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Bulletin

La vie monastique aujourd’hui

125

Bulletin

« Toute la vie comme liturgie »

124

Bulletin

Les Chapitres généraux cisterciens
(OCSO et OCist, sep. et oct. 2022)

123

Bulletin

Vie monastique et synodalité

122

Bulletin

La gestion de la Maison commune

121

Bulletin

Fratelli tutti,
la fraternité dans la vie monastique

Fratelli tutti,
la fraternité dans la vie monastique

Bulletin n° 121, année 2021

Sommaire

Éditorial

Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM


Méditation

Fratelli tutti, chap. 3 (extraits)

Pape François


Lectio divina

« Un seul Père et vous êtes tous frères » (Mt 23, 8-9)

Dom Olivier-Marie Sarr, osb


Perspectives

Frères selon la règle de saint Benoît

Dom J.-P. Longeat, osb


Méditation

Fratelli tutti, chap. 3 (extraits)

Pape François


Ouverture au monde

Conséquences de la crise actuelle dans la vie des communautés religieuses

Sœur Patricia Murray, ibvm


Grandes figures pour la vie monastique

Dietrich Bonhoeffer et la vie monastique

John W. de Gruchy


Nouvelles

• Iwuru, fondation du monastère de Ewu-Ishan

Le Secrétariat de l’AIM


• Solonka, fondation en Ukraine

Le Secrétariat de l’AIM


• Les moines bénédictins de Shantivanam

Le Secrétariat de l’AIM


Notes de lectures

Sommaire

Éditorial

Ce numéro du Bulletin de l’AIM comprend un supplément. Il s’agit d’une réflexion de l’Équipe internationale de l’AIM à partir de l’encyclique du pape François, Fratelli tutti. En fait, cette dernière peut être considérée avec l’exhortation Evangelii gaudium et l’encyclique Laudato Sí comme la synthèse pastorale tout autant que théologique du ministère du pape François.

Il nous est apparu important de mettre cet enseignement en valeur et de voir comment il s’appliquait à la vie monastique selon la règle de saint Benoît. Ce document de travail est proposé à l’usage des communautés à travers le monde pour nourrir une réflexion sur les choix de vie et la participation à la construction d’un monde nouveau.

Le numéro du Bulletin qui accompagne cette publication donne des échos complémentaires au thème de la fraternité dans la vie monastique. On y trouvera aussi une relecture des conséquences de la situation de pandémie que nous sommes en train de vivre sur la vie religieuse en général. Ce texte est celui de l’intervention de sœur Patricia Murray au Conseil de l’AIM en 2019. Un article présente également la pensée de Dietriech Bonhoeffer sur l’importance de la vie monastique comme modèle de vie chrétienne. On trouvera enfin des nouvelles récentes et quelques notes de lecture.


Dom Jean-Pierre Longeat, OSB

Président de l’AIM

Articles

« Un seul Père et vous êtes tous frères » (Mt 23, 8-9)

1

Lectio divina

Dom Olivier-Marie Sarr, osb

abbé de Keur Moussa (Sénégal)

 

« Un seul Père et vous êtes tous frères »

(Mt 23, 8-9)

 

« Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,

car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner,

et vous êtes tous frères.

Ne donnez à personne sur terre le nom de père,

car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. »

(Mt 23, 8-9)

 

En lisant ces deux versets du chapitre 23e de l’évangile de Matthieu, on pourrait très vite être frappé par le caractère limitatif du texte, rédigé sous forme de deux sentences (Ne… faites pas - ne donnez à personne), suivies d’une clarification de chaque sentence (car vous n’avez qu’un…). Nous sommes donc en présence de deux interdits : ne point s’attribuer le titre de maître et celui de Père. Et entre les deux, se glisse subtilement une affirmation lapidaire, mais ô combien positive et explicite : Vous êtes tous frères.

Par ailleurs, les deux versets s’éclairent si l’on relie et relit les versets 1 à 12 du même chapitre 23. Jésus y réprimande les scribes et les pharisiens qui ont usurpé la chaire de Moïse et il les présente comme des contre-modèles. Ils disent et ne font pas, ils s’affichent volontiers à travers leur accoutrement et aiment recevoir ainsi des appellations pompeuses. Ils sont également à l’affût des places d’honneur dans les moments de convivialité comme durant le culte.

Or, les conditions d’une fraternité universelle doivent dépasser les rapports entre maître et disciple, fils et Père. Elles ne peuvent s’inscrire  dans une logique de titres, d’honneurs, de privilèges, car la fraternité est toute gratuite, sans calcul, sans fard. Dans cette perspective, la bonne nouvelle transmise à travers ces versets met en valeur la fraternité universelle qui devient un honneur ou un privilège inédit. Être tous frères entre nous et frères de Jésus signifie retrouver cette dignité de fils du Père et de frère-cohéritier du Christ. En effet, « puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ » (Rm 8, 17). Par conséquent, « il n’y a plus ni juifs ni grecs, il n’y a plus ni esclave ni homme libre… Et si vous appartenez au Christ, vous êtes de la descendance d’Abraham : vous êtes héritiers selon la promesse » (Gal 3, 28-29 ; cf. Gal 4, 7 ; Phm 16). Car le projet divin est de nous configurer « à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). C’est à la fois notre vocation et notre mission : bâtir une communauté de frères « qui s’accueillent réciproquement, en prenant soin les uns des autres » (Fratelli tutti, FT, 95). Jésus est le maître qui nous révèle cet appel à vivre et à diffuser cette fraternité universelle qui a valeur de révélation. Nous sommes tous frères, en effet, et en chacun de mes frères se retrouve le visage du Christ, notre unique Maître et le reflet de l’amour du Père céleste : « “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” » (Mt 25, 40).

Alors, comme Père Abbé, suis-je un père qui garantit d’une manière responsable l’effectivité de la fraternité ? Or, « on ne naît pas père, on le devient. Et on ne le devient pas seulement parce qu’on met au monde un enfant, mais parce qu’on prend soin de lui de manière responsable. Toutes les fois que quelqu’un assume la responsabilité de la vie d’un autre, dans un certain sens, il exerce une paternité à son égard » (Patris Corde 7). Dans cette logique, il y a une certaine paternité dans la fraternité : lorsqu’on choisit de cultiver la bienveillance (cf. FT 222) à l’égard de nos frères, en leur donnant du temps, en étant attentif à leurs besoins et en contribuant à leur croissance humaine, morale et spirituelle ; lorsqu’on participe activement à la cohésion du groupe en fuyant les dissensions (cf. Ga 5, 15) provoquées par les faux frères (cf. Ga 2, 4ss ; 2 Co 11, 26), en pratiquant la correction fraternelle, en favorisant le soutien mutuel (cf. Rm 15, 1), en usant de beaucoup de délicatesse (cf. 1 Co 8, 12) et en offrant aux frères un espace de liberté, de choix et de départ (cf. Patris corde 7). Bref, toutes les fois où j’agis d’une façon responsable vis-à-vis de mes frères, alors je suis à la fois pour eux un frère et un père ; une sentence de Jésus à Simon Pierre le résume parfaitement : « Affermis tes frères » (Lc 22, 32). C’est ainsi que l’« exercice » de la fraternité requiert une présence et constitue un présent. C’est la ferme conviction du psalmiste : « Voyez qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble et d’être unis » (Ps 132, 1).

« Seigneur et Père de l’humanité, toi qui as créé tous les êtres humains avec la même dignité, insuffle en nos cœurs un esprit fraternel. » (FT 287)

Amen !


Moines du prieuré de Séguéya (Guinée Conakry) en excursion, fondation de l'abbaye de Keur Moussa.

Frères selon la règle de saint Benoît

2

Perspectives

Dom Jean-Pierre Longeat, osb

Président de l’AIM

 

Frères selon la règle de saint Benoît

 


S’il est une dimension qui importe à saint Benoît, c’est celle de la fraternité. Il privilégie le titre de « frère » dans sa Règle pour désigner les membres de la communauté monastique. Comparativement le titre de « moine » est beaucoup moins employé. On peut rappeler ici les conclusions de Christine Mohrmann qui, en son temps, avait montré cette récurrence en relation avec l’idéal de la première communauté chrétienne par les premiers ascètes chrétiens, sous la conduite de l’Évangile, comme l’exprime bien le prologue de la Règle[1].

Chaque fois que saint Benoît emploie le titre de frère, cela est chargé de sens ; il n’y a pas dans cet usage un simple rôle fonctionnel. Cela marque un idéal. La communauté monastique est décrite comme une armée fraternelle dans laquelle on s’exerce et où l’on devient plus aguerri dans la lutte contre le mauvais esprit (RB 1, 5). Cette caractérisation du genre valeureux des cénobites n’est certes pas neutre. Il y a lieu de la prendre très au sérieux, autant que l’image de l’école du service du Seigneur, ou celle de l’atelier où l’on s’exerce avec les outils des bonnes œuvres. En parlant d’armée fraternelle, saint Benoît souligne l’importance d’apprendre à déjouer les pièges de l’adversaire et de s’appuyer pour cela sur l’expérience de ceux au côté desquels on combat.

Quelques participants du Monastic Formators' Programme, 2017. © AIM.

L’engagement fraternel dans la communauté

Après que le frère novice a émis sa profession, il se prosternera aux pieds des frères car la conséquence immédiate de son engagement est justement l’appartenance à ce corps fraternel où il va poursuivre la lutte contre tout ce qui peut faire obstacle au commandement de l’amour (RB 58, 23).

Au début et à la fin de la Règle, cette dimension est également rappelée comme un enjeu majeur. Dans les premiers paragraphes, saint Benoît s’exclame à l’adresse des frères : « Quoi de plus doux, mes très chers frères, que cette voix du Seigneur qui nous invite » (Pr 19), et au chapitre 72 dont on peut estimer qu’il est la véritable conclusion de la Règle : « Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle » (RB 72, 8). C’est parce qu’une voix fraternelle s’est adressée à nous avec toute la douceur de l’amour que nous nous sommes mis en route vers une communauté afin d’y travailler avec d’autres la dynamique de la charité.

Entre ces deux mentions, on peut dire que l’ensemble de la Règle consiste à répondre d’une manière très concrète à l’appel reçu de la part de la voix très invitante du Seigneur, et à la mise en œuvre chaste des devoirs de l’amour fraternel.

Le Prologue lui-même joue déjà cette partition entre l’écoute et la mise en œuvre du commandement de l’amour : « Mes frères, lorsque nous avons demandé au Seigneur : “Quel est celui qui désire la vie et veut connaître des jours heureux ?” » (Ps 33), ou encore : « Qui habitera dans ta maison, Seigneur » (Ps 14), saint Benoît insiste : « Mes frères, écoutons la réponse du Seigneur ». La voix de celui qui nous parle nous invite à nous mettre en route et à agir efficacement. Il y a lieu, pour encourager ce processus, d’interpeller les moines comme des très chers frères. ainsi que le fait saint Benoît.

Mais de quelle fraternité le programme de la vie monastique est-il fait ?


Une communauté de frères

En premier lieu, la communauté est constituée en un conseil de frères dont l’abbé prend régulièrement l’avis. C’est une des caractéristiques de cette vie commune. Cela se passe à différents niveaux : soit avec toute la communauté rassemblée, soit en un conseil de « sages » entourant l’abbé. Comme il est rappelé par la Règle, il est bon de tout faire avec conseil, on n’aura pas à le regretter.

Les frères étant réunis, l’avis de chacun sera sollicité : c’est à la fois un droit comme aussi un devoir. Nul ne peut se départir d’une telle sollicitation. « C’est en toute humilité et respect que les frères donneront leur avis » (RB 3, 8). Il y a là comme une qualité d’écoute, d’attention et de conscience que l’avis particulier de chacun vaut moins que celui de l’ensemble. « Tout est lié, et l’ensemble vaut mieux que la partie. » C’est bien ce qui se joue dans ces conseils fraternels. Lorsque cette dimension n’intervient pas assez régulièrement dans la vie d’une communauté, on peut être sûr que le danger menace.


Une fraternité humble

Il y a donc lieu de garder à cœur le propos de l’humilité pour favoriser une vraie communauté de frères. Dans le chapitre 7 sur l’humilité, il est dit que le frère avisé (littéralement celui qui veut être utile) se répétera sans cesse en son cœur, pour être vigilant sur ses pensées : « Je serai sans tache devant le Seigneur, si je me garde de mon péché » (7, 18). Le péché étant essentiellement le fait de tourner le dos à Dieu et de ne vouloir agir que par soi-même. Saint Benoît insiste : « Concluons, mes frères, qu’à toute heure nous devons être vigilants ». Au terme de ce chapitre 7, il conclut : « Les frères supportent les faux-frères et bénissent ceux qui les maudissent » (7, 93). De la même façon que dans le Prologue et dans l’ensemble de la Règle, l’invitation de départ est une écoute, une vigilance à laquelle les membres de la communauté sont appelés en toute fraternité ; de même au terme, ils sont en mesure d’aimer leurs ennemis, de supporter les faux-frères, de bénir ceux qui les maudissent, autrement dit de parvenir à une mise en œuvre accomplie du commandement de l’amour. Impossible d’aller de l’avant autrement : l’humilité met dans une disposition d’écoute, d’attention, de vigilance, de garde du cœur afin de suivre le Christ sur son chemin de Pâques et de vivre en vérité la communion fraternelle comme lui-même l’a vécue.

Le beau témoignage d’une communauté monastique au cœur de la société vaut surtout par cette capacité fraternelle qui apporte la grâce de la paix, de l’unité et de l’amour.


Sous la conduite du Christ

L’abbé qui a la charge de rendre manifeste, pour la part qui est la sienne, la présence du Christ au milieu de la communauté, doit veiller lui-même à ce que l’inimitié fraternelle ne pénètre pas dans le groupe. Il reste vigilant en particulier sur ses propres actes qui parlent tout autant et parfois plus que ses discours. Cela se vérifie notamment par la qualité de sa relation aux frères qu’il abordera avec humilité : « Toi qui apercevait un brin de paille dans l’œil de ton frère, tu ne vois pas la poutre qui est dans le tien » (RB 2, 15).

La responsabilité de l’abbé est la même quelque soit le nombre des frères dont il a la charge (RB 2, 38). Il aura à répondre de l’avancée ou du recul de chacun, pour la part de vigilance qui lui est demandée. Le chapitre 64 traduit cela en une formule lapidaire : « L’abbé haïra les vices et aimera les frères » (64, 11).

Les collaborateurs de l’abbé seront choisis généralement avec le conseil des frères, comme par exemple le prieur (65, 15). Les doyens seront nommés parmi les frères qui sont de bonne réputation et de sainte vie (21, 1). Dans le chapitre sur le cellérier, saint Benoît précise l’attitude fraternelle qu’il demande à ce responsable de l’organisation matérielle du monastère : « Que le cellérier n’attriste pas les frères » (31, 6) ; « qu’il soit en mesure de donner une bonne parole quand un frère lui demande quelque chose déraisonnablement » (31, 7) et « qu’il veille à ce que chacun soit servi de la portion qui lui revient, selon ses besoins » (31, 16).

Il y a donc chez saint Benoît à la fois un souci de faire participer les frères au choix de leurs responsables, et la préoccupation de faire vivre la fraternité sous tous ses aspects, de telle manière que personne ne soit contristé dans la maison de Dieu.


Le service fraternel

On peut dire que c’est toute la communauté qui doit porter ce souci. « Les frères se serviront mutuellement » (35, 1). Ceux qui entrent en service chaque semaine laveront les pieds de leurs frères, imitant le Christ à la veille de sa Passion. Le repas et le service qu’il implique sont conçus comme des moments eucharistiques. Ils font référence à ces agapes dont la première génération chrétienne faisait suivre le partage eucharistique.

On aura un soin particulier des frères malades qui représentent le Christ dans la communauté d’une manière très particulière (« J’ai été malade, dit le Christ, et vous m’avez visité » et « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait », RB 36, 2-3).

Mais il y a aussi une grande attention de la part de saint Benoît à ce que le service fraternel ne crée aucune perturbation dans la communauté : « Que les frères accomplissent leur tâche sans murmure » (41, 5). C’est pour cela que l’organisation doit être bien huilée, il y a un temps pour tout : le travail, la liturgie, la lecture spirituelle, la vie fraternelle… Tout un chapitre est consacré à cette répartition du temps et, finalement (48), c’est toute la vie qui est vouée à une activité de conversion avec un encouragement mutuel. Si jamais il y a un frère qui souffre de découragement (d’acédie), il sera bon de l’épauler, d’être à côté de lui et de l’aider à passer l’étape (48, 18). Par contre, il est important aussi qu’il y ait des temps personnels où la relation fraternelle ne joue pas comme une dispersion (48, 21). S’il y a des frères plus fragiles, on en prendra un soin spécial, on leur trouvera une activité proportionnée qui les fasse bien participer à l’effort commun et en même temps ne les accable pas ou ne les porte à fuir leur tâche (48, 24).

Il faut veiller à ce que les services ne soient pas trop lourds : à la cuisine, aux ateliers, à l’infirmerie, à l’hôtellerie, à la porterie… Si le portier a besoin d’aide, on lui donnera à cet effet un frère plus jeune (66, 5). Cela a l’air banal, mais c’est une dimension qui joue beaucoup dans la qualité de la vie quotidienne. Lorsque quelqu’un est harassé de travail, il ne peut servir ses frères dans de bonnes conditions.

Et de même que le cellérier considèrera le matériel du monastère avec autant de soin que les vases sacrés de l’autel, de même, l’abbé confiera tout ce matériel à des frères sûrs, et il fera attention à ce que chaque semaine, rien ne soit dispersé, afin que les frères qui se succèdent en charge n’aient pas de surprise et puisse compter sur la fiabilité des autres.


Une vie de recherche

La Règle précise que la fraternité s’enracine dans la recherche d’une assise intérieure que l’on peut trouver dans la prière et la méditation.

Outre le fait que rien ne doive être préféré à l’Œuvre de Dieu, c’est-à-dire à la prière commune, saint Benoît demande à ce que l’on passe du temps à l’étude du psautier et des lectures. On sait que les anciens moines passaient du temps à intégrer par cœur les psaumes qui sont la matière première de l’office. Donc les frères qui en ont besoin sont appelés à y passer le temps libre après Vigiles célébrées dans la nuit, en attendant l’office du matin (8, 3).

La lecture au chœur est l’objet d’un soin spécial. Il ne faudrait pas qu’elle soit bradée par quelqu’un qui ignore l’art de la lecture (9). Là aussi il y a un sens de la fraternité qui touche aux racines de ce qui est révélé.


Correction fraternelle

La Règle est basée sur la confiance fraternelle. La communauté est organisée comme une équipe de sport où chacun joue son rôle et compte sur les autres pour jouer le leur.

Et c’est d’abord à l’abbé de jouer le jeu de la confiance fraternelle en sachant bien sûr ce qu’il peut demander aux uns et aux autres. Par exemple en matière d’intendance, il la confiera à des frères dont il soit sûr (32, 1), et il vérifiera qu’il n’y ait pas d’embrouille au jour le jour, notamment dans la passation des responsabilités.

Mais il ne faut pas être naïf, au monastère comme dans toutes les sociétés, les fraudeurs existent et il y a lieu de corriger et d’accompagner leurs tentations de prise de pouvoir.

On ne peut parvenir à une vie fraternelle harmonieuse sans mettre en place quelques régulations. C’est pourquoi saint Benoît prévoit des mesures favorisant une réflexion personnelle sur sa conduite et permettant un ajustement. Cela se passe surtout dans le contexte des rassemblements communautaires journaliers (liturgie, repas). Un frère coupable d’une faute peut se trouver momentanément exclu de la table commune ou de la prière commune (24-29). Cette mise à part vise à éprouver le manque fraternel comme un bien supérieur aux propres désirs multiformes et désordonnés de chacun. On constate aujourd’hui un phénomène inquiétant qui poussent certains frères ou sœurs à se tenir à l’écart de leur propre fait, sans que cela soit considéré comme une difficulté ou une épreuve. Ils se trouvent heureux de cultiver leur propre différence sans souci du bien commun et persuadés de leur bon droit. À tel point que les modes de régulation fraternelle adaptés aux mentalités contemporaines sont si difficiles à trouver que l’on finit par s’accommoder du fait qu’ils n’existent quasiment plus. Il me semble qu’il y aurait là un sujet à approfondir dans la vie de nos communautés pour trouver les bons fonctionnements.


La fin de la Règle

À la fin de sa Règle, saint Benoît insiste beaucoup sur la dimension des relations fraternelles. Il pense aux frères qui partent en voyage, que ce soit à proximité du monastère ou au loin. Il demande à ce qu’ils soient bénis au départ et que l’on prie pour eux au retour. Il se soucie de voir comment traiter la question des choses commandées qui paraissent au-dessus des possibilités du frère auquel l’ordre est adressé. Le processus de débat est remarquable (cf. 68).

Il demande à ce que personne ne frappe ou ne punisse un autre frère délibérément, mais que la correction fraternelle soit régulée par l’abbé et la communauté.

Il demande surtout que les frères s’obéissent mutuellement (71). Qu’il y ait donc dans le monastère une volonté d’écoute réciproque et de mise en œuvre dans un même élan. Et si un frère en a irrité un autre, il devra aussitôt reconnaître son erreur et en demander pardon sur place (71, 6).

Saint Benoît résume tout ce souci de prise en compte de l’horizontalité fraternelle par cette formule lapidaire : « Qu’ils se rendent les devoirs de la charité fraternelle, chastement » (72, 8), c’est-à-dire sans que personne ne fusionne avec un autre, ni ne mette la main sur quiconque.


Conseils pour vivre la fraternité

Pointons ici quelques conseils de la Règle qui concrétisent la relation fraternelle.

Le plus important pour vivre librement la fraternité, c’est de se détacher de tout et de ne se sentir propriétaire de rien, tout en veillant aux besoins de chacun, de corps et d’âme.

On intégrera dans la vie fraternelle un nécessaire dialogue pour l’interprétation des ordres reçus qui rendront leur exécution d’autant plus pertinente, même lorsqu’il s’agit de choses qui paraissent à première vue impossible (68). À tel point que les frères apprendront à mettre en œuvre une volonté commune qui puisse s’enraciner dans celle de Dieu (71).

Bien sûr, on n’évitera à tout prix des règlements de compte personnels qui feraient prévaloir arbitrairement la loi du plus fort : personne ne prendra de décision subjective et radicale au sujet des autres frères ; on s’en remettra aux responsables (70). Mais à l’inverse, on évitera aussi une fusion malvenue entre deux frères.

Les moines ne se préoccuperont pas de leur apparence pour ce qui est de l’habillement, mais recevront leurs habits de la communauté, sans préoccupation de style ni de couleur, mais avec le sens de la mesure, donc sans dépense excessive (55).

Il n’y aura pas lieu d’accaparer des cadeaux venant de l’extérieur ou de l’intérieur, mais d’accepter qu’ils reviennent à d’autres s’ils leur sont plus utiles.

On veillera à adopter intérieurement l’attitude permanente qui marque le jour de la profession définitive où le nouveau frère se prosterne aux pieds de tous les autres et leur demande leur prière afin d’être reçu pleinement dans la fraternité de la communauté. Il gardera aussi le rang de son entrée afin que soient estompés les marqueurs sociaux et que prévale en tout la communion.

Quand les frères se croisent, ils auront les uns à l’égard des autres, un salut fraternel. Les jeunes honoreront les anciens et les anciens aimeront les jeunes : ils se nommeront affectueusement « frère » et « petit père » (nonni). Cela caractérisera la relation échangée dans le cadre du monastère : relation de fond en référence au commandement de la charité.

On évitera de laisser les jeunes toujours ensemble, et on les mélangera avec les anciens pour qu’ils puissent avoir un peu de recul sur leurs évaluations et ne soient pas tentés de s’entraîner dans la contestation facile ou dans la dispersion par rapport à l’essentiel (22).

Les frères se serviront à table à tour de rôle et veilleront à ce que personne ne manque de rien (38, 6). Il y aura deux mets cuits pour qu’aucun frère ne soit privé s’il ne peut manger de l’un.

Des frères assureront aussi la lecture de table de semaine en semaine et, pour ne pas trop peiner, ils pourront manger avant leur service, surtout s’ils sont a jeun depuis le matin (38, 6, 10).

Il est important que les frères accomplissent tout ce qu’ils ont à faire sans être tentés de murmurer intérieurement ou extérieurement. Saint Benoît est très sensible à cette dimension pour la qualité de la vie fraternelle.

Il est sensible aussi à ce que tout se passe en temps et en heure. Il prévoit que l’abbé lui-même sonne la cloche pour la liturgie ou bien qu’il le confie à un frère si ponctuel que l’office ne soit jamais manqué (47). Et quand l’office est terminé, tous les frères sortent de l’église dans le plus grand silence (52).

Saint Benoît prévoit aussi que certains frères puissent s’attarder à l’oratoire après l’office. En ce cas, ils le feraient avec discrétion, sans éclats de voix accompagnant les gémissements qu’ils pourraient pousser vers Dieu (52).


L’accueil fraternel

Les frères sont invités à partager leur prière et une part de leur vie avec des personnes qui viennent séjourner à l’hôtellerie du monastère. Il y a là un point fort de la vie monastique selon saint Benoît. Les frères ne sont pas voués au repli sur eux-mêmes. Ils sont requis pour être témoins auprès de ceux qu’ils accueillent de l’importance de la communion fraternelle (53).

Saint Benoît précise que tout hôte sera reçu comme le Christ, si bien qu’à son arrivée, l’abbé et tous les frères courent au devant de lui en lui manifestant toutes les marques de la charité (53, 3). Ils prieront ensemble ; le Père Abbé pratiquera le lavement des pieds, à l’exemple du Christ à l’égard de ses disciples.

L’abbé mangera avec les hôtes et rompra le jeûne pour eux, il pourra inviter d’autres moines à sa table (56, 2), alors que la communauté des frères se conformera à la pratique du jeûne selon la Règle (53, 10).

Lorsque les hôtes sont nombreux, l’important est que tout soit organisé de telle façon que la vie des frères ne soit pas troublée dans ce qu’elle a de fondamental (53,16). C’est pourquoi la fonction d’hôtelier requiert de grandes qualités spirituelles, notamment la conscience de la présence permanente de Dieu qui donne le sens à toutes les relations et à tous les actes de la vie (53, 21).

Les moines ne sont pas cloîtrés d’une manière absolue, dans la règle de saint Benoît. Ils voyagent et sont en contact fréquent avec des personnes extérieures. Tout un chapitre est consacré aux frères qui partent en voyage (66). Quand les frères doivent quitter le monastère pour un temps, ils demandent la prière de la communauté au départ et au retour, et restent reliés à elle, autant qu’il est possible, en assurant les heures de la prière.


Sœurs de Sainte-Lioba, lors de la réunion de l'ISBF 2019. © AIM.

Conclusion

Finalement, la règle de saint Benoît n’est pas un traité sur la fraternité comme une idée généreuse à laquelle il serait bon d’être attaché, mais c’est plutôt une invitation pratique à la mettre en œuvre dans le cadre d’une communauté de vie permanente. Cette fraternité est étendue aux hôtes accueillis par le monastère et à tous ceux qui, de près ou de loin, sont liés à la communauté. Finalement, comme on l’a vu tout au long de l’histoire humaine, ce témoignage fraternel est un élément stimulant de construction de la société tout entière. En effet, les communautés monastiques prouvent que la fraternité est possible, elles la vivent dans la longueur du temps avec stabilité. Le facteur temps est primordial dans l’idéal monastique même si, malheureusement, l’espace en a détourné souvent l’attention : on est parfois plus attentif à la structure qui peut devenir fixité, et incapable d’adaptation.

Benoît, comme on le voit dans sa vie écrite par Grégoire le Grand, aimait ce rôle essentiel de la fraternité dans la construction sociale. Aujourd’hui encore, il nous invite à être de vrais témoins qui donnent leur vie par amour au sein d’une communauté fraternelle.


[1] Christine Mohrmann, « Le rôle des moines dans la transmission du patrimoine latin », Revue d’histoire de l’Église de France, 1961, n° 144, p. 185-198.

 

Conséquences de la crise actuelle, liée à la Covid 19, dans la vie des communautés religieuses

3

Ouverture au monde

Sœur Patricia Murray, ibvm

Institute of the Blessed Virgin Mary (USA)

Secrétaire de l’Union Internationale des Supérieures Générales (UISG)

 

Conséquences de la crise actuelle,

liée à la Covid 19,

dans la vie des communautés religieuses

à travers le monde

 


En août 2019, j’ai été invitée à prendre la parole à la Conférence des supérieures à Scottsdale, en Arizona. Cela semble être il y a très longtemps, vu d’aujourd’hui où voyager est presque impossible. Bon nombre des éléments de ce discours ont pris un sens nouveau lorsque je les considère à travers le prisme de l’épidémie actuelle de Covid-19. Au cours de l’exposé à Scottsdale, j’ai cité le poème TRASNA écrit par sœur Raphael Considine, religieuse de la Présentation. « TRASNA », en irlandais, signifie « Passage ». Je crois que ces lignes résument le « voyage Covid » que nous, religieuses, faisons depuis de longs mois.

Les pèlerins s’arrêtèrent sur de vieilles pierres,

      dans la vallée.

Derrière eux se déroulait la route qu’ils avaient

      parcourue,

Devant, la brume cachait le chemin.

La question planait, tacite :

Pourquoi continuer ?

La vie n’est-elle pas assez courte ?

Pourquoi chercher à percer son mystère ?

Pourquoi s’aventurer plus loin sur ces sentiers étranges

      et risquer tout ?

C’est évidemment un pari d’imbéciles ... ou d’amants !

Pourquoi ne pas revenir tranquillement par la route

      que nous connaissons ?

Pourquoi être encore pèlerin ?

Une voix qu’ils connaissaient les a appelés, qui disait :

C’est Trasna, l’endroit du passage. Choisissez !

Revenez en arrière si vous voulez :

Vous trouverez facilement votre chemin :

      c’est la route d’hier,

Vous pourrez planter votre tente près des feux d’hier.

Il y a même peut-être encore du feu sous les braises.

Si ce n’est pas votre désir profond, ne bougez pas !

Déposez votre charge,

Prenez votre vie entre vos deux mains,

(vous avez là quelque chose de précieux

      qui vous a été confié)

Et puis fouillez les aspirations de votre cœur :

Qu’est-ce que je cherche ? Quelle est ma quête ?

Lorsque votre étoile se lèvera en vous,

Faites confiance à la direction qu’elle indique.

Vous aurez la lumière pour faire vos premiers pas.

C’est TRASNA, le lieu du passage. Choisissez !

C’est TRASNA, le lieu du passage. Venez !

 

Ces lignes reflètent bon nombre des conversations qui se tiennent aujourd’hui entre des religieux du monde entier. À l’Union Internationale des Supérieures Générales (UISG), nous avons lancé des « conversations Zoom », impliquant des religieux hommes et femmes de différents continents, pour imaginer ensemble l’avenir de la vie religieuse. Chaque fois les participants disent : « Nous sommes appelés à quelque chose de nouveau » ; « Nous ne pouvons pas revenir en arrière, nous devons aller de l’avant » ; « Nous faisons partie de l’humanité souffrante et nous partageons sa fragilité et sa vulnérabilité. » ; « Lisons les signes que les temps actuels nous envoient ».

Au cours de cette même présentation en Arizona, j’ai lancé une série d’appels qui, je l’espérais, leur parlerait de la réalité de leur vie en tant que supérieurs. Aujourd’hui, je voudrais évoquer à nouveau quelques-uns de ces points dans le contexte de la Covid ainsi que la question sur les conséquences de la Covid sur la vie religieuse dans différentes parties du monde. Je vais évidemment le faire avec mon expérience chez les religieuses, mais je suis sûre que vous en trouverez des échos dans votre propre vie et celle de vos frères et sœurs.


Premier appel : élargissons la tente de nos cœurs

Le prophète Isaïe a dit : « Élargis l’espace de ta tente, déploie sans hésiter la toile de ta demeure, allonge tes cordages, renforce tes piquets ! » (Is 54, 2). Cette image appliquée à la vie religieuse, ou même à toute vie, parle à la fois de flexibilité et d’enracinement, d’hospitalité sans limite et d’identité. Nous sommes invités à ne pas nous retenir, à nous élargir, mais en même temps à « renforcer nos piquets » en veillant à ce qui maintient la tente en place pour qu’elle soit profondément ancrée.

Ce verset nous invite à faire de la place dans nos cœurs pour le Christ et pour ceux d’entre nous qui se battent pour aboutir. C’est cette façon de voir qui a inspiré nos fondateurs et fondatrices et qui a été au cœur de leur vie consacrée « comme expression concrète de leur amour passionné »[1].

Nos fondateurs, fondatrices ont traduit leur réponse en un mode de vie particulier qui répondait aux besoins de leur époque. Aujourd’hui, spécialement pendant ce temps de Covid, nous voyons, en tant que religieux/ses, nos charismes s’étirer et s’élargir. Mais comment créer cet espace alors que, dans certaines parties du monde, nos lieux de vie sont contrôlés et que nous pouvons nous sentir limité/es ? Dans d’autres parties du monde, les religieux/ses sont considéré/es comme des acteurs de première ligne et peuvent se déplacer librement. Cependant, quel que soit le contexte, je vois les religieux/ses s’inspirer de leurs charismes pour trouver de nouvelles façons « d’élargir l’espace de leurs tentes ».

Aujourd’hui, nous avons peut-être, plus que jamais, l’occasion de nous rapprocher les uns des autres, de partager nos angoisses et nos peurs puisque nous sommes tous confrontés, ensemble, aux conséquences de cette pandémie. Mais nous partageons également ensemble la bonté, la générosité, le sens de la communauté et la solidarité lorsque nous nous joignons à beaucoup d’autres qui, en tant qu’individus ou groupes, s’occupent de ceux qui sont dans le besoin. Ceci, nous ne pouvons le faire que quand et si nous rencontrons les gens face à face. Nous pouvons le faire cependant aussi par la fenêtre, par le téléphone, par Twitter, Facebook ou Zoom. Les possibilités de créativité sont énormes. Je pense aux paniers descendus par les fenêtres des appartements en Italie et ailleurs, aux chants sur les balcons, aux chorales en ligne, pour remonter le moral des gens : ce sont des façons simples de partager avec ceux qui en ont besoin. Le panier est un symbole puissant parce que n’importe qui peut s’y servir ou y rajouter quelque chose. C’est un merveilleux symbole de communauté, d’unité et de solidarité.

Je suis au courant de la façon dont de nombreuses congrégations ont rapidement « élargi l’espace de leur tente » et ont bougé pour répondre aux besoins locaux avec créativité et de différentes façons :

– impliquer toute la communauté dans la préparation de la nourriture destinée aux familles du lieu, sortir dans la rue pour distribuer de la nourriture ou d’autres fournitures, comme c’est le cas dans différentes parties d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

– Partager la nourriture et leurs propres tables avec ceux qui ont perdu leur emploi et qui sont revenus dans leurs habitations rurales, venant des grandes villes d’Inde et du Brésil.

– Se rendre dans des endroits éloignés pour parler aux gens de la maladie, de la façon dont elle peut affecter les communautés locales et la meilleure façon de s’y préparer ; des sœurs se rendent en groupe en Amazonie pour joindre les communautés éloignées.

– Travailler avec les communautés locales pour développer des façons créatives de fabriquer des masques, de gérer la distanciation sociale dans les bidonvilles où les gens vivent les uns sur les autres, de trouver des moyens de fournir suffisamment d’eau pour le lavage régulier des mains dans les endroits éloignés de puits ou de forage. Ce sont là des choses que nous pouvons souvent tenir pour acquises.

– Mise en place, en Inde, d’une ligne de conseil Zoom pour que les gens puissent téléphoner s’ils sont anxieux ou craintifs ; ceci a maintenant été étendu à l’Afrique.

– Utilisation de la radio pour atteindre les habitants des zones rurales afin de leur apprendre la façon de reconnaître et de se protéger contre la Covid.

– Établir un logement temporaire pour ceux qui ont perdu leur emploi.

– Utiliser la technologie moderne pour que les gens puissent ensemble prier, célébrer, et s’engager dans la Lectio divina.

– Développer des rituels pour la mort et la préparation à la mort ainsi que pour raviver l’espoir et la compassion.

Les réponses qui sont aujourd’hui nécessaires ne sont souvent plus dans de grandes initiatives mais dans de minuscules graines de moutarde : un mot d’espoir, un cœur qui écoute, une présence compatissante, un regard qui aide à la guérison. Ce mysticisme de la rencontre se produit partout ; il est « de grande portée, personnel et communicatif »[2].

Nous voyons ce mysticisme en action dans nos communautés, dans les lits de malades, dans les rues de la ville avec les sans-abri, aux frontières avec les familles séparées, dans les camps de réfugiés, dans les hôpitaux et les paroisses avec des gens qui luttent.

Ce temps de Covid nous montre que ce sont de petites actions cachées et discrètes de bonté et d’amour qui transformeront notre monde. C’est la qualité de notre présence individuelle et en communauté qui compte avant tout. Bien que nous ne puissions pas nous toucher, nous serrer la main ou faire un câlin à quelqu’un, nous sommes appelés à trouver d’autres moyens de transmettre notre amour et notre attention. Le pape François a souvent parlé d’une révolution de tendresse qui nous rappelle que « la tendresse de Dieu nous amène à comprendre que l’amour est le sens de la vie »[3]. À travers cette révolution de tendresse et d’amour, le Pape propose une manière humble de déplacer les continents et les montagnes[4]. Les religieux/ses se demandent de plus en plus : « Quand les gens viennent pour demander de la nourriture ou passent juste un moment pour découvrir notre vie, qu’avons-nous à leur offrir ? Quelle est la nourriture que nous pouvons leur donner ? ».

« La générosité et la tendresse sont-elles une partie essentielle de notre témoignage ? »[5] Nous devons certes fournir les nombreuses choses matérielles qui sont nécessaires à ce moment-là, mais nous sommes de fait appelés à donner plus : être une présence prophétique radicale, donner le témoignage d’avoir un cœur universel ; « d’être un pèlerin et une présence priante » toujours vigilants, « intercesseurs, forts dans la foi », tournés vers Dieu, au nom du monde entier souffrant[6].



Second appel : être présent aux frontières

Le pape François parle d’une Église en sortie, d’une Église « en uscita », qui doit aller dans des pays blessés, vers les périphéries. Cette période de distanciation physique et de confinement nous lance un défi à cet égard. Gloria Anzaldua a utilisé la métaphore « borderlands » ou « la frontera » pour désigner différents types de passages : à travers les frontières géopolitiques, entre les lieux de fracture sociale, ou encore les passages qui existent dans de multiples contextes linguistiques ou culturels[7].

Ces « borderlands » sont partout : dans nos quartiers, aux niveaux national et international et, tout près de nous, au sein de nos communautés religieuses. Il se peut que cette pandémie ait ranimé des frontières qui ont toujours existé en raison de la race, de la religion, de la classe ou de la caste. Beaucoup de religieux, hommes ou femmes, parlent des tensions croissantes au sein de leur communauté au fur et à mesure que l’exigence de vivre avec la Covid augmente dans les communautés locales et nationales.

J’ai entendu parler, dans plusieurs communautés religieuses, de l’établissement de vraies frontières physiques, mais pour des raisons de santé et de sécurité : frontières entre ceux qui ont été infectés par la Covid et ceux qui ont été testés négatifs ; entre ceux qui sont en première ligne car ils vont travailler et ceux qui restent à la maison (souvent les plus fragiles et les plus âgés) ; entre ceux qui sont en blouse et masqués, qui rencontrent des malades, et ceux qui ont besoin de protection. Ils ont également réfléchi au courage de ces milliers de laïcs qui choisissent de venir travailler dans les foyers de personnes âgées, les hôpitaux et les cliniques, ainsi que les nombreux travailleurs des services essentiels : les éboueurs, les livreurs de nourriture ou autres produits, ceux des transports publics, les agents de nettoyage, les cuisiniers… la liste est sans fin. Ceux-ci – et bien d’autres – risquent aussi leur propre vie et celle de leur propre famille quand ils assurent des services au sein de maisons et institutions religieuses.

Nous devons cultiver un cœur et un esprit « borderlands ». Il est essentiel de voir « dans les yeux des autres » une meilleure compréhension, une empathie et une compassion plus profondes que ce que l’on peut ressentir en restant dans son propre milieu social. J’ai été profondément émue d’entendre dire que des sœurs et des frères travaillant comme médecins et infirmières dans un hôpital de l’Inde ont offert leurs salaires à ceux qui assurent des services essentiels à l’hôpital et qui ne sont pas bien payés. Dans d’autres cas, les responsables d’installations destinées aux religieux et religieuses ont dit à leurs employés de rester à la maison et ont cherché les moyens de trouver du personnel, parfois en faisant venir d’autres pays et continents des membres de leur Congrégation.

« Borderlands » est en effet une métaphore riche. On peut évoquer les nombreux endroits et opportunités qui, permettant à des personnes de cultures et de contextes différents de se croiser, offrent la possibilité d’apprendre et de grandir ensemble. Nous vivons dans des pays frontaliers. Je crois qu’en cette période de pandémie de la Covid ce genre de passage se fait au niveau personnel et communautaire, par la présence ou même virtuellement. Sur UISG Zoom web, des religieux, hommes et femmes, se réunissent, malgré les langues, pour partager, réfléchir et prier ensemble sur une multitude de sujets. Lorsque cela se produit, des relations se construisent entre les uns et les autres qui conduisent à une transformation mutuelle. Il ne s’agit pas seulement de survie côte à côte : il s’agit d’un processus de construction de liens profonds, de célébration et d’appréciation de la différence, d’engagement à collaborer ensemble.

Certains religieux et religieuses travaillent sur des frontières géographiques où réfugiés et migrants arrivent encore avec l’espoir d’une vie meilleure en ce temps de pandémie. Ils mettront encore du temps à réaliser leurs espoirs et leurs rêves dans le Nord et ils risquent même d’y être contaminés par le virus. La théologienne espagnole Mercedes Navarro nous rappelle que le Dieu chrétien est « un Dieu frontière » et que « pour survivre aux frontières, il faut vivre sans frontières et être un carrefour »[8]. Ainsi, dans notre contemplation, dans nos prières, dans notre rayonnement, nous devons constamment habiter les frontières et les zones frontalières ; nous devons vivre prophétiquement dans l’espace entre les deux et trouver des moyens de transporter les gens à travers le fossé de la culture, du religieux, du genre, de la race et de l’ethnicité. Nous devons être des gens qui se tiennent à la croisée des chemins, physiquement et spirituellement, en regardant et en attendant. La préoccupation de nos cœurs, la puissance de nos prières et notre plaidoyer peuvent soutenir les frères et sœurs qui sont aux frontières physiques dans différentes parties du monde. Nous pouvons nous demander : « Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui de vivre sans frontières et d’être un point de rencontre ? Comment pouvons-nous être présents physiquement et spirituellement dans les pays frontaliers aujourd’hui ? »


Enfin, nous sommes appelés à embrasser la vulnérabilité

Peut-être que l’une des images qui ont bien montré la vulnérabilité fut celle du pape François priant seul sur la place Saint-Pierre. Avant la pandémie, en examinant l’évolution de la situation des congrégations religieuses dans le monde entier, on voyait comme les étapes d’un cycle de vie : naissance, maturité, déclin, et dans certains cas, disparition... Nous vivons le cycle de la passion, de la mort et de la résurrection aux niveaux de la personne et de l’organisation. Maintenant, avec l’impact de la Covid, ce sentiment de vivre le Mystère pascal s’est encore approfondi.

Beaucoup de congrégations ont perdu des membres à cause du virus : certaines en ont perdu peu, d’autres un grand nombre, en particulier dans les premiers temps, quand nous ne savions pas à quel point ce virus était contagieux. De toute évidence, l’Italie, puis l’Espagne ont été très durement touchées dans les diocèses et au sein des congrégations. Beaucoup de prêtres, de sœurs et de frères sont morts. Ceci s’est poursuivi dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis.

À l’UISG, nous avons été durement touchées par la Covid à titre personnel : sœur Elisabetta Flick, qui avait occupé le poste de Secrétaire exécutive adjointe, est décédée trois mois seulement après sa retraite dans le nord de l’Italie, trois jours seulement après être tombée malade. Nous avons tous eu des cas similaires. Puis, à l’UISG, nous entendions régulièrement parler des nombreuses congrégations touchées et infectées. Et les communautés pleuraient leurs sœurs et leurs frères, ne pouvant même pas les enterrer avec les rituels liturgiques et de congrégation habituels.

En tant que religieux, nous étions et vivions dans un état de plus grande fragilité et vulnérabilité. Au sens profond, cela nous rend plus pertinents que jamais, nous place en communion avec les gens de notre temps et de notre pays qui font face à la mort des proches et à l’incapacité de leur dire au revoir. Nous vivons tous dans des sortes « d’espaces frontières ». Les Écritures nous rappellent que ces lieux sont souvent des déserts ou des montagnes sauvages.

Les gens semblent presque toujours se sentir forcés d’aller dans le désert et d’y « prendre la route la plus dure, la plus onéreuse et la plus dangereuse, exercice exigé par la radicalité de leur foi »[9]. Or c’est ici, dans le désert, que des gens ont été nourris, cinq mille à la fois, et qu’une nouvelle communauté prend forme. Rappelons-nous  constamment que « le lieu de la rareté, voire de la mort, est révélé par Jésus comme un lieu d’espérance et de vie nouvelle »[10].

Richard Rohr décrit l’espace-frontière comme « un temps crucial d’entre-deux où tout se produit réellement et où pourtant il ne semble que rien ne se passe »[11]. C’est le temps d’attente. Pour nous, religieux, ce moment semble être ce temps d’attente où nous sommes appelés à être patients, pour laisser venir le temps et l’espace nouveaux.

Dans ce lieu frontière, nous pouvons partager nos idées les uns avec les autres et nous écouter attentivement pour partager la manière dont nous ressentons l’appel de Dieu ; ces conversations peuvent révéler des murmures de l’Esprit.

L’écrivain spirituel Belden Lane, en réfléchissant à la mort de sa mère écrit : « Le point de départ pour beaucoup de choses c’est le chagrin : à l’endroit même où la fin des choses semblait si absolue »[12]. Notre foi nous rappelle que « la douleur de la fermeture » est souvent « ce qui précède une nouvelle ouverture dans nos vies »[13]. Nous savons que notre expérience de faiblesse, de confusion, de recherche nous place parmi les hommes et les femmes de notre temps.

Ce que nous avons à offrir aux gens d’aujourd’hui, c’est avant tout notre expérience de la vulnérabilité, de la fragilité, de la faiblesse et notre profonde conviction que la grâce de Dieu vient rarement de la manière dont nous pourrions nous y attendre. Elle exige souvent « l’abandon de toute sécurité » et ce n’est qu’en acceptant la vulnérabilité que la grâce exige, que nous nous retrouverons invités à la plénitude[14]. C’est par nos propres limites et faiblesses en tant qu’êtres humains que nous sommes appelés à vivre comme le Christ a vécu.

Faire profession des Conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, c’est « témoigner radicalement de la puissance du Mystère pascal » alors que nous abandonnons tout à Celui qui offre la vie éternelle. Pouvons-nous avoir des conversations sur la fragilité et la vulnérabilité entre nous et avec les autres ? Croyons-nous que Dieu prépare le chemin à quelque chose de nouveau dans nos propres vies ? Dans la vie du monde ?


Conclusion

Voici quelques étés, j’ai participé à un séminaire sur le leadership créatif à la Burren School of Art, dans l’ouest de l’Irlande. Le Burren lui-même est une région aux paysages extraordinaires. C’est l’une des régions karstiques/calcaires les plus importantes du monde ; il y a une certaine qualité mystique dans ce lieu. Nous étions un groupe très varié, provenant de différents horizons et de plusieurs parties du monde. Nous avons eu de nombreux et bons échanges sur le leadership. À la fin de chaque session, un poète, un musicien ou un artiste résumait l’essentiel de chaque conversation par un poème, un symbole ou une réponse musicale… parce que le leader est vraiment un artiste. À la fin d’une séance, Martin Hayes, un violoniste irlandais traditionnel, a joué un morceau qui se terminait par une note longue. Je me suis rendu compte qu’en tant que religieux, nous devons apprendre à entendre et à identifier ces longues notes qui sont jouées dans la vie quotidienne et qui nous indiquent ce qui se passe à un niveau plus profond et nous appellent à chercher comment y répondre.

Saint Ignace de Loyola nous demande d’imaginer la Trinité regardant le monde d’en haut et de l’imiter en contemplant ce qui arrive à l’humanité. Nous pouvons presque entendre la Trinité dire : « Travaillons à transformer toute la race humaine ; répondons aux gémissements de toute la création »[15]. La méditation nous invite à « descendre dans la réalité du monde et à nous y impliquer, afin de le transformer »[16]. Aller plus loin touche les profondeurs mystiques et prophétiques de nos vies d’où découle toute notre action. Les réponses résident dans le fait d’être ouvert et prêt à s’engager dans de simples actes de rencontre, de communion avec ceux qui sont proches et ceux qui sont loin. Nous avons vu que nous pouvons le faire de différentes façons en ces temps. Rencontrer l’autre et être en communion avec les autres est au cœur de notre vocation, alors même que nous trouvons des moyens nouveaux et créatifs pour le faire.

Vivre le mysticisme de la rencontre exige « la capacité d’entendre, d’écouter les autres ; la capacité de chercher des moyens et encore des moyens », de construire le règne de Dieu ensemble en ce moment particulier. Partout dans le monde, les religieux se voient à nouveau comme des disciples missionnaires, cherchant à aller de l’avant, prenant hardiment l’initiative, allant vers les autres, cherchant ceux qui sont perdus et solitaires, craintifs et oubliés. Nous nous sentons appelés avant tout à être une présence contemplative dans le monde, discernant comment répondre à ces paysages changeants ; se dire ce qui se passe partout où nous nous trouvons, comment nous nous sentons appelés à répondre et à inviter les uns les autres à se soutenir.

Je suis agréablement surprise actuellement : les religieux et les religieuses travaillent sur le Net, collaborent et partagent ce qu’ils ont, pour le bien de ceux qui en ont le plus besoin. Ils font souvent preuve de courage face à l’inconnu, un courage qui comprend la fidélité comme « un changement, une floraison et une croissance » et finalement, en tant que témoins religieux, « fidèles à la quête continue et sans fin de Dieu dans ce lieu et ce temps changeants ».


[1]     Pape François. Témoins de la joie. Lettre apostolique à tous les consacrés à l’occasion de l’année de la vie consacrée, § 2.

[2]     Pape François. Témoins de la joie. Lettre apostolique à tous les consacrés à l’occasion de l’année de la vie consacrée, § 2.

[3]     Pape François. Théologie de la tendresse. 13 septembre 2013.

[4]     Matthieu 17, 19 ; 21, 21.

[5]     Patricia Jordan, fsm, Shifting sands and solid rock (Heredfordshire: Gracewing Publication 2015) 14.

[6]     CICLSAI, Keep Watch, To consecrated Men and women, Journeying in the footsteps of God. 8th september 2014.

[7]     Introduction to the fourth edition by Norma E. Cańtu and Aida Hurtado in Gloria Anzaldúa, Borderlands: La Frontiera – The New Mestiza, 4th edition (San Franciso: Aunt Lute Books, 2012) 6.

[8]     Gloria Anzaldúa, Borderlands: La Frontiera – The New Mestiza, 6.

[9]     Beldon C. Lane, The Solace of Fierce Landscapes: Exploring Desert and Mountain Spirituality (London: Oxford University Press; 8th edition, February 26, 2007), p. 44.

[10]    Idem.

[11]    Richard Rohr, Daily Meditation for Holy Saturday.

[12]    B. Lane, The Solace of Fierce Landscapes, 25.

[13]    Idem.

[14]    Ibidem, p. 30.

[15]    Fr. Daniel Ruff, sj, Bulletin of Old St. Joseph’s Church in Philadelphia, Advent 2008.

[16]    Josep M. Lozano, Leadership: The Being Component, in J. Business Ethics, Published online 23 March 2016.

Dietrich Bonhoeffer et la vie monastique

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Grandes figures pour la vie monastique

John W. de Gruchy

 

Dietrich Bonhoeffer et la vie monastique

Quelques réflexions d’un théologien de la Réforme[1]

 

 

La petite graine de l’intérêt de Bonhoeffer pour le monachisme était déjà semée quand, en 1924, alors qu’il était jeune étudiant à Tübingen, il visita Rome pour la première fois. Il en fut profondément ému, d’autant qu’il y vécut la Semaine sainte. Quelques années plus tard, il rédiga sa thèse, Sanctorum Communio, dans laquelle il repensait l’Église protestante comme ecclesia, communauté d’amour et non pas institution de type sociologique. Il faisait là la proposition frappante d’envisager l’Église comme « le Christ existant en tant que communauté de personnes ». Mais le catalyseur qui a finalement fait passer Bonhoeffer du théologien « scolastique » au théologien « monastique » s’est révélé pendant son année d’études à l’Union Theological Seminary de New York en 1930-1931, lorsqu’il a « découvert la Bible ». Il s’est rendu compte que, bien qu’il ait souvent prêché, il n’était « pas encore devenu chrétien ». Il comprit alors, écrit-il, « que la vie d’un serviteur de Jésus-Christ doit appartenir à l’Église, et petit à petit, il m’est apparu plus clair de l’engagement final vers lequel cela conduisait ». Ce fut le début du voyage de Bonhoeffer dans « le désert » et sa découverte de « la condition onéreuse de disciple » avec sa participation à la lutte de l’Église allemande contre le nazisme, suivie de son propre « virage monastique » à Finkenwalde, et finalement son martyre.

Bien que déjà profondément influencé par Barth[2], Bonhoeffer ne le rencontra pour la première fois qu’à l’été 1931 à Bonn, après avoir entendu la conférence qu’il avait prononcée un matin. Plus tard dans la journée, il fut invité à participer à une discussion chez Barth et, de manière assez surprenante, il y rencontra des moines bénédictins du monastère voisin de Maria Laach. Plus tard, il visita le monastère avec les frères, et développa avec eux une bonne relation. Mais les événements dépassèrent ce contact et bientôt Bonhoeffer, suivant l’exemple de Barth, fut profondément impliqué dans la lutte de l’Église contre le nazisme. Cependant, en octobre 1933, au grand désarroi de Barth, Bonhoeffer se rendit à Londres dans deux congrégations d’expatriés allemands. C'est là qu’il commença à réfléchir plus sérieusement au monachisme et écrivit à son frère Karl-Friedrich que « la restauration de l’Église devait impérativement dépendre d’un nouveau type de monachisme, sans rien de commun avec l’ancien mais qui devrait ressembler à une vie de disciple sans compromis, à la suite du Christ, selon le Sermon sur la montagne ».

En 1935, Bonhoeffer est invité à retourner en Allemagne pour fonder un séminaire confessionnel à Finkenwalde en Prusse orientale. Avant de partir, il visita plusieurs séminaires de style monastique en Angleterre pour le guider dans sa nouvelle tâche afin de préparer les ordinands déjà formés à l’université, à devenir des pasteurs plus fidèles, en cette période de crise nationale. Mais comme les séminaristes ne restaient qu’un semestre ou deux, Bonhoeffer établit une Maison de frères, composée de quelques ordinands qui devaient rester plus long-temps et s’engageraient dans une vie commune. Son intention était de les voir assurer la stabilité et la continuité. Le livre de Bonhoeffer « De la vie communautaire », qui a inspiré de nombreux moines et d’autres personnes impliquées dans la fondation de communautés, est basé sur cette expérience. C’est également à cette époque qu’il écrivit son livre classique « Vivre en disciple - le prix de la grâce » dans lequel il opposait « la grâce bon marché » et « la grâce coûteuse ». Il affirmait que la dépréciation de la grâce qui s’était produite dans les Églises de la Réforme avait été évitée dans l’Église catholique à cause du monachisme. Les gens, écrivait-il, « ont laissé tout ce qu’ils avaient pour l’amour du Christ et ont essayé de suivre les commandements de Jésus par l’ascèse quotidien. La vie monastique est ainsi devenue une vive protestation contre la sécularisation du christianisme, contre la dégradation de la grâce. C'est précisément ainsi que les premiers moines ont compris leur retraite dans le désert ».

Bonhoeffer partageait les réserves de Luther sur le monachisme. Mais il insistait sur le fait que le retour de Luther dans le monde ne visait pas à éviter une vie de disciple exigeante, et que son propre « virage monastique » n'était pas non plus une tentative d’échapper au monde. En effet, Bonhoeffer travaillait pour la Résistance lorsqu’il écrivait à ses parents depuis le monastère bénédictin d’Ettal en 1941 : « Cette forme de vie ne m’est naturellement pas étrangère, et j’éprouve sa régularité et son silence comme extrêmement bénéfiques pour mon travail ». Il poursuivait en disant que « ce serait certainement une perte (et c’était en effet une perte dans la Réforme !) si cette forme de vie communautaire préservée pendant mille cinq cents ans venait à être détruite ».

Au fil des ans, Bonhoeffer a connu bien des désillusions mais n’a jamais abandonné l’Église. Au contraire, sa vision d’un « nouveau type de monachisme » visait à permettre à l’Église d’être « conforme au Fils unique qui s’est fait homme, a été crucifié et est ressuscité ». L’Incarnation du Christ, c’est pour ici et maintenant. Quoi de plus monastique que de dire, avec Bonhoeffer, que « nous vivons au milieu de la mort ; nous sommes justes au milieu du péché ; mais nous sommes nouveaux au milieu de l’ancien. En effet, notre “mystère reste caché au monde”. Nous vivons parce que Christ vit, et nous vivons en Lui seul ». Ceux qui se conforment au Christ de cette manière, dit encore Bonhoeffer, « ne se soucient pas de se mettre en avant, mais ils exaltent le Christ pour le bien de leurs frères et sœurs… ils se manifestent comme ceux qui ont reçu le Saint-Esprit et sont unis à Jésus Christ dans un amour et une communion incomparables ».

Dans une lettre qu’il écrivit plus tard de prison à son ami Bethge, Bonhoeffer raconte une conversation qu’il a eue avec un pasteur français et un autre étudiant à l’Union Seminary en 1930. Le Pasteur lui disait vouloir devenir saint. Bonhoeffer répondit qu’il préférait « apprendre à avoir la foi ». En effet, il ne tentait plus de faire quoi que ce soit par lui-même. Au lieu d’essayer d’être une personne religieuse, il croyait que le Christ exigeait de nous de vivre une « maturité humaine ». Cette « humanité » signifiait : « vivre pleinement au milieu des tâches, des questions, des succès et des échecs, des expériences et des perplexités de la vie », et ne plus prendre au sérieux « ses propres souffrances mais plutôt la souffrance de Dieu dans le monde ». Ceci, dit-il, « c’est la foi ; c’est la conversion, c’est la métanoïa. Et c’est ainsi qu’on devient un être humain, un chrétien. (Cf. Jer. 45 !) »

Ainsi, l’humanité, la « mondanité » de Bonhoeffer ne signifiait certainement pas « la mondanité superficielle et banale des illuminés, des agités, des confortables ou des lascifs », mais la profonde « mondanité » qui montre la discipline et inclut la connaissance toujours présente de l’expérience réelle de mort et de résurrection. Thomas Merton consonnait avec Bonhoeffer. La vraie mondanité chrétienne, écrivait-il, « est une affirmation de vie et d’humanité, de confiance et d’espérance au milieu de la lutte, de la souffrance et de la mort ». En effet, la véritable ascèse chrétienne est une manière d'exercer la responsabilité chrétienne pour le monde, de manière aimante, créative, rédemptrice, pleine d’espérance et de vie, et d’éduquer, de discipliner nos désirs en conséquence.

Dans son « Plan pour un livre » que Bonhoeffer esquissa en prison, il décrit ce que serait l’Église et le chrétien dans un monde post-chrétien. Ce faisant, il donne corps au nouveau type de monachisme qu’il avait en tête. Si le monachisme a commencé en réaction à la chrétienté, aux valeurs de l’empire et d’une Église de plus en plus mondaine, un nouveau type de monachisme est nécessaire maintenant, alors que la chrétienté est en train de s’effondrer, pour garantir que l’Église reste fidèle à son témoignage en faveur du Christ, celui en qui la réalité de Dieu et du monde sont unis.

Premièrement, Bonhoeffer dit que l’Église n’est Église que « quand elle est là pour les autres », parce que Jésus n’existe « que pour les autres ». Les monastères peuvent être cloîtrés, mais pour Benoît, les monastères existent autant pour l’extérieur que pour les moines qui sont à l’intérieur. En effet, celui qui suit la règle de Benoît doit traiter tous ceux qui frappent à la porte comme le Christ en personne. Être solidaire des victimes de la société est donc une marque de l’Église, et ne pas le faire est une façon de rejeter le Christ.

Deuxièmement, dit Bonhoeffer, « l’Église pour les autres » doit « donner tous ses biens à ceux qui en ont besoin ». La vision monastique de la mise en commun dans le partage de toutes choses remet en question la manière dont l’Église comprend et utilise ses ressources. Cela concerne très directement l’Église lorsqu’il s’agit d’une institution soutenue par l’État, selon le contexte que connaissait Bonhoeffer. Mais cela met également au défi les chrétiens, les congrégations et les monastères plus riches de partager leurs ressources, et cela soulève aussi la question de la juste répartition des richesses dans la société, de manière plus générale.

Troisièmement, poursuit Bonhoeffer, l’Église doit être autosuffisante et s’engager dans un travail quotidien qui rende cela possible, tout en participant « aux tâches mondaines de la vie, à partir de la communauté – non pas en dominant mais en aidant et en servant ». De cette façon, l’Église est un exemple pour tous de « ce qu’est une vie avec le Christ », c’est-à-dire « un être-là pour les autres ». Le fait que les monastères soient historiquement devenus des centres de soins pour les malades et les personnes handicapées, ainsi que des lieux d’apprentissage et d’éducation, est une extension de ce ministère.

Quatrièmement, Bonhoeffer parle de la lutte monastique contre les vices personnels comme un programme de l’Église elle-même. Car la vie « avec le Christ » et « pour les autres » exige non seulement que les moines ou les chrétiens individuels, mais toute l’Église, affronte et surmonte « les vices de l’orgueil, le culte du pouvoir, l’envie et l’illusion comme racines de tout mal ». De même, l’Église doit poursuivre les vertus contraires à ces maux : « la modération, l’authenticité, la confiance, la fidélité, la fermeté, la patience, la discipline, l’humilité, la modestie, le contentement de ce que l’on a ». Ce faisant, l’Église découvre que sa « parole a du poids et de la puissance non par des concepts mais par l'exemple »[3].

Enfin, Bonhoeffer relie la vie liturgique de l’Église à sa participation à la lutte pour la justice dans le monde. Comme il l’a écrit dans un sermon de baptême alors qu’il était en prison : « Nous ne pouvons être chrétiens aujourd’hui que de deux manières, par la prière et en favorisant la justice entre les êtres humains. Toutes les pensées, paroles et organisations chrétiennes doivent renaître à nouveau, à partir de cette prière et de cette action ». Mais comment l’Église, le monastère ou la congrégation existent-ils « pour les autres », engagés au service du monde dans ses luttes pour la justice, sans perdre son identité d’Ecclesia ? Ainsi Bonhoeffer le demandait à Bethge :

« Comment pouvons-nous être ecclesia, ceux qui sont appelés, sans nous comprendre religieusement comme privilégiés (c’est-à-dire comme faisant partie de la chrétienté), mais au contraire en nous considérant comme appartenant à part entière au monde ? Le Christ ne serait alors plus seulement l'objet de la religion, mais tout autre chose, il serait vraiment le Seigneur du monde ».

Tout comme Bonhoeffer a insisté sur le fait que sa compréhension de la condition de disciple n’était ni banale ni superficielle, de même il insistait sur le fait que lorsque l’Église s’ouvre au monde, que ce soit par son hospitalité chaleureuse, sa solidarité avec les victimes sociales, ou en cherchant à interpréter l’Évangile, elle ne doit ni abandonner son identité ni compromettre les mystères de la foi. À cette fin, Bonhoeffer propose de récupérer la discipline de l’arcane monastique. C’est à dire la pratique adoptée dans l’Église du 4e siècle pour protéger les « Mystères-sacrements dans la pratique intérieure de l’Église, en particulier pour le baptême et l’eucharistie », en les gardant « cachés » au monde. Ainsi, Bonhoeffer propose que l’arcane monastique soit rétablie, car ainsi les mystères de la foi chrétienne seraient « à l’abri de la profanation », tandis que, en même temps, et c’est le point critique, l’Église s’impliquerait davantage dans la vie du monde. L’ouverture au monde et l’enfouissement dans le mystère de la foi sont indissociables car l’un et l’autre font indissociablement partie de son identité profonde. Ce kairos, ce moment monastique n’est donc pas pour les chrétiens le temps de fuir le monde, mais plutôt d’aimer le monde avec l’amour de Dieu, de ne jamais perdre espoir dans le monde en tant que monde de Dieu, et ainsi de participer ensemble plus activement et plus pleinement à la vie de Dieu.


[1] John W. de Gruchy, né en 1939, est un théologien chrétien d’Afrique du Sud, professeur émérite à l’université du Cap et professeur extraordinaire à l’université de Stellenbosch. Certaines de ses premières œuvres ont été écrites durant l’apartheid, s’élevant contre la législation et s’appuyant sur la théologie de Dietrich Bonhoeffer pour plaider en faveur de la libération des opprimés. Après l’abolition de la législation sur l’apartheid en 1991, de Gruchy a écrit un certain nombre d’œuvres parlant du rôle théologique de l’art dans la société et plaidant pour une théologie de la réconciliation. [Note de l’Éditeur.]

 

[2] Karl Barth (1886-1968) est un pasteur réformé et professeur de théologie suisse. Il est considéré comme l’une des personnalités majeures de la théologie chrétienne du 20e siècle. [Note de l’Éditeur.]

 

[3] D. Bonhoeffer, Letters and Papers from Prison, 503-4.

 

Iwuru, fondation du monastère d’Ewu-Ishan (Nigéria)

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Nouvelles

Secrétariat de l’AIM


Iwuru, fondation du monastère

d’Ewu-Ishan (Nigéria)

 

 

Le Nigéria est un pays d’Afrique de l’Ouest situé dans le golfe de Guinée. Avec plus de 186 millions d’habitants en 2014, le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique et le septième pays du monde par son nombre d’habitants. Le poids économique et démographique du Nigéria lui ont valu le surnom de « Géant d’Afrique ».

Le sous-sol est riche en ressources naturelles (pétrole et gaz) et constituent la principale source de revenu du pays. Le pays est le premier producteur d’or noir d’Afrique. Le Nigéria produit également un certain nombre de métaux (étain, fer, plomb, zinc…) ainsi que du charbon.

Toutefois, le pays demeure relativement pauvre, en raison notamment d’une forte corruption (fuite des capitaux). C’est ainsi que le Nigéria est le seul pays du monde disposant d’importantes ressources pétrolières à présenter un déficit budgétaire. En 2015, plus de la moitié des Nigérians vit avec moins de 1,25 $ par jour. À peine un quart de la population bénéficie des revenus du pétrole.

Le pays fait partie de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il a envoyé des soldats au Libéria et en Sierra Leone, et a proposé son aide pour résoudre de nombreuses crises.

Les deux principales religions sont le christianisme et l’islam. Le Nord du pays est à majorité musulmane tandis que le Sud est à majorité chrétienne. Les chrétiens nigérians sont pour les trois-quarts protestants évangéliques et pour un quart catholiques. Depuis 2009, les interventions du mouvement Boko Haram, qui vise à contrôler la population du nord-est du pays et à installer la charia dans l’ensemble des autres États, s’est muée en un conflit armée avec les forces armées nigérianes. Les attaques de Boko Haram ont des répercussions humaines (13 000 morts au Nigéria et plus de 1,5 million de déplacés) et économiques, dont en premier lieu une pénurie alimentaire.



La communauté

Sur l’insistance de l’Évêque, ami de la communauté, les moines de Ewu-Ishan ont repris une petite fondation à l’extrême Est du pays. Cette fondation était le projet d’un prêtre diocésain ayant fait son noviciat à Ewu-Ishan, mais la fondation n’a pas réussi à se développer. Cinq moines d’Ewu-Ishan ont été envoyés à Iwuru qui est devenu en 2018 une cella du monastère. En 2020, il y a déjà quatre novices et quatre aspirants. La fondation d’Iwuru possède 150 hectares de terres agricoles ; il y a une immense plantation de palmiers, plantain, bananeraie et cacaoyer. Les frères ont commencé une production d’huile de palmes et une petite porcherie.

Sur le terrain existent déjà deux petites maisons destinées à l’accueil, l’une comprenant cinq chambres et l’autre quatre. Un gros travail de rénovation doit être engagé pour améliorer les chambres et sanitaires.

Solonka, fondation en Ukraine

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Nouvelles

Secrétariat de l’AIM, d’après les informations transmises

par la congrégation de l’Annonciation et les sœurs de Zhytomyr



Solonka, fondation en Ukraine


 

Jusqu’à une date réçente, Zhytomyr était la seule abbaye bénédictine en Ukraine. Les moniales préparaient depuis plusieurs années une nouvelle fondation à Solonka, près de Lviv. En effet, en 2016, l’archevêque de Lviv, Mgr Mieczysław Mokrzycki, proposa aux sœurs d’entreprendre la vie bénédictine dans un monastère, fondé par une famille suisse, dont la construction débutait. En octobre 2019, lors de la visite canonique de l’abbaye de Zhytomyr, menée par l’abbé président Maksymilian Nawara et le prieur de Lubiń, Izaak Kapała, la construction touchait à sa fin et l’heure du départ des sœurs pour le nouveau monastère approchait à grands pas. Cependant, les sœurs, craignaient que sans une aide réelle pour façonner la vie bénédictine à Lviv, ce ne soit une tâche trop difficile. L’abbé Maksymilian a alors contacté l’archevêque Mokrzycki pour déclarer son soutien à la création de la fondation de Lviv.

Lors de la rencontre d’août 2020 à Lubiń, Mgr Mokrzycki a invité des moines bénédictins de Pologne à co-créer le monastère de Lviv, avec la perspective de s’installer dans un autre endroit plus tard. L’archevêque a garanti l’aide et, en fait, a immédiatement attribué toute l’aumônerie nouvellement construite aux frères.

Cependant, aucun des monastères polonais n’avait jusqu'à présent envisagé la question d’une fondation en Ukraine. Il était également évident qu’aucun d’entre eux n’était assez fort pour le faire seul. Il y avait deux options : soit abandonner (en utilisant l’argument séculaire : « nous sommes trop peu nombreux »), soit le faire ensemble. Pour la première fois dans l’histoire moderne des bénédictins en Pologne, l’Abbé Président a invité tous les supérieurs des monastères bénédictins de Pologne à Biskupów pour discuter des possibilités de coopération d’une manière réelle et pratique. Le fruit de ce premier « synode des abbés polonais » fut le consentement unanime à tenter un projet de fondation commune en Ukraine. C’est une nouveauté dans la tradition bénédictine. Habituellement, un monastère – la Maison mère – en fonde un autre dont elle prend la responsabilité. Cette fois, les frères ont dû élaborer de nouvelles règles qu’ils ont énoncées dans la « Déclaration de coopération. L’aumônerie des moniales bénédictines de Lviv ».

Les frères vont à Lviv principalement pour soutenir les sœurs du monastère de Saint-Joseph nouvellement créé, et exercer le ministère dans l’église Saint-Benoît du nouveau monastère. Les frères sont donc installés dans le bâtiment de l’aumônerie, dans l’espoir de trouver d’ici quelques années un emplacement pour un monastère masculin, tout en gardant leur apostolat à l’aumônerie.

Quatre frères ont été envoyés : de Lubiń, l’abbé Maksymilian – qui reste le modérateur de l’ensemble du projet – et le frère Efrem Michalski. De Tyniec, frère Leopold Rudziński, premier bénédictin d’origine ukrainienne à être ordonné prêtre dans la nouvelle église le 20 mars, et le fr. Borys Kotowski.

Les trois premières sœurs envoyées de Zhytomyr sont sœur Bernadeta Venglovska, sœur Rita Linenko et sœur Augustyna Tichon.

Il fallût d’abord élaborer un rythme commun de prière : les frères et sœurs de trois monastères possédant leur propres traditions et coutumes, chacun dût aprendre à participer à la liturgie en abandonnant des formes familières à son monastère d’origine. La liturgie est célébrée en ukrainien et en latin. L’eucharistie dominicale commence par une procession commune des sœurs et des frères. Des fidèles participent chaque soir à l’adoration eucharistique. Chaque matin, les frères et sœurs se rassemblent au chapitre pour un commentaire de la Règle par le père Maksymilian. C’est aussi l’occasion de parler de l’actualité, de partager le travail, etc.

Chaque jour apporte de nouveaux défis. Il y a deux mois, les frères et sœurs vivaient la majeure partie de la journée avec des ouvriers qui effectuaient des travaux de finition ou corrigeaient les défauts constatés. La région de Lviv est très humide, il pleut presque tous les jours ; il faut donc trouver des moyens pour réduire l’humidité ambiante. Le monastère n’est pas encore raccordé au réseau de gaz. La maison des hôtes est maintenant meublée et des personnes s’y présentent : amis de Pologne, frères de Slovaquie,… Les premiers prêtres arrivent pour des retraites individuelles.

Les fidèles catholiques de tradition latine ou grecque ainsi que les fidèles orthodoxes accueillent chaleureusement cette nouvelle fondation. La communauté fait chaque jour connaissance avec le clergé de l’archidiocèse de Lviv et avec les communautés religieuses alentours. Elle n’a pas encore de sources de revenus. Toute aide est donc bienvenue.

Le 4 juin 2020, Mgr Mokrzycki a béni la croix qui a été installée sur l’église Saint-Benoît.

Le 19 mars a eu lieu la consécration de l’église Saint-Benoît, de la cloche, et du monastère Saint-Joseph, en présence de la famille suisse qui a construit le monastère.

Le 24 juillet dernier, sœur Maria Lyudmila Kukharyk a prononcé ses vœux solennels dans la nouvelle communauté. C’est la première profession de cette fondation.

Les moines bénédictins de Shantivanam

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Nouvelles

Secrétariat de l’AIM


Les moines bénédictins de Shantivanam

(Tamil Nadu, Inde)


 

Le Tamil Nadu, littéralement « pays des Tamouls », est un État d’Inde du Sud. Il compte environ 72 millions d’habitants pour un peu plus de 130 000 km2. Le Tamil Nadu est plus riche et plus urbanisé que la moyenne nationale. La capitale de l’État est Chennai (autrefois appelée Madras). Le Tamil Nadu a été créé selon des critères linguistiques en 1956 : il correspond à peu près aux régions d’Inde où l’on parle tamoul.

Le Tamil Nadu se distingue des autres États de l’Inde par la richesse de son architecture religieuse. Sa langue officielle, le tamoul, est l’une des plus anciennes du monde. Situé au sud-est de la péninsule, le Tamil Nadu fait preuve d’une grande richesse culturelle.

Le Tamil Nadu est le premier État indien producteur de jasmin. 55 % de l’énergie d’origine éolienne produite en Inde l’est au Tamil Nadu. Dans l’État du Tamil Nadu, le sable de plage recèle des minerais très convoités, comme le grenat, l’ilménite, le rutile, le zircon, le silicate, le leucoxène ou la monazite. Depuis des années, de véritables mafias font la loi dans ce secteur.





La communauté

Le monastère de Shantivanam a été fondé en 1950 par deux français, le père Jules Monchanin (prêtre diocésain) et le père Henri Le Saux (moine de Kergonan). Leur objectif était d’intégrer le monachisme bénédictin à la vie traditionnelle indienne de l’Ashram.

En 1953, le père François Mahieu (moine de Scourmont, Belgique) – nommé plus tard Francis Acharya – rejoint l’ashram, suivi du père Bede Griffiths (moine de Prinknash, Angleterre) un peu plus tard. Ces deux derniers, plus attirés par la vie cénobitique, fondèrent le monastère de Kurisumala en 1958.

Le père Monchanin est décédé en 1957, et Henri Le Saux, de plus en plus attiré par la solitude, s’installa dans un ermitage aux sources du Gange. Seul Bede Griffiths revint à Shantivanam en 1968 où il devint prieur.

En 1982, Bede Griffiths obtint l’affiliation du monastère à la congrégation bénédictine des Camaldules, congrégation favorisant la vie érémitique.

La chapelle du monastère est construit selon le type des temples hindous du sud de l'Inde.

La communauté comprend aujourd’hui quatorze moines dont quatre de vœux temporaires.

En raison de la renommée de mystique chrétien de Bede Griffiths, beaucoup de personnes d’Europe vinrent passer du temps à Shantivanam, le monastère recevant alors beaucoup de dons. Bede Griffiths encouragea les moines à utiliser ces dons, non pour le monastère, mais pour les personnes pauvres d’alentours (éducation, maison d’accueil, dons divers). Le monastère possède seulement une petite ferme et quelques champs.

Après le décès de Bede Griffiths, les dons s’amenuisèrent. Les moines subvenaient à leurs besoins grâce à leur activité agricole.

Aujourd’hui, les ressources sont moins élevées : le rendement des terres agricoles est moins important que les coûts, tel que le salaire des ouvriers. Cette situation est identique pour tous les petits agriculteurs du pays. La communauté souhaite augmenter son cheptel avec vingt vaches laitières supplémentaire, afin d’obtenir plus de lait qui pourra être vendu. L’AIM  participe à la remise en état d’un bâtiment pour mener à bien ce projet.

Le rayonnement du monastère est important en Inde, et même au niveau international. La perspective du dialogue interreligieux y est toujours bien présente.





Session des Monastères d’Afrique Centrale (MAC)

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Nouvelles

Sœur Emérence


Session des Monastères d’Afrique Centrale (MAC)

Juillet 2021 à Goma



Après la session de l’association MAC tenue au Rwanda – session qui a connu la participation des supérieures et supérieurs en 2019 –, celle de février 2021 pour les jeunes en formation de Lubumbashi et de kinshasa, une autre s’est organisée en juillet dernier au centre de formation des pères pallotins à Goma, à l’est de la République Démocratique du Congo du 1er au 07 juillet.

Cette dernière a réuni quinze supérieur/es et leurs économes des différents monastères de l’association MAC : la communauté hôte de Goma, nos frères cisterciens de Mokoto, lieu initialement prévu pour les réunions ; deux monastères bénédictins de Kinshasa – Arbre de vie et Mambré ; la communauté cistercienne de Mvanda, et enfin les deux monastères bénédictins de Lubumbashi – Saint Sauveur et N.-D. des Sources/Kiswishi.

Nous avons regretté l’absence des autres communautés. La communauté des sœurs bernardines de Goma ne pouvait pas prendre part aux réunions, suite à la maladie de sœur Marie-Rémi qui a fini par succomber. Nous avons présenté nos condoléances à la communauté, les mesures sanitaires et l’horaire nous ayant empêché d’être présents aux obsèques. Pour les mêmes raisons, les communautés  monastiques du Rwanda ne pouvaient malheureusement pas se joindre à nous pour la session. Suite aux célébrations des professions monastiques et des ordinations sacerdotales, nos frères cisterciens de Kasanza, dans la région de Kikwit, étaient aussi dans l’impossibilité d’être là. Toutefois nous étions de cœurs avec eux tous.

Grâce à l’amour et à la tendresse de notre Dieu, la session s’est déroulée dans un climat de paix et de joie. Le superbe centre d’accueil des pères pallotins, situé au bord du lac Kivu, était tout indiqué pour ce genre de rencontres. Pour nous qui venons du sud-est et de l’ouest de la République Démocratique du Congo, cette session a été aussi une occasion pour manifester notre soutien et notre proximité à nos frères et sœurs accablés par de nombreux événements malheureux, telle l’éruption volcanique en mai dernier et d’autres multiples affres qui ont secoué la région Est.

Nous exprimons notre gratitude à l’AIM pour avoir soutenu cette session. Ce qui contribue à l’enracinement de la vie monastique sur le sol africain.

Nous avons apprécié la communication du père Martin Neyt qui nous a aidé à recadrer l’esprit de l’économie dans la vie monastique. Le père Martin a placé l’économie au monastère dans une perspective prophétique. Il nous a mis en garde, martelant que l’économie d’un monastère ne vise pas le seulement le gain, mais qu’elle doit apparaître comme un témoignage de solidarité avec ceux qui entourent le monastère. Même nos œuvres, comme nos écoles, nos centres de santé... doivent s’inscrire dans cette logique.

Notre gratitude se tourne vers l’abbé Jean-Marie Vianney Sebunoti, prêtre du diocèse de Goma, qui, avec compétence et dévouement, a réussi en un temps réduit à nous initier aux notions de bilan, avec des exercices à l’appui, nous faisant saisir nos devoirs et nos droits envers nos ouvriers et envers l’État. Nous le félicitons. Il a été à la hauteur de sa tâche. Il revient à chaque communauté de mettre en pratique les éléments essentiels de son intervention.

Après l’intervention de l’abbé Jean-Marie Vianney, frère Simon Madeko, nouveau prieur du monastère de Mambré, nous a parlé de la spiritualité de cellérier du monastère. Pour saisir la spiritualité du cellérier il faut comprendre ce qui est dit de la tâche du Père Abbé, gestionnaire de la maison de Dieu qu’est le monastère pensé par saint Benoît. L’économe collabore avec l’abbé pour que ce dernier accomplisse sa mission de permettre à chacun de naître et de renaître en enfants de Dieu. La spiritualité de l’économe est en relation avec celle du supérieur. Il nous a mis en garde contre la mentalité du moment qui voit dans la personne de l’économe un « boss, grand bienfaiteur » plutôt qu’un serviteur.

Outre les conférences, nous avons connu des moments de partage du vécu de chaque communauté présente. De ces partages est né le souhait d’approfondir la possibilité de faire du monastère N.-D. des Sources (Kiswishi), un centre d’études théologiques et monastiques pour les monastères de la région de l’association MAC. La question reste ouverte.

En conclusion, la session a été d’un grand profit pour les participants. Nous avons touché du doigt les exigences de la comptabilité, nous avons découvert des richesses et avons aussi découvert certaines de nos limites dans l’exercice de nos droits et devoirs.

L’assemblée a émis le souhait de voir la session 2023 se tenir à Kikwit, chez nos sœurs cisterciennes de Mvanda. Ceux qui seront concernés sont tous les formateurs ; l’animateur présenti – si Dieu nous prête vie – est le père Amedeo Cencini, prêtre canossien italien, expert mondialement reconnu dans le domaine de la formation à la vie religieuse.

Nous terminons ce rapport en saluant, une fois de plus, nos frères cisterciens de Mokoto pour leur dévouement. Dieu soit glorifié en ses œuvres !



Notes de lecture

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Notes de lecture


Les éditions Saint-Léger éditent régulièrement des ouvrages dans une collection monastique sous la direction du père Christophe Guillaume, prieur de Mahitsy (Madagascar). Nous en donnons ici un écho.


Pierre le Vénérable, L’amitié à l’épreuve de la diversité. Correspondance avec Bernard de Clairvaux, Ch. Vuillaume, Saint-Léger Éditions, 2018, 200 p.

Pierre le Vénérable, Le souci de tous mes frères. Correspondance de Pierre le Vénérable avec ses frères moines et l’abbesse Héloïse. Suivie des statuts de Cluny (1122-1146), Ch. Vuillaume, Saint-Léger Éditions, 2019, 300 p.

Pierre le Vénérable, Cette Église qui vous est confiée. Correspondance de Pierre le Vénérable avec les Papes et les Évêques, Ch. Vuillaume, Saint-Léger Éditions, 2019, 300 p.

Pierre le Vénérable, Pour votre salut éternel. Correspondance de Pierre le Vénérable avec sa famille, divers ecclésiastiques, souverains et laïcs, Ch. Vuillaume, Saint-Léger Éditions, 2020, 284 p.

Pierre le Vénérable, dernier des grands abbés de Cluny est à la fois une personnalité reconnue et en même temps relativement ignorée. Le fait de mettre à disposition sa correspondance le rend plus accessible et permet de mesurer l’originalité et la qualité de sa pensée et de son action. Merci au père Christophe Guillaume d’avoir permis cela par un travail soutenu de traduction de grande qualité. La correspondance de Pierre le Vénérable est adressée à des personnes très variées du monde ecclésiastique, religieux ou de la société civile. Homme de foi, de cœur et de culture, Pierre le Vénérable a su tenir ensemble la relation à Dieu et la relation aux autres, aussi divers soient-ils. Cette correspondance est une leçon magistrale d’humanité et de spiritualité, l’un n’allant jamais sans l’autre pour Pierre le Vénérable.

 

Pierre Damien, L’héritage monastique, volume 1, Ch. Vuillaume Saint-Léger Éditions, 2020, 320 p.

Pierre Damien, L’héritage monastique, volume 2, Ch. Vuillaume, Saint-Léger Éditions, 2020, 200 p.

Pierre Damien, L’héritage monastique, volume 3, Ch. Vuillaume, Saint-Léger Éditions, 2021, 200 p.

Trois volumes sont consacrés à Pierre Damien (1007-1072), cet ermite devenu cardinal. Ses écrits le révèlent. Il est bon qu’une traduction française nous en soit offerte. Merci au père Vuillaume de s’y être consacré. Un premier volume regroupe deux écrits : La perfection de la vie monastique et La Règle érémitique ou Lettre à Frère Étienne avec plusieurs lettres et avec des textes concernant des faits historiques de son époque.

Dans un deuxième volume, le P. Christophe présente la traduction de trois autres textes de Pierre Damien : Le « Dominus vobiscum » suivi de « L’éloge de la vie érémitique » ; « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu » ou « Du mépris du siècle » et « La vie érémitique et les vrais ermites ». Le père Christophe Vuillaume montre comment la perspective de Pierre Damien incarne le propos monas-tique dans ce temps de Réforme qu’est le 11e siècle. Mais ce sont des textes qui dépassent une époque particulière et peuvent encore nous inspirer pour aujourd’hui.

Le troisième volume intéresse plus particulièrement l’histoire monastique. Il consiste en 21 lettres adressées aux communautés de moines, ainsi qu’une vie de saint Odilon. On trouve là beaucoup de renseignements concernant la vie monastique au 11e siècle dont bon nombre de corrections d’abus, et de polémiques. La vie de saint Odilon relève davantage du genre hagiographique mais nous renseigne cependant sur quelques aspects de la vie des communautés à cette époque, ainsi que les deux lettres qui suivent.

Le P. Vuillaume doit être remercié pour ce travail qui rend accessible des ouvrages qui autrement ne resteraient que l’affaire de spécialistes. Pierre Damien comme Pierre le Vénérable sont des personnalités suffisamment originales pour leur consacrer de l’attention et puiser dans leur inspiration des sources de renouveau. Il est intéressant de constater que l’érémitisme n’a pas cantonné Pierre Damien dans un univers clos et que la vie monastique fut pour Pierre le Vénérable un terrain propice à une grande ouverture. Ils ont été préparés, chacun pour leur part, à vivre un témoignage ecclésial qui est heureusement parvenu jusqu’à nous, tant pour ce qui est du monachisme que de la vie de l’église dans le monde en général. Il ne s’agit pas de prendre tous ces écrits à la lettre, mais de les intégrer dans un mouvement de recherche qui puisse être porteur de vie nouvelle.

 

Sagesse monastique dans un monde en devenir. Entretiens du P. Jean-Pierre Longeat avec Catherine Labey, 2021, Saint-Léger Éditions, 260 p.

Voilà plusieurs années, à l’AIM, que le projet était en cours de publier un genre de synthèse sur les questions d’aujourd’hui en relation avec les intuitions de la vie monastique. Encouragé par les contacts nourris avec de très nombreux monastères au niveau international du fait de sa responsabilité à l’AIM, le P. Jean-Pierre Longeat a collaboré avec Catherine Labey, membre des Amis des Monastères à travers le monde (AMTM), pour mener à bien ce travail. Un photographe, Bruno Jary, a également apporté son concours, donnant un aperçu en images de la variété des situations monastiques qu’il a côtoyé en Inde durant un séjour de quelques semaines. D’autres photos venant de la phototèque de l’AIM complètent l’ouvrage.

Les monastères ont-ils encore quelque chose à dire et à faire dans le monde d’aujourd’hui ? Plus que jamais. Ils font partie de ces réalités qui inspirent encore la confiance à bon nombre de nos contemporains. Leur longue histoire, leur tradition spirituelle et culturelle, leur radicalité dans la prise au sérieux du message du Christ leur donnent quelque crédit.

Il valait donc la peine de développer cette pertinence en quelques chapitres touchant à l’écologie, l’interculturalité, le dialogue interreligieux, l’économie, l’exercice des responsabilités, la sexualité et bien d’autres domaines qui sont aujourd’hui des lieux de profondes remise en cause. Il est possible de concevoir les monastères, dans le contexte actuel, comme des lieux alternatifs en collaboration avec de nombreux partenaires de la société civile.

Le livre se lit facilement, les propositions sont nombreuses. Le réseau monastique de la famille bénédictine, avec plus 1 700 communautés dans le monde, a vraiment encore quelque chose à dire et à faire sous la conduite de l’Évangile.

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