top of page

127

Bulletin

Transition

126

Bulletin

La vie monastique aujourd’hui

125

Bulletin

« Toute la vie comme liturgie »

124

Bulletin

Les Chapitres généraux cisterciens
(OCSO et OCist, sep. et oct. 2022)

123

Bulletin

Vie monastique et synodalité

122

Bulletin

La gestion de la Maison commune

121

Bulletin

Fratelli tutti,
la fraternité dans la vie monastique

120

Bulletin

La formation monastique aujourd’hui
(2e partie)

La formation monastique aujourd’hui
(2e partie)

Bulletin n° 120, année 2021

Sommaire

Éditorial

Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM

S’entraîner à la course monastique


Lectio divina

Nous sommes formés « en étant avec »

Dom Maksymilian R. Nawara, osb


Perspectives

• La formation à la vie monastique

Dom Gregory Polan, OSB


• La terre féconde de la formation monastique

Dom Mauro-Giuseppe Lepori, OCist


• L’institut monastique bénédictin du BECAN

P. Peter Eghwrudjakpor, OSB


• La formation Ananie

Sœur Marie Ricard, OSB


• La formation monastique au Vietnam

Sœur Marie-Lucie, OCist


• La formation monastique en Tanzanie

Frère Pius Boa, OSB


• Les sessions de formation au monastère de Mvanda

Mère Anna Chiara Meli, OCSO


• Une réponse de la congrégation bénédictine anglaise au défi de la formation continue

Père Chad Boulton, OSB


Témoignage

Les études de théologie au monastère

Sœur Claire Cachia, OSB


Ouverture au monde

Des défis pour les chrétiens et pour les consacrés dans un monde agité

Professeur Italo de Sandre


Une page d’histoire

Le monastère St-Benoît de Volmoed

Frère Daniel Ludik, OHC


Moines et moniales, témoins pour notre temps

• Mère Marie-Chantal Modoux

Les sœurs d’Encontro, OSB


• Charles de Foucauld

Père Michael Davide Semeraro, OSB


Nouvelles

• La fondation de Vitorchiano au Portugal

Les sœurs de Palaçoulo, OCSO


• La fondation au Caire

Frère Maximillian Musindal, OSB


• L’abbaye Sainte-Marie-Du-Désert

Le Village de François

Sommaire

Éditorial

Le sujet de la formation est inépuisable. Nous ne pensions pas à l’origine y consacrer deux numéros à la suite, mais à vrai dire, cela même paraît insuffisant. Le fait de parler de formation monastique implique obligatoirement une certaine approche du phénomène monastique lui-même et plus largement une manière d’aborder la foi chrétienne et sa transmission.

Le père abbé Maksymilian R. Nawara, ancien père abbé de Lubiń, en Pologne, et maintenant Président de la congrégation de l’Annonciation nous introduit à cette réflexion par une lectio sur l’appel des premiers disciples en saint Jean.

Le Père Abbé Primat nous donne son point de vue sur cette question ainsi que le Père Abbé général des cisterciens.

Plusieurs exemples de formation monastique sur le terrain sont ensuite présentés ainsi que l’un ou l’autre témoignage et des échos de certaines initiatives.

Italo de Sandre nous partage ses préoccupations concernant les rapports entre la vie monastique et le monde présent.

Vous retrouverez ensuite les rubriques habituelles : Liturgie, Une page d’histoire, Moines et moniales témoins pour notre temps, Nouvelles, etc.

Laissons-nous « informer » au plus profond afin de pouvoir réaliser ce à quoi nous sommes appelés. En ces temps de crise, c’est le moment où jamais de cultiver les fondamentaux qui nous permettront de franchir les obstacles et de bâtir un monde neuf.

Dom Jean-Pierre Longeat, OSB

Président de l’AIM

Articles

S’entraîner à la course monastique

1

Dom Jean-Pierre Longeat, OSB

Président de l’AIM

 

S’entraîner à la course monastique

 

 

Dans la dernière partie du prologue de sa Règle, saint Benoît présente le monastère comme une école du service du Seigneur. C’est dire qu’il entend faire de la vie monastique un lieu de formation permanente. Dans ce même prologue, il donne quelques caractéristiques de l’enseignement partagé dans cette école ; le premier et le plus important est la qualité de l’écoute en vue d’une mise en œuvre efficace du commandement de la charité.

Mais que l’on me permette d’évoquer ici l’un des versets du prologue qui, me semble-t-il, donne aussi un accent utile pour aujourd’hui en matière de formation. Saint Benoît ne vise pas simplement la perfection d’une observance extérieure qui serait le gage d’une réussite illusoire dans la sphère du temps présent ; il s’attache surtout à une perspective qui intègre la dimension de la vie éternelle déjà active maintenant mais en devenir au-delà des limites de l’aujourd’hui. C’est pourquoi, il emploie ce verset tiré de saint Jean qui caractérise bien le propos bénédictin :

« Courez pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent » (Jean 12, 35 cité en RB, Prol 13).

En saint Jean, la lumière dont il s’agit désigne le Christ lui-même, et les ténèbres, l’adversaire. Saint Benoît donne un sens un peu différent à ce verset, il le déforme même en ajoutant les termes « de la vie » à « lumière » et « de la mort » à « ténèbres ». Il veut donc insister de manière générale sur le drame des choix de l’être humain en opposant le court temps de la vie terrestre et le long « temps » de la mort éternelle. Il insiste aussi de manière particulière sur la course nécessaire qui accentue l’urgence.

 

1. Perspective eschatologique et conséquences

Les moines sont appelés à vivre d’une manière très caractéristique dans une perspective eschatologique. Saint Benoît, même s’il admet que les dons éternels sont déjà pour une part offerts ici-bas (cf. RB 7 ; 72 et 73), envisage aussi l’activité du moine dans la tension du non encore advenu de son devenir éternel. Un certain nombre de versets de la Règle évoque concrètement cette perspective : ainsi saint Benoît invite les moines à « désirer la vie éternelle de toute l’ardeur de leur âme » (4, 46) et à agir avec « le bon zèle qui conduit à Dieu et à la vie éternelle » (72, 2) ; pour cela ils ne doivent « absolument rien préférer au Christ, lequel daigne nous conduire tous ensemble à la vie éternelle » (72, 11). C’est pourquoi saint Benoît demande aux moines d’une manière pressante : « Courons et faisons dès maintenant ce qui nous profitera pour l’éternité » (Pr 44). Au fond, dans la vie monastique, nous nous formons et nous nous préparons à la vie surabondante du Royaume éternel. Quant à l’abbé « il doit se souvenir sans cesse qu’au redoutable jugement de Dieu, il devra rendre compte » (2, 6, 34, 37, 38, 39-40).

Il faut rappeler ici la prière caractéristique de la vie monastique, celle de l’office de Vigiles qui est un temps de veille tourné vers la venue du Christ dans l’espérance de la lumière. Il n’y a rien là que de très chrétien, mais les moines accentuent particulièrement cette dimension. C’est même ce qui caractérise le mieux la vie monastique avec un rapport au temps et à l’espace qui tranche sur la manière habituelle qu’ont les êtres humains de l’envisager. C’est aussi ce qui rend parfois les moines un peu difficiles à comprendre et même à accepter.

 

2. Courir

Le fait d’envisager la vie ici-bas comme un bref passage en vue d’une vie éternelle dès maintenant et au-delà de la mort invite les moines à ne pas perdre de temps et donc à courir vers le but. Saint Benoît y revient à plusieurs reprises.

Il y a d’abord le principe général :

« Si désireux d’éviter les peines de l’enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est temps encore et que nous sommes en ce monde et que nous pouvons accomplir toutes choses à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l’éternité » (Pr. 44).

Ce passage est très proche de la citation de Jean 12, 35 (cf. plus haut). Concrètement donc, si l’on veut vivre ainsi, il faut avoir au cœur le désir d’habiter dans la demeure du Royaume en sachant que l’on y parvient que si l’on y court « par les bonnes actions » (Pr 22). Ainsi, « à mesure que l’on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate, on court sur la voie des commandements de Dieu » (Pr 49). Il y a là comme une conséquence de la disposition intérieure dans laquelle le moine a placé son désir : il a tourné son cœur vers la vie éternelle et cela a produit une dilatation telle qu’il court maintenant sur la voie des commandements de Dieu ; le commandement est bien là ce qu’il doit être, non pas un ordre à accomplir comme de l’extérieur, mais une visée selon le mot grec entolé, de en telos, ce qui conduit vers la finalité.

Après avoir posé ce principe, saint Benoît peut envisager des situations particulières dont le sens n’est perceptible qu’en relation avec cette finalité. L’abbé par exemple « doit courir (currere, s’empresser) avec toute son adresse et toute son industrie pour ne perdre aucune des brebis à lui confiées » (RB 27, 5).

Le chapitre 5 de la Règle est tout entier dans cette perspective d’une vie empressée à répondre à l’appel reçu. Le verbe currere n’y est pas employé, mais on trouve des expressions particulièrement fortes qui placent le sujet dans la même disposition que celle de la course dans l’élan de la vie éternelle :

Et les disciples, « mus par le service sacré dont ils ont fait profession ou par la crainte (metum) de la géhenne ou par la gloire de la vie éternelle, dès que (mox) le supérieur a commandé quelque chose, ne peuvent souffrir d’en différer l’exécution, tout comme si Dieu lui-même en avait donné l’ordre… Ceux qui sont dans ces dispositions, renonçant aussitôt à leurs propres intérêts et à leur propre volonté, quittent aussitôt (mox) ce qu’ils tenaient à la main et laissent inachevé ce qu’ils faisaient. Ils suivent d’un pied si prompt l’ordre donné que dans l’empressement de la crainte de Dieu, il n’y a pas d’intervalle entre la parole du supérieur et l’action du disciple. […] Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle » (5, 3.9-10).

Le mouvement de l’obéissance vaut aussi pour la réponse apportée à l’appel de l’office divin :

« Que les moines soient toujours prêts. Au signal donné, ils se lèveront aussitôt et s’empresseront à l’envi vers l’Œuvre de Dieu, en toute gravité cependant et modestie » (22, 6).

On trouve cette mention une deuxième fois dans la Règle :

« À l’heure de l’office divin, on se hâtera d’accourir, avec gravité néanmoins afin de ne pas donner aliment à la dissipation. Que rien ne soit préféré à l’Œuvre de Dieu » (43, 3).

Le premier passage est tiré du chapitre sur le sommeil des moines et le deuxième du chapitre concernant ceux qui arrivent en retard à l’Œuvre de Dieu ou à table. Il faut reconnaître qu’il y a bien là une caractéristique de la vie monastique bénédictine. Il est toujours très frappant dans nos monastères de voir comment les moines se pressent vers l’église pour l’office divin quelle que soit la raison qui les fait se presser ; il n’est pas sûr que ce soit toujours celle de la vie éternelle à ne pas manquer !

Enfin, il y a une autre dimension de l’empressement que saint Benoît privilégie dans la vie du moine : c’est celle de l’accueil d’un hôte ou de celui qui frappe à la porte du monastère :

« Dès qu’un hôte aura été annoncé, le supérieur et les frères accourront (occuratur) au-devant de lui avec toutes les marques de la charité » (53, 3) ;

« Aussitôt (mox) qu’on aura frappé ou qu’un pauvre aura appelé, […] dans toute la mansuétude qu’inspire la crainte de Dieu, le portier s’empressera (festinanter) de répondre avec une charité fervente » (66, 3-4).

Il y a là aussi une caractéristique de notre vie bénédictine, même si aujourd’hui, il est parfois bien difficile de faire face avec empressement à toutes les demandes et que, souvent, un minimum de distance s’impose pour que soit mieux servie la charité.

Ce thème de la course prend sa source dans la Bible. La Parole de Dieu elle-même s’élance joyeuse pour courir sa carrière (Ps 18). Elle s’élance du trône royal (Sg 18, 15) ; Dieu l’envoie et rapide, elle court (Ps 147, 15). Les hommes de Dieu, les vrais prophètes, les prêtres saints et les rois justes courent pour mettre en œuvre la Parole : « Qu’ils sont beaux les pieds de celui qui annoncent la paix ».

Les foules accourent vers Jean-Baptiste au désert, et vers Jésus tout au long de son ministère publique. Marie part en toute hâte chez sa cousine Élisabeth après l’annonciation. Avec Jésus, on n’a même plus le temps de manger à certaines heures.

Les disciples courent vers le tombeau et reviennent en courant annoncer la résurrection du Seigneur.

Après la Pentecôte, les disciples courent de tous côtés pour proclamer l’Évangile jusqu’aux extrémités du monde. Saint Paul court tendu vers le but (Ph 3).

Il y a urgence à courir pour la Bonne Nouvelle, soit pour l’entendre, soit pour la proclamer car le temps se fait court :

« Les temps sont accomplis, le Royaume de Dieu est là, il n’y a plus de temps à perdre, convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ».

 

Excursion durant le Monastic Formators' Programme, 2012.
Excursion durant le Monastic Formators' Programme, 2012.

3. Courir sans se hâter en ces temps qui sont les derniers

En conclusion, voici quelques points d’attention sur ce thème d’une formation, d’un entraînement monastique, cher à saint Benoît.

Les moines courent et s’empressent, c’est une évidence dans tous les monastères. Mais de quelle course s’agit-il ? Est-ce bien la course de celui qui a pris conscience que la vie est tellement brève qu’il n’y a plus de temps à perdre ?

Notre agitation est souvent marquée par les pressions de la société contemporaine : travail, administration, loisirs sont soumis à des rythmes qu’il faut tenir sous peine de déclassement, de marginalisation. C’est vrai que bien des secteurs doivent respecter des impératifs très contraignants. Mais peut-on en rester là ? Notre course ne doit-elle pas se convertir sans cesse vers le désir ultime, celui de l’accomplissement la vie en Dieu dans la communion de la fraternité humaine ?

Les moines sont essentiellement comme tous les chrétiens, mais peut-être plus sensiblement encore, des hommes du huitième jour. Ce jour est l’au-delà des jours, l’au-delà de l’histoire dans l’histoire. Le sens de la vie monastique se tient dans une sortie du siècle, au deux sens du mot, autrement dit dans une prise de champ plus ou moins prononcée qui permet d’être dans le monde sans être du monde.

Cette prise de champ vise une expérience de Dieu par la libération de la tyrannie des passions et la prière hors des contraintes d’un siècle où le temps et l’espace ne sont pas organisés en fonction de cette priorité.

Si l’on doit courir, c’est bien là, sur les voies de l’amour, dans les bonnes œuvres telles qu’elles sont décrites en RB 4, sur la voie des commandements, le cœur dilaté, dans la prière, à l’heure de l’office, dans l’obéissance, dans le soin des pécheurs, pour ne perdre aucune des brebis du troupeau, dans l’accueil des hôtes ou de ceux qui frappent à la porte du monastère.

Il s’agit bien de rompre avec les manières du siècle, sans aucun mépris, mais en établissant une hiérarchie des valeurs différente.

Nous donnons-nous vraiment les moyens d’un tel apprentissage, d’un tel entraînement, d’une telle formation ?




Nous sommes formés en « étant avec »

2

Lectio divina

Dom Maksymilian R. Nawara, osb

Abbé Président de la congrégation de l’Annonciation

 

Nous sommes formés en « étant avec »

 

« Le lendemain encore, Jean se trouvait là avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : “Voici l’Agneau de Dieu”. Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent Jésus. Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : “Que cherchez-vous?” Ils répondirent : “Rabbi – ce qui veut dire Maître, où demeures-tu ?”. Il leur dit : “Venez et vous verrez”. Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était vers la dixième heure (environ quatre heures de l’après-midi). » (Jean 1, 35-39)

 

Jean-Baptiste est le messager venu comme témoin de la lumière (Jn 1, 6), il a rendu droit le chemin pour le Seigneur (Jn 1, 23), afin de faire connaître l’Agneau de Dieu (Jn 1, 29). Il connaissait Jésus et l’attendait, mais il avait besoin de temps avec Jésus pour se former.

Dans l’évangile de Jean, le Baptiste en conversation avec les pharisiens révèle son identité : « Je ne suis pas le Messie » (Jn 1, 20-27). Très peu de temps après, l’Évangile dit : « Le lendemain », Jean rencontra Jésus et le reconnut, rendant ce témoignage à ses disciples : « Il est le Fils de Dieu » (Jn 1, 34). Malgré cela, après avoir entendu les nouvelles au sujet de Jésus, alors que Jean était en prison, il envoya des messagers à Jésus pour lui demander : « Es-tu celui que nous attendons ? » (Mt 11, 3). Nous voyons clairement qu’il avait besoin de temps avec Jésus pour se former.

Nous vivons à un moment de l’histoire où le progrès technologique nous permet de faire beaucoup de choses plus efficacement et plus rapidement. Nous avons accès à diverses choses beaucoup plus facilement. De plus, l’accès au savoir est à portée de main et l’enseignement à distance est disponible à l’intérieur de la clôture. Dans le même temps, un jour est toujours fait de vingt-quatre heures et une semaine, de sept jours. Il semblerait que nous ayons plus de temps et pourtant… nous vivons à une époque où nous manquons encore de temps. Même dans les monastères, on entend souvent des moines ou des moniales se plaindre de ne pas avoir assez de temps pour faire tout ce qu’ils voudraient.

L’Évangile nous arrête et attire notre attention sur les fondements de toute formation humaine. Il faut du temps pour qu’une rencontre devienne une connaissance. Il faut du temps pour qu’une connaissance soit un témoignage. Sans ce temps-là, le témoignage n’a aucune valeur car il manque d’expérience.

 

Allez avec Jésus

Deux disciples de Jean ont entendu leur Maître parler de l’Agneau de Dieu et sont allés à la suite de Jésus. Une nouvelle étape commence pour eux : les disciples de la Voix deviennent des disciples de la Parole.

Suivre Jésus, suivre le même chemin que le Fils, est une synthèse de l’expérience chrétienne. Le christianisme n’est pas un recueil de belles histoires ou d’impératifs moraux ; c’est la réalité de la personne de Jésus qui est suivie parce qu’elle est aimée : « Qui me suit aura la lumière de la vie et il ne marchera jamais dans les ténèbres » (Jn 8, 12).

En Jean 1, 36, Jésus se tourne vers ceux qui le suivent, et pour la première fois (dans l’évangile de Jean) il ouvre la bouche et prononce ses premières paroles, sous la forme d’une question : « Que cherchez-vous ? ». Cette question est cruciale pour de nombreuses raisons. Qu’est-ce que je recherche dans ma vie, dans mon travail, dans mes relations ? Qu’est-ce que je recherche dans l’Église, dans ma communauté monastique ? Toutes ces questions et bien d’autres sont importantes à poser à tous les niveaux de la formation monastique. La question de Jésus est également liée au temps, elle est très juste : « Je passe du temps sur ce que je recherche. Qu’est-ce que je recherche pour lequel j’investis du temps ? ».

La réponse des disciples n’est pas directe. Ils ne disent pas : « Nous cherchons ceci et cela », ils ne disent même pas : « Nous cherchons le Messie ». Ils posent une autre question : « Où demeures-tu, Rabbi ? ». Cette question exprime leur profond désir d’être avec Jésus. Et Jésus répond : « Venez et vous verrez ».

C’est là que commence le chemin du disciple de la Parole. Passer des idées, théories, déclarations, manifestations et slogans au partage de la vie. Partager ma vie, c’est partager mon temps avec quelqu’un, avec ce Quelqu’un que j’ai rencontré, avec Jésus. Il n’y a pas d’autre moyen de vraiment connaître Jésus que de partager du temps avec lui : dans la prière, la lectio divina et la fraternité. Mais cette vérité est étroitement liée à une réponse honnête à la question : « Qu’est-ce que je recherche ? » Qu’est-ce que je cherche pour lequel j’accepte de perdre du temps ?

 

Partage

L’Évangile dit : « Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là ». Encore une fois, nous revenons à ces affirmations clés : il faut du temps pour qu’une rencontre devienne une connaissance. Il faut du temps pour qu’une connaissance soit un témoignage. Le fruit du temps passé avec Jésus est le témoignage : « Nous avons trouvé le Messie », nous avons trouvé la lumière de la vie.

La formation monastique est principalement axée sur le partage. Partager la vie quotidienne, le temps, le travail, tout. Comment pouvons-nous apprendre à vivre ensemble si nous ne partageons pas quotidiennement du temps avec nos frères et sœurs ? Comment pouvons-nous connaître Jésus si ce n’est en partageant notre temps avec lui ? Une connaissance deviendra un témoignage avec le temps. Sur le chemin monastique, nous sommes formés en étant avec lui, ainsi qu’avec nos frères et sœurs.

« Venez et vous verrez, je veux tout vous dire. Je vous guiderai jour après jour. »

La formation à la vie monastique

3

Perspectives

Dom Gregory Polan, OSB

Abbé Primat

 

La formation à la vie monastique

 

L’effort essentiel de la formation monastique est la transformation du cœur. Pour parler du cœur humain, la perspective biblique peut être un bon point de départ. Dans la Bible, le cœur est le lieu de ce que nous pourrions décrire actuellement comme la résultante de la capacité mentale combinée à la conscience émotionnelle.

La philosophie de la Grèce antique, qui a fondé et influencé la pensée occidentale pendant des siècles, séparait l’esprit et le cœur en deux fonctions distinctes chez une seule personne. Dans ce qui va suivre nous aimerions adopter la vision biblique et considérer que l’esprit et le cœur peuvent fonctionner en harmonie. Pendant notre formation monastique nous acquérons énormément d’informations concernant les traditions anciennes, les personnages historiques et la manière dont des hommes et des femmes ont développé et fait évoluer la vie monastique au cours des siècles.

Ce qui est ainsi reçu doit bien sûr être médité afin que chacun se l’approprie au cours du temps pour en faire une disposition intérieure. Ne choisissons-nous pas d’intégrer les traditions, les valeurs et les enseignements de la formation monastique dans notre vie pour apporter des changements utiles au bien de notre âme ? Cette union harmonieuse de l’esprit et du cœur a une importance durable dans la mesure où nous considérons le processus de formation comme une entreprise à vie. Ses débuts sont donc particulièrement importants puisqu’ils établissent le rythme requis pour la conversion et la transformation de notre cœur tout au long de cette vie.

Accorder un rôle central à notre cœur est l’entreprise de toute une vie ; on pourrait dire que la formation est un voyage du cœur qui, une fois commencé, reste attentif au chuchotement discret de la voix de Dieu dans nos vies. L’Ancien et le Nouveau Testament offrent tous deux des exemples qui peuvent aider à trouver un sens au cheminement de la formation.

Dans l’Ancien Testament, le peuple hébreu a progressé, dans le désert, de l’esclavage en Égypte vers la liberté en Terre Promise, et ceci sous le regard providentiel de Dieu. Au cours de ce voyage, il a connu tous les aspects de l’expérience spirituelle : tentations, frustrations, trahisons, peur, miséricorde, compassion, conversion et enfin, accomplissement de la promesse de Dieu (Dt 8, 1-18). Ayant vécu ces rencontres avec son péché et bénéficier de la rédemption, il a été constitué par Dieu comme peuple de la foi.

Dans l’Évangile, Luc raconte l’histoire du mystère pascal de Jésus dans le contexte d’un voyage, une sorte de récit de pèlerinage spirituel. « (Moïse et Élie) parlaient de son départ qui allait s’accomplir vers Jérusalem. [...] Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem » (Lc 9, 31.51). Jésus lui-même a vécu les mêmes expériences que celles connues par ses ancêtres dans la foi lors de l’Exode : tentation, frustration, trahison, peur, miséricorde, compassion, acceptation et enfin accomplissement de la promesse de Dieu. Ayant totalement partagé notre condition d’hommes (à l’exception du péché), Jésus a fait le voyage humain de la naissance à la mort et finalement à la résurrection.

Celui qui veut vraiment accomplir ce voyage, qui veut suivre Jésus sur le chemin de la croix, celui-là doit subir une série de transformations, de plus en plus profondes, de son cœur. Le cœur est le lieu où la croyance, la ferveur et la conviction initiales doivent finalement faire place à un engagement à vie pour ce voyage.

Ancienne abbaye San Benito, à Buenos Aires (Argentine). © AIM.
Ancienne abbaye San Benito, à Buenos Aires (Argentine). © AIM.

La formation à la vie monastique doit prendre en considération le monde dans lequel nous vivons, la culture dans laquelle nous avons été élevés, les valeurs que nous avons inconsciemment assumées. Les progrès technologiques qui accélèrent le rythme de la vie, la culture de consommation dans laquelle nous sommes peut-être involontairement intégrés, le niveau de bruit auquel nous nous sommes habitués, tout cela fait tellement partie de notre vie que nous ne le réalisons pas vraiment.

Mais si des problèmes technologiques ralentissent ou entravent notre sentiment de progrès ou de productivité, nous réalisons alors quel impact peut avoir la technologie sur notre vie quotidienne. Ce n’est que lorsque nous devons nous passer d’une chose que nous réalisons combien nous étions dépendants, du fait que nous l’avions toujours à disposition. Ce n’est que lorsque nous nous trouvons dans un lieu ou dans une atmosphère de silence absolu que nous réalisons quel rôle jouait le bruit maintenant absent.

De telles prises de conscience peuvent devenir des occasions de révélation et de connaissance de soi. Ils deviennent alors des moments où nous pouvons poser ces questions d’approfondissement : « Que fais-je de ma vie ? Où vais-je ? Comment est-ce que je pense atteindre mes buts ? Et ai-je la paix intérieure qui me permettra de répondre à des questions aussi profondes ? ».

Je pense que la période de formation la plus importante pour nous est celle qui se situe environ entre 20 ans et 30 ans. Nous sommes alors sortis de l’adolescence et passons à l’âge adulte ; nous commençons à nous tourner vers l’avenir et entrevoyons les questions et les problèmes qui auront un impact sur notre vie dans les années à venir.

C’est pendant ces années que se produisent des changements dans la façon de vivre, de se comporter et de croire. Nous nous sommes dirigés vers la vie monastique au cours de ces années de formation, ou bien plus tard, après qu’une formation significative ait déjà eu lieu ; ces années ont un effet durable sur la façon dont nous nous voyons, dont nous voyons notre monde et, surtout, dont nous voyons Dieu.

Ce sont les années où beaucoup de choses changent : dans notre vie, notre corps, notre vision du monde, nos capacités intellectuelles, la manière d’appréhender certaines valeurs. Le mot « conversion » est lourd de sens dans notre monde d’aujourd’hui. Une conversion est souvent perçue comme une autre façon de concevoir la vie et son sens, de la voir d’une manière désormais très différente ; le terme suggère un changement radical dans la vie et dans le regard.

Mais il existe également de « petites conversions », des modifications plus discrètes dans la façon de vivre, de légers changements de direction qui ne seront visibles qu’après une longue période, parfois même seulement à la fin d’une vie. Certaines personnes choisissent de ne pas se marier et de ne former une famille qu’après s’être assuré une solide carrière. D’autres décideront d’obtenir des diplômes universitaires pour avoir un emploi avant de choisir le mariage ou la vie monastique. Ce qui est important, c’est de savoir jusqu’à quel point quelqu’un a sondé son cœur pour prendre ces décisions. Se connaît-il ? A-t-il une vie intérieure ? S’est-il donné le temps et les moyens (attention, soin) de connaître son cœur ?

 

Il est une vertu qui doit être pratiquée lors du voyage monastique dans les profondeurs du cœur : c’est la confiance. La vertu de confiance n’est pas évidente aujourd’hui, dans ce monde de promesses non tenues, de tromperies, de corruption chez les gens occupant des postes importants, dans ce monde axé sur la technologie et qui change profondément à une vitesse inimaginable auparavant. Cependant pour le travail et le processus de formation, la confiance reste essentielle.

La confiance doit tout d’abord nous permettre de faire cet acte de foi important : compter sur, se confier à, et se soumettre à un Dieu qui, bien qu’il demeure invisible au regard humain, fait pourtant des merveilles aux yeux de ceux qui ont la foi.

Abraham est l’un des principaux modèles pour la confiance. Sachant seulement que quelque chose au fond de lui l’appelait à des changements importants dans sa vie, Abraham a fait confiance à cette discrète voix intérieure ; notre ferme conviction est que l’impulsion intérieure qui l’a mu était la voix de Dieu (Gn 12-14 ; 22, 1-19). La Vierge Marie est également un modèle de confiance par chaque instant de son appel et par sa vie de croyante (Lc 1, 38 ; 2, 19 ; 2, 51b).

S’engager dans un chemin de formation et y rester exige un niveau de confiance qui acceptera les instructions qui nous sont données ; elles éprouvent les esprits et elles sondent les profondeurs dans le processus d’appropriation, et laisse toujours le temps de trouver la place du cœur. Dans ce processus d’exploration intérieure, la confiance est toujours une composante essentielle : des difficultés se présenteront inévitablement au début, mais c’est assez normal parce que nous passons d’une perspective de vie laïque à celle de la tradition monastique. Les deux présentent des joies et des difficultés, mais on doit au moins prendre la décision de partir confiant pour ce nouveau voyage, celui de la formation monastique. Le psalmiste donne d’ailleurs une instruction simple et directe à tous ceux qui se trouvent dans cette situation : « Aujourd’hui écouterez-vous la parole (de Dieu) ? Ne fermez pas votre cœur… » (Ps 94 / Hb 95, 7b-8a).

Lorsqu’une personne est prête à faire confiance, cela la grandit. La confiance nous encouragera à prendre suffisamment de temps pour pouvoir assimiler les valeurs nouvelles et importantes qui nous seront proposées. Mais, souvent aussi, la confiance exigera de quitter certaines choses de ce monde. Pour qu’une véritable évolution du cœur puisse se produire, nous aurons à abandonner des comportements et des attitudes du passé, même s’ils étaient attrayants ou séduisants. La confiance peut être un vrai défi : il se peut que l’acceptation de ce qui nous est demandé soit timide et transitoire parce que nous craignons que ce qui nous est familier et confortable ne soit perdu à jamais. Chacun de nous aura à faire face à des moments difficiles où seuls la confiance et l’amour, se développant lentement mais sûrement, nous feront avancer. De telles situations nous obligent souvent à reconnaître qu’il faut de l’obéissance.

La racine du mot « obéissance » est latine : audire = écouter. Certains lexicographes suggèrent une nuance : « écouter de l’intérieur ». Nous savons combien cette « écoute intérieure » était importante pour saint Benoît en ce qui concerne la vie monastique : c’est le premier impératif de sa Règle. De plus, saint Benoît nous ordonne « d’écouter avec l’oreille du cœur ». Une telle écoute ne serait-elle pas le fondement même d’un édifice intérieur de la confiance ? Par la façon dont il en parle dans sa Règle nous pouvons voir quelle importance saint Benoît accordait à la vertu d’obéissance pour assurer la croissance et le développement de la vie monastique. Il écrit dans le prologue : « Le travail d’obéissance te ramènera à celui dont t’a éloigné la paresse de la désobéissance » (v. 2). Et vers la fin de la Règle, au chapitre 71 sur « L’obéissance mutuelle », il écrit : « L’obéissance est une bénédiction ; elle doit être exercée par tous, non seulement envers l’abbé, mais aussi envers les frères (et sœurs), puisque nous savons que c’est par cette voie d’obéissance que nous allons à Dieu » (v. 1-2). Saint Benoît débute sa Règle en décrivant l’obéissance comme un travail difficile, mais il la termine en la décrivant comme une bénédiction.

Après avoir accompli une tâche vraiment importante, on peut la considérer comme une bénédiction, comme quelque chose qui nous a grandis dans la vertu, une expérience de vie nouvelle. Degré par degré, expérience après expérience, nous évoluons vers une obéissance du cœur, favorisée par la confiance qui croît en nous.

L’épître aux Hébreux présente l’obéissance de Jésus comme destinée à nous inspirer et à nous encourager : « Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel » (Hb 5, 8-9). Qu’il est étonnant d’avoir à méditer sur ceci : Jésus a dû apprendre l’obéissance ! Le texte nous enseigne également que l’obéissance de Jésus est rédemptrice pour nous. Il n’est pas très difficile de comprendre que notre propre obéissance peut aussi être rédemptrice, dans nos vies et celle des autres. Dans son humanité, Jésus a, comme nous, compris et accepté l’obéissance envers celui qu’il a appelé Abba, ainsi qu’aux parents à qui le Père l’avait confié. Rappelez-vous le passage où le jeune Jésus resta à Jérusalem pour s’entretenir avec les docteurs de la Loi alors que pendant trois jours ses parents le cherchaient anxieusement. Quand, inquiets pour lui, ses parents l’interrogent, il affirme que cela fait partie du plan de Dieu sur lui, ce qui est souvent traduit par « être aux affaires de mon Père » (Lc 2, 49). Le texte conclut : « Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait tous ces événements dans son cœur » (Lc 2, 51). Deux éléments frappent ici : l’obéissance de Jésus, homme-Dieu, à ses parents humains, et l’identification du cœur de Marie en tant que lieu de sa méditation sur cet événement, événement chargé de mystères à la fois par les mots échangés et par l’expérience vécue. Jésus, dans son humanité nous est présenté de façon que nous puissions constater le progrès qui a lieu en lui : progrès vers cette maturité parfaite qui le conduit à faire confiance à la volonté de Dieu comme bon chemin pour sa vie. La nouvelle humanité de Jésus est notre but ultime ici-bas.

 

Au cours de retraites, j’ai souvent exposé combien il est important de passer des journées de réflexion tranquille pour écouter son cœur. Et pourtant, et c’est surprenant, le cœur, le centre de notre être, est le lieu où nous choisissons parfois d’aller, parfois d’éviter d’aller, et même, dans certains cas, de résister à la possibilité d’aller. Mais il est essentiel dès le début de la formation de descendre au plus profond de son cœur, de se donner un rythme de vie qui nous pousse à y retourner ; sinon nous courrons le risque de séparer notre vie extérieure de notre moi le plus profond, et de Dieu aussi… L’une des choses les plus tristes qui puisse arriver lors du voyage de la vie consiste à éviter et même à rejeter la vraie connaissance de soi. Tomber dans une telle situation peut nous rendre étranger à nous-mêmes. Revenons maintes et maintes fois au cœur, dans nos prières, dans nos épreuves, dans nos bénédictions, nos recherches, nos errances, nos doutes, et – oui ! – même dans nos péchés : nous y trouverons le Dieu qui nous aime infiniment.

Cet amour se révèlera dans le réconfort divin qui nous apporte, dans la consolation et l’instruction, d’autres bienfaits et bénédictions. Il nous met en relation avec le Dieu qui nous a donné la vie et continue de nous aider. Le vrai chemin de la formation est bien exprimé dans la prière du psalmiste : « Mon cœur m’a redit ta parole : “Cherchez ma face”, c’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (Ps 26 / Hb 27 8, 9a). Même dans les moments où le visage de Dieu peut sembler caché, nous n’avons qu’à nous tourner vers le cœur où nous trouverons le Dieu d’amour et de miséricorde toujours prêt à nous recevoir et à nous renouveler.


La terre féconde de la formation monastique

4

Perspectives

Dom Mauro-Giuseppe Lepori

Abbé général OCist

 

La terre féconde de la formation monastique

 

Je visitais récemment une communauté de moines, et pendant mon séjour j’ai pu participer à un colloque communautaire. Le sujet du colloque était l’expression très originale d’un artiste chrétien. On partageait surtout sur des images de ses œuvres, mais on avait aussi regardé ensemble, quelques jours auparavant, une vidéo sur lui, sur son parcours humain et artistique. L’échange entre les frères fut très profond, car chacun s’était laissé provoquer très personnellement par le témoignage de cet artiste. À la fin du colloque l’abbé dit, en passant, que cette année, aussi à cause de la situation créée par la pandémie, ils avaient eu très peu de moments de formation structurée, par exemple en invitant des professeurs pour leur donner des cours ou des sessions. Il se demandait ce qu’il en était de leur formation permanente. Dans la formation initiale, il se rendait compte aussi qu’on avait très peu su respecter la ratio studiorum prescrite par l’Ordre. Un malaise que je vois partagé par beaucoup de supérieurs et de communautés, surtout si elles sont petites et fragiles.

Mais il était évident qu’après ce colloque communautaire, cette communauté ne manquait pas du tout de formation permanente, justement parce qu’elle a développé au long des années une très belle culture du partage, du dialogue, de l’écoute et de la parole.

J’ai pris alors encore plus conscience que la formation monastique est vivante et efficace si elle trouve dans la communauté un champ labouré, un champ qui se laisse travailler pour accueillir la semence, la laisser germer, pousser et porter du fruit. Ou bien, pour utiliser une autre image peut-être encore plus expressive de l’enjeu de la formation, si la communauté se dispose à être une argile bien mélangée, trempée d’eau, avec une juste consistance, pour permettre aux mains du potier de lui donner la forme belle et utile qu’il veut lui destiner.

Bref, quand une communauté travaille à sa propre conversion, quand elle se forme en tant que communauté filiale et fraternelle, quand elle est, comme dirait saint Benoît, un espace de stabilité obéissante – c’est-à-dire de silence à l’écoute, dans la conversatio morum, sur un chemin de conversion de communion qui la rend vivante, alors tout contribue à sa formation, tout devient pour elle et chaque membre qui la compose une occasion pour grandir, pour s’approfondir et se dilater dans la forme parfaite du Christ, le Fils bien-aimé que le Père veut imprimer en nous par le don de l’Esprit. Seule, une communauté qui accepte d’être un chantier peut devenir une maison, une demeure, et surtout un temple de la présence de Dieu. Sans cela, même les meilleurs cours et sessions des plus hauts maîtres et professeurs n’arrivent pas à former et à faire grandir une communauté et ses membres.

Je connais des communauté petites et fragiles qui ne peuvent plus obtenir des formateurs extérieurs de qualité, mais qui sont tellement unies dans l’humilité du désir de conversion que chaque miette de vérité et de beauté leur venant de n’importe qui ou n’emporte quoi devient semence de formation et d’édification. Tout nous forme si nous avons un cœur humblement ouvert à la conversion que la conversatio monastique et communautaire nous offre et nous demande. Cela fait des communautés où l’on perçoit le cœur méditatif de la Vierge Marie, toute éveillée à ne rien perdre de l’événement du Verbe-Époux. Si cette attitude fait défaut, une communauté peut disposer de la formation la plus abondante et raffinée sans que cela la forme vraiment. La meilleure semence reste stérile si, au lieu de tomber sur un champ labouré, elle tombe sur du marbre, même précieux et poli jusqu’à briller.

Pour que n’importe quelle formation soit féconde, on ne doit donc pas négliger l’humus. Qui ne travaille pas la terre, n’aura pas de fruits au temps voulu. Et c’est cela la grande sagesse de la formation monastique : elle commence par le bas pour que même ce qui vient du plus haut, comme la Parole Dieu et son Esprit, puisse trouver accueil, ouverture, c’est-à-dire une liberté qui demande et désire, et qui ouvre la porte lorsque le Verbe frappe.

Saint Benoît a compris, à l’école de l’Évangile et des Pères, que rien ne laboure la terre mieux que la vie communautaire. Vivre en communauté rend la conversion vraiment formatrice. Sans un milieu communautaire guidé, on cède à la grande tentation, vieille comme le péché originel, de vouloir se modeler par ses propres mains. Mais nos propres mains arrivent seulement à nous maquiller, en nous regardant narcissiquement au miroir de nos ambitions et vanités. Lorsque, au contraire, notre liberté consent à ce que la vie communautaire et l’obéissance nous travaillent pour nous former selon le dessein de Dieu, alors lentement nous nous découvrons modelés du profond de nous-mêmes pour que le don véritable de notre vie porte ses fruits.

Dans ce sens, ce temps de pandémie est une grande provocation pour les communautés monastiques. D’une part, comme tout le monde, nous découvrons des moyens de formation partagée à distance qui offre aux communautés plus fragiles de nouvelles opportunités de formation. Mais cette opportunité révèle aussi sa grande limite : elle favorise la communication formatrice mais non la communion formatrice. La formation en ligne est excellente pour nous informer, mais elle n’arrive pas à nous façonner. C’est comme si on apprenait la théorie de la poterie, mais sans se salir les mains avec l’argile. Mieux encore : c’est comme si un potier montrait à l’argile les gestes qui la façonnent, sans pouvoir la toucher. Il faut alors que l’argile trouve des mains qui se chargent de la travailler. Et là on revient à la nécessité d’une réelle conversatio communautaire, qui, d’ailleurs, est redevenue particulièrement sensible lorsque le confinement a obligé les communautés monastiques à vivre dans une vraie clôture.


Lorsqu’on a dû annuler en 2020 le Cours de Formation Monastique, que depuis presque vingt ans nous tenons pendant un mois à la Maison généralice cistercienne à Rome, nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas le remplacer par des cours en ligne. Mais, mise à part la difficulté pratique de rassembler virtuellement des étudiants disséminés de l’Asie aux Amériques, pour nous c’était évident que nous ne pourrions pas réduire ce cours de formation aux simples leçons. Il manquerait toute l’épaisseur communautaire qui permet aux enseignements de commencer tout de suite à germer dans la vie réelle des participants, en leur apprenant la dynamique intégrale de la formation monastique qui n’est pas seulement semence, mais aussi terre qui l’accueille, qui n’est pas seulement parole, mais aussi cœur qui écoute pour vivre en communion.

Quand on médite le premier chapitre de la règle de saint Benoît, sur les genres des moines, on se rends compte que la vraie différence entre les deux bons modèles de moines, les cénobites et les anachorètes, et les deux mauvais modèles de moines, les sarabaïtes et les gyrovagues, porte sur le choix ou le rejet de se laisser former par un autre que soi-même. Les cénobites et les anachorètes confient leur désir de plénitude de vie et de sainteté aux mains de Dieu et d’une communauté guidée par une règle et un abbé ; les sarabaïtes et les gyrovagues suivent par contre leur tendance individualiste, celle qui nous hante depuis le péché originel, sans se confier à la formation par les mains d’un autre. Tous sont argile destinée à prendre une forme belle et utile, mais les premiers permettent à Dieu et à la communauté de les façonner, tandis que les autres se laissent glisser là où ils sont, prenant passivement la forme sans forme de la pente par où ils glissent. Les premiers confient leur désir de vie et de joie à un chemin qui l’accomplit ; les autres, confondant le désir profond de leur cœur avec la tendance de leur instinct, se laissent guider par la tendance elle-même qui ne conduit nulle part. Car la tendance instinctive est un désir détérioré qui se renferme sur lui-même, renonçant à l’infini vers lequel il est tendu.

La formation monastique, comme toute vraie formation humaine et chrétienne, est alors une question grave, car l’enjeu n’est pas la perfection du savoir, y compris le savoir-faire, mais la plénitude de la vie, celle pour laquelle nous sommes créés par le Père, rachetés par le Fils et animés par l’Esprit ; celle pour laquelle nous est donné le Corps du Christ qu’est l’Église, jusqu’à l’appartenance immédiate à la communauté qui nous est accordée pour que la forme de Jésus devienne la substance de notre vie en toutes ses relations.

L'Institut Monastique Bénédictin (BMI)

5

Perspectives

Père Peter Eghwrudjakpor, osb

Prieur de Ewu Ishan (Nigeria)

 

L’Institut Monastique Bénédictin (BMI)

BECAN (Benedictine and Cistercian Association of Nigeria)

 

Après de nombreuses années de préparation et de planification, nous avons enfin lancé un programme d’études et de formation pour les moines et les moniales des monastères du Nigeria. Les cours ont débuté en août 2018. Ils ont duré quatre semaines pendant cette première année que l’on peut considérer comme expérimentale. La deuxième année, 2019, ils ont duré huit semaines et, avec la grâce de Dieu, nous espérons atteindre dix semaines à l’avenir. Ainsi, cette première promotion aura été réunie pendant trois périodes en trois ans.

On notera qu’après avoir consulté l’université catholique du Nigeria (Madonna University), qui a accepté notre demande d’affiliation, il a été décidé que le prochain programme d’études pour nos futurs étudiants durerait deux ans au lieu de trois comme actuellement.

L’université délivrera également aux étudiants un certificat valablement reconnu. Chaque année les étudiants, après avoir passé deux mois d’études et d’examens, retourneront dans leurs différentes communautés puis reviendront l’année suivante pour les autres modules, ce qui fera quatre mois en tout.

Ce programme en deux ans débutera en 2021 avec la prochaine promotion, c’est-à-dire lorsque les actuels étudiants auront terminé leur cycle, en octobre 2020.

Liste des cours :

1- Initiation à la grammaire anglaise.

2- La spiritualité monastique.

3- Introduction à l’Écriture.

4- Les Pères du monachisme.

5- La spiritualité de la règle de saint Benoît.

6- Histoire du monachisme.

7- Les Pères de l’Église.

8- Initiation à la philosophie.

9- Latin.

10- Histoire de l’Église.

11- La liturgie.

12- Méthodologie de recherche et de rédaction de documents.

13- La doctrine de l’Église ; les dogmes.

14- Le droit canonique pour les religieux.

15- Les vœux.

16- La sexualité humaine.

17- La prière.

18- La théologie morale.

19- Les sacrements.

20- Le monachisme en Afrique.

21- Musique.

22- Le monachisme en Terre Sainte.

23- Initiation à la logique.

24- La philosophie africaine.

25- Initiation à l’épistémologie.

26- Métaphysique.

27- Le monachisme syrien et byzantin.

28- La vie consacrée.

29- Initiation à l’informatique.

30- Le développement humain.

Nous avons commencé la première série de cours avec vingt-quatre étudiants provenant des dix-sept monastères de notre région BECAN, quatorze professeurs et trois non-enseignants ; tous moines ou moniales de monastères nigérians.

L’équipe organisatrice comporte cinq membres. Trois restent avec les étudiants pendant tout le déroulement des cours, et deux, représentants des supérieurs monastiques, font le lien entre l’autorité du BECAN et les supérieurs, et supervisent le programme.

Notre espoir est d’ouvrir à terme ces cours à des moines et moniales provenant d’autres communautés monastiques et d’autres régions d’Afrique, du moins ceux qui peuvent communiquer en anglais. Cela garantira également la continuité à long terme de notre programme.

 

Financement

À l’heure actuelle chaque monastère y contribue en réglant une certaine somme par étudiant ; il donne aussi des produits alimentaires ou offre certaines choses : ceci permet d’assurer l’alimentation et le bien-être de tous les participants (étudiants et personnel). Ici, les communautés de l’association BECAN font preuve d’une très belle générosité. À la fin des stages on n’a en général manqué de rien. Les enseignants ne touchent rien mais sont remboursés de leurs frais de transport.

Il faut signaler que l’AIM-USA nous a fait un merveilleux cadeau : trois caisses de livres sont récemment arrivées. C’est une des façons dont l’AIM peut soutenir notre programme. Nous constituons progressivement une bibliothèque : tous les dons de livres sont donc bienvenus.


Session à Umuoji. © AIM.
Session à Umuoji. © AIM.

La formation « Ananie »

6

Perspectives

Sœur Marie Ricard, OSB

Communauté de Martigné-Briand, France

 

La formation « Ananie »

 

Depuis 2014, il existe un programme de formation des formateurs monastiques pour les pays francophones. Les sessions ont lieu tous les deux ans en France et en Belgique.

L’esprit « Ananie » se définit comme une grande plongée spirituelle, centrée sur la Parole de Dieu et vécue en corps fraternel, telle est la proposition offerte à des moines et moniales déjà mûrs dans leur chemin communautaire !

Qui participe ? Les sessions s’adressent aux monastères bénédictins et cisterciens francophones de tous les continents. Les inscriptions concernent des moines et moniales ayant déjà une formation monastique et une certaine expérience communautaire, des frères et des sœurs dont on pense qu’ils ont les capacités pour remplir une tâche de responsabilité.

Durée : trois mois.

Nombre : entre vingt et vingt-cinq. L’équilibre moines/moniales est important à respecter (mais la réalité n’obéit pas toujours à ce principe !).

Contenu : plusieurs « pôles ».

– Vie monastique et Évangile (le disciple du Christ vit avec la Parole).

– Saint Benoît.

– Le psautier.

– Histoire du monachisme.

– Accompagnement spirituel.

– Vie communautaire.

– Développement humain. Psychologie et vie spirituelle, etc.

– La liturgie, expérience monastique.

La formation n’a évidemment aucun objectif universitaire ! La tâche est d’ouvrir des portes. On ne peut tout dire, tout donner, mais il s’agit de former la personne à aborder sa tâche de formateur ou de transmetteur en lui donnant des outils de recherche. L’essentiel de la formation, c’est la transmission de la vie.

 

Comment ? la vie et le déroulement des sessions :

– Les participants sont appelés à créer entre eux une vraie fraternité durant leurs trois mois de vie commune : c’est la base nécessaire pour tout ce qui va être vécu. Les sessions sont de vie, et pas seulement d’information.

– Les deux ou trois premiers jours sont consacrés aux échanges, au partage des chemins de vie de chacun, sous la conduite d’un modérateur compétent. Chacun est aussi invité à dire quelles sont ses attentes, ses questions.

– Les participants sont accueillis dans différents monastères. Pour 2018 : La-Pierre-qui-Vire, La Coudre (Laval), Martigné-Briand et Bellefontaine.

– Des pèlerinages, excursions… sont prévus.

– Un « ancien » (frère Cyprien de La-Pierre-qui-Vire) accompagne le groupe tout au long des trois mois. Présence discrète, mais « fondamentale pour faire l’unité du groupe ».

– Complémentaire, la participation du pasteur Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie religieuse à l’université de Lausanne, excellent connaisseur et ami de la vie monastique, a été elle aussi jugée indispensable ; trois fois, il vient rencontrer le groupe pendant quelques jours.

– Les enseignants sont surtout des moines et moniales ; il y a aussi quelques professeurs laïques ou des professionnels de telle ou telle discipline.

Le parcours veut offrir à travers des cours, mais aussi des groupes de réflexion, une intelligence globale de notre vie monastique. Il veut permettre de mieux assumer des responsabilités de formation ainsi que d’autres responsabilités à l’égard des frères/sœurs ou des personnes de l’extérieur. Depuis la dernière session, nous mettons un accent particulier sur l’accompagnement personnel donné à chaque participant.

Les étapes se déroulent dans quatre monastères ; selon une habitude qui a fait ses preuves, nous commençons à La-Pierre-qui-Vire. Chaque étape développe un aspect fondamental :

– La Parole de Dieu, socle de nos vies. Au centre : le mystère pascal.

– Transmettre la Tradition. C’est le temps de revisiter la Règle et les grands fondamentaux : autorité-obéissance ; désappropriation et économie ; accompagnement spirituel.

– Affectivité et célibat. Une étape plus personnelle qui peut rejoindre chacun dans ce qu’il a de plus profond, en ses forces et ses fragilités.

– Vie commune. L’Église-Fraternité ; inculturation ; vie fraternelle. Vœux. Nous introduisons une intervention prenant en compte la dimension d’écologie intégrale.

– Signalons aussi la richesse des sorties proposées à chaque étape.

Il est important que chaque inscription soit portée par une motivation claire, tant de la part du ou de la supérieur(e), que de la part du frère ou de la sœur inscrit(e). Une lettre personnelle du ou de la supérieur(e) accompagne l’inscription définitive. Chaque frère ou sœur envoie lui aussi, à l’inscription, une lettre précisant ce qu’il/elle attend de ces trois mois.

Les trois mois forment un tout, c’est-à-dire qu’on ne peut envisager de choix « à la carte ». Dans la mesure où le propos est justement un parcours de formation, il est global : il s’agit de se former, et non d’acquérir seulement des connaissances ou une méthode – cela suppose un investissement personnel, dans la durée et avec un groupe stable.

La connaissance du français est une exigence sur laquelle nous nous permettons d’insister. L’expérience a montré que le frère ou la sœur ne peut vraiment tirer profit de ces trois mois sans une maîtrise suffisante de la langue, même si cela nécessite parfois un investissement supplémentaire.


La session de 2018

La dernière session s’est déroulée du 6 septembre au 28 novembre 2018, réunissant dix-neuf moniales et sept moines. Le groupe était accompagné par le frère Cyprien, de La-Pierre-qui-Vire, qui a écouté les uns et les autres et veillé à l’organisation. Il reprendra ce service pour la prochaine session… que nous espérons pouvoir maintenir.

Le groupe était caractérisé dans sa composition par une forte présence africaine : seize participant(e)s venaient d’un pays d’Afrique. Neuf sœurs venaient de France (mais quatre n’étaient pas françaises d’origine et parmi elles, deux étaient africaines). Ajoutons que le seul moine français venait de Latroun, en Israël.

L’interculturel n’était pas une théorie. Le bilan a souligné que les découvertes mutuelles ont été enrichissantes, sans gommer les inévitables difficultés, malentendus, incompréhensions que génère toute vie en commun, à plus forte raison quand les contextes culturels sont divers. La force du groupe a été son esprit fraternel qui, dès les premiers jours, s’est manifesté. Sûrs de pouvoir construire sur ce roc, les frères et sœurs n’ont pas hésité à se parler en vérité quand des tensions pouvaient abîmer la fraternité. Cet aspect-là nous a frappés et il est bon de le dire.

Comme on peut s’en douter, la danse, le chant, le rythme n’ont pas manqué de colorer ces mois ! Assez naturellement, les monastères d’accueil ont généralement su intégrer ce joyeux apport dans les célébrations liturgiques.

Quant au contenu, nous avons gardé ce qui a été vécu dans les deux sessions précédentes, avec un accent particulier donné à l’accompagnement personnel.

Signalons aussi la richesse des sorties, une par étape :

– Taizé avec, cette fois, la possibilité de passer deux jours sur la colline, au milieu des jeunes, et si fraternellement accueillis par les frères. Un arrêt à Cluny a permis un aperçu sur l’histoire monastique en France.

– Le monastère orthodoxe de Saint-Silouane, dans la Sarthe, où les frères et sœurs ont participé à la liturgie eucharistique et un peu mieux senti la souffrance de la division des chrétiens puisque nous ne pouvons communier ensemble. Mais l’accueil fut là aussi très joyeusement fraternel.

– Ligugé, le monastère de Saint-Martin, la plus ancienne abbaye connue de la Gaule, fondée au 4e siècle par saint Martin. Le retour s’est fait par l’abbaye de Sainte-Croix, toute proche, qui possède une relique de la vraie Croix : une vénération fut offerte avant les vêpres.

– Candes, où mourut saint Martin, puis l’abbaye de Fontevrault, devenu centre culturel. Encore une belle tranche du monachisme à découvrir.

 

La session de 2021

Au début de l’année 2020, nous avions entrepris la préparation de la session de 2021. En raison du contexte sanitaire difficile à prévoir, il nous a paru plus prudent de la reporter l’année suivante. La prochaine session aura donc lieu du 7 septembre au 1er décembre 2022.

La formation monastique au Vietnam

7

Perspectives

Sœur Marie-Lucie, OCist

Monastère de Vinh Phuoc (Vietnam)

 

La formation monastique au Vietnam

 

Il existe au Vietnam une grande vitalité monastique. Les monastères sont au nombre de vingt-et-un dont deux monastères de bénédictines de la congrégation de Vanves, six de bénédictins de Subiaco-Mont-Cassin, trois de cisterciennes de la Sainte-Famille et neuf de cisterciens, ainsi qu’un monastère de Bernardines ; donc six monastères féminins et quinze masculins, sans compter les maisons dépendantes ou les fondations en préparation…

Tous les deux ans, une rencontre de formation de trois jours est organisée en commun pour les bénédictins et cisterciens vietnamiens portant sur l’étude d’un document du Saint-Siège concernant la vie monastique ou la vie consacrée en général.

La formation initiale est bien sûr prise en charge par chaque monastère tant pour les bénédictins que les cisterciens. Des sessions pour les formateurs ont lieu régulièrement.

La Province vietnamienne de la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin organise une formation permanente. Chaque année, la Province a une semaine de session sur les sujets spirituels ou monastiques.

La formation philosophique et théologique se fait au monastère ou au grand séminaire ou dans un studium (franciscain, salésien,…).

La congrégation de la Sainte-Famille a mis en place une commission de formation qui se réunit régulièrement et accompagne les initiatives dans ce domaine. Pour la Congrégation, il y a des rencontres internoviciats de deux ou trois jours tous les deux ans, pour les moines d’un côté et pour les sœurs de l’autre. De même, il y a aussi des rencontres entre profès temporaires. Il y a également des sessions pour les profès perpétuels de tous les monastères de la Congrégation. La Congrégation possède aussi un studium pour les études de philosophie et de théologie pour les moines.

En 1992, pour la première fois, les cours de théologie pour les religieuses ont pu être organisés à Hô-Chi-Minh Ville grâce aux efforts de Mgr Paul Nguyen van Bình (archidiocèse de Hô-Chi-Minh Ville). Les sœurs étudiantes des trois communautés cisterciennes (Vinh Phuoc, Phuoc Thien et Phuoc Hai) habitent dans une maison à Hô-Chi-Minh Ville, aménagée en 2007 avec l’aide de l’AIM. Vingt-quatre sœurs sont en étude cette année : quinze en troisième année de théologie et neuf en deuxième année. Le lieu est aussi utilisé pour des sessions ouvertes à diverses congrégations religieuses. Durant l’année, la maison est occupée par une quinzaine de sœurs professes perpétuelles cisterciennes. La maison sert aussi comme port d’attache pour les sœurs ayant des affaires à traiter en ville.

On peut noter que des rencontres sont également organisées pour les professes perpétuelles. Enfin, il y a des sessions dans la congrégation de la Sainte-Famille pour différentes catégories de personnes, en responsabilité ou non : hôteliers, hôtelières, cellériers, bibliothécaires, profès âgés, profès d’âge mur, ou jeunes profès de moins de 40 ans.


Les sœurs cisterciennes en étude à Hô-Chi-Minh Ville.
Les sœurs cisterciennes en étude à Hô-Chi-Minh Ville.

La formation monastique en Tanzanie

8

Perspectives

Frère Pius Boa, OSB

Abbaye de Ndanda (Tanzanie)

 

La formation monastique en Tanzanie

 


Il y a quatre abbayes bénédictines de la congrégation de Saint-Ottilien en Tanzanie : Peramiho, Ndanda, Hanga et Mvimwa. Cette brève contribution présente la formation monastique reçue dans ces communautés.

Pour ce qui est de la formation initiale pendant le temps où les nouveaux venus sont regardants ou postulants, il n’y a pas de programme réunissant tous les candidats.

Concernant le noviciat et le juniorat (après la profession temporaire), il y a un programme qui rassemble tous les moines concernés pour un séminaire de travail organisé par l’Union Bénédictine de Tanzanie (Benedictine Union of Tanzania, BUT). Les novices reçoivent aussi la possibilité de participer à un séminaire en commun, une fois par an.

Les jeunes qui ont fait leur première profession et spécialement ceux qui se préparent aux vœux définitifs font une formation en commun pendant un mois. Ils sont instruits avec des thématiques données par différents professeurs autour de la règle de saint Benoît, la spiritualité, la sainte Bible, les ressources humaines pour le développement de la personne, et la comptabilité.

Il y a aussi une session d’une semaine pour les moines âgés (prêtres et frères) organisée par le centre spirituel de Ndanda (Zacheo) tous les ans.

Les formateurs ont pour la plupart suivi le programme des formateurs monastiques en anglais à Rome (Monastic Formators’ Programme - MFP). Certains d’entre eux ont suivi le cours de spiritualité monastique à Saint-Anselme, à Rome.

Beaucoup d’abbés, de prieurs ou d’administrateurs ont suivi le cours de Leadership à Rome durant ces dernières années.

Les sessions de formation au monastère de Mvanda (RDC)

9

Perspectives

Mère Anna Chiara Meli, ocso

Prieure de Mvanda (RDC)

 

Les sessions de formation

au monastère de Mvanda (RDC)

 


Le monastère Notre-Dame de Mvanda a été fondé par l’Étoile Notre-Dame (Parakou, Bénin) en 1991. Depuis l’an 2000, l’abbaye de Vitorchiano a envoyé cinq sœurs pour assumer la responsabilité du développement de cette communauté. Mvanda a été érigé en prieuré simple le 15 février 2010.

Depuis quelques années, le besoin se fait sentir à Kikwit d’offrir à de jeunes candidats à la vie monastique ou religieuse apostolique la possibilité d’une année de remise à niveau et de pré-formation. En effet, les formateurs de différentes communautés se trouvent de plus en plus confrontés au problème d’un manque de fondements solides, à la fois du point de vue intellectuel et de la structure personnelle des candidats. De ce fait, les personnes engagées dans la formation se voient contraintes de se focaliser sur des aspects qui devraient être acquis auparavant tels que la connaissance du français, un minimum de connaissance de soi, une formation catéchétique de base, etc., au lieu de se concentrer sur la formation purement monastique. Ce qui entraîne chez nombre d’entre elles un vif découragement. Et du côté des personnes en formation, le risque est réel de grandir avec des lacunes humaines et spirituelles qui seront comblées artificiellement par l’accumulation d’un savoir reposant sur des bases que la première crise risque d’emporter.

Le projet, porté par les moniales trappistines de Mvanda, a pris une forme concrète au cours du mois de mars 2014.

Début 2014 ont commencé les travaux de construction du centre destiné à accueillir les activités. Le 19 mars 2014, une première réunion de concertation a eu lieu en présence de dom Jean-Pierre Longeat, osb, président de l’AIM, Mère Anna-Chiara, ocso (Mvanda), sœur Patrizia, ocso, sœur Catherine-Noël et frère Benoît (Tibériade).

L’école est ouverte aux jeunes qui vivent depuis au moins une année complète en communauté en tant que aspirants ou postulants. La première année d’étude a commencé le 15 septembre 2014 et s’est terminée le 19 juin 2015.

Le temps de formation est prévu sur les matinées, du lundi au vendredi. Un programme est élaboré sur trois trimestres avec une progression dans l’approche de la personne :

– premier trimestre : « L’histoire et mon histoire » ;

– deuxième trimestre : « Me connaître pour me construire » ;

– troisième trimestre : « Entrer en alliance avec la Bible ».

Des cours de géographie, biologie, histoire, français, etc., sont aussi mis en place.

Depuis de nombreuses années, le prieuré de Mvanda organise aussi des sessions pour les postulants et novices des congrégations religieuses de la région, dont les monastères.


 

Nzonkanda ya lutondo : école de charité

Ce projet de créer une école de formation pour religieux est né d’un besoin ressenti sur place de proposer aux jeunes moines et moniales un programme de formation plus spécifiquement orientée vers la fin de leur vocation contemplative.

Toutefois, en l’ouvrant aux autres congrégations prêtes à envoyer quelques jeunes, nous espérons correspondre aux appels formulés dans le beau document de la CIVCSVA sur « La dimension contemplative de la vie consacrée », et donner ainsi aux jeunes religieux et religieuses apostoliques une assise solide à leur mission. Il est clair que nous nous inspirons de l’expérience faite en Belgique et en France avec l’Institut Théologique Inter-Monastique (ITIM) et le Studium théologique Inter-Monastères (STIM). Cependant, nous tentons d’adapter les programmes et le niveau des cours à la réalité et au rythme africains qui sont les nôtres.

Nous ne voulons pas offrir à nos jeunes une formation de type universitaire. Pour cela existent des universités ! Si nous ne pouvons pas non plus former des saints puisque c’est là une œuvre divine, nous voudrions au moins que nos religieux/ses désirent le devenir. Qu’à travers une formation humaine et théologique équilibrées, ils puissent devenir profondément amoureux du Christ et de son Église. Notre approche voudrait permettre à nos jeunes de « goûter et de voir combien le Seigneur est bon ». Une approche rigoureuse qui s’enracine dans l’Écriture et la Tradition, soucieuse de transmettre intelligemment l’enseignement de l’Église. Il ne faut pas simplement faire répéter mais assimiler pour « com-prendre » (prendre avec soi) et « con-naître » (renaître avec), faire l’expérience intime de la beauté de Dieu et de son Église.

Les enseignant/es s’efforcent de transmettre autant une méthode de travail qu’une connaissance. On exige d’eux qu’ils procurent aux étudiants une copie de leur cours et une bibliographie mise à jour autant que possible. Le parcours durant ces deux premiers cycles (surtout le premier) est, autant que faire se peut, basé sur les Écritures saintes, le catéchisme de l’Église catholique, le concile Vatican II et les dernières encycliques pontificales. En effet, nous proposons deux cycles. Le premier s’adresse aux jeunes aspirant/es, postulant/es et novices, voire jeunes profès et professes. Le deuxième est destiné aux profès et professes simples ou perpétuels. L’avenir montrera si un troisième cycle est envisageable.

Session à Mvanda.
Session à Mvanda.

Qu’est-ce qui vous empêche de devenir « obsolètes » ?

10

Perspectives

Père Chad Boulton, OSB

Abbaye d’Ampleforth (Royaume-Uni)

 

Qu’est-ce qui vous empêche

de devenir « obsolètes » ?

Une réponse de la congrégation bénédictine anglaise

au défi de la formation continue

 


En cas de pandémie, l’horizon peut se rétrécir pour passer les jours. Dans la vie monastique, il devient peut-être de plus en plus important de se souvenir d’une perspective plus large et sur le long terme. Que signifie appartenir à une Congrégation ? Non seulement adhérer à ce qui est exprimé dans les Constitutions mais aussi à un état d’esprit favorisé par le soutien mutuel ; non seulement l’aspect formel d’une visite canonique mais le dynamisme des liens fraternels entre les maisons. Que signifie grandir tout au long d’une vie monastique ? Non seulement intégrer les exigences de la formation initiale, mais aussi la nécessité d’un développement continu, individuel mais aussi collectif.

Ces deux questions centrales ont été abordées lorsque le Chapitre général de la congrégation bénédictine anglaise a établi une Commission de formation continue en 2017, afin de « soutenir nos communautés dans le discernement des moyens nécessaires pour le développement de la formation continue ». Ils ont souligné « l’importance de la collaboration entre les monastères, (...) croyant que cela est important pour leur bien-être et même pour leur survie ».

Avant cela en cette même année 2017, la Congrégation pour les religieux (CIVCSVA) avait publié un document intitulé : « À vin nouveau, outres neuves » qui a contribué à façonner cette Commission. Le risque existe que l’on parle beaucoup de formation continue mais que très peu de choses soient réellement faites.

« Il ne suffit pas d’organiser des cours théoriques sur la théologie et d’aborder des thèmes de spiritualité ; il est urgent que nous développions une culture de formation permanente... pour revoir et vérifier l’expérience réelle vécue au sein de nos communautés. »

Le Chapitre général cherchait à s’appuyer sur le travail effectué par le Forum 2015, qui avait réuni les jeunes membres de la Congrégation, pour rassembler leurs idées et propositions sur le renouveau monastique dans la congrégation bénédictine anglaise, en particulier sur les thèmes de la « communauté » et de la « formation ». Leurs documents ont été présentés lors d’un Chapitre général extraordinaire qui a suivi immédiatement le Chapitre en cours. Ces mêmes documents ont été ensuite discutés dans chaque monastère. Le Chapitre de 2017 apportait également sa propre réflexion sur le ministère abbatial et souhaitait un travail plus approfondi sur la nature du leadership dans la Congrégation.

Il s’agissait d’un nouveau type de Commission[1] à laquelle il était demandé de ne pas produire de documents, mais d’engager les monastères dans le processus de développement d’une culture de la formation, en mettant l’accent sur un élargissement du sens de la vitalité spirituelle qui ne peut consister simplement à une mise à jour théologique ou à une formation professionnelle. Une tâche aussi vaste exigeait une certaine flexibilité dans la méthode. Six participants ont été choisis durant le Chapitre afin d’apporter l’ampleur et l’expérience nécessaires.

Dès le début, nous avons décidé de nous réunir régulièrement, dans une maison à chaque fois différente de la Congrégation. Ces rencontres nous ont permis, en tant que Commission, de développer notre propre approche et la confiance mutuelle. Nous avons toujours commencé par un tour d’horizon approfondi de ce qui se passait dans notre vie individuelle ou communautaire. À notre grande surprise et pour notre plus grand plaisir, nous avons constaté que nous nous entendions bien et que nous aimions réellement les moments passés ensemble. Chacun a apporté son expertise et son expérience, que ce soit dans l’exercice de fonctions officielles comme président, secrétaire, trésorier ou dans des rôles informels mais essentiels de « conscience », de « sage », de « scribe ».

Ces réunions nous ont également permis de rencontrer la communauté que nous visitions, de prier, de partager les repas, de discuter avec elle, et d’entendre le point de vue de ses membres sur la formation. Il est encourageant de constater que ces sessions ont attiré un grand nombre de participants et ont donné un aperçu fascinant des différents monastères. Nous commencions généralement par la question : « Qu’est-ce qui vous empêche de devenir “obsolètes” ? », ce qui a rapidement donné lieu à des réponses sur la formation individuelle et communautaire. Nous avons eu une idée des communautés dont les moines ou les moniales avaient l’habitude de se rencontrer et de celles pour lesquelles ces rencontres étaient des moments pleins de réticence et de tension.

Une partie de notre tâche consistait à organiser deux conférences par an pour cette Commission, comme « moments forts » dans le processus de développement d’une culture de la formation. La première a eu lieu en 2018. Après de nombreuses discussions sur le leadership, nous avons choisi le thème : « Prendre la responsabilité de sa communauté », en invitant non pas les supérieurs mais un échantillon plus large de quatre membres de chaque maison, en particulier ceux qui ne participent pas habituellement aux événements de la Congrégation.

Nous avons été grandement aidés par le soutien et les encouragements de l’Abbé Président, et par une consultante externe, Caryn Vanstone, qui avait déjà travaillé avec des monastères. Elle a apporté fraîcheur et rigueur à nos discussions et nous a permis d’atteindre une clarté et une cohérence qui n’auraient pas été possibles autrement. Elle a particulièrement insisté sur la nécessité de considérer cette conférence comme faisant partie d’un processus global, impliquant à la fois la préparation et le suivi. L’un des outils qui s’est avéré remarquablement utile est l’art de « l’enquête appréciative ». Cela a inversé la dynamique monastique habituelle qui consiste à se concentrer sur les problèmes : elle invitait les participants à la conférence à commencer par ce qui allait bien et à envisager comment cela pouvait se développer. Cette approche a été encouragée à la fois en interrogeant les communautés avant la conférence et en partageant leur contribution pendant la conférence.

L’événement lui-même a été généreusement accueilli par l’abbaye de Buckfast, et superbement facilité par Caryn et son mari Bruno. Il y a eu quelques discussions formelles, mais l’accent a été mis sur l’engagement des délégués, regroupés en ateliers, avec une progression sur les quatre jours, stimulant les contributions, puis en laissant le temps de donner du sens et de faire le point, afin de dresser un plan d’action. Un élément central de l’ensemble de la réunion était la question héritée des abus sexuels sur les enfants auquel la Congrégation est confrontée par le biais de l’enquête publique IICSA (Independent Inquiry into Child Sexual Abuse). Les participants ont donc fait preuve à la fois d’honnêteté et d’humilité dans la planification des partages à l’intérieur des communautés. Les résultats ont été présentés aux supérieurs qui ont assisté à la dernière journée. Après la conférence, les communautés ont été invitées à sélectionner un de leurs délégués pour un programme de formation à la facilitation organisé par Caryn et incluant la congrégation Saint-Ottilien.


La deuxième conférence pour 2020 devait se concentrer sur les supérieurs, mais aussi impliquer ceux que les communautés avaient élus comme délégués pour le prochain Chapitre général. L’objectif était double : doter les supérieurs « d’outils faciles » de leadership et développer une nouvelle façon de se réunir en tant que Congrégation qui pourrait ensuite influencer le processus du Chapitre général. Cependant, toutes nos discussions et tous nos plans ont été dépassés par les restrictions de la COVID et nous avons dû repenser tout cela. Forcés de nous réunir « en ligne », nous avons continué à nous rencontrer tous les quinze jours, et avons finalement décidé d’offrir une série de webinaires[2] à toute la Congrégation, avec un exposé de vingt minutes débouchant sur quarante minutes de questions et de commentaires. Il y avait une variété d’intervenants, monastiques, religieux, laïcs, mais ils ont tous abordé des aspects différents de la crise pandémique. Ceux-ci ont eu beaucoup de succès et ont permis aux différentes maisons de se voir et de s’entendre, ne serait-ce que sous forme de fenêtres sur un écran Zoom. Nous venons également de commencer des rassemblements mensuels en ligne pour ceux qui doivent aller au Chapitre général, les supérieurs, les délégués et les officiels, en petits groupes. Nous espérons que cela permettra aux capitulaires de mieux se comprendre et de collaborer plus étroitement les uns avec les autres afin de permettre un Chapitre général plus fructueux.

Les douze derniers mois ont été particulièrement difficiles, mais les quatre années de notre mandat ont été tout aussi exigeantes. Notre travail s’est ajouté à nos engagements déjà existants, qui ont eux-mêmes changé au cours de cette période, puisque certains ont pris de nouvelles fonctions, comme celles de supérieur, de chef d’établissement, de prieur. Dans cette phase finale, nous réfléchissons maintenant à la manière de transmettre notre travail. En réfléchissant à ce récit, je voudrais proposer quelques conclusions générales.

 

L’ouverture à l’Esprit

Cette commission n’a jamais été simple. Il y a eu de nombreux moments de frustration où nous avons dû faire preuve de patience, car la compréhension de notre tâche a évolué. Au milieu de toutes ces fluctuations et de toute notre activité, nous avons dû faire confiance à l’Esprit et ne pas saisir les choses de manière trop rapide comme par une lumière prématurée, préemptant ou empêchant le débat et l’échange nécessaires. Des circonstances changeantes, comme celle de la COVID, ont mis à l’épreuve cette ouverture au changement, alors que nous cherchions comment nous adapter et modifier nos projets les plus chers.

 

Modéliser le message

Cette tâche a été formatrice pour nous, et nous avons nous-mêmes fait l’expérience du type de « fertilisation croisée » que nous cherchons à encourager dans la Congrégation. Il y a eu une véritable communion à l’œuvre, un sentiment que le tout est plus grand que la somme des parties. L’importance de profiter de nos rassemblements, l’investissement humain dans la constitution de l’équipe ont été contrebalancés par une saine responsabilité dans le maintien de l’honnêteté de chacun.

 

Enracinement de la tâche

Nos visites dans chaque communauté ont été essentielles pour nous permettre de rester en contact avec la réalité de l’expérience vécue dans nos monastères. Les groupes qui se réunissent trop séparément peuvent développer leur propre langue, s’éloignant de plus en plus de leur contexte premier. En plus de leur propre communauté, chaque membre était responsable d’une ou deux communautés « de liaison », ce qui a garanti la connexion de l’ensemble de la Congrégation.

 

Des choses anciennes et nouvelles

Comme le maître de maison qui tire de son trésor des choses anciennes et nouvelles, nous avons essayé de combiner les forces de notre tradition monastique avec les idées de l’Église et du monde en général. Nous nous sommes recommandés mutuellement des conférenciers, des livres et des sites web. Notre consultante externe a joué un rôle crucial en partageant son expérience au sens large, dans la bonne mesure et au bon moment.

 

« Congrégationnalité »

La dernière réflexion revient sur les deux premières questions concernant la finalité d’une congrégation et la nature de la formation. Notre commission a développé sa compréhension de la formation, en nous faisant passer de l’individu à la communauté et enfin à la Congrégation. L’une des découvertes surprenantes a été celle de la « congrégationnalité », vécue lors de nos visites de communautés, à la conférence de Buckfast et dans les webinaires. Tout comme un rassemblement de cousins se réunissant pour la première fois peut découvrir un sens de la famille, nous avons découvert une identité commune grâce aux liens entre nos différentes maisons. Cela n’a jamais été aussi vrai qu’au cours de notre collaboration au sein de la Commission.

 


[1] La Commission est composée de Fr. Chad Boulton (Ampleforth), Fr. Mark Barrett (Worth), Mère Anna Brennan (Stanbrook), Fr. Cuthbert Elliott (St Louis), Fr. Francis Straw (Buckfast), Fr. Brendan Thomas (Belmont).


[2] Webinaire est un mot-valise associant les mots web et séminaire, créé pour désigner toutes les formes de réunions interactives faites par internet généralement dans un but de travail collaboratif ou d’enseignement à distance. Inscrites en ligne ou contactées par messagerie, les personnes reçoivent un lien leur permettant de se connecter et de profiter d’une plateforme dédiée proposant des échanges en visio, audio.


Réunion à Buckfast en 2018.
Réunion à Buckfast en 2018.

Les études de théologie au monastère

11

Témoignage

Sœur Claire Cachia, OSB

Monastère de Martigné-Briand (France)

 

Les études de théologie au monastère

 


On ne rentre pas au monastère pour faire des études de théologie, mais pour emprunter un chemin de libération intérieure qui nous conduira à ne rien avoir de plus cher que le Christ. Cependant, il peut arriver que les circonstances permettent ces études, et qu’elles soient bénéfiques pour la vie monastique. Ce petit témoignage voudrait en être l’écho.

Les études de théologie peuvent se commencer dès le noviciat, grâce aux cours reçus, aux lectures personnelles qu’il est bon de pouvoir réaliser de façon approfondie au début de la formation monastique. Après la profession temporaire, il est d’usage chez nous qu’une année soit réservée à l’insertion en communauté par le travail et la vie fraternelle. Cependant, pendant cette année, j’ai pu réaliser un travail très enrichissant sur saint Irénée, une bonne porte d’entrée dans la théologie, en lien avec un professeur de l’université catholique d’Angers. Ensuite j’ai pu participer au STIM, cycle commun pendant trois ans, qui, en plus des enseignements de qualité, m’a permis de vivre des échanges et rencontres avec d’autres jeunes moines et moniales, et certains liens tissés à cette occasion perdurent jusqu’aujourd’hui. Ensuite j’ai réalisé le cycle du Bac en partenariat avec le Centre Sèvres et sa méthode pédagogique très aboutie. Puis j’ai pu accomplir le deuxième cycle de théologie à l’université catholique d’Angers sur quatre ans moyennant un seul après-midi de présence à la faculté par semaine, jusqu’à l’obtention de la licence canonique. Enfin, mes études se sont achevées par la réalisation de la thèse à l’université catholique d’Angers, portant sur le statut de la perception sensible dans les Questions à Thalassios de Maxime le Confesseur. À mon sens, toutes les études de théologie jusqu’à la licence canonique visent à obtenir une certaine culture en théologie, ce qui représente un gros travail au regard de l’ampleur de notre tradition de pensée chrétienne. Mais avec le travail de thèse, il s’agit vraiment d’un engagement personnel et créatif où il est possible d’ajouter sa petite pierre à l’édifice de l’étude théologique, pouvant ainsi apporter une base de travail à d’autres qui poursuivront la tâche. J’ai réalisé ces longues études en parallèle avec les tâches qui m’étaient confiées en communauté, d’abord la cuisine, puis l’atelier de confiture, l’atelier de céramique, le potager et le verger.

Je voudrais résumer brièvement quels sont les apports des études de théologie pour la vie monastique.

Le premier point concerne notre tradition monastique. La règle de saint Benoît conseille de partager le temps qui n’est pas imparti à l’opus Dei entre la lectio divina et le travail manuel. La lectio divina, c’est l’étude de la Bible et des Pères, une étude priante et nourrissante, et il est tout à fait possible de trouver cette nourriture de l’âme dans les études de théologie pourvu qu’on les aborde dans la soif du mystère, et non avec la secrète intention d’en retirer une gloire personnelle. Cet enjeu est par ailleurs tout aussi présent dans le travail manuel, et saint Benoît ne manque pas de le souligner. Il faut ajouter que c’est dans les monastères que la culture de l’antiquité a pu être conservée en Occident et survivre aux aléas de l’histoire et aux bouleversements politiques. De nos jours, les secousses qui agitent notre société réclament peut-être aussi que les monastères soient des lieux qui permettent la transmission d’une culture, et notamment celle des langues anciennes, dont l’enseignement s’est assez brutalement raréfié ces derniers temps.

Le deuxième atout des études de théologie est celui d’un équilibre humain. Notre nature est faite pour se déployer dans toutes ses facultés, et autant le travail physique permet de déployer harmonieusement les forces du corps, autant l’étude permet d’exercer les forces de l’esprit de façon proportionnelle. Les études permettent donc de trouver un équilibre, pourvu qu’on y ait du goût. Se concentrer sur un sujet et l’approfondir est une discipline qui permet de se décentrer de ses problèmes personnels, de s’ouvrir à la pensée d’autrui et d’élargir son monde intérieur.

Enfin, le troisième point que je voudrais soulever est le plus important. Les études de théologie peuvent être un soutien nécessaire à la vie monastique elle-même. À l’époque que nous vivons actuellement, la vie monastique est soumise au défi de changements culturels brutaux. Il est absolument nécessaire de prendre la mesure de ce pourquoi nous avons choisi cette vie, de ce qui en elle est essentiel, et de ce qui peut être bouleversé sans pour autant la dénaturer. Pour effectuer ce discernement, les études de théologie sont précieuses sous plusieurs points de vue. Par la confrontation avec la pensée de chrétiens passionnément engagés dans leur foi, elles peuvent susciter une expérience de foi personnelle et intense. Elles permettent également l’expression de cette expérience, car elles donnent la possibilité de mettre des mots sur les réalités intérieures, leur donnant ainsi plus de force, plus de conviction, et les rendant communicables à d’autres. Enfin, elles peuvent devenir une nourriture pour la foi et un moteur pour le progrès dans l’union à Dieu. Se confronter à un auteur de façon régulière et approfondie avec la perspective de devoir rendre des comptes de son travail oblige à entrer dans une démarche de pensée bien plus consistante que lorsqu’on lit des livres au gré de ses inclinations personnelles. Il s’agit de l’édification d’une sorte de construction intérieure capable de résister aux tempêtes et aux vents contraires, et qui permet la construction d’une personnalité intellectuelle, une richesse qu’il est possible aussi de transmettre à son tour à d’autres qui en ont soif.

Des défis pour les chrétiens et pour les consacrés dans un monde agité

12

Ouverture au monde

Professeur Italo de Sandre

 

Des défis pour les chrétiens et pour les consacrés

dans un monde agité[1]

 

 

« Le Seigneur dit : “J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses”. » (Exode 3, 7)

 

1. Voir et entendre pour connaître : les chrétiens devraient savoir que ce sont là les premiers pas de toute œuvre de miséricorde et que, mutatis mutandis, c’est aussi ce qui est au cœur du travail des sciences sociales. Un premier problème, une question pas toujours résolue dans l’Église d’aujourd’hui, c’est d’être vraiment disponible et agissant pour voir, écouter, connaître la réalité de la vie des personnes et des sociétés, et pas seulement ce qui va bien et ce qu’on voudrait qui soit ; et cela, sans avoir peur d’être remis en question. L’observation sociologique ne propose pas une idéologie de la société (comme certains milieux catholiques, même de premier plan, le disent ou le laissent entendre), mais cherche à contribuer pour « voir » les choses le mieux possible dans leur complexité, en recourant à des méthodes fiables (répétables) et valides (capables de représenter la réalité étudiée) de façon transparente, soumise à un contrôle et aux critiques. C’est dans cet esprit que, pour donner un exemple, dans les années 90, les instituts religieux masculins et féminins du Nord-Est de l’Italie avaient mis sur pied avec l’Observatoire socio-religieux de la Conférence épiscopale des Trois Vénéties, un « Observatoire de la vie consacrée » qui a publié, entre autres, une recherche sur « Les jeunes et la vie consacrée. Une autre voie » publiée en un volume collectif. Les représentations que se faisaient les jeunes des religieux et des prêtres étaient déjà désenchantées, en tension avec les aspects plus institutionnels de la vie des consacrés, surtout des prêtres (« Ils ont la réponse avant que tu aies posé tes questions »). Mais même cette période d’attention et d’ouverture dans le monde des religieux s’est rapidement refermée. Un autre exemple. Récemment, pour préparer le congrès ecclésial de l’Aquilée (au Nord-Est de l’Italie) en 2012, les évêques des Trois Vénéties ont demandé à l’Observatoire socio-religieux de la Conférence épiscopale des Trois Vénéties (OSReT[2]) une importante et complexe enquête socio-religieuse, dont les résultats, très intéressants autant que critiques, ont été présentés et discutés de façon engagée par de nombreux responsables de la pastorale diocésaine, mais les évêques n’ont pas cru bon de les publier en un ouvrage, et n’en ont presque pas tenu compte dans leurs conclusions finales. Bien des catholiques, des évêques, des religieux, des laïcs estiment qu’ils « savent déjà » et qu’ils n’ont nul besoin d’autres « complications sociologiques ». De nos jours, au contraire, un pape comme le cardinal Bergoglio a voulu qu’avant et entre les sessions du synode sur le mariage et la famille, on écoute toutes les Églises et tous ceux qui voudraient apporter leur propre témoignage de vie. C’est une décision inédite, importante, plus peut-être comme méthode que pour son contenu, qui correspond aux résultats produits. Qui sait quand et qui voudra reprendre cette décision et donner ainsi toute sa valeur à l’expérience de foi et de vie qui se fait dans la conscience des fidèles. Complexité des expériences qu’on ne peut écarter sans faire violence tant aux personnes qu’à l’intelligence de la réalité. Personnellement, j’estime que même les communautés monastiques devraient constituer, dans leurs divers pays, de petits groupes de chercheurs et de moines, de moniales (ou, plus généralement, de religieux et religieuses) pour connaître et comprendre leur réalité en cours de changement.

 

2. Depuis quelque temps, diverses études ont montré qu’entre mère/père et enfants survient un important glissement intergénérationnel des valeurs auxquelles on croit (par exemple : la vérité des Évangiles, le Christ) et des pratiques, surtout dans le domaine moral en général, et en particulier dans celui de l’affectivité-sexualité. L’image de l’Église était déjà très problématique à cause de ses messages d’austérité, et il ne faut pas croire que la sympathie personnelle dont jouit le pape François se mue en une sympathie et en une confiance généralisée envers l’Église-institution. La religiosité est en train de trouver des voies qui implique une présence réduite de l’Église (« un peu d’Église »), mais – pour l’instant – non pas « sans l’Église ». Regardez l’affluence dans certains sanctuaires ou lieux de culte particuliers, fréquentés non plus seulement par des personnes inactives et peu instruites, selon les vieux canons de la piété populaire, mais par des gens actifs et instruits qui cherchent une voie personnelle de relation de foi-confiance en des milieux diversement accueillants.

L’attitude des femmes ne diffère plus beaucoup de celle des hommes. Et même, parmi les femmes, plus augmente le niveau d’instruction, plus augmentent aussi les prises de position critiques envers le catholicisme et l’Église. Ce qui implique que la transmission traditionnelle de la foi par les femmes ne peut plus être considérée comme allant de soi. La présence active, plus mature et plus critique des femmes, consacrées et laïques, exige une réflexion dialogique et une implication profonde et commune. De même, le sens traditionnel du « service » doit être intelligemment revisité dans toute son ampleur, pour les femmes comme pour les hommes.

 

3. La centralité du sujet comme individu, au moins en Occident, a amené les gens à se sentir et à se prétendre autonomes vis-à-vis des institutions, sociales, civiles et religieuses (mais non pas économiques, le marché incitant les consommateurs de mille et une façons). Les technologies de la communication ont fait exploser ce phénomène. La maturation des personnes s’opère à travers un parcours plus long et plus incertain, favorisé par une prolongation des parcours scolaires, et rendu moins directif par de nombreuses occasions et d’infinies aspirations rendues possibles. De plus en plus, les vocations à la vie consacrée elles-mêmes émergent à un âge où la personne a déjà acquis une personnalité mûre, moins (ou plus difficilement) à même de s’adapter au style des instituts où elle entre, rendant plus complexe l’identification et l’organisation de la vie commune. L’unité de la vie personnelle, même pour un moine ou une moniale, ne va plus de soi, et ne se trouve pas par l’observation de rôles et de gestes.

Cette autonomie de la personne, ressentie et prétendue, a placé leur corps au centre. Le corps, non plus considéré comme quelque chose de négatif, à cacher, de dévalorisé par rapport à « l’esprit », mais au contraire comme étroitement lié à l’esprit-raison en un sens actif et positif. La société de consommation pousse à faire des expériences, à expérimenter les cinq sens en des occasions les plus nombreuses possibles. Ainsi, on n’achète plus une chose seulement pour la posséder, pour l’utiliser, mais on veut pouvoir vivre avec elle une expérience émotionnelle, physique, individuelle ou avec d’autres.

Les corps-esprits ont une sexualité et des rôles de genre qui se sont transformés en partie (et il n’est pas juste de tout focaliser sur l’homosexualité, comme l’ont récemment fait en Italie des idéologies opposées). Les inégalités traditionnelles homme-femme ne sont plus acceptées, dans aucun milieu de vie comme dans la société. Les discussions et les affrontements (même certaines manifestations politiques de rue), qui émergent dans le cadre du débat soulevé par le récent synode, ont montré que même au sein de la hiérarchie et parmi les « fidèles » catholiques existent des différences parfois radicales dans la façon de penser, de gouverner, de vivre son corps et son genre. Corps-genres qui concernent aussi les consacrés, femmes et hommes, prêtres et religieux, dont le choix d’une vie virginale, célibataire n’a pas été thématisé par le synode (ou peut-être n’a-t-on pas voulu le faire). Alors que, dans la vie concrète, ils sont en interaction avec des laïcs hommes et femmes, dont la perception du corps et du genre s’élabore différemment ; ce qui provoque des problèmes pour l’élaboration des relations et de l’éducation dans l’Église et la société. Dans les relations entre instituts religieux et société, entre femmes-hommes consacrés et femmes et hommes laïcs, la façon dont chacun s’exprime comme personne atteint des dimensions non-verbales et dans lesquelles la corporéité est en tout cas centrale, comme richesse ou faiblesse dans la vie, dans la communication et l’être ensemble, dans l’aide donnée et/ou le besoin d’être aidé.

 

4. Dans toute société, les styles de vie (manières d’être, de penser, de croire, d’agir, d’être en relation) deviennent une réalité centrale, ils constituent un medium fondamental de communication verbale et non-verbale des valeurs personnelles à travers les pratiques de la vie. L’importance des styles de vie provient de la personnalisation de ce en quoi on croit et de ce qu’on pense dans la vie quotidienne. Il faut tenir compte du fait que, dans la réalité actuelle, ceux qui se disent catholiques adoptent effectivement entre eux des styles de vie extrêmement diversifiés, et même opposés (de fait, nombre de ceux qui se disent catholiques n’observent ni la morale sociale ni la morale enseignée par l’Église en matière affective et sexuelle ; ils ont des options politiques différentes, etc.). Ce qui rend nécessaires, surtout dans le domaine religieux, un regard réaliste et un discernement dialogique sérieux sur la vie quotidienne, afin de se responsabiliser mutuellement et pas seulement de réprimander « les autres », en tenant bien compte du fait que le déclin croissant de la religiosité d’Église s’accompagne d’une recherche de sens souvent confuse mais bien présente, en tout cas chez les jeunes. Certains théologiens ont défini de façon simpliste ces jeunes comme : « les premières générations d’incroyants », « des petits athées » en croissance, ce qui a poussé involontairement un grand nombre d’entre eux, même parmi les prêtres et les religieux, à dire qu’il n’y a plus rien à faire. Cette perspective ne met pas suffisamment en lumière le problème de l’existence d’une nouvelle spiritualité (pas nécessairement anti-religieuse) qu’il vaut la peine de vivre et d’exprimer ; une spiritualité à étudier, à comprendre et avec laquelle il faut dialoguer. Un très grand nombre de personnes ont déjà quitté l’Église parce qu’elle les a ignorées dans ce parcours.

 

5. Quand je me rappelle les réflexions que nous faisions dans les années 90, je trouve d’actualité l’invitation paradoxale adressée aux instituts religieux féminins et masculins, non seulement de « sortir », comme le pape François les y incite, mais aussi et même d’abord d’ouvrir, d’une façon appropriée mais concrète, pas seulement les « musées », mais aussi les portes des espaces de leur vie quotidienne, pour qu’un plus grand nombre de personnes connaissent les styles de vie, humaine et chrétienne et pas seulement identitaire, des communautés consacrées (le back office, et pas seulement le front office ; le côté cour et pas seulement le côté façade), qu’elles en apprécient l’humanité, la proximité. Proximité aussi dans cette transparence dont il faut être témoins. Proximité également entre instituts religieux, entre monastères, entre communautés qui devraient partager davantage leurs expériences et leur témoignage de vie, tant contemplative qu’active. Peut-être y a-t-il là des formes de coopération souhaitables, sinon nécessaires. Elles étaient impensables dans le passé, en raison d’un souci de sauvegarder l’identité de chaque institut, qui primait sur le témoignage du choix de la vie religieuse et monastique, sinon de la vie chrétienne tout court (comme il ne peut en être autrement dans certaines sociétés).

Cette nécessité est encore renforcée (au moins en Occident) par la diminution ou l’extinction des vocations, par le vieillissement et la réduction numérique des membres de bien des communautés, qui aboutissent au bouclage prévisible de la parabole du temps pour quelques communautés ou familles religieuses, et en tout cas à une vie réduite en leur sein.

 

6. À propos de l’Église en général, on peut reprendre un instant le thème effleuré du « service ». Encore une fois les paroles et les actes du Pape – qu’il n’est pas rare de voir fortement critiqués – semblent aujourd’hui nous orienter vers un service véritable et effectif plus que vers un renforcement de l’autorité : venir concrètement en aide à ceux qui sont faibles, pauvres, marginaux, à ceux qui connaissent la souffrance et aussi à ceux qui sont sortis d’un cadre de vie « régulier ». « L’autorité » au sens institutionnel, religieux, moral, est habituellement comprise comme une forme légitime du pouvoir d’ordonner, de faire faire aux autres ce que celui qui détient personnellement l’autorité estime juste et bon de réaliser, des actions communes et des structures qui fonctionnent exclusivement de haut en bas, au moyen d’ordres, de règles, de devoirs. En réalité, une telle forme de pouvoir n’est pas la seule ; elle a tendance à être rigide et à n’être soumise qu’à peu ou pas de contrôle. D’un point de vue sociologique, il semble qu’on recourt volontiers à l’expédient rhétorique qui consiste à associer a priori à un tel modèle vertical le terme de « service », et qui peut ne pas être perçu comme tel par les autres. De fait, de nos jours, à partir de toutes les observations faites jusqu’à maintenant, une telle légitimation traverse une totale remise en cause, évidente dans la sphère civile, moins criante mais tout aussi présente dans le monde religieux, comme les recherches l’ont montré. Or, quand l’autorité n’est ni reconnue comme légitime (et donc ne jouit plus du consentement-confiance) ni aimée, ce qu’elle fait est interprété et éventuellement accueilli avec un autre regard. Le fait qu’elle « serve », pose des actes et prononce des paroles qui « servent » à la vie des personnes et des communautés, sera de fait interprété, même par les personnes intéressées. L’autorité doit être reconnue à nouveaux frais, dans un rapport qui n’est plus de haut en bas, de commandement-obéissance, comme dans le passé, mais dans une relation de respect et de non-humiliation, d’écoute réciproque et donc de dialogue sur les besoins et les attentes, les possibilités et les limites. Entre l’autoritarisme et l’autorité, c’est de nos jours, par exemple, la compétence qui va être valorisée (les laïcs savent en bien des domaines être plus ou aussi « compétents » que les religieux), l’empathie, la conviction que la capacité de travailler et de cheminer ensemble est une richesse. Le service devrait être mieux reconnaissable comme tel, rendre raison de sa propre validité, sans endosser les vêtements de la non authenticité.

 

7. Tout ce que nous avons dit jusqu’ici sous-tend une ligne rouge, une manière de penser les choses et les personnes qu’il faut bien qualifier de « pensée complexe ». Tout au long du 20e siècle les sciences ont cultivé un sens méthodique, systématique de la complexité de la connaissance et de la vie, et on est parvenu à maturité en ce domaine essentiellement au moment où on a cherché à analyser avec de nouveaux instruments précisément les sociétés, les personnes, notre monde et l’univers comme système. Le pape François lui-même – bien qu’en un langage théologique et pastoral – l’a implicitement exprimé à sa manière dans sa première exhortation apostolique, et nous en donne de continuels exemples dans ses discours prononcés aux États-Unis, en Afrique, dans son « Laudato sì », dans les exhortations post-synodales, dans les conférences de presse dialoguées qu’il donne au cours de ses voyages, et de plus en plus. Parler de complexité signifie ne pas être réducteur, simpliste, ne pas prendre de raccourcis, du genre qu’on sait ne retenir que ce qui nous convient. Cela signifie savoir prendre dans sa réflexion les implications de toute action posée. Cela veut dire : vouloir montrer comment l’ordre et le désordre, le bien et le mal, le juste et l’injuste sont imbriqués ; qu’il faut savoir regarder les choses avec réalisme, et désigner ce sur quoi il faut exercer un discernement pour pouvoir ensuite projeter et faire ensemble quelque chose de meilleur ; que nous sachions reconnaître aussi les limites et les conflits afin de construire des ponts. Comprendre que le tout est plus que les parties qui le constituent, mais que – quand, par exemple, il s’agit de personnes, de familles, de sociétés – paradoxalement le tout est encore moins que la somme de ses parties, parce que chaque personne et chaque famille vaut par soi-même, au-delà des valeurs du groupe où elles sont insérées. Un tout (par exemple, une famille, une communauté religieuse, une Église) a son propre ADN, son propre « code-source », qui est aussi présent en chacune des parties du tout (telle est la conception chrétienne de la personne). La complexité actuelle des expériences religieuses est le fruit – comme on a essayé de le dire – de mutations enchevêtrées et d’une énorme portée : l’absolue centralité a) du sujet, de l’autonomie des choix que font les personnes, b) des innovations technologiques à l’usage des individus comme des masses qui ont aussi directement et indirectement poussé à : c) l’inédite mobilité de milliards et de milliards de personnes, et donc d) à l’existence simultanée d’une grande pluralité d’expériences et d’institutions religieuses, e) toujours plus soumises à l’acceptation ou au refus de la part des individus.

 

Si l’on préfère maintenir une vision réductrice, on aura l’impression d’être en sécurité, mais inévitablement, on se fermera ; on ne s’écoutera pas, mais on ne sera pas non plus écouté.

 

 

 

[1] Intervention au Chapitre général de la congrégation Subiaco-Mont-Cassin de septembre 2016. Italo de Sandre est professeur de sociologie à l’université de Padoue. Il enseigne la « sociologie et la religion » à la faculté de théologie de la Trivénétie et à l’Institut de liturgie pastorale de Padoue Il fait partie du comité scientifique de l'ORSeT, Observatoire socio-religieux de la Trivénétie. Ces dernières années, ses recherches ont été davantage orientées vers les problèmes fondamentaux de l’action sociale, en particulier les implications analytiques des processus de solidarité et de communication, et les transformations des codes symboliques dans le cadre d’un pluralisme culturel, moral et religieux croissant.

[2] OSReT : Osservatorio Socio-Reliogioso Triveneto. Centre de recherche fondé en 1989 sous forme d’association entre les diocèses des Trois Vénéties, et organe de la Conférence épiscopale. Cf. : https://www.osret.it/it/pagina.php/100. [Note de l’Éditeur]

Le monastère Saint-Benoît de Volmoed

13

Une page d’histoire

Frère Daniel Ludik, Order of Holy Cross (OHC)

Prieuré Saint-Benoît, Volmoed (Afrique du Sud)

 

Le monastère Saint-Benoît de Volmoed,

l’œcuménisme en action

 

« Vous ne savez même pas ce que votre vie sera demain. » (Jacques 4, 14a)

 

Le 30 août 2019, trois frères de l’ordre de la Sainte-Croix, un ordre bénédictin anglican, sont arrivés au centre de retraite Volmoed près de Hermanus, dans la province du Cap-Occidental en Afrique du Sud, après avoir quitté leur monastère près de Makhanda (Grahamstown) dans la province du Cap-Oriental, avec un camion rempli de bibles, de bréviaires, de livres, d’icônes, de statues, de meubles et d’un chien.

 

Une brève histoire de l’ordre de la Sainte-Croix

L’ordre de la Sainte-Croix (OHC) a été fondé par le père James Otis Sargent Huntington en 1884 à New York, comme un ordre de prêtres missionnaires qui travaillaient principalement pour la justice sociale en faveur des migrants démunis. L’OHC s’est rapidement concentré sur l’éducation, notamment en fondant des écoles pour les enfants pauvres. En Amérique, l’OHC a fondé l’école St Andrews à Sewanee, Tennessee, et l’école Kent dans le Kent, Connecticut. L’OHC s’est également impliqué en Afrique depuis le début du 20e siècle, avec une fondation à Bolahun, au Libéria, où l’Ordre a créé l’école St Mary. Ce monastère a malheureusement dû fermer dans les années 1980 en raison de la guerre civile qui sévissait dans le pays.

Désireux de poursuivre sa présence en Afrique, et à l’invitation de l’archevêque émérite Desmond Tutu, l’OHC a fondé le monastère Mariya uMama weThemba près de Grahamstown en Afrique du Sud en 1998. La communauté monastique a rapidement lancé un programme parascolaire et un fonds de bourses d’études pour les enfants des ouvriers agricoles dans les environs du monastère. Cependant, l’un des problèmes majeurs identifiés dans l’éducation en Afrique du Sud est une mauvaise prise en compte des études de base. Nous avons donc décidé de lancer une école primaire qui prendrait en charge les niveaux R à 3 (c-à-d. pour les enfants de 5 à 8 ans). Ainsi l’école Holy Cross a commencé en 2010.

 

L’affiliation bénédictine

Avec le temps, et au fur et à mesure que la société changeait, l’OHC est devenu plus bénédictin dans son esprit et son charisme. Avec l’encouragement des camaldules américains, en relation d’alliance avec l’OHC, celui-ci est devenu officiellement bénédictin lors de son chapitre annuel en 1984, cent ans après sa fondation.

En tant que bénédictins, nous avons été invités à rejoindre le BECOSA (Benedictine Communities of Southern Africa) peu après notre arrivée en Afrique du Sud. Cela a été une ressource très précieuse pour nous en tant que communauté. Il est peu connu qu’il existe des monastères dans l’Église anglicane, il est donc très important et utile pour nous de faire partie d’une famille monastique plus large. Grâce au BECOSA, nous avons été initiés au programme de formation des monastères auquel cinq moines de l’OHC ont participé depuis l’Afrique du Sud au fil des ans. Nous avons également, par l’intermédiaire du BECOSA, participé à divers programmes et cours rendus possibles par la générosité de l’AIM. Ceci pourrait faire l’objet d’un article à part ; cependant, c’est aussi une bonne occasion de dire « merci », encore une fois !

 

Le centre de retraite Volmoed

Le centre de retraite Volmoed est né au début des années 1980, au plus fort de l’apartheid en Afrique du Sud, d’une vision commune de Bernhard Turkstra, alors propriétaire d’un hôtel, et de Barry Woods, prêtre anglican, pour créer un lieu ouvertement chrétien mais où les gens de toutes races et appartenances religieuses pourraient trouver sécurité et accueil en vue d’une guérison et d’une réconciliation. Ils ont finalement trouvé une ferme appelée Volmoed (un mot afrikaans qui signifie « plein de courage »), qui était à l’origine, au 18e siècle, une colonie de lépreux. Une belle aventure de foi a alors commencé dans cet endroit merveilleux et cela a porté beaucoup de fruits au fil des ans.

La communauté résidentielle de Volmoed se compose de quelques couples de retraités qui sont tous plus ou moins impliqués dans les activités quotidiennes de Volmoed. Le centre de retraite est géré par une équipe professionnelle pleine de dévouement sous la supervision d’un conseil d’administration dont les membres ne résident pas tous sur la propriété. Pour finir, Volmoed est sous le patronage de l’évêque Desmond Tutu, grand ami de l’ordre de la Sainte-Croix.

Le centre de retraite. 
Le centre de retraite. 

Déménagement à Volmoed

Alors, qu’est-ce qui a amené les moines à Volmoed ? Peu après sa création, l’école Holy Cross s’est régulièrement agrandie d’une classe par an. Il était devenu évident que l’école devait continuer à s’étendre, au-delà de la phase de fondation, pour devenir une école primaire à part entière. En raison de la disposition des bâtiments sur la propriété, l’option la moins chère et la plus sensée était de convertir l’enclos des moines tout proche en salles de classe supplémentaires.

Au départ, les moines ont emménagé dans une partie de l’hôtellerie du monastère, mais cette solution a vite semblé insoutenable. Nous avons alors commencé à chercher un autre logement et, en raison de contacts antérieurs avec la communauté Volmoed, nous leur avons demandé de nous aider à trouver des possibilités dans le Cap-Occidental.

Une partie de l’éthique de Volmoed est d’avoir une présence priante à tout moment. C’est ce qu’a offert le père Barry Woods jusqu’à sa mort au début de l’année 2019. Ainsi, lorsque nous nous sommes renseignés sur les possibilités d’hébergement au Cap-Occidental, l’équipe de Volmoed nous a invités à venir vivre à ses côtés comme une présence priante. C’est ainsi que le prieuré de Saint-Benoît à Volmoed a vu le jour. Comme on peut s’y attendre, passer d’un monastère totalement autonome à un espace œcuménique existant et fonctionnant bien offre un ensemble particulier de défis et d’opportunités.

 

La vie à Volmoed

J’ai parlé de Volmoed comme d’un lieu de guérison et de réconciliation, c’est donc en soi un ministère très dynamique. Volmoed entretient des relations avec diverses organisations et communautés locales et internationales qui se consacrent à la consolidation de la paix et à la réconciliation. L’une d’entre elles est la Community of the Cross of Nails, à la cathédrale de Coventry.

Par le biais du programme de formation au leadership des jeunes de Volmoed (VYLTP : The Volmoed Youth Leadership Training Programme), il existe également une relation vivante avec la communauté de Taizé en France. Le VYLTP est un programme résidentiel de neuf semaines, à l’issue duquel un ou deux jeunes qui se sont montrés aptes sont choisis et envoyés à Taizé pour trois mois afin de travailler dans le cadre de leur programme de volontariat.

Pour le culte, Volmoed dispose d’un complexe de chapelles avec une grande chapelle principale, une chapelle de sanctuaire plus petite et, au niveau inférieur, plusieurs autres salles. Ces salles et le sanctuaire sont à notre disposition. Les pièces du niveau inférieur nous servent de scriptorium, de bureau et de petite salle de chapitre.

Nous suivons notre Horarium monastique quotidien et sommes souvent rejoints par des membres de la communauté Volmoed et/ou des invités. Notre eucharistie dominicale est souvent suivie par un certain nombre de personnes qui ne se sentent pas particulièrement liées à une paroisse ou à une congrégation locale.

Depuis plusieurs décennies, Volmoed propose un service de communion œcuménique le jeudi matin qui s’est avéré très populaire auprès de la communauté de la ville d’Hermanus au sens large (« Accueil de personnes aux besoins complexes »). La communauté monastique a été invitée à diriger le service le dernier jeudi de chaque mois, et nous avons profité de cette occasion pour présenter à l’assemblée différentes sortes de chants (via YouTube) qui ont aidé à installer les gens pour les amener à un plus grand calme, au regard du grand nombre de personnes présentes et pas seulement des moines ! Ces eucharisties du jeudi nous ont également permis de faire mieux se connaître plusieurs participants du dimanche.

Il y a beaucoup d’autres organisations et personnes dans ce domaine que nous avons rencontrées ou que nous espérons rencontrer, avec lesquelles nous pourrions nouer des relations et des ministères. Malheureusement, la majeure partie du temps que nous avons passé ici à Volmoed, en Afrique du Sud, et dans le reste du monde d’ailleurs, a été bloquée ou soumise à d’autres restrictions en raison de la pandémie COVID-19. Nous espérons poursuivre le développement de ces relations dans la mesure du possible.

En tant que communauté monastique, nous sommes reconnaissants à Dieu d’être en mesure d’offrir une direction spirituelle, surtout en ces temps difficiles. Ce ministère a commencé presque immédiatement après notre arrivée et a permis, nous l’espérons, une évolution pour certaines personnes. Beaucoup de gens se battent vraiment pour être présents lorsque des êtres chers meurent, ou pour pouvoir être avec ceux qui sont malades et/ou seuls. En plus de cela, il y a tant d’incertitude et de peur, souvent sans que les médias le fassent connaître. Cela dit, les formes de communication en ligne se sont avérées inestimables dans ce ministère, surtout pour ceux qui sont trop loin pour venir nous voir en personne.

Comme le dit saint Jacques, « vous ne savez même pas ce que votre vie sera demain », en ces temps incertains, nous ne savons pas beaucoup de choses ; cependant, en Christ, nous savons ce qu’est notre vie et nous rendons grâce chaque jour.


Les frères à Volmoed.
Les frères à Volmoed.

Mère Marie-Chantal Modoux

14

Moines et moniales, témoins pour notre temps

La communauté d’Encontro (Brésil)

 

Mère Marie-Chantal Modoux

1919-2020

 

Madre Marie-Chantal (Marguerite) Modoux est née à Promasens, Fribourg, le 21 février 1919, aînée de quatre filles. Madre aimait les montagnes, le ciel, et aussi la mer. Éducatrice née, elle a fait l’École Ménagère et a ensuite travaillé comme préceptrice dans une famille de diplomates confinée au Vatican pendant la Guerre. Les gardes suisses avaient bien remarqué « la bella rossa », c’est elle-même qui nous l’a raconté. Elle a ensuite travaillé en Espagne. Une dame amie, oblate de Ligugé, lui a prêté le livre de dom Marmion : « Le Christ, idéal du moine ». À la fin de la lecture, elle a fermé le livre et a dit : « C’est ça et plus rien ». Pour trouver « où », elle a contacté trois monastères et c’est la réponse de Mère Thomas d’Aquin, du monastère de Notre-Dame de Béthanie, Loppem, près de Bruges, en Belgique, qui l’a conquise. Tout était préparé pour l’entrée à Béthanie quand Mme Modoux est tombée malade d’un cancer. Marie-Chantal, étant l’aînée, a décidé de renoncer à la vie monastique pour pouvoir soigner sa maman. Mais le médecin l’a encouragée : « Mademoiselle, votre maman vivra encore beaucoup d’années, suivez donc votre voie ».

Le 16 octobre 1951, elle entre à Béthanie et le 4 juin de l’année suivante commence le noviciat ayant reçu le nom de sœur Marie-Chantal. Sœur Anne Farcy, qui plus tard viendra avec elle au Brésil, était l’aînée du groupe des voiles blancs à qui il fallait obéir. Sœur Marie-Chantal fait sa première profession le 21 août 1954, et trois ans plus tard, la profession perpétuelle : le 23 août 1957. Sa maman, qui a fait une dépression au moment de son entrée au monastère, a pourtant été présente à chaque moment important, à Béthanie. Le 29 novembre de cette même année, Madre partait pour le Congo, intégrant la communauté fondée par Béthanie à Kikula, Likasi, où elle a vécu six ans.

En 1960, le pape Jean XXIII lance un appel aux contemplatifs pour l’Amérique latine, et Madre dont le cœur a toujours vibré avec l’Église, dit en réunion communautaire à Mère Colombe (alors prieure du monastère de Béthanie et présidente de la Congrégation) : « J’espère que Béthanie va répondre ». C’est en Belgique où elle était en vacances qu’elle apprend avoir été choisie pour faire partie du groupe des fondatrices pour le Brésil, en tant que responsable. Son billet de retour pour le Congo est donc annulé ! Madre connaissait l’espagnol et aurait aimé que le choix de la Congrégation soit pour un pays d’Amérique latine de langue espagnole, mais Dieu avait d’autres plans.

Le premier groupe des fondatrices, Mère Marie Chantal Modoux, Mère Marie-Claire Willocx et Mère Maria Stoll, part en bateau le 25 novembre 1963. Elles arrivent à Santos en décembre et puis à Curitiba au début de 1964. Les Missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus (MSC), belges, qui avaient accompagné le discernement de l’endroit de la fondation, avaient une paroisse au Pinheirinho, et ce sont eux qui ont trouvé le vendeur d’un terrain dans la même région. C’était une zone rurale sans électricité, sans eau courante, sans téléphone, etc. Tout était à faire, chacune a trouvé un logement chez des religieuses à Curitiba pour commencer à se débrouiller dans la langue portugaise. Une fois le second groupe arrivé, la construction du futur monastère commence, tout en bois, comme les maisons des voisins. Nos sœurs ont suivi le « Cenfi », à Petrópolis, un cours de six mois organisé par la Conférence des évêques pour les missionnaires étrangers, une introduction à l’histoire du Brésil, à la culture du Brésil et surtout à la langue portugaise. C’était la méthode de répétition, assez dure pour des adultes, mais qui donnait des résultats. De cette époque du « Cenfi », les sœurs ont noué des amitiés fidèles avec d’autres missionnaires, des bénédictins américains, des canadiens, surtout le père Roberto Ogle et le père Donaldo Macgillivray.

L’érection canonique du monastère, le 1er novembre 1965, a été marquée par la première visite de Mère Colombe. Les débuts ont été héroïques, le long office des vigiles le soir, avec six psaumes à chaque nocturne ; la lessive et le repassage de la communauté et de la sacristie des pères MSC ; un bus par jour, à 3 km de distance pour aller en ville où se trouvait la boîte postale ; et un seul puits qui parfois servait aussi pour garder la nourriture. C’était une vie pauvre, comme celle des premiers moines.

Le courrier était lent, en ce temps de dictature militaire, avec une censure féroce. Combien de choses vécues sans pouvoir partager avec le monastère fondateur ! C’était aussi le temps après-Concile, un temps très difficile pour la vie religieuse et sacerdotale. Combien de religieux, religieuses et de prêtres Madre n’a-t-elle pas écoutés, orientés, aidés à reprendre route ! Elle avait le don de l’écoute, et de l’empathie. Sa mémoire l’aidait à garder les physionomies, les noms et le contenu de la rencontre. Les gens se sentaient compris, accueillis, et revenaient, se sentant aimés et uniques. Elle entretenait les liens d’amitié par un courrier abondant, ne dormant parfois que quatre heures par nuit.

Madre était aussi la formatrice des vocations qui se présentaient. Son discernement, sa fermeté avec douceur dans l’accompagnement pour passer les valeurs monastiques et aider à grandir ont marqué celles qu’elle a accueillies. Son cours sur la suite du Christ, ses conférences à la communauté et sa façon de corriger les fautes sont inoubliables.

Dans les années 80, après l’époque où la théologie de la libération était très en vogue et presque incapable de comprendre la vie contemplative, il y eut un tournant. Les agents pastoraux ont découvert la lectio divina, le besoin d’un temps de recul pour prier et évaluer l’action, et la communauté a reçu trois demandes d’autres diocèses qui voulaient une communauté monastique. Madre, toujours le cœur ouvert aux besoins de l’Église, a décidé de faire une fondation. Nous étions douze, « Il faut que chacune donne sa mesure » disait-elle. Dans l’esprit de notre Congrégation, la communauté a choisi de répondre à la demande de l’endroit le plus pauvre, le plus éloigné, le plus « frontière » et le monastère de l’Agua viva a été fondé en Amazonie, dans la prélature d’Itacoatiara en 1989.

En 1998, une visite canonique décide le déménagement de notre monastère d’Encontro. Le Pinheirinho était devenu trop peuplé, trop violent et trop bruyant. À 80 ans, Madre a assumé de chercher un autre terrain, construire un nouveau monastère, vendre l’ancien, et recommencer dans une autre région rurale, avec des montagnes, un bel horizon, pas trop loin de Curitiba, et surtout à 50 km des moines trappistes. Et voilà la communauté à Mandirituba pour chanter « Ô Emmanuel » le 23 décembre 1999. Madre resta en charge du priorat jusqu’à l’an 2000. Elle a eu la joie de vivre la Dédicace de l’église du nouveau monastère en 2008, comme le couronnement de la fondation.

La devise de Madre était : « La joie du Seigneur est notre force » du livre de Néhémie 8, 10. Elle était très discrète sur sa vie spirituelle, ne parlant jamais d’elle-même. Mais il y avait des signes, comme par exemple son regard lumineux et serein, sa joie, sa foi, sa présence à tous les offices, à tous les travaux communautaires, sa disponibilité pour accueillir qui la cherchait. Après avoir quitté la charge de prieure elle était une sœur en communauté, demandant la bénédiction, les permissions normales dans la vie monastique, présentant ses comptes quand elle sortait. Sa cédule du carême révélait son grand désir de connaître de plus en plus le Seigneur, de vivre chaque jour comme le dernier de sa vie.

Madre était très jalouse de son autonomie, mais le grand âge est arrivé avec des limites. Elle a perdu l’ouïe, puis petit à petit la vision, la capacité de s’occuper d’elle même toute seule. La force de la vie qui l’habitait l’empêchait parfois de voir ses limites, et il fut nécessaire de ne plus la laisser seule, ni le jour ni la nuit. Ce fut une grâce pour la communauté, car chacune, par roulement, a eu ainsi une présence auprès de Madre. Sa grande souffrance était de ne plus pouvoir lire, elle qui a formé notre bibliothèque, qui lisait toutes les revues, les recensions, qui suivait la vie de l’Église toujours avec grand intérêt. Elle ne s’est jamais plainte. Son seul mot était : « Merci ».

À la fin, nous avons perçu une certaine nuit de la foi, une certaine angoisse, le front un peu ridé, mais toujours calme. La communauté priait avec elle et pour elle. Madre aimait beaucoup sa famille biologique et sa famille monastique. Elle a été une grande moniale, une femme profondément libre ; une présence l’habitait, elle ne voulait que la joie de son Seigneur, et en même temps elle était comme un enfant qui s’émerveillait devant tout.

Elle nous a transmis l’amour de l’office divin, de la vie monastique, la joie de la louange, l’esprit de Béthanie, c’est-à-dire l’ouverture, l’amour de l’Église, la disponibilité à l’envoi, la simplicité, le zèle pour la communion fraternelle, et l’accueil. Sa présence était une source d’unité ; même absente quand trop fatiguée elle ne pouvait pas venir au réfectoire ni en récréation, elle suivait la vie de la communauté, et demandait le sujet des réunions ou des lectures du réfectoire. Nous avons accompagné son « abaissement », ses moments d’angoisse. La dernière nuit nous étions autour d’elle, et avons renouvelé notre profession en chantant ensemble le Suscipe.

Son accueil a créé un réseau d’amis. Nous avons reçu plus de trois cent mails de condoléances. Pour tous ces messages nous vous remercions et sommes sûres que du ciel Madre intercède pour chacun et chacune de vous.

Les sœurs d’Encontro.
Les sœurs d’Encontro.

Charles de Foucauld

15

Moines et moniales, témoins pour notre temps

Père Michael-Davide Semeraro, OSB

Supérieur de Rhêmes Notre-Dame (Italie)

 

Charles de Foucauld,

prophète de notre défi monastique

 



La prochaine canonisation de frère Charles est l’occasion de retourner puiser à l’expérience spirituelle de ce chercheur de Dieu. Par sa façon singulière de vivre la suite du Christ, il a été le prophète du concile Vatican II, ce temps d’une intelligence renouvelée de l’Évangile. En conclusion de sa dernière encyclique Fratelli tutti, le pape François écrit :

« Mais je voudrais terminer en rappelant une autre personne à la foi profonde qui, grâce à son expérience intense de Dieu, a fait un cheminement de transformation jusqu’à se sentir le frère de tous les hommes et femmes. Il s’agit du bienheureux Charles de Foucauld ».

Bien que frère Charles soit désigné dans l’Ordo comme « prêtre », il me semble pouvoir dire qu’en réalité il fut et resta toujours un moine et un moine cistercien. Au moment où l’expérience de frère Charles est déjà bien mûre, une lettre écrite de Tamanrasset, le 26 mars 1908, à son beau-frère Raymond de Blic, le montre conscient de son évolution et du défi qu’elle représente pour ses choix à venir : « Je reste moine – moine en terre de mission – moine missionnaire, pas seulement missionnaire »[1].

De ce point de vue on peut dire qu’il y a un chantier à ouvrir, pour mieux saisir comment la spiritualité de frère Charles s’enracine dans la tradition monastique la plus pure, comprise comme ce flux d’eau vive, ce désir de chercher Dieu selon l’Évangile qui en traverse, secrètement parfois, l’histoire longue et complexe. Frère Charles a un sens aigu de son histoire personnelle, liée non seulement au temps qui court, mais aussi aux lieux qu’il parcourt ; il note ainsi dans ses méditations bibliques : « Appliquons ce psaume à nous-mêmes : c’est l’histoire de notre âme. Dieu nous a tirés du monde de sa propre main »[2]. Comme le fait remarquer Raymond Pannikar, la vie de tout homme et de toute femme en ce monde, ce n’est pas seulement sa biographie, mais aussi sa géographie. C’est particulièrement vrai pour frère Charles qui écrivait de lui-même à un ami, presque dans la même ligne que Thérèse de Lisieux dans son autobiographie : « Moine, ne vivant que pour Dieu, aimant en vue de Lui les âmes de toute l’ardeur de mon cœur »[3].

L’écrivain Norman Manea a récemment affirmé qu’en réalité nous sommes tous également le fruit de notre bibliographie, et cela vaut aussi pour frère Charles et pour son itinéraire de lecteur, devenu à son tour écrivain.

Lorsque Charles de Foucauld se convertit à Dieu, sous la sage conduite de l’abbé Huvelin, il ressent spontanément le besoin de devenir religieux et le dit, avec une étonnante clarté, dans une lettre écrite de la Trappe le 14 août 1901 à son ami Henri de Castries :

« Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi »[4].

Dans la logique de frère Charles, il est clair qu’il faut chercher la forme la plus parfaite de vie religieuse et, selon la sensibilité spirituelle de l’époque et son tempérament qui le porte à l’héroïsme, une telle aspiration à la radicalité et à la perfection s’identifie à l’austérité : « Je désirais être religieux, ne vivre que pour Dieu et faire ce qui était le plus parfait, quoi que ce fût »[5].

Une retraite à Solesmes, suivie d’une autre à Soligny, le mène finalement à la Trappe : « Il me sembla que rien ne me présentait mieux cette vie que la Trappe »[6]. Les motivations sont claires : « Recherche d’une vie conforme à la Vôtre, où je puisse partager complètement Votre abjection, Votre pauvreté, Votre humble labeur, Votre ensevelissement, Votre obscurité »[7].

Au monastère, d’abord à Notre-Dame des Neiges, puis à Akbès, il semble vraiment que frère Charles ait appris à lire deux livres : les Écritures – et très spécialement l’Évangile – et son propre cœur. À une époque où, même dans les monastères, les dévotions étaient de loin préférées à la lectio divina, frère Charles apprend à se plonger dans l’écoute et l’interprétation des Écritures d’où il tirera chaque jour, et jusqu’au dernier soir de son existence terrestre, lumière pour son chemin, en suivant cette règle fondamentale reprise par Dei Verbum : « La grande règle d’interprétation des paroles de Jésus, c’est ses exemples. Il est lui-même le commentaire de ses paroles »[8].

Bien des éléments fondamentaux de la sensibilité spirituelle de frère Charles ont leurs racines dans la tradition monastique bénédictine et, très spécialement, dans l’école cistercienne. La préférence absolue pour les mystères de la vie de Jésus, et la contemplation de son incarnation comme manière de le suivre sont le fruit de l’écoute des textes des pères cisterciens qu’on lisait pendant les vigiles et au réfectoire. Bien des thèmes et des accents qui sont souvent présentés comme des intuitions originales de frère Charles font en réalité partie d’une tradition que frère Marie-Albéric a respirée à pleins poumons à la Trappe et qu’il a ensuite exprimée dans des choix tout à fait personnels. C’est ainsi qu’il écrit, le 24 avril 1897, à Raymond de Blic : « J’ai quitté la Trappe après avoir reçu entière dispense de mes vœux, pour trouver dans une autre sorte de vie ce que j’avais cherché à la Trappe sans l’y trouver ». Aussitôt après, frère Charles affirme : « J’aime et j’estime la Trappe »[9].

Saint Benoît, saint François d'Assise, Bx Charles de Foucauld. Tableau dans la chapelle de la communauté de Rhêmes N.-D. (Cong. Subiaco-Mont-Cassin.)
Saint Benoît, saint François d'Assise, Bx Charles de Foucauld. Tableau dans la chapelle de la communauté de Rhêmes N.-D. (Cong. Subiaco-Mont-Cassin.)

Il serait donc très intéressant de chercher à relever les parallèles entre les intuitions de frère Charles dans sa méditation de la vie du Seigneur Jésus – surtout à travers les méditations sur les Évangiles sous forme « écrite » qu’il s’impose – et les commentaires de moines cisterciens comme Bernard de Clairvaux, Guerric d’Igny, Isaac de l’Étoile, Guillaume de Saint-Thierry, Baudouin de Ford… C’est là un grand défi, car cette recherche pourrait réserver bien des surprises et peut-être même conduire à une compréhension plus profonde de frère Charles, comme maillon d’une tradition fidèle mais vivante où il puise la force, le courage et la sérénité des innovations qui sont demandé aux moines et moniales de notre temps.

Dans une récente déclaration, l’Abbé général des trappistes fait remarquer que, depuis un siècle, certaines intuitions perçues de manière prophétique par frère Charles sont devenues communes aux moines d’aujourd’hui :

« Les communautés deviennent moins institutionnelles, liées à des relations personnelles plutôt que formelles, comme on le voit dans les communautés et les monastères de taille plus réduite »[10].

Dans la ligne de la plus pure tradition cistercienne, le rêve de frère Charles est de retrouver une vie chrétienne dans laquelle on fait grande place à cette intimité. Celle-ci engendre à son tour la charité et la bienveillance, qui culmine elle-même dans « l’indulgence tendre et compatissante pour les pécheurs, dont nous avons tant besoin, étant si portés à la sévérité pour autrui »[11]. La racine lointaine de cette charité reste néanmoins une attitude d’intimité priante, passion du désir et de l’imitation, ce qui, dans le langage de l’époque, est décrit comme pur amour.

Frère Charles choisit de se poster sur le chemin des autres pour pouvoir les rencontrer, les connaître et les aimer. Il recherche donc un lieu-frontière, bien avant que nous parlions de « situations de frontière ». Une note de frère Charles est ici très éclairante :

« Qui osera dire que la vie contemplative est plus parfaite que la vie active ou inversement, puisque Jésus a mené l’une et l’autre ? Une seule chose est vraiment parfaite, c’est de faire la volonté de Dieu »[12].

Ce n’est certainement pas un hasard si Notre-Dame des Neiges conserve aujourd’hui la mémoire du bienheureux Charles de Foucauld, comme s’il n’avait jamais quitté son monastère ou comme s’il y était retourné après son long parcours. A-t-il cherché autre chose qu’à demeurer « sous la conduite de l’Évangile »[13], comme le dit saint Benoît dans sa Règle, en se mettant à l’école des autres pour apprendre de tous l’inépuisable art de l’amour ?

 

[1] Lettre à R. de Blic, 26 mars 1908.

[2] Méditation sur l’Ancien Testament, Ps. 104.

[3] Lettre à H. de Castries, 14 août 1901.

[4] Lettre à H. de Castries, 14 août 1901.

[5] Ibidem.

[6] Ibid.

[7] Lettre à Louis de Foucauld, 12 avril 1897.

[8] Méditation sur l’Évangile, 199e, Mc 6, 7.

[9] Lettre à R. de Blic, 24 avril 1897.

[10] Relation de dom Eamon Fitzgerald au Chapitre général de l’ordre cistercien le 14 septembre 2014 à Assise, Collectanea Cisterciensia, 76 (2014) 4, p. 339-348.

[11] Ch. de Foucauld, Lettre à L. Massignon, 15 juillet 1915.

[12] Ch. de Foucauld, Méd. sur l’Évangile, 194e, vocation.

[13] Saint Benoît, Règle, prologue.

Le monastère Sainte-Marie, Mère de l'Église

16

Nouvelles

Les sœurs de Palaçoulo, OCSO


Le monastère de Sainte-Marie, Mère de l’Église

Une graine de vie monastique

dans la région de Trás-os-Montes (Portugal)


 

 

Nous vous écrivons du Portugal, où depuis le mois d’octobre dernier nous avons ouvert un nouveau monastère : Santa Maria, Mãe da Igreja. Pour l’instant, nous vivons dans la nouvelle maison qui sera la future hôtellerie, en attendant de construire le vrai monastère.

Ici, nous avons commencé la vie régulière et nous faisons les premiers pas pour organiser un travail productif. Pour l’instant, nous faisons des chapelets, nous vendons des livrets de prières pour les enfants, préparés quand nous étions encore à Vitorchiano, et maintenant nous commençons une production de biscuits aux amandes. Notre terrain de 28 hectares, au-delà de la partie destinée à la construction, possède déjà une plantation de 500 amandiers (les amandes seront utilisées à l’avenir pour la production des biscuits) et un verger avec divers arbres fruitiers pour les besoins de la communauté et des hôtes. L’hôtellerie est composée de huit blocs reliés entre eux pour former un seul bâtiment ; elle ressemble à une petite aldeia, c’est-à-dire qu’elle reproduit les caractéristiques d’un village typique de la région de Trás-os-Montes où nous nous trouvons.

L'hôtellerie.
L'hôtellerie.

L’extérieur de l’hôtellerie est en partie recouvert de schiste, pour souligner la proximité avec les caractéristiques des maisons des villages alentours, construites avec cette pierre. Notre terrain lui-même est riche en schiste. Nous avons aménagé une partie substantielle de l’hôtellerie en véritable monastère : au premier étage, en plus des chambres qui nous servent de cellules, nous avons aménagé des lieux pour les services indispensables (buanderie, taillerie et couture, économat, bureau de la supérieure). Au rez-de-chaussée nous avons créé les lieux réguliers : la petite chapelle sert de chœur monastique, la future salle de lecture sert de scriptorium, la salle de réunion, de Chapitre ; il y a également le réfectoire et la cuisine.

Grâce à la présence d’un escalier extérieur, qui maintient une certaine séparation, nous avons aménagé une partie de la maison pour quelques hôtes qui souhaitent déjà partager notre expérience de vie et de prière. Nous demandons au Seigneur de nous bénir avec quelques vocations locales.

Nous sommes situés à Palaçoulo, à environ 2 kilomètres du village, près de la frontière avec l’Espagne, dans la zone périphérique et assez dépeuplée de Trás-os Montes, où les jeunes émigrent ; les nombreux villages disséminés ici et là sont généralement habités par des personnes âgées.

Le paysage ici garde quelque chose de non contaminé et de vaste : il y a peu de maisons et peu d’agriculteurs qui continuent à cultiver la terre. C’est pourquoi le ciel est ample et c’est un étonnement, dans ce petit Portugal, de se sentir enveloppé par un ciel qui suit la voûte de l’horizon sans aucune rupture. La nature, dans de vastes étendues vallonnées, a quelque chose d’intacte. Quelques aigles planent sur les pentes abruptes du fleuve Douro.

D’un point de vue logistique, notre situation est assez inhabituelle : nous vivons dans un pays de la riche Europe et nous nous retrouvons à devoir répondre aux exigences de construction d’un monde en naissance, mais nous sommes quotidiennement confrontées à l’absence de structures et d’infrastructures adéquates et à une certaine inertie de la part des institutions municipales qui répondent difficilement aux services les plus élémentaires.

Les étapes de cette fondation ont été marquées par une expérience difficile : d’un côté c’est un vrai miracle et d’un autre côté, il y a une exigence de patience, de ténacité, dans laquelle nous avons dû nous rappeler pourquoi ça vaut la peine de se dépenser et de risquer de construire une graine de vie monastique dans notre Europe sécularisée et sceptique. Il y a vraiment eu un goût de miracle avec la générosité des paroissiens de ce lieu qui ont voulu nous céder une partie de leur terrain (notre propriété actuelle est composée de 32 anciens lots différents) ; touchante aussi est la générosité de l’évêque et du curé d’ici qui, avec patience, ont tissé des relations, ont permis des rencontres, de l’aide, des contacts pour que la vie cistercienne revienne dans ce pays. Mais aussi de la patience et de la ténacité, car nous avons également rencontré de nombreuses difficultés bureaucratiques, avec le manque de fonds et le manque d’intérêts de certaines grandes entreprises qui nous ont obligées à prendre en charge la ligne électrique, la canalisation d’eau, à construire et à gérer un réseau d’égouts, une installation pour le gaz, les tranchées pour installer internet (qui pour l’instant ne fonctionne qu’avec le système satellite) et aussi le manque de route adéquate pour rejoindre le village. Nous avons en partie construit cette route : elle sera maintenant achevée en terre battue et gravier avec un grand effort de la part de la municipalité d’ici.

Nous travaillons actuellement au projet du monastère, une entreprise encore plus exigeante que l’hôtellerie, à la fois parce qu’il a été conçu pour accueillir quarante moniales et parce que le bâtiment est destiné à inclure à l’intérieur les pièces pour le travail.

Le bâtiment est conçu pour s’intégrer harmonieusement dans l’environnement naturel et s’adapte à l’aspect vallonné du terrain : pour cette raison, nous avons prévu une répartition des pièces sur plusieurs étages. Le projet réalisé selon la structure d’un monastère traditionnel prévoit le cloître au centre, au cœur de la maison. Autour de lui s’ouvrent tous les autres développements dans lesquels la vie de la communauté monastique va se dérouler. L’église, orientée à l’Est, est positionnée sur la partie supérieure du terrain, de manière à être visible même de loin. Les espaces de travail occupent l’étage inférieur avec les locaux techniques, tandis que le premier étage sera utilisé pour les dortoirs et l’infirmerie.

Pourquoi sommes-nous ici ? Pourquoi avons-nous quitté notre monastère où nous étions heureuses et notre grande communauté que nous aimions ? La réponse est assez simple : l’évêque de Bragança, qui croit à la vie monastique et en sa capacité de témoignage et d’attraction chrétienne, nous a appelées dans son diocèse.

Notre communauté actuelle, composée de dix sœurs, vient du monastère de Vitorchiano, qui a fondé en cinquante ans huit monastères dont le premier en Toscane : les vocations étaient nombreuses à Vitorchiano et il n’y avait plus de place pour tout le monde ; mais immédiatement après, les fondations se firent dans des pays où il n’y avait pas encore de monastères trappistes : en Argentine, au Chili, au Venezuela, en Indonésie, aux Philippines, en République tchèque et maintenant au Portugal. De plus, nous avons aidé un monastère en République Démocratique du Congo, en envoyant cinq sœurs pour aider la fragile communauté du lieu. Dans tous ces cas, l’initiative n’est pas venue de nous : c’est toujours un évêque qui nous invitait ou bien il y avait une proposition venant d’autres personnes pour que nous allions fonder dans un diocèse.

Pourquoi avoir fait toutes ces fondations, souvent dans des conditions difficiles, que ce soit d’un point de vue économique ou en raison d’autres difficultés ? Parce que la mission, le fait de porter le Christ aux autres, caractérise tous les chrétiens et en particulier les instituts religieux et les personnes consacrées dont le charisme a été officiellement confirmé par l’Église.

La vie monastique, qui remonte aux premiers siècles du christianisme et qui au fil des siècles s’est développée sous différentes formes, contribuant également à l’essor de la civilisation et de la culture, a toujours cherché et favorisé la mission pour faire connaître le Christ à travers le témoignage d’une vie priante, fraternelle et laborieuse. Ce témoignage a été reçu dans des lieux et des cultures très divers et s’est énormément répandu, même au travers des difficultés et des drames qu’implique l’histoire humaine.

En plus de la mission et malgré le vœu de stabilité qui lie le moine à sa propre communauté, le monachisme a toujours favorisé la xéniteia, c’est-à-dire le fait d’aller témoigner du Christ dans un pays étranger : là les conditions de vie, la langue et les coutumes en font un témoignage difficile, douloureux ; ainsi le moine, la moniale missionnaire ressemble de plus en plus au Christ, qui a souffert et est mort pour nous.

Moines bénédictins coptes catholiques

17

Nouvelles

Frère Maximillian Musindal, OSB

Prieur au Caire (Égypte)


Moines bénédictins coptes catholiques

Célébration des trois ans de notre fondation


 

Voici quelques nouvelles de la fondation des moines de Saint- Ottilien au Caire (Égypte).


Nos maisons

Notre humble vie a commencé dans un appartement loué au centre du Caire ; il appartenait aux missionnaires Comboniens ; puis nous avons loué une villa franciscaine à Mokattam. Ce fut notre première résidence officielle en Égypte.

Pour accueillir nos hôtes, nous avons mis en place trois « unités », soit six chambres supplémentaires avec salle de bains intérieure et commodités. Nous avons acheté une propriété agricole de quelques douze hectares puis environ six hectares voisins dans la province d’Ismailia : la propriété comportait en plus une petite villa de trois chambres. À la ferme il y a des oliviers et des manguiers.

Au moment de la reconnaissance canonique et du lancement officiel, notre villa possédait une chapelle de style copte, dédiée à saint Benoît et bénie par Sa Béatitude Ibrahim Ishaq, patriarche copte catholique d’Alexandrie.

Finalement un prêtre copte catholique canado-égyptien, abuna Bishoy Yassa, a proposé de nous offrir une propriété qu’il possédait. Après quelques discussions et consultations, nous avons accepté son offre. Ce fut notre première propriété en Haute-Égypte. Il s’agit d’un terrain important avec une villa qui nécessitera quelques rénovations et ajustements pour devenir un monastère. Nous espérons faire de cette maison la pépinière de nos vocations car il y a beaucoup de vocations dans cette région. C’est notre troisième maison en Égypte.

Presque tous nos projets concernent Ismailia. La stabilité financière de notre fondation dépendra de la façon dont nous saurons gérer ce lieu.

Monastère Saint-Benoît au Caire. 
Monastère Saint-Benoît au Caire. 

Hébergement

Lorsque nous avons acheté la propriété d’Ismailia il y avait une maison comportant trois chambres, une cuisine, une salle à manger, deux salles de bains, une véranda (que nous avons transformée en chapelle) et, derrière, une piscine délabrée. Devant loger de plus en plus de monde nous avons, grâce à nos bienfaiteurs, fait construire deux autres étages. Nous pouvons maintenant recevoir dix personnes, ce qui suffit pour accueillir tous les frères à la fois. Au départ c’était un grand défi.

À côté de l’entrée principale, nous avons disposé une structure permanente permettant de loger l’agent de sécurité, une petite mosquée toute simple pour nos travailleurs et une salle pour les policiers au cas où le gouvernement en enverrait pour assurer la sécurité. En face il y a un petit bâtiment indépendant destiné aux jeunes et qui peut recevoir au maximum quatre personnes. Depuis notre installation à Ismailia, de nombreux religieux du Caire et d’Ismailia apprécient notre maison à cause de son environnement calme pour faire une retraite, une récollection ou simplement se reposer. Ce succès nous a conduits à augmenter le nombre de chambres pour accueillir nos hôtes.

 

La ferme, les olives et les mangues, les dattes, les citrons et les mandarines

La ferme d’Ismailia est en train de changer. Quand nous l’avons acquise, elle était en très mauvais état. Après un longue période de nettoyage, de changements et de remplacement de l’ancien système d’irrigation (grâce à Missio Muenchen), nous sommes en bonne voie pour en profiter. Sur les douze hectares initiaux, il y a 3 247 oliviers ; l’année dernière nous avons remplacé 200 arbres qui ont tous survécu. Sur la propriété de six hectares récemment acquise il y a 2 292 jeunes oliviers. Cela donne un total de 5 639 oliviers.

Outre les oliviers il y a 1 873 manguiers dont nous avons remplacé une trentaine de pieds. À l’achat de la ferme il y avait 80 orangers, que nous utilisons pour notre consommation domestique. Nous avons planté 100 dattiers saoudiens puis, par la suite, 35 citronniers et 5 mandariniers.

 

Poste de purification de l’eau

L’un de nos projets essentiels était la purification de l’eau. L’eau dont nous disposons est salée. Grâce à nos bienfaiteurs, nous avons pu ériger un poste de purification de l’eau. Ce projet ne profite pas qu’à nous seuls. Non loin de notre monastère il y a un grand village. Les femmes et les enfants doivent parcourir de longues distances à pied pour aller chercher de l’eau douce. Nous avons déroulé un tuyau pour leur en fournir. Beaucoup de familles musulmanes pauvres viennent s’approvisionner en eau douce au robinet placé à l’extérieur de l’enceinte, près de l’entrée principale.

 

Jardin potager

L’agriculture maraîchère en Égypte se tourne rapidement vers les OGM. Les gens y investissent pour produire en quantité mais c’est au détriment de la qualité. Après plusieurs essais, nous avons réalisé que nous pouvions produire nos propres légumes dans notre ferme d’Ismailia. Investir dans l’agriculture biologique garantira la qualité de nos légumes.

Grâce à un don de la Société pontificale missionnaire, nous avons maintenant une salle de conférences de 100 places à la fine pointe de la technologie.


Gymnase et piscine

Pendant la pandémie, nous avons eu l’idée de faire remettre en service la piscine délabrée qui se trouvait à la ferme d’Ismailia lorsque nous l’avons achetée. Puis, après la piscine, nous avons décidé de mettre en place une salle de gymnastique. Ces deux projets sont nés par nécessité. Le confinement nous a été très pénible ; sans espace pour faire du sport et sans rencontre avec le monde, de telles installations sont devenues nécessaires. De plus cela permettait de proposer un espace de détente privé pour les religieux coptes en Égypte.

Le fait qu’un religieux, prêtre, moine ou sœur, ne soit pas autorisé à se détendre dans un lieu public est difficile à comprendre pour un étranger. Une étude a montré que les prêtres, y compris de nombreux missionnaires, n’ont pas cette facilité. Avoir un lieu de sport dans notre monastère serait donc un plus. De fait, une fois les deux installations terminées, de nombreux prêtres, y compris les coptes catholiques, les fréquentent. Cela fait partie d’un apostolat dont nous avons eu l’idée à la suite de « l’écoute » des besoins de l’environnement.

 

Les moutons

Les bédouins sont connus pour avoir des moutons, des chameaux, des vaches et des ânes. Autour de notre monastère se trouvent des villages de bédouins. C’est d’eux que nous avons appris à quel point l’élevage ovin peut être rentable. Les bédouins qui nous entourent n’ont pas de grands troupeaux de moutons, étant donné leur humble niveau de vie. Néanmoins, chacun d’eux en a de un à cinq. À la fin de l’année dernière, après une étude sérieuse, nous avons envisagé de nous lancer dans l’élevage ovin. Le premier défi à relever était de savoir comment trouver de la nourriture pour les bêtes. Une partie de nos terres agricoles ne convenait pas aux oliviers : nous avons donc déraciné 420 arbres non performants. Cela nous a libéré près d’un hectare sur lesquels nous avons planté du bersim (trèfle d’Alexandrie). C’est une nourriture animale connue et très nutritive employée en Égypte. Ça pousse très bien ; nous en récoltons toutes les trois semaines, le broyons et le stockons. Nous avons acheté dix moutons pour commencer. Ça se passe bien. Cela nous donne l’espoir que, dans un proche avenir, après la rénovation des hangars de la ferme, nous pourrons nous aventurer dans l’engraissement des moutons pour le marché. Il est important de signaler qu’en Égypte, comme dans tous les pays à majorité musulmane, le mouton est nécessaire pour célébrer le Jour du Sacrifice (Aid el-Adha) qui rappelle le sacrifice du prophète Ibrahim. Or l’Égypte n’a pas assez de moutons : beaucoup sont importés. Par conséquent il y a là un marché qui existe déjà. Cette fête intervient un mois après le Ramadan. Selon nos recherches il est conseillé d’acheter de jeunes moutons, de les engraisser pendant quatre mois au maximum, puis de vendre tout le troupeau juste avant l’Aid el-Adha. Notre objectif, pour l’année à venir, est d’avoir 100 moutons. Nous avons un grand hangar où ils pourront tous tenir.

 

L’aide sociale

Notre monastère d’Ismailia est entouré de plusieurs villages pauvres. Nous n’avons pas négligé les nécessiteux dans ces villages. Dans la culture bédouine, la mère est entièrement en charge des enfants tandis que le père part à la recherche de nourriture et autres besoins. Il est fréquent de voir des mères venir mendier avec leurs enfants. Beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école ; l’éducation n’est pas une priorité. Le garçon est élevé pour protéger et subvenir aux besoins de la famille ; la fille est élevée pour être mariée, souvent dès 12 ans, et pour avoir des enfants. Les bédouins n’autorisent pas le mariage en dehors de leur famille élargie. Ils se marient le plus souvent entre cousins germains. Ils ont une culture très peu ouverte et tout étranger est considéré comme une menace pour leur survie. Nous sommes toutefois en mesure d’avoir des rapports avec eux après qu’ils se soient rendu compte que nous n’étions pas contre leurs valeurs culturelles. Une façon de les approcher est de soutenir les veuves nécessiteuses et leurs enfants. Actuellement, avec le soutien que procure Saint-Ottilien, nous versons une allocation mensuelle à treize veuves et aidons à acheter de la papeterie et des sacs pour leurs enfants qui vont à l’école. Selon les besoins de la famille, nous donnons entre dix et quinze euros par mois. Cela peut sembler peu mais sauve des vies.

Au début de l’année 2020, il y a eu une terrible pluie d’orage en Égypte. Presque toutes les maisons des villages voisins se sont effondrées. Les gens n’avaient aucun abri pour dormir. Ce fut un vrai désastre. Tous nos ouvriers étaient sans logement. Certains ont même demandé à venir vivre au monastère avec leur famille jusqu’à ce qu’ils puissent construire une nouvelle maison. Nos frères de Muensterschwarzach étaient en Égypte lorsque cette tragédie s’est produite. Avec l’aide que Muensterschwarzach nous a procuré, tous nos ouvriers ont pu avoir des maisons permanentes. Nous apprécions vraiment ce genre de soutien. Cela a beaucoup de valeur pour nous en tant que communauté de moines entourée de familles musulmanes. Le peu que nous faisons pour toucher leur vie parle plus que de leur réciter la Bible. Outre cela, il y a toujours des gens qui viennent frapper à notre porte pour mendier du pain ou des médicaments ou même une couverture. Si nous le pouvons, nous donnons. Si nous ne pouvons pas le faire, nous avons quand même un mot gentil. Le fait qu’ils viennent frapper chez nous est déjà un signe de confiance.

Il est important de parler du rôle joué par la procure de Muensterschwarzach. L’Égypte connaît un afflux important de réfugiés en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient. Les réfugiés érythréens et soudanais sont pris en charge par les pères Comboniens. Au cours des dernières années leur nombre écrasant a dépassé ce que ces pères pouvaient assumer. En ce qui concerne la pastorale, ils ont demandé au père Maximilian de les aider dans les visites à domicile et l’administration des sacrements. Aux moments des plus grands besoins, la procure de Muensterschwarzach a aidé pour leur éducation et leurs besoins fondamentaux. Avec la pandémie de COVID-19, la situation s’est à nouveau aggravée… Depuis, les réfugiés dépendant entièrement des dons, la procure de Muensterschwarzach a beaucoup aidé en donnant de l’argent pour acheter des denrées alimentaires, des lingettes désinfectantes, des masques, etc. Nous apprécions vraiment ce genre d’aide sociale. Le défi demeure. Nous avons constitué un conseil pour voir comment soutenir ces familles de réfugiés qui ne vivent que de dons. Nous avons présenté plusieurs projets mais réalisons qu’il est difficile d’obtenir des autorisations pour certains d’entre eux en raison des restrictions mises en place par les autorités civiles. Les seuls projets viables sont ceux qui peuvent être gérés directement par l’Église, pour que les réfugiés puissent tenir. L’équipe technique travaille sur le projet que nous lancerons avec les organismes qui soutiennent ces réfugiés érythréens et soudanais en Égypte.

 

Les hommes, les vocations, la formation

Nous sommes une communauté de six membres : un profès perpétuel (père Maximilian), deux frères profès temporaires (frère Bruno et frère Arsanius), deux novices (père Emmanuel et frère Antonius) et un postulant (Mikhail). Nous avons en outre un oblat novice (abuna Bishoy du diocèse d’Asyut). Jusqu’au 23 novembre 2020 nous avions trois profès temporaires.

Parmi les jeunes qui se renseignent et expriment le désir de se joindre à nous, il y a plus d’orthodoxes que de catholiques. Il est évident qu’il existe une tension entre les deux Églises. Certains évêques catholiques ne sont pas favorables au fait que nous admettions des jeunes d’origine orthodoxe. Ils redoutent une invasion. Afin que leur choix de quitter l’Église orthodoxe pour l’Église catholique soit bien clair, il faudra qu’ils aient fréquenté une paroisse catholique pendant au moins six mois sans interruption. La recommandation du curé ne suffira plus. Ils devront également en obtenir une de l’évêque de leur diocèse. Nous avons trois jeunes hommes d’origine orthodoxe qui demandent à se joindre à nous. Nous leur avons conseillé de faire les premiers pas en juillet 2021, ils auront alors atteint l’exigence des six mois. Pendant cette période, ils nous rendront visite « pour voir ».

Tout ce programme de formation est donné en arabe, notre confrère, le frère Arsanius, y a un rôle très important. Il traduit ce que dit l’Abbé Président qui enseigne par Zoom. Il traduit également toutes les leçons sur la règle de saint Benoît que nous utilisons en cours.

Nous ne manquerons pas de mentionner le rôle joué par l’abbé émérite de Muensterschwarzach, le père Fidelis Gerhard Ruppert : ses nombreuses visites en Égypte pour donner de courtes conférences et cours à la communauté ont toujours été une richesse pour notre formation. Malheureusement, la pandémie de COVID-19 a interrompu cette mission. Nous espérons qu’une fois l’épidémie vaincue le Père Abbé Fidelis pourra reprendre ses visites. Il nous manque ! Le père Fidelis a contribué à renforcer nos liens avec les grands monastères coptes orthodoxes de Saint-Macaire et de Saint-Antoine-le-Grand. Nous cherchons comment rendre ces relations plus fructueuses afin que certaines formations puissent être données dans ces monastères puisque nous avons les mêmes racines. C’est une entreprise difficile que nous seuls, moines bénédictins de l’Église catholique, pouvons mener.


Chapelle et liturgie au monastère Saint-Benoît.
Chapelle et liturgie au monastère Saint-Benoît.

La liturgie

Notre liturgie est copte. Depuis un an, nous travaillons sur sa structure. Nous avons fait plusieurs essais avant de définir le style de notre liturgie. L’arrivée du père Emmanuel a été une bénédiction pour la communauté. En tant que prêtre copte catholique, il nous a beaucoup appris en matière de rite copte : messe, offices, liturgies spéciales selon les directives du synode des évêques de l’Église copte catholique. Les deux langues utilisées pour nos célébrations liturgiques sont l’arabe et le copte. Nous célébrons la messe trois fois par semaine : le dimanche, le mercredi et le vendredi. Notre journée commence à 5 h 30 en été et 6 h 30 en hiver. Le livre de prière catholique copte (Agbiyya) prévoit les prières du matin, de la troisième heure (9 h), de midi, du soir, de la nuit, l’office des moines et les prières de minuit. Habituellement, nous prions les offices du matin, de midi, du soir, de la nuit ainsi que l’office des moines (que nous sommes les seuls à célébrer). Les jours où il n’y a pas la messe, nous prions l’office de la troisième heure. Tous les samedis soirs, au lieu de l’office du soir, nous avons la cérémonie de l’encens (une liturgie très solennelle avec beaucoup d’encens) qui comprend une partie de l’office de la nuit.

 

Découverte de la mission

Découvrir notre mission de bénédictins missionnaires est très important. Certains de nos confrères ont eu la chance d’aller dans une de nos abbayes bénédictines ou de nos prieurés de la congrégation de Saint-Ottilien pour leur formation ou pour faire une expérience. Abuna Emmanuel, juste avant de rejoindre notre communauté, a passé deux semaines à Tigoni, au Kenya. Il avait besoin de cela pour avoir une première expérience de communauté bénédictine afin d’affiner son intention. Son expérience a été positive et à son retour, convaincu que c’est bien ce qu’il voulait, il s’est joint à nous. Le frère Arsanius a fait la deuxième partie de son postulat et tout son noviciat à Tigoni. Alors qu’il était à Tigoni, il a visité Tororo (Ouganda). En 2019, il a participé à une rencontre en Allemagne. Pendant ce voyage, il a eu la chance de visiter certains de nos monastères en Allemagne et dans les pays voisins. Le frère Bruno a récemment (octobre-décembre) eu la chance de visiter les abbayes de Saint-Ottilien, Muensterschwarzach, Schweiglberg et Georgenberg. Toutes ces expériences sont une richesse pour notre fondation.


Conclusion

Pour conclure, nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont soutenus et nous ont aidés à être là où nous en sommes. Nous apprécions chacun d’entre vous pour sa contribution qui est unique. Sans votre précieux soutien, les choses auraient été bien différentes.


Fermeture de l’abbaye Saint-Marie-Du-Désert (France)

18

Nouvelles

Fermeture de l’abbaye

Sainte-Marie-du-Désert (France)

et ouverture du premier Village de François

 

Tiré du site internet : « Le village de François »

(https://abbayedudesert.fr/ouverture-premier-village-francois/)

 

 

Le 4 octobre 2020, le premier Village de François s’est ouvert à l’abbaye Sainte-Marie-du-Désert. La veille, près de cinq cent personnes, dont cent-cinquante moines et moniales, étaient venus entourer les huit moines de la communauté pour leur départ et la passation au Village de François. Au cours d’une messe d’action de grâce présidée par l’évêque du lieu, Monseigneur Le Gall, a eu lieu la passation.

Ému, le Père Abbé a déposé sa crosse au pied de l’autel, puis a remis les clefs de l’abbaye au Village de François. « Je vous confie l’abbaye, prenez en soin », par ces mots, le Père Abbé a définitivement acté la passation. Une page de l’histoire de l’abbaye se tourne après cent soixante-huit ans de vie monastique à Sainte-Marie-du-Désert. Un départ non sans tristesse évidemment, mais teinté d’espérance car il a été rappelé au cours de la messe que « si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit ». Et les moines sont dans cette espérance que demain naîtra un beau Village de François qui portera du fruit.

Fidèle à la vocation des moines de porter le monde et les hommes dans leur prière, le Village de François souhaite accueillir les plus fragiles afin de les relever, tout en leur offrant de vivre des relations fraternelles et bienveillantes. Le père abbé Pierre-André Burton ne s’y trompe pas : le Village de François est « un beau projet ambitieux : des familles vont fournir un cadre solide à ceux qui sont dans la misère ». D’un point de vue économique, l’ensemble des activités des moines va se poursuivre, les emplois seront préservés, les moines partent rassurés.

L’équipe du Village de François a été surprise par l’afflux important de candidatures spontanées de familles exceptionnelles qui souhaitent s’engager bénévolement dans l’aventure. La famille Content est la première à être arrivée en septembre. Olivier et Marthe ainsi que leur petite fille, sont arrivés le 20 octobre. Courant novembre, Aynard, Gabrielle et leurs deux enfants ont rejoint l’aventure. Aynard s’occupe du développement économique du Village. Vincent et Yuna, un jeune couple, est attendu dans les prochains jours. Il y aura aussi Pierre-Henri et Ségolène, Ferréol et Ombeline, François et Jeanne… De nombreuses familles souhaitent rejoindre prochainement le Village de François pour vivre cette fraternité avec les plus fragiles. L’arrivée des célibataires se fait progressivement… Les personnes fragiles accompagnées par des associations arriveront à partir de janvier 2021 en fonction des travaux. Chacun sera reçu et installé grâce à des associations expérimentées, comme l’association « Magdalena » pour les femmes issues de la prostitution. Une colocation de personnes âgées se prépare avec la structure « Cette Famille ». Des projets de colocation pour des personnes ayant vécu à la rue ou en situation de handicap sont en cours d’étude et de formalisation avec les partenaires.

D’importants travaux vont être nécessaires pour accueillir chacun. Le Village de François recherche plusieurs centaines de milliers d’euros pour réaliser des appartements. Le premier Village de François à Toulouse est donc lancé. L’abbaye Sainte-Marie-du-Désert ne meurt pas, elle se transforme et les liens d’amitié avec les moines sont établis pour toujours.

bottom of page