explique avec enthousiasme comment ce lieu montre la densité du Corps du Christ à travers toutes les personnes qui viennent le visiter. Elles sont de toutes sortes, ne savent pas toujours ce qu’elles viennent chercher ou faire, mais elles représentent le fourmillement du corps de l’humanité sauvée par le Christ. Autant le désert révèle le Père, la Galilée, le Fils, autant ici, c’est l’Esprit Saint qui se manifeste en une Pentecôte permanente !
Nous prenons une pizza dans un restaurant de la ville nouvelle et nous montons ensuite dans le bus qui doit nous conduire à Abu Gosh où vont se réunir les supérieur(e)s des monastères de la famille bénédictine de Terre Sainte. La réunion se conclut par quelques points d’attention :
– il est bon que, au moins, les supérieur(e)s se réunissent de temps en temps, ne serait-ce que pour échanger les dernières nouvelles concernant les différentes communautés, l’approfondissement en commun de certaines questions liées à la vie de l’Église, du monde, de la situation en Terre Sainte et d’autres encore…
– Le soutien mutuel dans les projets respectifs.
– L’entraide dans la formation à tous les niveaux.
– La proposition d’organiser des séjours pour des profès-professes ayant déjà un peu d’expérience. Ils pourraient passer deux ou trois mois en profitant d’enseignements, de visites et surtout de l’expérience concrète des lieux, sur place. Les participants viendraient d’Europe mais aussi d’Asie, d’Afrique francophone et d’Amérique latine.
La réunion a semblé ouvrir une voie : c’était le but.
Nous rentrons ensuite à Jérusalem par le bus, et au monastère du Mont-des-Oliviers par le Tram et par un autre bus. Longue expédition.
Lundi 1er mai
Ce matin, nous devons rencontrer le Patriarche latin de Jérusalem. Nous traversons la ville en bus et nous rejoignons le patriarcat. Le rendez- vous était fixé à 9 heures, mais par mail, le secrétaire du Patriarche avait demandé que nous soyons là à 8 h 30 et nous avions oublié. Nous sommes donc en retard si bien que Mgr Pizaballa ne peut nous recevoir. Le chancelier du diocèse se met à notre disposition et nous pouvons débattre avec lui quelques instants. Il nous dresse un tableau du développement de la vie religieuse depuis le Moyen Âge. C’est surtout au 19e siècle, après une longue période d’interruption, que les fondations se multiplièrent, principalement dans la vie religieuse apostolique. Les congrégations ainsi fondées étaient alimentées par un recrutement étranger. Seules deux congrégations autochtones se développèrent et restent bien vivantes. Les monastères, quant à eux, ont connu leurs heures de prospérité en rapport avec les succès de la vie religieuse en Europe (surtout en France et en Allemagne). Mais aujourd’hui où la vie religieuse est moins facile dans le continent européen, les communautés contemplatives de Terre Sainte sont plus fragiles et les questions d’avenir sont nombreuses.
Finalement, le Patriarche peut nous rejoindre un moment. Nous lui expliquons le but de notre voyage en Terre Sainte. Il se montre attentif mais résume sa position en deux phrases : « la Terre Sainte n’est pas l’Europe, c’est un lieu de fragilité, nous avons besoin de communautés religieuses fortes et stables. Tout ce qui se cherche en matière d’avenir de la vie religieuse en France, notamment dans la collaboration avec les laïcs, n’est pas d’actualité ici, c’est trop aléatoire ». La discussion ne peut guère aller plus loin. Nous terminons assez vite la conversation.
Nous nous rendons ensuite à Tabgha sur le lieu saint de la multiplication des pains, en bordure de la mer de Tibériade. Il y a là des moines de la Dormition et des sœurs de la congrégation des bénédictines du Roi eucharistique (BSEK, Philippines). Elles nous reçoivent à leur table pour le déjeuner. Nous passons un moment extrêmement fraternel avec ces cinq sœurs qui vivent là au service des pèlerins, en coordination avec les moines. Le site est particulièrement fort. Comme beaucoup, nous sommes touchés de marcher au bord du Lac. On a l’impression qu’à tout moment le Christ pourrait se présenter avec ses disciples, là sur la mer. Souvent, dans tous ces lieux saints, c’est l’impression que j’ai eue : le Christ est là, je le vois, je voudrais être avec lui, rester avec lui, l’entendre, vivre avec ses disciples et ne plus le quitter.
Après le déjeuner, nous rejoignons le centre de pèlerinage et rencontrons le père Joseph qui nous explique la mission des moines sur place, en communion avec la communauté de la Dormition, à Jérusalem, dont ils dépendent. Le lieu est vraiment bien aménagé. L’église contient des mosaïques anciennes qui illustrent l’épisode de la multiplication des pains. Nous sommes impressionnés par la fraternité de notre interlocuteur qui nous fait visiter l’ensemble de la maison. C’est une réalisation de quelques dix années, en parfait état, harmonieusement insérée dans l’espace. Nous sommes conscients du rôle important que jouent ses deux communautés sur ce lieu si visité. Plus notre séjour avance et plus nous mesurons la nécessité de soutenir ces communautés monastiques de Terre Sainte. Ce serait grave de ne pas se montrer solidaires.
Nous rentrons vers Jérusalem en traversant les paysages impressionnants du désert de Juda, de Jéricho et de bien d’autres lieux.
Mardi 2 mai
Ce mardi matin, nous avons rendez-vous au carmel du Mont-des-Oliviers. Celui-ci est tout près du monastère des bénédictines dans lequel nous logeons. Nous célébrons la messe, puis nous visitons le site dit du Pater qui jouxte le monastère. C’est le lieu dédié à l’enseignement que le Christ a donné aux apôtres sur la prière et où il leur a transmis le « Notre Père ». Cette prière est inscrite sur les murs en 170 langues ! La chapelle du monastère est dédiée à cette « dévotion ». Le site se déploie sur une surface importante, il est propriété de l’État français qui en a la charge en matière d’entretien, y compris pour la chapelle qui nécessiterait des travaux et un réaménagement intérieur minimal. Mais les décisions tardent à venir du côté de l’État et tout reste en plan. Le couvent quant à lui est indépendant ; ce sont les sœurs qui en ont la charge et le gèrent au mieux.
Nous rencontrons la communauté qui est assez nombreuse avec quelques jeunes sœurs. Je présente l’AIM et ses enjeux. Le débat est très ouvert et les questions vont bon train. Je ressors impressionné du beau témoignage de cette communauté qui tient bien sa place dans le paysage local.
Après le déjeuner, nous nous rendons à l’aéroport. Dernier check-point : nous sommes contrôlés. L’un de nous veut descendre de la voiture, mais aussitôt, attirant l’attention, les mitraillettes se pointent sur lui. Il ne tarde pas à rentrer dans la voiture et à attendre patiemment que le feu vert nous soit donné. C’est ce qui arrive quelques minutes plus tard.
Nous sommes prêts pour l’embarquement, la tête et le cœur encore remplis des témoignages de vérité que nous avons reçus ici ou là dans les communautés visitées. Nous avons essayé d’encourager les liens mutuels entre communautés, nous avons été à l’écoute de tous et de toutes autant qu’il était possible. C’était le but de notre voyage : mission accomplie !
Voyage en Inde
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Nouvelles
Voyage en Inde
11-27 février 2023
Sœur Christine Conrath, osb,
secrétaire de l’AIM
À l’occasion de la réunion annuelle de l’ISBF (Fédération Bénédictine Indo Sri-Lankaise), sœur Christine Conrath, secrétaire de l’AIM, et Mère Anna Brennan, abbesse de Stanbrook et membre de l’Équipe internationale, se sont rendues en Inde. Voici quelques échos de leur séjour.
Samedi 11- dimanche 12 février
Après un départ sans histoire à l’aéroport Charles-de-Gaulle de Roissy, et un vol direct pour Delhi de près de neuf heures, nous arrivons le dimanche 12 février à 10 h 30 à l’aéroport de Delhi. Nous avons cinq heures de transit où nous devons accomplir les formalités de visa et récupérer nos bagages. Nous embarquons ensuite pour Cochin où nous arrivons vers 19 h 10. Le Père Abbé Clément Ettaniyil, de Kappadu, nous attend, et nous partons directement à Mariamala, Kottayam, où doit se tenir la réunion de l’ISBF : deux heures sur les petites routes du Kerala. Nous arrivons à 21 heures pour dîner et dormir. Le père Bino Tom Cheriyil, supérieur de la communauté, nous donne l’emploi du temps pour la suite du séjour. Plusieurs viennent nous saluer, dont le père James Mylackal, président de l’ISBF.
Lundi 13 février
À 6 h 30, nous célébrons les Laudes puis la messe. Tout est récité ou lu à la suite, il n’y a pas de temps de respiration, on reste assis pour les doxologies des psaumes – ce sera ainsi pour tous les offices. Des moustiques voraces et des ventilateurs accompagnent notre prière. La messe est présidée par le père Notker Wolf, ancien abbé-primat qui est accompagné de Mme Gerlinde. C’est une insigne bienfaitrice pour les monastères d’Inde. Nous prenons ensuite le petit-déjeuner à la table d’honneur.
À 9 h 30, ouverture de la réunion de l’ISBF : rites d’inauguration, allumage de la lampe à huile, discours, distribution de fleurs, cadeaux et écharpes pour chacun. Il y a toujours un membre de l’ISBF chargé de présenter l’hôte de marque au micro, et un autre qui lui donne les cadeaux. Environ 60 personnes sont présentes : supérieur(e)s majeur(e)s ainsi que quelques moines, moniales et sœurs.
La première conférence est donnée par un évêque voisin, de la famille Vallombrosienne, sur la patience. Le père Notker Wolf intervient ensuite : il dit combien dans les troubles actuels de l’Église, nous, membres de cette Église, avons perdu toute crédibilité. N’ayant plus le pouvoir, nous sommes inquiets pour l’avenir. Il y a un changement de paradigme, pour la première fois depuis le Moyen Âge. Dans ce contexte, quel chemin d’inculturation en Inde ? En fait, ce travail revient aux frères et sœurs en charge dans les communautés d’Inde. Saint Benoît est très ouvert. Voir par exemple la nourriture : on donne ceci et cela afin que chacun trouve ce dont il a besoin. Et s’il n’y a rien, on bénit Dieu. Notre outil le plus précieux est la lectio divina. Selon son expérience au cours de ses voyages autour du monde, le père Notker constate que les communautés sont plus ou moins contemplatives et plus ou moins apostoliques ; mais quelque chose nous est commun : on sent que c’est « bénédictin ». L’amour de la prière commune est un critère d’authenticité. Une communauté, c’est comme une équipe de foot : on compte les uns sur les autres et on s’aime. C’est une école de patience. L’Esprit Saint est celui qui conduit notre avenir. Avec l’amour fervent pour notre communauté et le bon zèle, nous n’avons pas besoin de réorganiser quoi que ce soit. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin en premier. Ce qui est nécessaire d’abord, c’est la foi, l’amour et l’écoute. Notre espérance prend ses racines dans une vie authentique. Dans ce sens, on voit tout ce que Jésus a supporté, et même jusqu’au reniement de Pierre. C’est à nous maintenant de le suivre sur ce chemin.
Mme Gerlinde donne ensuite quelques indications sur sa Fondation pour venir en aide aux jeunes filles du Nord-Est, entraver le trafic des humains et combattre les violences domestiques. Elle lutte aussi pour aider les enfants livrés à eux-mêmes. Elle est venue en Inde pour la première fois en 1997. La pandémie de Covid19 a vraiment changé la face du monde. Elle insiste pour que les yeux de tous restent ouverts sur les enfants des rues.
Nous assistons ensuite au spectacle donné par l’école St Kuriakose : danses éblouissantes, chants, rites d’accueil…
Dans l’après-midi, présentation de l’AIM. Même s’il y a peu de questions, les participants manifestent un grand intérêt : Comment suis-je concerné par ce que nous représentons ensemble ? Comment le fait de se sentir concerné par les autres garde mon esprit en éveil ? Pourquoi est-ce que j’enferme souvent mes frères et sœurs dans leur fragilité ? Isaac de l’Étoile nous dit bien que mon frère et ma sœur ne sont pas des adversaires ; ils sont une aide, une opportunité pour moi de travailler à ma propre conversion. Le plus important n’est pas ce que nous faisons dans la Famille bénédictine mais comment nous nous connaissons, nous nous rapprochons les uns des autres. L’AIM essaie de renforcer le lien entre toutes les communautés, avec patience, comme le rappelait l’évêque en ouverture, et avec cet outil perfectionné de la lectio divina, ainsi que le mentionnait le père Notker. En Europe de l’Ouest, les communautés sont souvent âgées, les communautés du Sud sont l’avenir de notre famille religieuse. Mais plus que tout, notre avenir commun, c’est Jésus Christ.
Le père Vincent Korandiarkunnel, prieur de Makkiyad, donne une conférence sur la synodalité, ouvrant sur un beau partage, avec le témoignage du père Peter Dowe, de Douai Abbey, sur la préparation très synodale de l’élection de leur nouvel abbé : c’était bien la synodalité en actes.
Mardi 14 février
La messe est présidée par le père Clément Ettaniyil (Kappadu) en rite syro-malabar.
Mère Anna Brennan débute la journée des interventions avec un exposé sur Cor orans. Elle fait part de son expérience dans son propre monastère et dans la Congrégation anglaise.
Puis le Père Abbé Clément, de Kappadu, parle des mesures de mise à l’écart dans le contexte du Covid et en rapport aux mesures préconisées par la règle de saint Benoît quant à l’excommunication.
Puis vient la tenue de l’Assemblée générale de l’ISBF.
Dans l’après-midi un rapport de l’activité du DIM-MID régional est présenté par le supérieur de Kumily, le père John Kaipallimyalil. Le 7 décembre 2023, on fêtera le 50e anniversaire de la mort de Henri Le Saux. Mère Vandana présente le rapport de la CIB. Puis commencent les rapports sur les différentes communautés.
Une visite est organisée au monastères des petites sœurs Vallombrosiennes de Saint-Jean-Gualbert.
Mercredi 15 février
Le père Vincent Kundukulam, professeur au séminaire pontifical Saint-Joseph d’Aluva, évoque le travail du DIM en Inde. Le dialogue consiste, entre personnes religieuses qui ont réellement une compétence, à partager comment elles font l’expérience de Dieu. Pour commencer à dialoguer, il n’est pas nécessaire d’avoir la même représentation de Dieu. Le dialogue n’est pas une stratégie pour conquérir les autres mais une source pour remonter à l’origine de notre foi. Il applique cette pédagogie à la question de l’incarnation qui représente une réalité bien différente chez les chrétiens, les hindous ou les musulmans. Comment, à partir de visions aussi différentes, remonter jusqu’à la source de la foi en Dieu et pouvoir la partager ? La pédagogie du père Vincent m’a semblée excellente.
Dans l’après-midi, une excursion en bateau conduit les membres de l’ISBF dans la lagune de Kumarakam, Une immense digue sur la mer qui ouvre ou ferme les eaux du Kerala. La profondeur est de 3 à 5 mètres. Des paysages d’une beauté insigne, et une détente fraternelle charmante.
Jeudi 16 février
Les élections du Bureau reconduisent frère James Mylackal comme président ; le trésorier est le père Michael Kannala (Vallombrosien, Bangalore) et le secrétaire père Pinto Irudayaraj (Shantivanam) ; le Père Abbé Clément assurera les relations avec l’AIM.
La prochaine réunion de l’ISBF aura lieu du 4 au 10 février 2024 à Shantivanam.
Dans l’après-midi, départ pour le prieuré de St Scholastica, de la congrégation Grace and Compassion. Les sœurs tiennent là une maison pour personnes âgées et une unité de soins palliatifs. Elles ont aussi une maison d’accueil pour des étudiants et une ferme.
Ensuite, nous visitons les sœurs de Sainte-Lioba. Elles forment une communauté de trois membres qui hébergent des étudiantes en médecine.
Puis c’est l’arrivée à Kappadu pour le dîner. Découverte du lieu, et le soir, réunion avec des adolescentes qui suivent un cours d’allemand en ligne. Leur professeure est venue d’Allemagne pour les encourager. Il y aura un examen, puis un séjour en Allemagne. Le monastère de Kappadu est très attentif aux étudiants et fait beaucoup pour eux de différentes manières.
Vendredi 17 février
La messe en rite syro-malabar est suivie d’une célébration au cimetière avant le carême. Puis nous faisons la visite du monastère. La ferme comprends une étable de 63 vaches, une vingtaine de cochons, 2 000 poules, 200 lapins. On fait la cuisine au biogaz généré par la bouse de vaches. Il y a encore une pisciculture, une plantation d’hévéas. Ces derniers temps, le prix du caoutchouc a été divisé par trois. Il y a 300 employés en tout à Kappadu ; mais les moines sont tous au travail, toute la ferme est gérée par les aspirants.
À 10 heures, départ en voiture pour Kurisumala. Nous arrivons juste à temps pour l’office du milieu du jour, avec un groupe de séminaristes en retraite et leur formateur. Pour le repas de midi, nous sommes assis par terre, dans le cloître ; on avait préparé des tabourets pour nous dans la bibliothèque jouxtant le cloître. Repas sobre en silence. Les frères servent les hôtes de riz agrémenté de sauces, régime végétarien. Après le repas, nous saluons la communauté. Nous visitons la cellule du père Francis Acharya et tout le monastère. Le monastère de Kurisumala, OCSO, est maintenant lié à l’abbaye de Tarrawarra, en Australie.
Samedi 18 février
En ce jour où nous célébrons les 90 ans du père Anselme Maniakupara, l’un des fondateurs de Kappadu, le Père Abbé émérite John Kurichianil est présent. Nous sommes heureux de nous retrouver. Mère Nirmala Narikunnel, abbesse de Shantinilayam, nous rejoint pour quelques jours de retraite. Il y a quelques 300 invités. Dans l’après-midi, nous partons pour Maduraï en passant par Jeva Jyothi. Nous rencontrons l’évêque émérite à l’origine du monastère, avec la fondatrice Mère Lily Thérèse, maintenant décédée. Nous constatons la fragilité de cette communauté de trois sœurs avec un aumônier carme.
Nous arrivons au monastère de Kumily (St Michael’s Priory, Angel Valley, Viswanathrapuram), de la congrégation de St Ottilien.
Dimanche 19 février
Nous visitons une des activités du monastère : l’hébergement de jeunes garçons : 60 enfants sont en pension complète. Si les cours sont donnés ailleurs, les frères veillent à l’éducation de ces jeunes.
Dans la matinée, promenade traditionnelle à dos d’éléphant à l’« Elephant Junction », juste à côté du monastère, après le bain de ces mastodontes d’un poids moyen de 2,5 tonnes. Ce sont des femelles, réputées douces, sans défenses, il y en a trois en tout. Les éléphantes sont domestiquées et très obéissantes aux ordres du guide : « debout, couché, marche, stop, salut ». Ce fut une petite heure de promenade !
Nous visitons le monastère en fin de matinée ainsi que le Centre spirituel. Dans le jardin, des animaux sauvages viennent la nuit, le monastère est en bas d’une pente, la jungle est juste au-dessus. Viennent à passer dans le jardin des buffles ou des tigres (?), en tout cas il y a une volière de perruches et un jardin potager. Les frères récoltent environ 50 % de leur production agricole, le reste étant mangé par les animaux sauvages. Nous avons noté que toutes les fleurs des régimes de bananes ont disparu, mangées par des singes ? Déjeuner à Kumily avant de partir pour Madurai.
Visite de Madurai le soir, notamment un somptueux temple vieux de 5 000 ans. Il est très difficile de rendre compte de l’émotion en ces lieux, au milieu de cette foule indienne. Puis les frères nous conduisent à l’aéroport de Madurai pour nous envoler vers Bangalore et rejoindre l’abbaye de Shanti Nilayam.
Lundi 20 février
Visite de Shanti Nilayam, le jardin, la vigne. Un ouvrier dit qu’il faudrait enclore la vigne avant que le raisin ne murisse, sinon les voisins vont continuer de se servir chez les sœurs… La clôture est inexistante. La ciergerie est équipée de matériel vétuste. Avec de la cire recyclée, des femmes en difficulté (veuves, femmes battues ayant quitté leur domicile, etc.) fabriquent des cierges vendus ou cédés au diocèse.
L’hôtellerie est devenue insalubre par suite des inondations de ces dernières années. Il faudrait la raser et en reconstruire une nouvelle, contre le mur de clôture, sur la rue ; sinon le terrain risque d’être squatté, la ville se presse le long des murs. Au moment de la fondation, les sœurs se sont installées en rase campagne, mais la ville est venue jusqu’à elles, par suite de l’explosion démographique du pays. À la rencontre du soir, nous échangeons avec la communauté. Les sœurs sont toujours en lien avec la communauté des bénédictines de Ryde, en Angleterre, qui a contribué à la fondation de Shanti Nilayam. Le monastère de Shanti Nilayam s’inscrit donc dans la tradition du monachisme de la congrégation de Solesmes, mais adapté à la culture indienne.
Mardi 21 février, Mardi gras
Ce matin, nous visitons l’atelier de pains d’autel.
Les sœurs ont vendu toutes leurs vaches sauf deux. En raison de l’inondation, l’étable est restée sous l’eau durant huit jours et les vaches sont tombées malades. Les sœurs avaient déjà dû renoncer aux poulaillers (quatre bâtiments de 2 000 poules), en raison de la concurrence.
L’inondation est causée par le débordement du fossé d’évacuation des eaux usées, bouché par tous les détritus qui arrivent des nouvelles habitations du quartier. Le réseau d’évacuation des eaux usées est hors service. Le gouvernement accueille la plainte des sœurs et dit qu’il va agir, mais il ne fait rien.
Shanti Nilayam accueille les jeunes sœurs d’une fondation en Birmanie (Myanmar) pour leur formation. À la messe de ce jour, sœur Rosa Ciin, de Birmanie, a renouvelé ses vœux temporaires pour un an. Les sœurs birmanes feront profession solennelle ensemble cet été, puis rentreront en Birmanie. La communauté reçoit beaucoup d’aspirantes venant du Nord-Est. Elles ont une moyenne d’âge de 18 ans, et ne possèdent pas encore bien l’anglais.
Nous visitons aussi la communauté des Vallombrosiens, à Bangalore.
Mercredi des Cendres, 22 février
En ce jour, Mère Nirmala me demande de donner un petit exposé à la communauté sur le désir dans la RB, désir de Pâques, désir de conversion, et la discretio mère des vertus. L’exposé est suivi de la distribution des livres de carême. Chaque sœur a choisi un livre de la bibliothèque ; l’abbesse lit le titre des ouvrages choisis, avant de les remettre aux sœurs.
Sœur Asha Thayyil (ce nom signifie « Espérance » en hindi), nouvelle supérieure générale des sœurs de St Lioba, qui va voyager avec moi de Bangalore à Bhopal, nous rejoint. Les sœurs de Sainte-Lioba font souvent des retraites à Shanti Nilayam au cours de leur formation. Le soir, nous avons un moment de détente en communauté avec quelques petites animations proposées par le noviciat.
Jeudi 23 février
Nous partons à 5 heures pour Bhopal et arrivons en milieu de matinée au monastère des sœurs de Sainte-Lioba. Nous visitons l’hôpital (Dev Mata Hospital), avec sœur Betty, médecin qui a achevé sa formation en Allemagne. Une aile de l’hôpital est baptisée « le Vatican » (!), car de nombreux prêtres, religieux et religieuses y sont soignés. Les chrétiens sont moins minoritaires dans cette région.
Après le déjeuner, nous nous rendons à la communauté de Misrod qui tient un centre d’accueil pour femmes de la rue. Souvent handicapées, rejetées de la famille et de tous, elles sont ici au nombre de 37, hébergées sur place, alors que la maison a seulement une capacité d’accueil de 30 personnes. Et la police continue d’amener des femmes chez les sœurs. Les résidentes ont préparé quelques festivités en notre honneur. S’en suit un échange passionnant avec les sœurs de cette communauté. Les scènes de violence ne sont pas rares, en début de séjour de ces personnes tellement blessées par la vie.
Nous goûtons ensuite les alentours du site : nous nous rendons au musée tribal de l’Inde, très belle réalisation qui attire beaucoup de monde. Puis nous faisons un tour en bateau dans cette ville qui porte le nom de « Bhopal City of Lakes ». Les sœurs envisagent de créer une mission au bord du lac, ce qui me porte à rêver ! Retour à la communauté, puis, après le dîner, petit spectacle offert par les candidates et les jeunes sœurs, avec des danses traditionnelles liées au temps de la récolte.
Vendredi 24 février
Le père Antony Dhande, supérieur de Shivpuri, nous a rejoint. Nous prenons le petit déjeuner avec lui et l’équipe de l’hôpital adjacent à la communauté. Puis nous partons en voiture pour Sanchi, centre bouddhique inscrit au patrimoine de l’Unesco. Sur la route nous franchissons le tropique du Cancer.
Après le déjeuner, nous prenons le train pour Shivpuri. C’est une expérience ! La gare est noire de monde. Nous avons une place dans la classe la plus confortable où les voitures sont climatisées. C’est incontestablement plus confortable que l’avion ! À l’arrivée nous attend le frère Shivprakash qui nous conduit au prieuré de Jeevan Jiothi (Life and Light, Shivpuri). À 21 h 30, nous sommes accueillis par une cérémonie très soignée : musique et chants interprétés par les aspirants.
Samedi 25 février
Le matin, nous célébrons la messe au couvent des trois sœurs de Notre-Dame du Jardin, directement dans la cour de récréation de l’école. La maison délabrée s’enfonce dans le sol. La chapelle est balafrée, les murs lézardés. Selon la requête que nous avons votée au Comité de l’AIM, un nouveau bâtiment sera construit.
Je passe une matinée de rêve avec les enfants de l’école, et d’abord un spectacle ! Lever de rideau sur une prière, puis danse avec le drapeau indien, démonstration de yoga, et enfin l’hymne national. À cette date, les enfants de l’école primaire passent leurs examens, tandis que les plus grands ont terminé leur année scolaire.
Nous allons à Chattry où se trouve un temple bouddhiste en marbre blanc et incrustations de pierres précieuses. Un bijou, aussi beau que le Taj Mahal que nous n’aurons pas le temps de visiter. Nous faisons un tour dans l’ancienne ville de Shivpuri et nous découvrons le temple Skit.
Après le déjeuner, nous avons un contact avec les deux communautés de sœurs qui travaillent avec les frères. Une communauté d’Ursulines a une petite école. Leur économie est très précaire ; le gouvernement a fermé leur dispensaire. À 18 heures, nous revenons à l’école pour inaugurer et bénir un logement pour deux familles, puis retour au monastère pour les vêpres, suivies du chapelet, puis adoration du Saint-Sacrement.
Dimanche 26 février
Après l’office du matin et le petit-déjeuner, nous allons très vite à la paroisse pour la messe à 8 h 30. Les fidèles arrivent dès 8 heures et prient le chapelet avec les jeunes candidates, qui ont entre 17 et 23 ans : huit jeunes filles très déterminées. La messe est célébrée en hindi dans le rite romain.À la suite, nous sommes accueillis par la paroisse. On me demande de dire quelques mots à l’assemblée. La jeune qui traduit est déléguée pour les JMJ en Inde ; elle se prépare au voyage pour Lisbonne. À la sortie de la messe, les salutations vont bon train. « Que pensez-vous de l’Inde ? » me demande-t-on sans cesse.
Il faut partir pour Dehli, en train. Nous sommes accueillis à la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, pilotés par le père Jervis C D’Souza, ami du père Anthony. Dîner vers 22 heures, ce qui est normal en Inde. Nous apprenons que le père Felix Machado est là, évêque émérite de Bombay très actif pour le dialogue interreligieux, qui a passé six ans en France.
Lundi 27 février
Messe avec Mgr Felix Machado, puis petit-déjeuner et échanges très animés. Il s’enquiert de nouvelles du père Pierre de Béthune (Clerlande), du père Benoît Billot. Que devient le DIM francophone depuis la mort de sœur Marie-Bruno, de Liège ? Mais il faut partir vers l’aéroport !
À l’aéroport, je croise un corps de soldats des Nations Unies, partant pour une mission de six mois au Congo pour tenter de mettre un peu de paix…
Voyage de retour paisible, avec tant de souvenirs, un grand nombre de photos et de vidéos, pour partager et enrichir notre médiathèque et les archives de l’AIM ! Ma gratitude est grande envers toutes les communautés monastiques rencontrées lors de ce voyage merveilleux.